Séance du jeudi 27 janvier 1994 à 17h
53e législature - 1re année - 3e session - 2e séance

I 1874
7. Interpellation de Mme Elisabeth Reusse-Decrey : S.I. on pensait aux locataires... ( )I1874

Le président. Je présente mes excuses à Mme Reusse-Decrey qui avait à ce point une interpellation que j'ai malencontreusement sautée.

Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Je remercie le président de m'accorder la parole après un débat aussi tendu. Mon interpellation en sera d'autant plus facilitée...

Le déménagement des Services industriels au Lignon est toujours critiqué par certains. Nous avons persisté en soulignant que ce projet était totalement mégalomane. On arrive à des chiffres estimatifs de 300 millions et même plus, et aujourd'hui ils sont encore nettement revus à la hausse.

Tout le personnel sera transféré en dehors de la ville, dans un lieu non desservi par les TPG. Comme on peut s'en douter, cela facilitera l'application des normes OPair.

La consommation d'énergie des Services industriels, à l'heure actuelle, même si ces chiffres ne signifient pas grand-chose pour un certain nombre de députés ici présents, est de 11 gigawatts/heure par année, toutes énergies confondues. Dans leur nouveau bâtiment, à productivité de travail égale, à nombre de postes égal, ce sera le double, soit 22 gigawatts/heure par année !

On a déjà parlé de cela à plusieurs reprises, mais on n'a pas pensé qu'à toutes ces critiques allait s'ajouter encore un problème de logement. D'où le titre de l'interpellation, «S.I. on pensait aux locataires...».

Il est bien entendu que, pour payer un tel projet, les SI doivent vendre leur terrain de La Jonction cher, et même très cher. L'Etat envisage d'acheter une surface de terrain pour un montant total de 65 millions, dont 25 millions seraient destinés à l'acquisition de douze mille mètres carrés prévus pour des logements. Or, un tel prix d'acquisition rend illusoire la construction de logements HBM, lesquels d'ailleurs ne figurent pas dans le plan localisé de quartier. A maintes reprises, ce Grand Conseil a réaffirmé sa volonté de construire des logements sociaux à Genève, et il apparaît ainsi impensable de ne pas soutenir une construction de HBM en partie sur ce terrain.

Dès lors, il est choquant qu'un établissement de droit public comme les Services industriels vende un terrain à de tels prix à l'Etat et ne tienne pas compte de la gestion de ce patrimoine en vue de la construction de logements sociaux.

Au surplus, si l'Etat envisage d'octroyer des droits de superficie à des caisses de pension, comment pourront-elles s'y retrouver avec un tel prix d'acquisition ? Dès lors, il y a lieu de s'interroger sérieusement sur les retombées d'un tel projet pour les locataires dans le cas où les terrains en question devraient être achetés à ce prix.

En effet, il apparaît impossible - je l'ai déjà dit - de construire des logements bon marché sur une parcelle qui connaît un tel prix. Je réaffirme ici qu'il ne suffit pas d'annoncer haut et fort que l'on souhaite faire du logement social, encore faut-il s'en donner les moyens.

Encore un mot du côté de l'urbanisme. En effet, si la densité du taux d'occupation du sol a été fixée à 3 et qu'elle est conforme au nouveau règlement du PUS, elle pose toutefois un problème parce que nous nous trouvons dans un quartier extrêmement densifié. Il est bien entendu que plus le prix du terrain sera élevé, plus la densité le sera également afin de rentabiliser ce projet. On retombe sur ce problème du prix du terrain qui est annoncé à plus de 2 000 F le mètre carré. Je rappelle, à titre de comparaison, que pour la construction des Charmilles, le terrain coûtait environ 1 000 F le mètre carré.

Dans ce projet, le terrain représentera une charge d'environ 6 000 F par année pour un appartement de quatre pièces. Je voudrais savoir quelle famille peut encore, à l'heure actuelle, payer 500 F par mois, uniquement pour financer le terrain ?

Je considère que les institutions de droit public ont un rôle à jouer et qu'elles devraient montrer l'exemple. En tout cas, elles ne doivent pas entrer dans le jeu de la spéculation foncière qui est la base, semble-t-il, du montage de cette opération.

Conformément à l'article 80 A de la constitution, le Conseil d'Etat est compétent pour l'approbation de l'aliénation d'immeubles qui sont la propriété des SI.

Dès lors, je demande au Conseil d'Etat ce qu'il entend faire pour amener les SI, établissement de droit public, à ne plus se comporter dans cette affaire comme un privé qui ne tiendrait nullement compte de l'intérêt général, et si le Conseil d'Etat entend inviter les SI à ne pas spéculer sur des terrains destinés à accueillir des logements sociaux, uniquement pour financer la construction de leur nouveau siège administratif !

M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. L'interpellation de Mme Reusse-Decrey arrive de façon extrêmement fraîche et vigoureuse et je lui réponds de la manière suivante.

En ce qui concerne le déplacement des SI à Châtelaine, ce projet est chargé d'histoire. En effet, il a commencé en 1975. A ce moment, le Conseil d'administration des SI a été saisi d'une étude faite par une très grande société au courant des problèmes liés au regroupement des différents emplacements pour une entreprise. Dans sa conclusion, elle avait développé quatre schémas avec des implantations partielles plus ou moins concentrées. Elle avait préconisé un déplacement global des SI à Châtelaine.

A l'époque, j'avais émis quelques doutes et demandé que l'on fasse une variante consistant à maintenir les SI à la rue du Stand. Cette variante n'était pas du tout dans l'esprit du temps. Toutefois, on l'a faite et les conséquences ont été négatives.

