Séance du vendredi 28 janvier 1994 à 17h
53e législature - 1re année - 3e session - 3e séance

PL 7063
9. Projet de loi de MM. Armand Lombard, Pierre Kunz et Philippe Schaller modifiant la loi sur l'université (C 1 27,5) (renforcement du rectorat). ( )PL7063

LE GRAND CONSEIL

Décrète ce qui suit:

Article 1

La loi sur l'université, du 26 mai 1973, est modifiée comme suit:

Art. 29, al. 1 (nouvelle teneur)

Classification

1 Sur préavis du rectorat, le Conseil d'Etat détermine, lors de la nomination, la fonction et la classification dans l'échelle des traitements des membres du corps enseignant.

Art. 30, al. 2 (nouvelle teneur)

2 Les membres du corps professoral à charge complète peuvent avoir une activité accessoire rémunérée si elle est en rapport direct avec le domaine de leur enseignement et de leurs recherches; le Conseil d'Etat peut, en outre, sur préavis du rectorat, les autoriser exceptionnellement à exercer une autre activité lucrative.

Art. 41, al. 3, lettre a (nouvelle teneur)

a)

la proposition de nomination présentée au Conseil d'Etat par le rectorat doit obtenir préalablement l'approbation, à la majorité des deux tiers des votants, du collège des professeurs ordinaires de la faculté ou des professeurs de l'école, siégeant avec un quorum des deux tiers de ses membres.

Art. 42, al. 2 (nouvelle teneur)

2 Elaborées par la commission prévue à l'article 43, alinéa 1, les propositions de nomination concernant les professeurs invités et les chargés de cours sont présentées au Conseil d'Etat par le rectorat sur proposition du collège des professeurs ordinaires et extraordinaires de la faculté ou des professeurs de l'école.

Art. 46 (abrogé)

Art. 47, al. 2 (nouvelle teneur)

2 Le dossier, transmis par l'intermédiaire du département de l'instruction publique, contient obligatoirement le rapport de la faculté ou de l'école, le procès-verbal de la séance de la commission d'experts et le préavis du rectorat.

Art. 47 C (abrogé)

Art. 47 D, al. 1 (abrogé)

Art. 47 D, al. 2 (nouvelle teneur)

2 Le dossier, transmis par l'intermédiaire du département de l'instruction publique, contient obligatoirement le rapport de la faculté ou de l'école et le préavis du rectorat.

Art. 73 (nouvelle teneur)

Recteur et

vice-recteurs

1 L'université est dirigée par un recteur. Il est assisté de3 vice-recteurs.

2 Le recteur est nommé par le Conseil d'Etat sur proposition du Conseil académique. Le mandat du recteur est de4 ans, immédiatement renouvelable 2 fois.

3 Les vice-recteurs sont nommés par le recteur. La nomination est soumise à approbation par le Conseil académique.

4 Le recteur et les vice-recteurs forment le rectorat.

5 Le directeur de l'administration (art. 92) et le secrétaire général (art. 93) assistent aux séances du rectorat.

Art. 74 (nouvelle teneur)

Compétences

du rectorat

1 Sous réserve des compétences des autres organes ou des autorités cantonales, le rectorat dispose d'une compétence générale et notamment:

a)

définit la politique générale de l'université;

b)

adopte les plans de développement pluriannuels;

c)

établit le rapport de gestion annuel;

d)

prépare le projet de budget annuel qu'il soumet pour approbation au Conseil académique;

e)

approuve les projets de règlements d'études et d'organisation des facultés et écoles;

f)

propose au département de l'instruction publique la création, le maintien et la suppression des enseignements, en tenant compte des plans de développement pluriannuels, et la nomination des membres du corps enseignant;

g)

évoque les problèmes en suspens au sein des subdivisions de l'université et intervient auprès de celles-ci afin qu'elles s'en saisissent ou en accélèrent la résolution;

h)

assure la liaison entre l'université et les autorités cantonales, notamment le département de l'instruction publique;

i)

peut être saisi par un membre de la communauté universitaire de toutes présomptions sérieuses et concordantes d'irrégularités graves d'ordre administratif ou de fraudes caractérisées d'ordre scientifique. Il ouvre alors une enquête à l'issue de laquelle il prend le cas échéant une mesure relevant de sa compétence.

