Séance du jeudi 16 décembre 1993 à 17h
53e législature - 1re année - 2e session - 46e séance

IN 101-A
b) Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la validité et la prise en considération de l'initiative 100 «Pour des emplois d'utilité publique et écologiques». ( -)IN101

Le Conseil d'Etat a constaté l'aboutissement de cette initiative par un arrêté du 15 septembre 1993, publié dans la Feuille d'avis officielle du 22 septembre 1993. De cette date court une série de délais successifs qui définissent les étapes de la procédure en vue d'assurer le bon exercice des droits populaires.

Le premier de ces délais a trait au débat de préconsultation qui doit, de par la loi, intervenir à la séance du Grand Conseil du 16 décembre 1993. C'est en vue de ce débat que le Conseil d'Etat soumet le présent rapport.

A. La validité de l'initiative

Le Conseil d'Etat est d'avis que l'initiative «Pour des emplois d'utilité publique et écologiques» (IN 101) ne pose pas de problème de recevabilité, ainsi que cela résulte de la brève analyse qui suit.

I. Recevabilité formelle

1. Unité de la matière

Le respect de ce principe postule que l'on présente au suffrage du corps électoral une question unique à laquelle il puisse être répondu par «oui» ou par «non».

L'initiative 101 comporte comme seule et unique proposition l'institution d'un fonds cantonal affecté aux dépenses pour l'emploi, soit plus précisément à la création de postes de travail d'utilité publique dans les domaines sociaux et écologiques, notamment des économies d'énergie et de la production d'énergies renouvelables. Ce fonds cantonal sera alimenté par une contribution prélevée sur le capital et le bénéfice net des personnes morales.

Le principe de l'unité de la matière est ainsi respecté (art. 66, al. 2, de la constitution).

2. Unité de la forme

Le principe de l'unité de la forme (art. 66, al. 1, de la constitution) exige que les initiants choisissent soit l'initiative non formulée, soit l'initiative formulée, mais pas un mélange des deux formes, faute de quoi le traitement de l'initiative serait difficile, voire impossible, compte tenu des dispositions légales applicables.

S'agissant en l'espèce d'une initiative rédigée de toutes pièces, au sens de l'article 65 B de la constitution, l'initiative répond à cette condition.

3. Unité du genre

L'unité du genre ou l'unité normative (art. 66, al. 1, de la constitution) exige que l'initiative soit du niveau d'une norme législative ou de celui d'une norme constitutionnelle, sans mélange des deux.

Ce principe est respecté en l'espèce, le choix des initiants s'étant porté sur la rédaction d'une nouvelle loi.

II. Recevabilité matérielle

1. Conformité au droit

Le respect de ce principe suppose qu'une initiative cantonale doit avoir un contenu compatible avec le droit supérieur. Dès lors que l'on a affaire en l'occurrence à une initiative législative, l'initiative doit respecter la constitution cantonale ainsi que l'ordre juridique fédéral (force dérogatoire du droit fédéral), voire intercantonal ou international.

Cette initiative vise à instituer un fonds qui sera alimenté par une contribution prélevée sur le capital et le bénéfice net des personnes morales. Il s'agit d'un impôt d'affectation, domaine dans lequel les cantons sont souverains.

La proposition des initiants relative à l'institution de ce fonds demeure ainsi du ressort exclusif du canton. A cet égard, il apparaît que le projet ne se heurte en outre à aucune disposition contraire tant au niveau constitutionnel cantonal qu'au regard du droit fédéral.

2. Exécutabilité

Ce principe veut qu'en cas d'acceptation par le peuple, l'initiative puisse être réalisée, c'est-à-dire traduite concrètement dans les faits et dans un délai raisonnable.

L'initiative 101 apparaît réalisable. Il n'existe en effet aucun obstacle manifeste et patent à sa concrétisation.

B. LA PRISE EN CONSIDÉRATION DE L'INITIATIVE

I. Le Conseil d'Etat recommande le rejet de l'initiative 101

Le Conseil d'Etat considère qu'en l'état et dans sa forme actuelle, l'initiative «Pour des emplois d'utilité publique et écologiques» ne peut pas être prise en considération pour les raisons exposées dans la brève étude d'opportunité qui suit. Cette étude porte sur les problèmes de l'affectation des impôts, de l'augmentation de la charge fiscale et de la destination du fonds.

L'opportunité n'étant démontrée pour aucun de ces trois critères, le Conseil d'Etat a renoncé à l'examen portant sur la faisabilité, ainsi qu'à un exposé des conséquences économiques, sociales, politiques et administratives prévisibles qui découleraient de la réalisation de l'initiative.

II. Contre-proposition

Toutefois le Conseil d'Etat est d'avis que cette proposition pose une série de questions pertinentes qui méritent d'être considérées dans une réflexion plus globale qu'il a d'ores et déjà engagée et qui porte sur :

 le mode de financement des services publics ;

 la situation particulière du canton de Genève du fait de l'exiguïté de son territoire (contribution des personnes actives résidant en France et dans le canton de Vaud) ;

 les effets et les risques socio-économiques d'un endettement excessif de l'Etat ;

 la nécessaire redistribution de la prospérité commune ;

 le rôle stabilisateur de l'impôt ;

 l'usage incitatif de l'instrument fiscal à des fins de politique économique et écologique ;

 la réforme des finances fédérales, du régime fiscal fédéral (TVA, initiative pour la suppression de l'IFD, motion Ruesch/Cavadini) et des règles de péréquation.

A l'initiative du département des finances et contributions ainsi que de l'université, cette réflexion est en cours depuis deux ans. Un rapport commandé par le DFC au département d'économie politique de la faculté des sciences économiques et sociales constitue une première approche de la question. Ce document de 200 pages analyse successivement la dégradation des recettes, la progression des dépenses, la problématique de l'endettement. On en trouvera la conclusion en annexe.

Cette conclusion n'engage que ses auteurs et ne reflète pas l'avis de tous les experts en économie ou en finances publiques. S'agissant de l'impasse financière que connaissent la plupart des budgets publics, le Conseil d'Etat considère, à l'encontre de l'opinion des auteurs, qu'il y a péril en la demeure et qu'il serait irresponsable d'attendre que la dette prenne des proportions «insupportables» pour agir avec la détermination requise.

