Séance du jeudi 17 février 1994 à 17h
53e législature - 1re année - 4e session - 4e séance

M 895
18. Proposition de motion de Mme et MM. Bernard Clerc, Evelyne Strubin et Pierre-Alain Champod invitant le Conseil d'Etat à créer une statistique relative aux chômeurs en fin de droit. ( )M895

EXPOSÉ DES MOTIFS

L'explosion du chômage depuis 1991 et son maintien vraisemblable à un niveau élevé, même en cas de reprise économique, conduisent de nombreux chômeurs et chômeuses à épuiser leurs indemnités de chômage, y compris après le passage par une occupation temporaire.

Pour mémoire, signalons qu'à fin décembre 1993, 16 310 chômeurs et chômeuses étaient recensés, soit un taux de chômage de 7,9%. Sur ce nombre, 4188 personnes étaient au chômage depuis plus d'un an, soit 26% du total des sans-emploi.

Actuellement nous ne disposons pas de données quantitatives permettant de cerner le phénomène des personnes en fin de droit. La seule statistique disponible est partielle: il s'agit des chômeuses et chômeurs qui, après avoir épuisé toutes leurs prestations de chômage (indemnités fédérales, cantonales, occupation temporaire), demandent l'aide de l'assistance publique auprès de l'Hospice général.

Il est indispensable de saisir de manière exhaustive la réalité des chômeurs en fin de droit pour permettre de prendre les mesures qui s'imposent tant du point de vue d'une politique de l'emploi que d'une prise en charge sociale de ces personnes.

Débat

M. Bernard Clerc (AdG). L'annuaire statistique du canton de Genève 1993 nous apprend que notre République compte 3 080 bovins, 5 370 porcs, 2 260 moutons, 90 chèvres et 17 500 poules. J'arrête là cette énumération.

M. Claude Blanc. Et 21 ânes ! (Rires.)

M. Bernard Clerc. Quel rapport me direz-vous avec le problème des chômeurs en fin de droit ? Le rapport est évident. D'un côté nous disposons de données extrêmement précises concernant la production agricole, de l'autre nous avons un vide presque total pour tenter de cerner un problème fondamental qui touche aux conditions d'existence de plusieurs milliers de personnes si on tient compte des familles de ces chômeurs ! Chacun en conviendra, cette situation ne peut pas durer !

Dans l'exposé des motifs de notre motion, nous avons fait état du nombre important des chômeurs de longue durée. Les statistiques relatives au chômage définissent la notion de «longue durée» comme le fait d'être sans travail depuis plus d'un an. Cette partie des chômeurs et chômeuses est donc susceptible, à terme, d'alimenter - si je puis dire - la catégorie des personnes en fin de droit, mais cela ne suffit pas pour évaluer l'ampleur du phénomène. En effet, nombre de chômeurs et chômeuses sont indemnisés pour des périodes inférieures à un an. Il suffit de penser aux jeunes en fin de formation, aux femmes qui cherchent une activité à la suite d'un divorce, à celles et ceux qui n'ont pas cotisé suffisamment et qui bénéficient seulement de 170 indemnités, soit pour une période d'environ huit mois.

A fin décembre 1993, 209 dossiers de personnes arrivées en fin de droit étaient recensés à l'Hospice général, mais ce chiffre est loin de représenter la réalité. En effet, nombreux sont ceux qui ne souhaitent pas faire appel à l'assistance publique et certains disposent d'économies qui ne leur permettent pas d'obtenir l'aide de l'assistance. Bref, ces données ne peuvent prétendre représenter valablement l'importance du phénomène, puisqu'il se situe en aval du problème. Pour obtenir un chiffre exhaustif, il faut aller à la source, c'est-à-dire recenser effectivement les personnes qui ont épuisé l'ensemble des prestations de chômage auxquelles elles peuvent prétendre, qu'il s'agisse des indemnités fédérales ou cantonales, ou qu'il s'agisse de l'occupation temporaire.

Vous savez tous que le problème des chômeurs en fin de droit est une réalité, mais nous sommes incapables aujourd'hui d'en mesurer l'ampleur. Ce n'est pas parce qu'une réalité n'est pas quantifiée qu'elle n'existe pas. Vous le savez, les réalités finissent toujours par s'imposer. Pour éviter que la réalité des chômeurs en fin de droit ne s'impose dans les plus mauvaises conditions, mettons en place un outil qui nous permettra d'en saisir l'importance. A partir de là, nous pourrons débattre des moyens à mettre en oeuvre pour lutter contre la désinsertion professionnelle des personnes concernées.

C'est pourquoi nous vous demandons de bien vouloir accepter cette proposition de motion.

M. Nicolas Brunschwig (L). Nous avons pris connaissance avec intérêt de la proposition de motion de M. Clerc, de M. Champod et de Mme Strubin. Il nous apparaît cependant que certains éléments ne sont pas très clairs ou pas très précis à ce stade. Par exemple, qu'appelons-nous chômeurs en fin de droit ? Faut-il les considérer sur le plan fédéral ou cantonal ? Vous savez que les prestations cantonales sont importantes à Genève.

Ce sujet a été abordé lors de débats en commission, entre autres à la commission des finances, et certains estimaient qu'il faudrait que l'Hospice général puisse mettre en place une certaine planification par rapport aux charges qui lui incomberaient et aux personnes qui feraient appel à lui. Il y a des difficultés techniques importantes, et il nous semblerait, même si nous ne nous opposons pas du tout à cette motion, utile de l'étudier en commission de l'économie et d'auditionner une personne du service cantonal de statistique à ce sujet.