2 Le rectorat consulte le collège des doyens des facultés et présidents d'écoles, organe qui assure la liaison entre la direction de l'université et la direction des facultés et écoles.

Art. 75, al. 4 (nouveau)

4 Lorsqu'il envisage la création ou la suppression d'un enseignement ou d'une direction de recherche, le rectorat sollicite le préavis d'une commission d'experts extérieurs à l'université, qui comprend 2 à 4 membres désignés par ses soins.

Art. 76 (nouvelle teneur)

Compétences

1 Sous réserve des compétences des autorités cantonales, le conseil de l'université:

a)

élit au sein de la communauté universitaire genevoise 5 membres du Conseil académique;

b)

procède à l'examen du programme que le rectorat lui soumet, sur lequel il donne son avis;

c)

prend connaissance du projet de budget annuel;

2 Le conseil de l'université peut en tout temps décider à la majorité de ses membres de soumettre au rectorat une proposition ou une question d'intérêt général, à laquelle le rectorat doit donner une réponse écrite, le cas échéant sous forme de contreproposition, dans un délai de 3 mois.

SECTION 3 (abrogée)

Art. 78 et 79 (abrogés)

Art. 80 (nouvelle teneur)

Compétences

Le sénat:

a)

prend connaissance du rapport de gestion annuel;

b)

interroge le rectorat sur toutes les questions relatives à l'université et émet des voeux ou des recommandations;

c)

veille à la sauvegarde de la liberté académique.

SECTION 5 (nouvelle)

CONSEIL ACADÉMIQUE

Art. 81 A (nouveau)

Composition

et nomination

1 Le Conseil académique comprend 11 membres: un président nommé par le Conseil d'Etat; 5 membres issus de la communauté universitaire genevoise désignés par le conseil de l'université; 5 membres extérieurs à l'université désignés par un collège formé par les doyens des facultés.

2 Le mandat du Conseil académique est de 4 ans. Il débute 6 mois avant l'échéance du mandat du recteur.

Art. 81 B (nouveau)

Compétences

Le Conseil académique:

a)

soumet au Conseil d'Etat les dossiers de candidature au poste de recteur;

b)

approuve la nomination des vice-recteurs;

c)

approuve le projet de budget préparé par le rectorat, avant de le transmettre au département de l'instruction publique;

d)

donne au rectorat son avis sur les plans de développement pluriannuels;

e)

procède à l'examen du programme que le rectorat lui soumet, sur lequel il donne son avis;

f)

est l'organe consultatif du rectorat pour les problèmes essentiels liés à la coordination de l'enseignement et de la recherche à l'échelon régional, national ou international ainsi qu'avec les autres ordres d'enseignement.

CHAPITRE V (abrogé)

Art. 95 à 98 (abrogés)

Art. 102, al. 7 (nouvelle teneur)

7 Le premier recteur désigné selon la procédure prévue à l'article 73, alinéa 2, dans sa nouvelle teneur entre en fonction le ....... (à préciser).