Le plan d'assainissement du gouvernement prévoit un retour à l'équilibre financier en deux étapes. La première échéance est fixée, faut-il le rappeler, en 1997, soit huit ans après l'apparition des premiers déficits. A cette date, seul le petit équilibre devra être atteint (couverture des charges avant amortissements). La seconde échéance est fixée trois ans plus tard. Ce parcours ressemble plus à une course de fond qu'à une épreuve de vitesse. Il est donc parfaitement abusif de dénoncer une quelconque précipitation du gouvernement, comme de le soupçonner d'une intention de démantèlement de l'Etat, alors qu'au contraire toute son action vise à consolider l'édifice social construit depuis des décennies.

III. Opportunité de l'IN 101

L'initiative propose la création d'un fonds cantonal pour l'emploi dont les ressources alimentées par un impôt spécial sur les certaines personnes morales viendraient s'ajouter à celles que l'Etat affecte déjà à ces domaines. La motivation des initiants est triple :

 de lutter contre le chômage en créant des emplois publics durables en priorité dans des secteurs liés à l'environnement et aux économies d'énergie ;

 augmenter la charge fiscale des sociétés dites «surcapitalisées» ;

 augmenter les revenus de l'Etat.

Notons que du strict point de vue du droit des finances publiques, l'initiative est conforme à l'article 96 de la constitution et à l'article 46 de la nouvelle loi sur la gestion administrative et financière de l'Etat qui prescrit que toute proposition comportant une dépense nouvelle ne peut être votée qu'en prévoyant sa couverture financière. En revanche, elle viole l'article 8 de ladite loi qui prescrit que «les impôts ne peuvent pas en règle générale être attribués à la couverture d'un type particulier de tâches».

1. Dynamique des recettes fiscales et des dépenses

Le budget de l'Etat est une loi annuelle qui autorise les dépenses et prévoit des recettes, nécessaires à l'accomplissement des tâches publiques. Lorsque les dépenses dépassent les recettes, l'Etat doit recourir à l'emprunt pour financer les tâches publiques, puisque ses ressources propres sont insuffisantes. Selon l'article 96 de la constitution, toutefois, l'emprunt n'est pas un moyen de couverture. L'Etat ne peut donc recourir à ce moyen de financement qu'à titre transitoire, notamment pour financer des équipements.

Pour cette raison, le budget de l'Etat se subdivise en un budget de fonctionnement où figurent les charges et les revenus et un budget d'investissement pour les dépenses et les recettes d'équipement. Lorsque les charges de fonctionnement dépassent les revenus de fonctionnement apparaît un déficit (situation effective depuis 1989 qui pourrait se prolonger jusqu'en l'an 2000). Dans le cas contraire, l'Etat réalise un bénéfice.

Sans entrer davantage dans les détails d'une analyse de l'évolution des revenus et des charges de l'Etat des quinze dernières années, l'observation des graphiques suivants démontre que l'impasse actuelle résulte bien du tassement relatif des revenus, mais aussi de l'envol des charges. On constatera aussi que les revenus de l'Etat sont retombés à leur niveau du début des années quatre-vingts.

Le premier graphique présente l'évolution de la quote-part de l'Etat, exprimée au moyen du rapport entre les dépenses totales de l'Etat (y compris les investissements), respectivement les recettes totales, et le revenu cantonal.

1) Depuis 1980, les résultats financiers de l'Etat ont toujours fait apparaître un excédent des dépenses sur les recettes, le canton s'est donc, chaque année, trouvé en situation de devoir emprunter pour couvrir ses besoins de financement.

2) La croissance des recettes précède la croissance des charges jusqu'en 1987.

3) La quote-part de l'Etat, exprimée par le ratio recettes/revenu cantonal, qui avait augmenté durant cette première période, en raison notamment des effets de la progression à froid et de l'envol des droits sur les transactions immobilières, chute brutalement de 1988 à 1991 et retrouve son niveau du début de la période.

4) Dès 1993, l'échec consommé ou annoncé des projets fiscaux (trois centimes en juin 1992, taxe personnelle en juin 1993, révision des barèmes en automne 1993), pourtant partie intégrante du plan d'assainissement 1991-1997 des finances cantonales, se répercute dans une dégradation tendancielle, ralentie mais continue, de la quote-part de l'Etat au revenu cantonal.

Le graphique suivant illustre l'évolution de la quote-part de l'Etat par rapport au revenu cantonal, en rapportant cette fois non plus les dépenses et les recettes totales, mais les charges et revenus de fonctionnement au revenu cantonal (les dépenses et recettes d'investissement sont en l'occurrence exclues de l'analyse).

On remarque mieux encore, dans ce cas, la dynamique des revenus jusqu'en 1987, qui semble entraîner la dynamique des charges avec un ou deux ans de décalage, puis le renversement de tendance qui affecte les revenus, alors que les charges continuent leur progression jusqu'à l'entrée en vigueur du plan de redressement.

La raison de la chute brutale des revenus de l'Etat tient principalement à l'octroi d'allégements fiscaux importants dont l'ensemble des contribuables ont profités en raison inverse de leur revenu imposable. Ces allégements concernaient la lutte contre la progression à froid, l'établissement d'une certaine égalité de traitement entre les couples mariés et les concubins, la promotion de l'accession à la propriété et de la formation d'un capital de retraite.

Le graphique suivant illustre les six étapes de la dégradation budgétaire. Il permet d'analyser et de comparer le cours des charges et des revenus de fonctionnement par rapport à l'évolution du revenu cantonal et de l'inflation de 1980 à 1996.

On constate à la lecture de ce graphique que la croissance des revenus de l'Etat a été plus forte que la croissance des charges et du revenu cantonal jusqu'en 1987. Puis l'évolution des revenus fléchit, tandis que celle des charges continue de progresser à un rythme plus rapide que celui du revenu cantonal.

Les traits tirés à droite du graphique illustrent la tendance des charges et des revenus de fonctionnement, si aucune mesure n'avait été prise pour juguler les déficits et renverser la tendance.

En résumé, les initiants constatent, non sans raison, le faible dynamisme des recettes fiscales et la nécessité pour l'Etat de renverser la tendance actuelle. Cependant, la quote-part de l'Etat au revenu cantonal s'est accrue durant les années 80 non pas en raison d'une volonté politique clairement établie, mais en raison de la progression à froid et de recettes fiscales conjoncturelles exceptionnelles. Ce ratio s'est ensuite dégradé en raison d'une série d'allégements fiscaux dont l'effet sur les recettes de l'Etat se révèle aujourd'hui désastreux. On peut donc dire que ces allégements ont été trop importants, c'est la raison pour laquelle le Conseil d'Etat a proposé d'en réduire l'ampleur en présentant un projet de révision des barèmes fiscaux.