Nous vous proposons, dès lors, de renvoyer cette motion à la commission de l'économie.

M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. La motion qui vous est proposée pose un problème qui a fait l'objet de différentes évocations - comme l'a rappelé M. Brunschwig - dans le cadre de la préparation du budget 1994 en commission des finances. Je voudrais vous donner les quelques informations que je possède sur ce qui se fait actuellement.

Il y a environ une année, nous avons mis en place, avec M. Segond, un groupe de travail interdépartemental entre le département de l'économie publique et le département de l'action sociale, précisément pour travailler sur la problématique du chômage de longue durée et sur les mesures en cours de façon à améliorer la coordination entre l'Hospice général et l'office cantonal de l'emploi. Toute une série de mesures pratiques sont déjà le fruit du travail conjoint de ces deux départements.

Il est évident que, dans le cadre de ce travail, le manque d'informations plus approfondies sur la problématique du chômage de longue durée est apparu plus crûment encore. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé, à la fin de l'année passée, aux partenaires sociaux de se réunir pour une journée de travail de façon à poser les jalons d'une amélioration de l'information sur ces questions, en particulier par des programmes ciblés résultant de mandats confiés à l'université et au service cantonal de statistique. Nous nous sommes donc rencontrés avec les partenaires sociaux, avec l'université, avec l'Hospice général, pas plus tard que le 4 février. Nous avions pris cette décision en tout début de cette année sur la base des analyses que nous avions faites et qui étaient d'ailleurs documentées par des réflexions soumises par deux professeurs d'université mandatés à cet effet, le professeur Yves Flückiger, d'une part, et le professeur Lalive d'Epinay, d'autre part.

Les réflexions qu'ils nous ont transmises sont très intéressantes et nous ont permis de déboucher d'ores et déjà sur un certain nombre de conclusions opérationnelles.

Tout d'abord, nous confierons au service cantonal de statistique le mandat d'approfondir un certain nombre de données brutes qui existent déjà dans le système Plasta pour les intégrer dans ce que je serais tenté d'appeler un véritable tableau de bord de l'emploi permettant, mois après mois, de suivre de manière plus détaillée non seulement ce qui existe déjà en matière de renseignements et sur l'emploi en général, mais, plus particulièrement, sur la problématique des chômeurs en fin de droit.

Par ailleurs, afin de mieux cerner cette réalité des chômeurs en fin de droit, nous confierons un mandat à l'université pour qu'elle puisse suivre, avec le service cantonal de statistique, le parcours d'une population déterminée de chômeurs sur la base d'une enquête sociologique approfondie, cela même lorsque ceux-ci n'ont plus de droits sur le plan fédéral et cantonal, qu'ils n'ont plus droit à l'assistance et qu'ils sont sortis du système du régime des prestations de l'Hospice général.

Je peux vous assurer que nous allons de l'avant avec ce type de mandat de manière tout à fait résolue, parce que nous manquons, effectivement, d'instruments pour piloter sur le plan politique plus sérieusement encore la problématique du chômage de longue durée.

Voilà ce que je pouvais vous dire à ce sujet. Tous ces travaux sont en cours. Ils ont été relayés par une motion devant votre Conseil, probablement à la suite d'un certain nombre d'informations qui vous sont parvenues. Sur cette base, je vous indique que le Conseil d'Etat reçoit très volontiers cette motion et il vous fera rapidement un rapport sur la structure du mandat confié, sur les opérations qui sont engagées et leur planification. L'objectif sur lequel nous sommes absolument d'accord est d'améliorer très sérieusement la base de données à disposition, s'agissant plus particulièrement du problème des chômeurs de longue durée.

M. Jean Montessuit (PDC). L'exposé que vient de nous faire le président Jean-Philippe Maitre démontre clairement que cette motion n'est pas une idée originale.

En effet, elle est née à la suite des débats qui ont eu lieu à la commission des finances après le travail effectué entre les partenaires sociaux - comme vient de l'expliquer M. Maitre - ce qui n'enlève rien, d'ailleurs, à sa valeur. Je ne vois donc pas l'intérêt de la renvoyer en commission, puisque le travail est déjà en cours. Renvoyons-la directement au Conseil d'Etat ! Cela nous permettra d'obtenir les renseignements plus rapidement, ce qui ne sera que mieux.

Je propose donc à mon collègue de retirer sa proposition.

M. Bernard Annen (L). Après les explications qui viennent de nous être fournies, nous retirons notre proposition de renvoi en commission.

Mise aux voix, cette motion est adoptée.

Elle est ainsi conçue:

MOTION

invitant le Conseil d'Etat à créer une statistique relative aux chômeurs en fin de droit

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

- la progression importante du nombre de chômeurs et en particulier des chômeurs de longue durée;

- l'absence d'une statistique relative aux chômeurs qui ont épuisé leurs prestations de chômage;

- la nécessité de disposer d'une telle donnée dans le cadre de la lutte contre le chômage et la mise en place d'un dispositif d'aide aux chômeurs en fin de droit,

invite le Conseil d'Etat

à mettre sur pied une statistique mensuelle permettant de cerner l'importance du phénomène des chômeurs en fin de droit et son évolution.