Art. 102, al. 8 (nouveau)

8 Le premier conseil académique composé conformément à l'article 81 A entre en fonction le ....... (à préciser).

Art. 2

Le Conseil d'Etat fixe la date de l'entrée en vigueur de la présente loi.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Un nombre croissant d'étudiants, un soutien financier de l'Etat qui stagne, voire régresse, des rapports d'encadrements qui se dégradent, une durée des études parfois trop longue, la régionalisation des universités, l'accès aux études, tels sont, parmi d'autres, les problèmes que l'université de Genève doit résoudre. Mais, pour cela, il est nécessaire que l'institution se dote d'organes décisionnels à la hauteur de ces enjeux tout en tenant compte de sa mission fondamentale qui est l'enseignement et la recherche. Dès 1990, le président du département de l'instruction publique ne lançait-il d'ailleurs pas un appel aux autorités universitaires afin qu'elles prennent des «mesures de survie face à la crise qui se prépare»?1 Dans cette perspective, le projet qui vous est soumis vise à un renforcement de l'autonomie de l'université et à un accroissement de son pouvoir de gestion et de négociation. Centré principalement sur les structures de décision, le projet propose des solutions qui permettent à l'institution universitaire de disposer d'un organe décisionnel efficace et de rester, par voie de conséquence, un centre d'excellence, condition indispensable à son rayonnement intellectuel tant à l'échelle nationale qu'internationale.

Au vu de ce qui précède, le projet de loi suggère des transformations qui tournent essentiellement autour de quatre axes:

1. un recteur aux pouvoirs largement renforcés;

2. la création d'un nouveau Conseil académique doté de larges compétences en vue d'encadrer le rectorat dans certaines prises de décision;

3. un conseil de l'université recentré sur un champ d'activité qui corresponde mieux à ses compétences réelles en lui conférant un droit d'initiative légalement reconnu et assorti d'une obligation de réponse de la part du rectorat;

4. le remplacement du Collège des Recteurs et Doyens par un Collège des Doyens disposant de compétences consultatives à l'intention du rectorat.

1. Le recteur est élu par le Conseil d'Etat sur la base de dossiers présentés par le Conseil académique «nouvelle formule», qui a procédé auparavant à l'audition et à la sélection des candidats. Il est élu pour un mandat de quatre ans renouvelable deux fois. Il choisit les vice-recteurs et soumet leurs candidatures pour approbation au Conseil académique. Il est doté d'un pouvoir étendu en récupérant une grande partie des prérogatives du Collège des Recteurs et Doyens, notamment en matière de plan de développement pluriannuel, de projet de budget, et de création, maintien ou suppression d'enseignements (voir annexe pour le détail). En somme, il définit la stratégie globale de l'université, tout en en discutant régulièrement avec les membres du Conseil académique.

2. Le Conseil académique «nouvelle formule» se compose de 11 membres élus pour quatre ans (leur élection a lieu six mois avant celle du nouveau recteur). Il est composé d'un président nommé par le Conseil d'Etat, de cinq membres issus de la communauté universitaire désignés par le conseil de l'université, et de cinq membres extérieurs à l'université désignés exclusivement par les sept doyens réunis pour l'occasion. Ses principales compétences sont d'approuver le projet de budget élaboré par le rectorat, qui l'a préalablement soumis pour préavis au Conseil de l'université, de sélectionner les candidatures à la fonction de recteur en vue d'une élection par le Conseil d'Etat, et d'approuver la nomination des vice-recteurs. En outre, il tient des réunions fréquentes avec le rectorat et discute avec lui de l'élaboration des plans de développement.

3. Le conseil de l'université subsiste dans sa forme actuelle mais voit ses compétences réorientées sur la politique générale de l'université qu'il définit en collaboration avec le rectorat et le Conseil académique. A ce titre, il dispose d'un droit d'initiative en ce sens qu'il peut soulever toute question d'intérêt général, et soumettre, le cas échéant, des propositions concrètes au rectorat par l'intermédiaire d'un rapport de groupe de travail. Dans la mesure où ce dernier est approuvé par la majorité des membres du Conseil, le rectorat est tenu, dans un délai de trois mois, de prendre position ou de faire des contrepropositions. Dans cette optique, le Conseil de l'université est déchargé de l'approbation des règlements d'études et d'organisation des facultés, laquelle revient à ces mêmes facultés et au rectorat. En somme, il redevient un véritable lieu de débats sur les enjeux futurs de l'université.