2. Aspects fiscaux

1. Buts de l'impôt

L'impôt est un acte de souveraineté par lequel l'Etat prélève sur le secteur privé les ressources nécessaires au financement de ses tâches générales telles qu'elles sont définies par la loi. A l'évidence, l'importance des recettes que l'Etat peut prélever par ce biais dépend étroitement de la valeur ajoutée créée par le secteur privée .

Mais l'impôt n'a pas pour seul but, ni pour seul effet, de procurer au gouvernement les moyens financiers dont il a besoin. La fiscalité exerce d'autres fonctions qu'il ne faut pas perdre de vue lorsqu'on apprécie l'impact d'une modification absolue ou relative de la charge fiscale.

Pour une analyse de ces autres fonctions, on consultera utilement l'article «Le financement de l'Etat» paru dans l'ouvrage «Les finances publiques d'un Etat fédératif, la Suisse».

Ainsi la fiscalité affecte de manière positive ou négative la volonté des individus et les entreprises de travailler, d'épargner et d'investir.

Elle est, grâce à la progressivité des barèmes, un des principaux instruments de la redistribution des revenus et de la richesse, bien plus puissant dans ses effets que le système des allocations sociales.

Elle joue un rôle sur le plan de la stabilisation de l'économie, encore que la structure fédérale de la Suisse et la difficulté d'augmenter les impôts en période de haute conjoncture réduisent fortement la portée de cette fonction. Toutefois, elle devrait inciter les pouvoirs publics à renoncer à accroître la charge fiscale en période de tassement conjoncturel.

Le système fiscal, du moins les aménagements qu'on tente de lui apporter, doit en principe respecter un certain nombre de critères au rang desquels figurent l'égalité de traitement, l'équité, la neutralité, la proportionnalité, etc. ; on en trouvera une brève analyse dans l'ouvrage précité, ainsi que dans le projet de loi modifiant la loi générale sur les contributions publiques (révision des taux d'imposition).

«Le principe de neutralité de l'impôt enseigne que les distorsions associées au prélèvement des impôts doivent être les plus faibles possibles sur le fonctionnement du marché.»

2. Affectation de l'impôt à un usage déterminé

En principe, l'impôt ne doit pas être affecté au financement d'une tâche particulière. Il existe bien entendu des exceptions à la règle.

Ainsi, au plan fédéral, citons l'imposition des carburants pour financer le réseau des routes nationales, les droits sur l'alcool et le tabac dont une partie est versée à l'AVS et à la lutte contre l'alcoolisme.

Au plan cantonal, on peut considérer le droit des pauvres, dont le produit, «sous déduction des frais de perception et de contrôle, est versé à raison de 70 % à l'Hospice général et de 30 % à l'Etat, pour être affecté à des activités et à des entreprises en faveur de la santé publique et du bien-être social» (article 443 de la loi sur les contributions publiques).

En revanche, le centime prélevé dans le cadre de l'application de la loi sur l'aide à domicile, que le souverain a accepté en votation populaire le 16 février 1992, pour une période de quatre ans, n'est pas conçu comme un impôt affecté. Le financement de l'aide à domicile s'opère par la voie ordinaire de la subvention.

A priori, l'impôt affecté présente un intérêt politique évident dans la mesure où il établit un lien direct entre une prestation particulière et son financement. En revanche, il présente d'indéniables défauts pratiques dans la mesure où ce lien prive le Conseil d'Etat et la Grand Conseil d'une partie de leurs prérogatives dans l'affectation des ressources budgétaires, s'agissant des tâches principales de l'Etat, et peut conduire, lorsque les revenus affectés dépassent les besoins, à une programmation de dépenses excessives en regard des critères de l'utilité publique et de l'affectation rationnelle et économique des ressources d'une collectivité.

Il suffit d'imaginer qu'une telle pratique se généralise pour comprendre et mesurer son effet pervers : elle priverait le gouvernement et le parlement de toute marge de manoeuvre. Elle réduirait à peu de chose leur responsabilité, dans la mesure où le souverain aurait décidé une fois pour toute de la destination des fonds qu'ils abandonnent à la main publique. Une telle pratique réduirait la fonction parlementaire et gouvernementale à une pure fonction d'exécution administrative.

Certes, dans le cas d'espèce, la destination des fonds collectés a priori sans limite, encore qu'il y a toutes les raisons d'escompter la disparition à terme de la tâche d'utilité publique que constitue l'embauche des chômeurs en fin de droit, au gré de la reprise économique attendue.

a) Institution d'un fonds spécifique

La création d'un fonds particulier est, au demeurant, une pratique obsolète du point de vue de la gestion des finances publiques. Le manuel de comptabilité public, édité par la conférence des directeurs cantonaux des finances, précise ce qui suit, s'agissant de la gestion des fonds et des financements spéciaux :

«Les raisons qui ont conduit à la création des fonds ne s'expliquent que dans une perspective historique. L'absence d'un marché des capitaux développé imposait à tout investisseur qu'il accumule d'abord des moyens financiers avant de pouvoir procéder à la réalisation d'un ouvrage. Ce capital en numéraire accumulé en vue d'un but précis était dès lors «lié».

Cette situation n'a évidemment plus cours aujourd'hui. L'accumulation d'argent en provenance d'une source particulière, pour un but précis, ne respecte plus les règles de la gestion rationnelle et économique des finances publiques.

Le modèle de compte ménage toutefois la possibilité de gérer ou de créer des financements spéciaux. Il en existe plusieurs à l'Etat de Genève, vestiges de pratiques anciennes ou véritables financements spéciaux destinés à des tâches précises, bien délimitées (traitement des résidus, assainissement des eaux, droit des pauvres, dîme de l'alcool, etc.).

b) Crédit de programme

La nouvelle loi sur la gestion administrative et financière (D 1 9), qui doit entrer en vigueur le 1er janvier 1994, propose à son article 50 un mode de financement pluriannuel de certains groupes de prestations publiques. Appelé crédit cadre ou crédit de programme, ce mode de gestion revient, pour le parlement, à prendre un engagement politique pour une période définie, tout en conservant le contrôle financier de l'opération et la faculté, certes réduite et seulement lorsqu'un intérêt supérieur le justifierait, de moduler les tranches annuelles du budget.