Si l'on devait refaire l'opération maintenant, on se trouverait dans la même situation que M. Brélaz, au Conseil municipal de la Ville de Lausanne. Ce dernier avait pris des mesures draconiennes lorsqu'on lui a proposé un projet de «reconcentration» de certains équipements de ses propres services dans le même cadre. Je crois qu'il a réduit la dépense d'un facteur de 3 ou 4. Mais, malheureusement, ces décisions ont été prises à une époque où la tendance était de croire en les vertus de la centralisation et tout le Conseil, de bonne foi, est parti dans cette optique.

Un autre élément très important a joué un rôle capital dans le déplacement des industries hors des villes. Les SI ont suivi cette tendance consistant à dire qu'avec le gain immobilier qu'on réaliserait sur la valeur située en ville, on pourrait financer au moins une partie, sinon la totalité, des terrains de l'opération de déplacement de l'usine. Ce calcul a été fait à réitérées reprises et découle d'une conception qui a ses mérites et ses défauts, mais elle n'est pas forcément malhonnête. Ensuite, on a déplacé cette institution à Châtelaine.

Il ne faut pas être totalement négatifs en regard de cet objet. On est en train de doter les SI d'un outil de travail qui sera extrêmement performant pour les cinquante ans à venir, et si on n'arrive pas à obtenir une excellente qualité de prestation des SI, je pense qu'on aura «raté le coche».

Vous parlez de la consommation de 11 et 22 gigawatts d'énergie. Je me permettrai de les vérifier et de vous donner mon point de vue à ce sujet.

J'en viens maintenant au dernier problème qui est celui des SI à la rue du Stand. Dans l'optique de ce que je viens de vous expliquer, il est évident, Madame la députée, que les SI ne pourront pas pratiquer un prix, que j'appellerai «social», pour leur terrain.

Je m'explique à ce sujet. Toutes les régies d'Etat sont soumises au même dilemme. Jusqu'où va leur rôle par rapport à l'appréciation générale des intérêts de l'Etat, et où commence leurs responsabilités de garantir des prix et des prestations qui sont directement liés à leur activité ?

A ce sujet, le Conseil d'administration des SI a voté et estimé - avait-il tort ou raison ? - et ce vote fut quasiment unanime, que son rôle n'était pas d'entrer dans ce genre de discussion et que, de ce fait, il devait mettre le prix des terrains au prix qui lui était nécessaire dans le cadre de sa planification financière générale.

Il faut savoir que si on voulait jouer un rôle plus social, par exemple pour cette question de prix de terrain, il en résulterait un déséquilibre du budget des SI extrêmement important et il conviendrait de savoir si le Grand Conseil est d'accord d'augmenter les tarifs afin de permettre d'absorber ce genre de charges. Cette question est très discutée. Des gens sont d'accord pour une vocation sociale, de la part des régies également. Cette tendance n'est plus très actuelle. Aujourd'hui, on cherche plutôt à défalquer sur les institutions les responsabilités globales pour qu'elles deviennent ce que l'on appelle des centres de profit ou au moins des centres de responsabilités quand elles n'ont pas de ressources. Pour cette raison, le débat sur le prix du terrain est très difficile et je ne crois pas que les SI, seuls, pourront le résoudre.

L'exigence supplémentaire dont parle Mme Reusse-Decrey est la diminution de la densité. Sur le plan urbanistique, on peut être certainement d'accord pour dire qu'une densité moins grande à cet endroit est toujours positive, ou presque toujours positive, mais c'est encore une fois une question d'argent et d'arbitrage entre trois partenaires, Ville-Etat-SI. Voilà ce que je puis vous dire en l'état et je regrette de ne pas avoir les renseignements sur les gigawatts, mais je vous les communiquerai plus tard.

Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Je reprends les derniers propos de M. Joye sur la question des gigawatts. Les renseignements figurent dans la brochure même des SI que vous devez posséder, Monsieur le conseiller d'Etat, sinon je vous la fournirai très volontiers.

Ensuite, vous avez dit que les SI ne pouvaient pas faire du «social». Il est vrai que la question se pose peut-être de choisir entre des loyers prohibitifs ou de l'électricité plus chère.

Il n'en reste pas moins que les SI ne sont pas un organisme privé. Ils sont un établissement de droit public et, à notre avis, ils doivent aussi montrer l'exemple. Et si le prix est maintenu à ce niveau, qui paiera ? L'Etat pourra-t-il subventionner suffisamment ? Toutes ces questions restent pendantes et nous reviendrons peut-être ultérieurement sur ce point par le biais d'une motion.

M. Philippe Joye, conseiller d'Etat. Lorsque je vous ai parlé des 11 et 22 gigawatts, je ne contestais pas les chiffres que vous donniez, mais cela m'intéresse de voir comment ils se ventilent et si ils sont justifiables en eux-mêmes.

La deuxième chose consiste à dire que, pour les SI, philanthropiques ou pas, il faut tout de même remettre l'église au milieu du village. Je vous rappelle que les SI pratiquent une politique tarifaire qui se situe certainement dans la portion inférieure des tarifs pratiqués en Suisse, que ce soit pour le gaz, l'eau ou l'électricité.

Je vous signale que le Conseil d'Etat a bloqué les augmentations demandées par les SI dans leur conception purement économique des tarifs en les réduisant de façon drastique pour les trois années à venir dont la première est en train de commencer. Troisièmement, les SI ont, plus souvent qu'à leur tour, joué le jeu dans le domaine de la contribution à l'égard de la collectivité genevoise, ne serait-ce que par les investissements que l'on appelle cachés, et qui sont consentis par les SI pour permettre la construction d'autres immeubles. Ce sont ce que l'on appelle les frais consécutifs des constructions, et je dois vous dire que de ce côté les SI ont largement donné !

L'interpellation est close.

 

La séance est levée à 22 h 50.