4. Dans ce contexte, le collège des recteurs et doyens est remplacé par un collège des doyens qui devient un organe consultatif à l'intention du rectorat, et qui assure la désignation des cinq membres du Conseil académique extérieurs à l'université. Par voie de conséquence, les doyens se recentrent sur la gestion de leur faculté tout en respectant la stratégie globale de l'université élaborée par le rectorat. Leur mode d'élection n'est pas modifié2.

Annexes: 1. Situation actuelle de l'organisation universitaire.

  2. Tableau récapitulatif des fonctions et des compétences

  3. Tableau des mécanismes d'élection proposés

Préconsultation

M. Armand Lombard (L). Au cours de ces derniers mois, on a pu, en suivant la vie de l'université, se rendre compte des nombreux problèmes qui l'assaillent et des nombreux choix auxquels elle a à faire face pour rester ouverte aux sollicitations, pour rester de qualité, pour conserver des coûts contrôlés.

On peut citer des dossiers externes spécifiques. Il y a eu l'implosion de l'Institut des études européennes. Il y a eu la création incertaine de l'Académie de l'environnement. Il y a eu des essais mitigés de mise sur pied de centres interfacultaires.

On peut aussi citer des dossiers internes : l'explosion des participants à certains cours de premier cycle et les tentations du numerus clausus, les coupes budgétaires et les tentations de réduction linéaire, la régionalisation qui élargit la masse critique et les tentations de repli sur soi. Il y a eu aussi l'évocation des taxes d'écolage et les entrechats qui l'on entourée.

Ces dossiers n'ont pas pu être traités aussi efficacement qu'ils auraient dû l'être. Rarement on a pu voir une direction de l'université dirigeant et progressant selon un programme clairement contrôlé. Dans le traitement de ces dossiers, il apparaît des faiblesses de direction et un flou de management. Que l'on me comprenne bien. Cela n'a rien à voir avec les personnes en charge parfaitement compétentes.

Mais l'organisation de cette grande entreprise qu'est l'université avec ses 3 000 enseignants et ses 12 000 étudiants ne s'est pas adaptée aux exigences du nombre et à l'évolution des organigrammes.

Il nous paraît nécessaire, dès lors, puisque c'est la loi et que ce Grand Conseil en tient les clés, de rénover le système de direction de l'université pour lui donner les moyens de se gérer, de gérer son autonomie et aussi de gérer ses lourdes responsabilités.

Sans doute, le projet de loi que nous vous proposons n'est pas complet. Il ne guérira pas tous les maux d'un coup. Ce n'est pas son but qui est précis et limité. Il redresse - sans mettre sens dessus dessous la loi sur l'instruction publique et son secteur qui concerne l'université - un aspect qui devrait, par effet de domino, permettre d'en redresser d'autres. Laissez-moi, en terminant, vous indiquer brièvement les trois outils proposés dans le projet de loi.

Tout d'abord, un recteur fort. Dans le projet de loi que nous vous soumettons, un seul objectif est visé : le renforcement de la direction, à savoir le renforcement du rectorat. Un exemple vous illustrera le problème. C'est aujourd'hui le collège du recteur et des doyens qui est en charge du budget et de la politique générale de l'université.

Le recteur, c'est normal : il est le directeur général de l'université. Les doyens, eux, sont les directeurs des différents grands services et c'est normal qu'ils soient consultés par le recteur dans ses tâches, en plus de la gestion de leur faculté.

Ce qui est anormal, c'est que, sur les douze voix de ce collège, le recteur dispose de cinq et les doyens de sept. Un comité de direction où les chefs de service peuvent mettre en minorité leur directeur est une erreur. Nous vous proposons de la corriger.