La loi sur l'aide à domicile, entrée en vigueur le 10 mars 1992, est exemplaire d'un tel fonctionnement. Les montants des subventions accordés à l'extension de l'aide à domicile sont inscrits dans une disposition transitoire à la loi, pour 4 ans.

Le budget cadre ainsi proposé reste sous contrôle du parlement : les tranches annuelles sont libérées, après examen du rapport annuel remis à la commission des affaires sociales.

Ce n'est en fait qu'au moment d'apprécier la question de la couverture financière du crédit cadre, en vertu de l'article 96 de la constitution genevoise (principe repris et développé par l'article 46 de la loi sur la gestion administrative et financière), que le législateur s'est rallié à l'idée d'inscrire dans la loi sur les soins à domicile un centime additionnel. La simultanéité de la loi et de son financement ont pu faire croire qu'il s'agit d'un centime affecté, alors que ce n'est pas le cas formellement.

Selon le rapport de la commission des affaires sociales, l'inscription dans la loi du centime additionnel poursuit deux objectifs :

«1. Garantir le subventionnement : même s'il ne s'agit pas d'un centime affecté au sens formel du terme, la votation populaire acceptant la loi dans son ensemble fera augmenter la contrainte morale sur le pouvoir politique en charge du budget.

2. Prendre en compte les problèmes budgétaires de l'Etat : le corps électoral est ainsi renseigné implicitement sur le coût d'un tel projet. Il est appelé à faire preuve de solidarité.»

3. Accentuation de la charge fiscale des entreprises

Etabli chaque année chaque année par l'administration fédérale des contributions, l'indice total de la charge fiscale grevant le bénéfice net et le capital des sociétés anonymes permet de classer les cantons à charge fiscale élevée s'agissant de l'indice de la charge grevant le bénéfice net (indice 114 en 1992 par rapport à la moyenne nationale de 100) ; le canton occupe en revanche une position moyenne s'agissant de l'indice de la charge grevant le capital (indice 102).

En outre, la nouvelle loi fédérale sur l'harmonisation des impôts des cantons et des communes (LIHD) prévoit une harmonisation de l'assiette fiscale. La seule latitude laissée aux cantons a trait aux taux figurant dans les barèmes. L'augmentation de ces taux obère donc la capacité concurrentielle d'un canton.

Les entreprises sont encore soumises, à Genève, à la taxe professionnelle communale, dont l'effet est assimilable à un impôt. Actuellement le produit de cette taxe provient principalement sur des sociétés visées par le texte de l'initiative.

L'impôt sur les bénéfices est relativement faible en Suisse par rapport à l'étranger, ceci en raison de la volonté constante du législateur d'atténuer le phénomène de la double imposition économique des personnes morales et de ses membres. Cependant les systèmes fiscaux étrangers (France, Allemagne) connaissent le principe de l'«avoir fiscal» ou du «double taux» qui permet également de réduire les effets de la double imposition.

A noter également que, dans une certaine mesure, le capital est imposé deux fois comme capital de la société et comme fortune des détenteurs des parts.

a) Impôt sur le bénéfice

A Genève, le taux d'imposition du bénéfice net est progressif et évolue en fonction de l'intensité de rendement. L'intensité de rendement est le rapport entre le bénéfice net et le capital versé augmenté des réserves. Ainsi, pour un bénéfice net identique, le taux d'imposition de deux sociétés diffère selon leur degré de capitalisation. Plus le capital et les réserves d'une société sont élevés, moins elle paie d'impôt, à bénéfice net égal. Ce régime fiscal particulier cherche à favoriser l'investissement, la pérennité des entreprises, le développement économique et donc l'emploi.

La plupart des cantons applique un impôt progressif sur le bénéfice net, comportant des taux plancher et plafond. Lucerne, Appenzell Rhodes extérieures et le Jura appliquent un impôt proportionnel unique.

Ainsi, en 1992, la charge fiscale (canton et commune) grevant le bénéfice net d'une société anonyme, domiciliée à Genève, au capital versé de deux millions de francs, a évolué de 5'754 francs pour un rendement de 4 % à 239'604 francs pour un rendement de 50%.

Dans le canton de Vaud, la fourchette évolue de 5'305 francs à 206'844 francs, à Zurich de 6'003 francs à 204'993 francs, à Berne de 5'844 francs à 162'744 francs, à Zoug de 4'024 francs à 98'348 francs, à Bâle-Ville de 6'944 francs à 194'859 francs.

L'analyse des indices calculés par l'administration fédérale des finances pour une société anonyme avec 2 millions de capital imposable montre que la charge fiscale genevoise, relativement à la moyenne suisse, croît avec l'intensité de rendement. Elle est inférieure à la moyenne nationale tant que l'intensité de rendement est inférieur à 15 %, elle est supérieure ensuite et s'écarte sensiblement de la moyenne nationale, plaçant Genève dans le trio de tête des cantons aux impôts lourds, dès que l'intensité de rendement dépasse 30 %.

On notera toutefois une inflexion significative de l'indice genevois de la charge fiscale lorsque le rendement atteint 4 %.

b) Impôt sur le capital

L'imposition de base sur le capital s'élève à Genève à 2 % du capital versé augmenté des réserves. L'imposition est proportionnelle au montant du capital, la plupart des cantons suivent des règles identiques. Berne et Glaris connaissent un taux progressif, Fribourg taxe le capital non versé avec un taux réduit.

La charge fiscale, exprimée en francs, évolue comme suit dans la fourchette de cent mille à un million de F de capital :

Capital imposable

100'000 F

100'000'000 F

Genève 

446 F

445'816 F

Vaud 

426 F

426'450 F

Zurich 

358 F

357'879 F

Berne 

286 F

475'315 F

Zoug 

259 F

258'585 F

Bâle-Ville 

550 F

550'000 F

c) Sociétés de participations

S'agissant des sociétés mentionnées à l'article 60 de la loi générale sur les contributions qui administrent exclusivement des participations financières à d'autres entreprises établies hors du canton (art. 65 LCP), celles-ci ne sont pas imposées sur leur bénéfice, afin d'éviter le phénomène de l'imposition en cascade et d'empêcher l'imposition multiple des sociétés liées. Elles doivent en revanche s'acquitter d'un impôt sur le capital à un taux réduit par rapport aux sociétés anonymes. A Genève, ce taux de base s'élève à 0,3 % du capital imposable. Les sociétés dont le bénéfice provient uniquement d'entreprises affiliées, telles que trusts, holdings, ainsi que celles qui, tout en ayant leur siège dans le canton, n'y ont aucune activité, sont soumises à la même règle.