Deuxième outil : le conseil académique. Face à un pouvoir renforcé du recteur, il est nécessaire d'établir un contre-pouvoir qui équilibre la structure. Nous l'avons conçu comme un conseil où seront représentés les milieux universitaires en égalité avec les milieux de la Cité. Dix personnes de qualité, présidées par un «chancelier» choisi par le Conseil d'Etat. Ce conseil partagerait avec le recteur les fonctions budgétaires et de politique à long terme.

Enfin, troisième outil, troisième objectif : il s'agit d'un projet suisse. L'école d'architecture a été un moment de grande déconvenue, pour des raisons fédérales en partie, mais aussi parce que ce ne sont pas des recteurs, disposant des moyens nécessaires, qui ont négocié. Ce projet de loi ne peut rester genevois seulement. Il est discuté avec d'autres universités déjà en Suisse car, à l'évidence, un seul recteur fort ne pourra pas faire avancer les dossiers de coordination, de régionalisation et de spécialisation qui assureront une meilleure qualité d'enseignement et de recherche et qui permettront de la réaliser à moindres coûts.

Voilà, en quelques mots, le projet que nous vous soumettons et que nous souhaitons voir renvoyé à la commission de l'université.

Mme Micheline Calmy-Rey (S). Je ne suis pas membre de la commission de l'université, mais vous me permettrez d'intervenir en toute liberté dans cette discussion. Après tout, nous sommes en débat de préconsultation et ce type de débat est fait pour que nous nous éclairions mutuellement.

J'ai le sentiment que ce projet manque d'une vision d'ensemble. Il se focalise, pour réformer l'université, sur la seule réforme des structures de décision, sans tenir compte d'une philosophie générale.

Je comprends bien, Messieurs les députés, que vous déposiez un tel projet de loi. D'une part, la «maison université» est devenue une grosse chose de plus en plus difficile à mener et à gérer et, d'autre part, le recteur est trop faible pour pouvoir mener des réformes. Il se heurte à des champs de corporatisme conservateurs.

Le besoin de dire où est le pouvoir et par qui il est exercé existe donc. Le besoin existe de définir un centre de décision et de clarifier les rôles. Le besoin existe enfin de passer d'une sorte de gestion militante de l'université à quelque chose d'un peu plus professionnel.

Messieurs, votre projet ne s'inscrit pas dans l'absolu, dans l'abstrait. Il n'est pas une idée posée sur une branche comme un oiseau ! Votre projet, s'il est accepté, s'inscrira dans un contexte précis : celui d'un processus d'autonomie de l'université, actuellement en cours.

La commission des finances a accepté d'octroyer par étape à l'université un système d'enveloppe budgétaire globale. Ce système permettra au Conseil d'Etat et au Grand Conseil de n'agir qu'au niveau de l'enveloppe. C'est un tremplin formidable pour gérer l'université comme une banque. Cette réforme, assortie de celle que vous proposez, c'est-à-dire du renforcement du rectorat, appuyé par une sorte de conseil d'administration qui comprendrait des gens de la société civile - comme à l'aéroport ou à la Banque cantonale - pourrait conduire à ce que la politique de formation universitaire et les objectifs qu'elle poursuit ne se situent plus dans le cadre d'une politique de formation générale et échappent aux regards des élus, c'est-à-dire de la collectivité dans son ensemble.

Il est curieux d'ailleurs de constater que le Conseil fédéral a pensé différemment avec la loi sur les hautes écoles spécialisées. M. Delamuraz et le Conseil fédéral n'ont pas misé sur l'autonomie mais, au contraire, sur la soumission. Ils ont jugé que les hautes écoles spécialisées avaient une mission extrêmement importante à remplir sur le plan de l'intérêt général et ils n'ont pas laissé l'iceberg s'éloigner de la banquise. Au contraire, ils l'ont retenu en faisant fonctionner, de manière étroite, ces hautes écoles spécialisées dans le cadre des structures du Département fédéral de l'économie publique.

Vous conviendrez avec moi que, quelle que soit l'opinion que l'on peut avoir sur ce point, ce n'est pas un point de détail. Les auteurs du projet de loi proposent d'ailleurs une solution pour renforcer le pouvoir d'intervention du département de l'instruction publique. Ils proposent de donner au Conseil d'Etat la compétence de nommer le recteur. Mais, à notre avis, cette solution n'est pas très pertinente dans la problématique qui est la nôtre ce soir. Après tout, il est possible que le recteur soit le fidèle porte-parole du Conseil d'Etat et défende la politique de formation voulue par les élus que nous sommes et par le Conseil d'Etat. Mais, plus probablement, la situation d'un recteur qui ne serait pas en accord avec l'institution qu'il est censé diriger serait vite intenable et, très probablement, soit le Conseil d'Etat se bornera à confirmer le choix de l'institution, soit le recteur aura des propensions d'indépendance à l'égard du pouvoir politique.

Par conséquent, la solution que vous proposez n'est, à notre sens, pas une véritable réponse au problème des liens entre le pouvoir politique et le pouvoir universitaire. Je voudrais à ce stade évoquer la loi sur l'université que nous avons adoptée il y a quelques années et qui, elle, propose une autre solution, à notre sens, plus élégante, plus démocratique, plus conviviale.

Au travers de cette loi, un véritable contrat de confiance avait été établi entre, d'une part, le département de l'instruction publique et le Grand Conseil et, d'autre part, l'université. Ce contrat portait sur des objectifs généraux, en l'occurrence des objectifs de réalisation de l'égalité entre les hommes et les femmes.

On peut très bien imaginer étendre cette pratique de contrats de confiance entre une institution, telle l'université, et les élus que nous sommes à d'autres domaines d'intérêt général comme, par exemple, les priorités budgétaires ou l'accès des élèves à la formation. Cela se fait dans d'autres pays et nous pourrions y réfléchir. Je souhaite terminer en remerciant tout de même les auteurs du projet de loi de l'avoir déposé, puisque cela nous permettra d'entrer dans la discussion sur la réforme de l'université. L'université n'est pas une planète à part. Il faut la réformer.

M. Jacques Boesch (AdG). Nous avons reçu ce projet de loi et je vous avoue qu'il nous a laissés pour le moins perplexes. Nous avons bien saisi la portée de ce projet qui prône, en fait, la réorganisation complète de l'université. L'exposé des motifs dépeint une situation des plus difficile, de sombres perspectives pour ce haut lieu genevois de formation et de recherche. Nous ne sommes pas loin de partager ce constat, mais pas forcément sur la base de la même analyse. Bien entendu, nous ne préconiserons pas forcément les mêmes solutions.

Je vois d'abord un premier problème : c'est cette invitation de trois députés de la majorité qui tombe pratiquement en même temps que la prise de fonctions de Mme Martine Brunschwig Graf. Qu'est-ce que cela signifie ? (Manifestation de certains députés.) Je me pose vraiment la question. Est-ce une non-confiance envers la conseillère d'Etat qui vient de prendre ses fonctions. Elle a commencé par un audit et l'audition du rectorat qui ont mis en évidence toute une série de problèmes ? Est-ce que vous ressentez la nécessité de «squeezer» l'initiative du Conseil d'Etat en la matière ? C'est une question que je me pose et que l'on pourrait se poser en raison de ce dépôt immédiat.

Quant à moi, je pense que nous venons de commencer un travail en commission parlementaire. Je crois que Mme Brunschwig Graf a commencé aussi ses consultations. Je me réjouis de connaître ses projets pour que nous puissions vraiment en débattre.

Le deuxième problème qui me semble être posé est que vous visez un renforcement de l'autonomie et un accroissement du pouvoir de gestion et de négociation. Je me pose aussi la question de savoir si, au jour d'aujourd'hui, l'autonomie de l'université est autant remise en cause et si l'université est tellement mal gérée et n'arrive plus à négocier qu'il soit nécessaire de la mettre aux soins intensifs. Si un tel constat est reconnu, alors je crois que ce n'est pas la «réformette» que vous proposez qui est adaptée.