Rappelons que notre canton ne connaît pas la notion de société de domicile, contrairement à d'autres cantons qui leur accordent des conditions fiscales particulières.

3. Création de postes de travail d'utilité publique à vocation écologique

Le prélèvement fiscal supplémentaire, proposé par les initiants, a pour but de financer, dans le cadre de la lutte contre le chômage, des emplois durables d'utilité publique dans le domaine de l'environnement et des économies d'énergie et des énergies renouvelables.

Avec une telle proposition, les initiants renversent le partage classique des rôles entre l'Etat et le secteur privé. En effet, selon le principe de subsidiarité, l'Etat n'est habilité à intervenir qu'en cas de défaillance manifeste du secteur privé. En outre, l'intervention publique doit demeurer aussi limitée que possible et recourir à des instruments aussi conformes que possible à la logique de l'économie de marché.

En outre, au gré du redressement conjoncturel, la tâche de l'Etat consistant à embaucher des chômeurs en fin de droit devrait diminuer, voire disparaître. Dès lors, le fonds n'aurait plus pour raison d'être que le financement continu de postes de travail, ce qui n'est manifestement pas le but prioritaire de l'initiative qui s'inscrit dans une perspective conjoncturelle de récession et visant la réduction du chômage de longue durée.

De ce point de vue, on peut se demander si l'initiative ne viole pas le principe de l'unité de la matière dans la mesure où elle confond dans une même disposition la politique de l'emploi et les politiques de l'environnement et de l'énergie.

1. Politique cantonale d'occupation des chômeurs

En matière d'emploi, l'Etat a pour tâche principale d'instaurer des conditions cadres propices à l'embauche des personnes actives par le secteur privé et non de se substituer à lui.

S'agissant de la politique d'occupation des chômeurs, le Conseil d'Etat rappelle qu'il a mis en place, avec le concours du département de l'économie publique et de l'office cantonal de l'emploi (OCE), toute une série de mesures complémentaires cantonales de lutte contre le chômage. Certaines sont déjà anciennes et placent le canton de Genève parmi les pionniers dans ce domaine. Parmi celles visant tout spécialement le domaine de l'emploi, nous citerons une mesure que seul le canton de Genève a conçue et développée depuis 1984, à savoir l'occupation temporaire de chômeurs dans les administrations publiques.

Cette mesure consiste à offrir aux chômeurs qui ont épuisé tous leurs droits aux indemnités fédérales de chômage après respectivement 170, 250 ou 400 prestations. Dans la règle, l'occupation temporaire se pratique dans l'administration cantonale, mais elle a également été étendue aux communes, ainsi qu'à diverses institutions d'utilité publique et sans but lucratif (voir domaine caritatif ou social). Ce faisant, on donne la possibilité aux bénéficiaires d'exercer une activité, rémunérée par l'Etat, durant 3, 6 ou 12 mois selon les droits antérieurs aux indemnités fédérales de chômage. Ce système d'occupation temporaire a jusqu'ici rendu d'éminents services aux ayants-droit, en leur permettant de retrouver une activité utile et valorisante, en jouant souvent le rôle d'antichambre avant l'obtention d'un emploi plus durable dans l'économie privée.

Sur le plan budgétaire, l'Etat de Genève a consacré à cette rubrique spéciale des sommes très importantes. A preuve, pour l'exercice 1992, l'OT a coûté effectivement 33,6 millions de F, tandis que le budget 1993 y a réservé un montant de 34,5 millions de F, qui sera sans doute dépassé ; quant à la prévision budgétaire 1994 pour ce même poste, elle devrait s'établir à 54 millions de F.

Comme on peut le constater, l'Etat de Genève consacre ici une masse financière considérable à la création des ces occupations temporaires, qui sont accordées de par la loi et à tour de rôle à tous les chômeurs en fin de droits.

Pour le surplus, on signalera également une action particulière pratiquée dans le même esprit, à savoir les programmes collectifs d'occupation temporaire financés en partie par les fonds de l'assurance-chômage fédérale, au titre des mesures préventives destinées à combattre le chômage. Ce faisant. l'OCE peut offrir à certains chômeurs des activités d'utilité publique dans le domaine de l'écologie et du travail social ; ces mesures, qui ne doivent pas concurrencer directement l'économie privée, complètent ainsi judicieusement les occupations temporaires faites à titre individuel et contribuent à occuper utilement des personnes privées momentanément d'emploi.

Très concrètement, voici quelques exemples de programmes d'occupation mis en place récemment dans les domaines cités :

a) Ecologie

Sur mandat de l'Etat de Genève, un bureau privé de travaux et d'études en environnement a collaboré à la mise sur pied de divers programmes d'emplois pour chômeurs en fin de droits ; plusieurs services de l'Etat et des associations privées s'occupant de la protection de la nature sont concrètement associés à ces activités.

D'une part, des emplois manuels sont proposés aux chômeurs, pour entretenir et remettre en état certains sites, notamment les réserves naturelles du canton. D'autre part, des postes plus techniques sont proposés aux personnes de formation spécifique, comme par exemple le tri, le classement et l'organisation de récoltes de données diverses qui sont traitées par des scientifiques.

b) Récupération de matériel électronique et électroménager

Il s'agit ici d'un programme de recyclage de divers composants provenant de matériel électronique et électroménager hors d'usage, réalisé en étroite collaboration avec le département des travaux publics.

Le projet initial a été proposé par un ancien chômeur, sensibilisé par les problèmes de pollution et de l'élimination des déchets, et qui en assume la responsabilité au niveau de l'atelier créé à cet effet.

c) Bureau technique d'occupation temporaire

Avec le concours actif du département des travaux publics, ce programme est destiné aux architectes et dessinateurs techniques pour le recensement du domaine bâti de l'Etat. Les mandats spécifiques visent surtout les inventaires du réseau des chemins pédestres, du domaine public des rives du lac ainsi que des bâtiments sauvés de la démolition.

d) Personnes âgées

Programme d'occupation de chômeurs au service des établissements sans but lucratif pour personnes âgées dépendantes, en collaboration avec un service spécialisé de l'Etat.