Je constate un troisième problème. Depuis quelques années nous avons infligé à l'université toute une série de réformes et de «réformettes». Va-t'on continuer longtemps ce petit jeu ou ne conviendrait-il pas de débattre réellement aujourd'hui, en début de législature, de l'organisation et de la mission de l'université ? En fonction de ce qui se dégagera, par un processus de concertation, il faudra déterminer, une fois de plus, la mission de l'université, son organisation, et ensuite seulement il faudra légiférer. Je crois donc qu'il aurait mieux valu, Messieurs Lombard, Schaller et Kunz, proposer une motion, la renvoyer en commission, en débattre de manière que, sur les points fondamentaux, nous puissions nous mettre d'accord, puis légiférer.

Nous ne nous opposerons pas au renvoi de ce projet de loi en commission - de toute façon, nous ne pouvons pas le faire ! - et ce sera pour nous l'occasion de poser toute une série de questions.

Le quatrième problème qui me préoccupe est, si j'en crois un article paru dans «La Suisse», que le recteur n'a pas du tout l'air d'accord avec votre projet. J'y vois une contradiction avec le fait que l'université est l'objet de toute une série de débats et qu'un certain nombre de politiciens soutiennent l'une ou l'autre tendance, violant par là même quelque peu cette autonomie. Je crois qu'il faut absolument que le débat se fasse au sein de l'université, qu'une majorité se dégage, qu'elle engage des négociations, voire une confrontation, avec le pouvoir politique et que des solutions législatives soient trouvées.

Toujours est-il que je me réjouis de pouvoir discuter maintenant d'une gestion démocratique ouverte et efficace de l'université et non pas d'un modèle importé et calqué sur l'université. Je me réjouis de débattre de l'autonomie de l'université et de l'interaction de celle-ci avec la Cité. Je me réjouis de débattre du contrôle budgétaire possible à l'intérieur de l'université et de l'adaptation de celle-ci aux contraintes économiques actuelles. Je crois que cela ne pourra se faire que par la concertation et non pas par l'application d'un modèle extérieur sur l'université.

M. Pierre Kunz (R). J'ai un peu le sentiment qu'à gauche Mme Calmy-Rey et M. Boesch, lorsqu'ils lisent un texte de loi, s'attachent beaucoup trop à la lettre et pas assez à l'esprit. Quel est l'esprit qui a été voulu par les trois auteurs du projet de loi ?

Partout il faudra restaurer et développer l'esprit de leadership qui, seul, peut faire obstacle à la dérive technocratique. C'est ce que Michel Crozier écrivait au sujet de ce qu'il considère comme la nécessaire réforme de l'Etat. Il est évident que l'université ne fait pas exception.

Lorsque l'on parle avec les étudiants comme lorsque l'on écoute le corps professoral ou le rectorat, on comprend vite que l'université, dans sa structure actuelle, n'est pas prête à affronter les défis qui l'attendent en cette fin de siècle. Ces défis concernent notamment sa capacité à conserver son niveau d'excellence, l'accroissement du nombre d'étudiants, la coopération intercantonale, la recherche pluridisciplinaire, la collaboration avec le secteur privé. Ces défis sont manifestement alourdis par les difficultés financières auxquelles l'université ne manquera pas d'être toujours plus confrontée.

Cette université est donc face à la nécessité de repenser sa structure et son organisation et de se réformer. Mais cette réforme, seule l'université, elle-même, peut efficacement la mener à bien. Il lui revient de trouver en elle-même les solutions aux problèmes d'efficacité et de productivité que cette fin de siècle - je l'ai déjà dit - lui apporte.