2. Mesures fiscales d'encouragement aux économies d'énergie et à la protection de l'environnement

Dans le cadre de la prochaine entrée en vigueur de la nouvelle loi fédérale sur l'impôt direct (LIFD), l'administration fiscale cantonale vient d'édicter une nouvelle directive selon laquelle «les investissements destinés à économiser l'énergie et à protéger l'environnement seront assimilés à des frais d'entretien déductibles du revenu du contribuable propriétaire d'un immeuble privé». Cette directive reprend et actualise une instruction émise à la suite du premier choc pétrolier de 1973.

Une telle mesure qui vaut autant pour l'impôt cantonal que pour l'impôt fédéral répond aux doubles voeux des initiants d'économiser l'énergie et de protéger l'environnement et de créer des emplois. Nul doute en effet que l'intérêt des propriétaires d'immeubles se répercutera positivement sur l'industrie de la construction et, par voie de conséquence, sur l'emploi dans ce secteur.

4. Modifications proposées par l'IN 101

1. Société de participations

L'initiative 101 (art. 5) propose d'augmenter le taux d'imposition des holdings et des sociétés de 33 %, le taux passant de 0,3 à 0,4 %.

2. Impôt supplémentaire sur le capital

L'introduction d'un prélèvement supplémentaire de 1,5 % pour la part du capital supérieur à 10 millions de F revient à créer un régime fiscal comportant un pallier de progressivité. Les sociétés dont le capital est inférieur à 10 millions de F seront taxées au taux de 2 %, celles dont le capital est supérieur à ce montant à 3,5 % pour la part du capital supérieure à 10 millions. Cette disposition aggrave la double imposition dans la mesure où le capital propre des sociétés a déjà été imposé sous forme de bénéfice.

Elle présente en outre un autre désavantage que l'on peut illustrer par l'exemple chiffré suivant. Supposons une société dont le bilan se présente comme suit :

Actif 

60'000'000

Capital 

15'000'000

Perte 

6'000'000

Dettes 

51'000'000

Actif total 

66'000'000

Passif total 

66'000'000

Compte tenu de sa perte d'exploitation, la fortune réelle de cette société s'élève à 9 millions, or, selon la loi, le minimum taxable est le montant du capital social. L'impôt supplémentaire prévu à l'article 7, alinéa 2, de l'initiative grèvera le résultat de cette société de 13'312,50 F (1,5 % sur la part du capital social dépassant 10 millions auquel il faut ajouter 77,5 centimes additionnels).

3. Impôt supplémentaire sur le bénéfice

Quant à l'impôt supplémentaire sur le bénéfice net (art. 7, al. 3 de l'initiative), il devrait être perçu exclusivement sur les sociétés dont l'intensité de rendement, soit, comme on l'a vu, le rapport entre le bénéfice net et le capital imposable, est inférieur à 6 %.

Cette disposition devrait atteindre dans l'esprit des initiants les sociétés «que le régime fiscal favorise». Sont visées les sociétés que l'on qualifie de «surcapitalisées», qui, pour des raisons que la raison économique ne connaît pas, accroîtrait leurs capitaux dans l'intention de réduire leur charge fiscale.

En fait, la disposition proposée par les initiants touchera surtout les sociétés qui, sans disposer d'un capital ou de réserves élevés, affichent, en raison d'un bénéfice limité, une moindre intensité de rendement. Il y a là un facteur d'inégalité de traitement majeur qui à lui seul exige, pour le moins, l'amendement de cette proposition.

Le taux supplémentaire applicable à ces sociétés correspond à la différence entre le tau de l'impôt sur le bénéfice net et le taux minimal légal augmenté de 2 %. Cela revient à augmenter le taux minimal de l'impôt de 6 % pour toutes les sociétés dont le rendement est inférieur à cette limite. Toutes les sociétés qui sont au taux minimal subiraient en conséquence une hausse d'impôt de 2 points, celles dont l'intensité de rendement se situe entre 4 et 6 % enregistreraient une augmentation d'impôt rendant vers zéro, à mesure que l'intensité de rendement tend vers 6 %.

L'impôt supplémentaire frapperait toutes les sociétés sans égard de leur santé économique. Une telle situation créera de choquantes inégalités de traitement que l'on peut illustrer à l'aide d'un exemple chiffré :

Supposons deux sociétés anonymes, la première au capital de 10 millions est performante et affiche un résultat d'un million de F, l'autre, au capital de 20 millions, «galère» et ne dégage qu'un résultat de 500'000 F.

L'application de l'initiative aurait pour effet d'exempter la première société de l'impôt supplémentaire sur le bénéfice, malgré un excellent taux de rendement de 10 %, alors que la seconde, dont l'intensité de rendement n'est que de 2,5 %, se verrait notifier un impôt supplémentaire de 18'850 F sur le bénéfice et un impôt supplémentaire de 26'625 F sur le capital.

4. Incidence sur les recettes fiscales

Sur la base des taxations 1992 des personnes morales, l'administration fiscale cantonale a procédé à une première évaluation de l'application de l'initiative 101 sur la production fiscale.

Au total et compte tenu de l'effet de seuil provoqué par la diminution du résultat des sociétés, dès la deuxième année, diminution imputable au fait que les sociétés peuvent déduire l'impôt, l'augmentation des recettes fiscales devrait se situer autour d'une cinquantaine de millions de F, selon la décomposition suivante :

 4 % en provenance de l'impôt sur le capital des sociétés de domicile et celui des holdings mentionnées à l'article 65 ;

 52 % en provenance de l'imposition supplémentaire du capital des autres personnes morales ;

 44 % en provenance de l'augmentation de l'impôt sur le bénéfice.

C. CONCLUSION

Le régime fiscal est un critère important de l'attractivité économique d'une région. Les entreprises, notamment les plus performantes, recherchent en permanence à optimiser leur charge fiscale. Toute modification absolue ou relative de la charge fiscale peut donc entraîner des conséquences directes et indirectes sur les recettes fiscales d'un canton.

La situation économique tendue et l'obligation qui s'impose aux entreprises d'optimaliser leurs charges et leurs revenus incitent le Conseil d'Etat à considérer qu'un alourdissement de l'impôt des sociétés irait, en l'état, à l'encontre de sa politique de relance, d'accueil des entreprises et de lutte contre le chômage.

Une telle mesure produirait, en effet, selon toute vraisemblance, un impact, notamment psychologique, inverse à celui escompté par les initiants. Le renversement de la tendance et la création de places de travail durables dépend prioritairement du développement des activités des entreprises de la place et de l'installation, en territoire genevois, de nouvelles sociétés.

Les initiants juxtaposent deux phénomènes la récession et le chômage et le fait que les revenus des entreprises ont augmenté plus vite que les revenus des salariés durant la dernière décennie et en tirent l'argument d'une nouvelle obligation publique de politique économique consistant à prélever sur certaines entreprises un impôt supplémentaire destiné à créer des emplois publics à l'intention pour lutter contre le chômage de longue durée.

Ils tendent ainsi à accréditer l'idée que le malheur des uns serait la conséquence du bonheur des autres et donc qu'il est équitable de taxer ces entreprises pour répondre au désoeuvrement des chômeurs. Le Conseil d'Etat ne peut souscrire à une arithmétique aussi simpliste.

Telles sont les raisons pour lesquelles il vous recommande, Mesdames et Messieurs les députés, de refuser l'initiative 101 «Pour des emplois d'utilité publique et écologiques» dans sa forme actuelle. Il souhaite toutefois que, dans la perspective de l'assainissement des finances publiques, lequel ne pourra pas se réaliser sans un relèvement marginal, mais nécessaire, de certaines recettes, votre Grand Conseil recherche, d'entente avec le gouvernement, les solutions susceptibles de recueillir une large adhésion de l'opinion.

Sur le fond, le Conseil d'Etat examine toutefois l'opportunité de présenter un contreprojet et il se réserve donc la possibilité de saisir le Grand Conseil, après examen de la recevabilité de l'initiative par la commission législative.

ANNEXE

Débat

Le président. Je désire rappeler que la numérotation 101 indique qu'il s'agit de la première initiative que nous avons à traiter dans le cadre de la procédure pour le traitement des initiatives, selon le nouveau droit en vigueur depuis le 23 mars 1993.

Cela signifie, en particulier, que le rapport du Conseil d'Etat a été transmis automatiquement à la commission législative qui l'examinera en conformité avec la constitution. Nous aurons ce soir un débat de préconsultation, étant entendu que cette initiative reviendra de la commission législative pour l'examen de sa constitutionnalité et de la commission à laquelle vous allez la renvoyer ce soir pour un débat de fond devant le Grand Conseil.

M. Gilles Godinat (AdG). Au travers de cette initiative, les initiants ont voulu atteindre deux objectifs principaux. Le premier concerne la création d'emplois avec un fonds de 50 millions et le second la redéfinition d'un rôle actif de l'Etat dans la création d'emplois.

Il est inutile de rappeler la situation économique genevoise sinistrée, avec ses 16 000 chômeurs enregistrés et ses 20 000 places de travail perdues.

Pour ce qui est de la création d'emplois, nous n'avons pas d'illusion sur les réelles possibilités d'une relance économique efficace émanant uniquement d'une intervention des pouvoirs publics.

Cependant, dans la situation actuelle, avec la création d'occupations temporaires pour les chômeurs, des postes de travail pourraient être stabilisés avec un fonds permettant justement la création d'emplois et, d'autre part, maintenir des subventions aux institutions et associations d'utilité publique dans le budget 1993. Ce fonds permettrait également d'assurer les emplois d'utilité publique dans ce domaine.

Pour l'économie verte, nous estimons que son encouragement est prioritaire à Genève. Son développement pourra concrétiser l'article 160 C de la constitution genevoise. En effet, cet article précise que les collectivités publiques doivent investir, pour l'économie d'énergie et le développement, en priorité dans des sources d'énergies renouvelables. Voilà ce qu'il en est pour la création d'emplois.

A part le rôle redistributeur et stabilisateur classique de l'Etat, nous pensons qu'il est nécessaire de redonner un rôle direct et actif aux pouvoirs publics dans l'économie. Cela pourrait se faire, par exemple, par les Services industriels, en encourageant la création d'emplois dans le domaine de l'écologie, également en créant des fonds de recherche appliquée par le biais de l'Ecole d'ingénieurs et de l'Institut Battelle pour des emplois de recherche dans le domaine des technologies de pointe. Cela pourrait se faire avec des mesures rapides, concrètes, car ces technologies existent et il suffit de les développer. Voilà pour les objectifs.

Nous avons prévu, en ce qui concerne les moyens, un fonds avec une taxation de 2%o concernant les 2% des entreprises genevoises. Sur les 20 000 entreprises en région genevoise, nous en touchons 400. Ce sont celles qui ont un capital social déclaré de plus de 10 millions et uniquement celles qui sont cotées en bourse. Cette manière de faire épargne toutes les petites et moyennes entreprises du canton. Celles-ci ont en effet été pendant plusieurs années sous la pression bancaire pour l'obtention de crédits ou le remboursement de leurs créances. Plusieurs petites et moyennes entreprises, créatrices d'emplois, ont dû malheureusement annoncer leur faillite.

Nous savons que les trois quarts du capital social déclaré dans ce canton sont concentrés dans le secteur des banques, assurances et agences-conseils. C'est la raison pour laquelle nous pensons qu'une taxe qui - par exemple pour une entreprise ayant un capital social de 12 millions et annonçant un bénéfice de 96 000 F par année - verrait s'ajouter à ses charges la taxe supplémentaire de 250 F par mois nous paraît être une charge tout à fait supportable.

Pour une entreprise ayant 80 millions de capital social et 3 millions de bénéfices déclarés, cela reviendrait à 5 000 F de taxe supplémentaire par mois. Pour une entreprise ayant 200 millions de capital social déclaré et un bénéfice annuel déclaré de 10 millions, cela représente 32 000 F mensuels supplémentaires. Cela nous paraît être tout à fait supportable pour une telle entreprise. Je vous rappelle que les statistiques suisses montrent que ces dernières années les entreprises cotées en bourse ont annoncé, en moyenne, une progression de 15% de leurs bénéfices.

Pour parler des arguments concernant la charge fiscale des entreprises, Genève est reconnue, au niveau de l'OCDE et au niveau suisse, comme étant une place financière tout à fait favorable pour l'implantation des entreprises. A Genève, il n'y a pas de pression fiscale exceptionnelle sur les entreprises. La fiscalité actuelle est un atout pour les entreprises à Genève.