On ne saurait concevoir le succès de cette démarche réformatrice sans qu'au préalable cette université se soit dotée de ce que l'on pourrait appeler un management moderne. Pour que l'université puisse accomplir son indispensable transformation, il faut qu'elle soit munie d'organes décisionnels et de responsabilité à la hauteur des enjeux. Il faut que ces organes dirigeants soient en mesure de mobiliser les forces et les talents qui constituent l'université. Il faut également que cette université, par conséquent, dispose d'une autonomie renforcée et de pouvoirs plus étendus en matière de gestion et de négociation. C'est à cela que tend ce projet de loi, et les radicaux sont, par conséquent, favorables à son renvoi en commission.

Mme Marlène Dupraz (AdG). Sans entrer dans les détails - comme je n'ai pas participé aux travaux de la commission de l'université - toujours est-il qu'en regardant le schéma qui nous est soumis nous pouvons constater que le conseil académique reçoit plus de compétences; il est donc renforcé. Il a surtout pour rôle d'encadrer le rectorat. Toujours d'après ce schéma, nous constatons que le conseil de l'université se trouvera dans une position où il pourra seulement faire des propositions et ne jouera pas de rôle moteur.

C'est tout de même inquiétant parce que nous avons vingt ans de retard par rapport à la France ou à d'autres pays. Heureusement pour nous, ces vingt ans de retard nous les avons gagnés ailleurs.

En renforçant le contrôle du rectorat, en faisant intervenir les partenaires et les acteurs économiques directement par le conseil académique, j'ai l'impression qu'on veut contrôler toutes les activités de l'université. En outre, on voudrait mettre au pas l'université pour qu'elle réponde prioritairement aux besoins de l'économie. C'est à partir de ce sentiment que je dirais que ce projet de loi mérite d'être renvoyé en commission. Mais j'aimerais tout de même exprimer là l'inquiétude d'une population qui craint également, dans l'avenir, un numerus clausus dû justement aux pressions et au forcing exercés sur certaines disciplines laissant en sursis d'autres. Malheureusement, on a vu, aux Etats-Unis comme en France, sacrifiées beaucoup de disciplines qualifiées non rentables pour l'industrie, non rentables pour l'économie. Finalement, ce sera un déficit intellectuel, un déficit scientifique parce que la seule préoccupation sera la rentabilité. J'ai l'impression que l'intention de ce projet de loi vise précisément ce contrôle pour la rentabilité.

Mme Claire Chalut (AdG). J'entends M. Kunz parler de leadership, de management. Je m'interroge aussi sur le problème d'une université orientée selon la volonté de l'économie et soumise à ses exigences. Je me demande également si, tôt ou tard, on ne regrettera pas cette ouverture vers laquelle l'université doit former les esprits. Elle ne doit pas seulement former au management, à la technologie, parce que la vie n'est pas uniquement composée de ces éléments. Il y a sûrement d'autres choses dont on ne doit pas faire abstraction.

Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. Je souhaite simplement rassurer M. Boesch. Je ne peux pas supporter l'idée qu'il puisse être inquiet à cause de moi sur un point aussi simple ! (Quelques rires.) Non, Monsieur Boesch, je ne ressens pas le dépôt de projets de lois, d'où qu'ils viennent, même s'ils surviennent assez rapidement après ma nomination, comme une marque de défiance. Je vous le dis à vous comme je le dis d'ailleurs à tous les députés présents dans cette salle.

Cela dit, pour répondre à un souci légitimement évoqué, je suis certaine que la commission de l'université fera son travail jusqu'au bout, à savoir qu'elle entendra très certainement l'université. Elle aura donc la possibilité de discuter avec l'université et d'en évaluer les opinions et les intentions. Le sujet, tel qu'il est abordé, est un souci évoqué aussi dans d'autres universités - vous l'avez constaté dans la presse, vous l'avez aussi certainement entendu - et qui n'échappe donc pas à notre institution. Il est vraisemblable que l'université vous fera part de ses réflexions et de ses propositions. Vous pourrez donc en débattre en commission.

Mise aux voix, cette motion est renvoyée à la commission de l'université.