Au sujet du choix de localisation, plusieurs études ont démontré que la localisation pour l'implantation de nouvelles entreprises dépendait marginalement de la fiscalité. La qualification de la main-d'oeuvre et les infrastructures existantes jouent un rôle prépondérant.

Or, Genève est à ce niveau tout à fait privilégiée. C'est la raison pour laquelle nous pensons que cette initiative est raisonnable, réaliste et concrète. Elle donne des réponses à un problème majeur qui est le chômage. Mais la réalité est, elle, inacceptable. Effectivement, les initiants et les citoyens qui ont signé cette initiative estiment que la croissance d'un chômage structurel, qui s'installe parallèlement à la croissance des bénéfices d'entreprises privilégiées, est inacceptable.

M. Daniel Ducommun (R). Par gain de temps, je m'exprimerai dans un seul discours sur les deux initiatives. En fait, c'est surtout l'initiative 102 qui nous intéresse car elle nous paraît être la plus difficile à gérer, en tout cas en première lecture.

Ces deux initiatives peuvent paraître séduisantes par leur côté «attrape-coeur» et l'adjonction de mots sensibles tels que «solidarité» ou «emploi». Derrière cette façade, notre groupe considère qu'une acceptation des deux initiatives 100 et 102 aurait des effets pervers allant totalement à sens contraire du but souhaité. C'est ce que j'appelle le retour de manivelle, le boomerang, ou encore l'arroseur arrosé.

L'adage de faire payer les riches reste le cheval de bataille d'une certaine classe politique, au même titre que le «Non à l'armée !» ou «Halte à la croissance !». Nous ne pouvons pas partager cette opinion. Nous ne pouvons qu'être inquiets qu'une grande partie de nos difficultés financières soit supportée par quelque deux mille deux cents de nos contribuables qui participent, au titre d'impôt cantonal et communal, à un montant de plus de 500 millions sur le revenu et la fortune.

Ce sont ceux-là que vous voulez pénaliser, Monsieur Godinat. Ce sont ces contribuables et nos sociétés à fortes capacités financières qui assurent à notre Etat la substance nécessaire à la couverture des tâches sociales, si importantes aujourd'hui. Ce sont aussi ces mêmes contribuables à fortes capacités financières qui bénéficient des meilleures commodités de mobilité pour nous quitter.

Je rappelle qu'à cet effet le canton de Vaud, pour ne parler que de lui, offre un accueil de qualité à quelques minutes de Genève. Je rappelle aussi que le canton de Vaud ne nous rétrocédera jamais un seul centime de solidarité pour les nombreux résidents qui travaillent sur notre territoire.

Notre fiscalité doit être revue en globalité, mais non par touches émotives. C'est ce à quoi s'occupe actuellement le Conseil d'Etat, en collaboration avec la commission fiscale. Laissons ces réformes se développer. Parmi d'autres réflexions, nous ne pouvons que confirmer que ces deux initiatives ne répondent pas aux exigences de la loi que nous venons de voter sur la gestion administrative et financière de l'Etat de Genève, laquelle stipule, à son article 8, que les impôts ne peuvent pas, en règle générale, être attribués à la couverture d'un type particulier de tâches.

Alors, de grâce, pour toutes les raisons évoquées, la branche sur laquelle nous sommes assis tremble suffisamment sans que nous voulions à tout prix la couper.

M. Pierre-Alain Champod (S). Le parti socialiste partage sur le fond les idées exprimées par les initiants au travers du texte de l'initiative 101.

En effet, nous sommes convaincus qu'un redressement des finances de l'Etat - objectif que nous partageons - passe à la fois par une plus grande maîtrise des dépenses et une amélioration des recettes. Nous pensons que certaines entreprises pourraient contribuer plus qu'elles ne le font aujourd'hui au redressement des finances de l'Etat. Nul doute que les banques qui affichent des bénéfices importants pourraient payer plus d'impôts sans que leur avenir soit compromis.

Ces efforts demandés aux banques seraient d'autant plus justifiés que l'argent ainsi récolté servirait à financer les emplois d'utilité publique et écologiques, c'est-à-dire qu'ils s'inscriraient dans une perspective d'un développement préservant l'environnement.

Dans notre société qui compte de trop nombreux chômeurs, toute création d'emploi utile est la bienvenue. Nous rappelons aussi que le parti socialiste a déposé l'année dernière un projet de loi proposant de modifier l'article 73 de la loi sur les contributions publiques afin d'imposer différemment les petites entreprises par rapport aux grandes qui ont un important capital.

D'ailleurs, nous avions déposé ce projet de loi parce que nous étions las d'attendre le projet du département des finances que M. Vodoz nous avait promis pour 1992 afin qu'il entre en vigueur en 1993.

Toutefois, le parti socialiste a finalement décidé de ne pas s'associer à la récolte des signatures de cette initiative 101, alors qu'il s'est associé à la récolte des signatures de l'initiative 102 pour les raisons suivantes.

Si nous partageons les objectifs généraux de cette initiative, nous craignons tout de même quelques effets pervers au niveau de l'emploi et nous pensons qu'aujourd'hui nous ne pouvons pas traiter de la même manière les entreprises qui réalisent des profits par des opérations financières et celles qui réalisent des produits en fabriquant des objets. En d'autres termes, il faut distinguer les entreprises qui produisent réellement des richesses et celles qui font des profits dans ce que certains économistes nomment «l'économie Casino».

Nous aurions souhaité aussi que cette initiative prenne en compte le nombre d'emplois pour moduler le taux de l'impôt. En effet, une politique fiscale doit certes avoir pour objectifs de rapporter de l'argent à l'Etat, mais aussi d'avoir un effet sur les tissus économiques que l'on veut développer.

Aujourd'hui, il est nécessaire d'inclure dans une politique fiscale des variables qui, non seulement ne pénalisent pas les entreprises ayant une masse salariale importante, mais favorisent les entreprises qui emploient beaucoup de main-d'oeuvre par rapport à celles qui réalisent du bénéfice en utilisant peu de main-d'oeuvre.

Mais nous aurons l'occasion de discuter des aspects un peu techniques de ces initiatives en commission et, éventuellement, d'inclure l'une ou l'autre de nos propositions dans un contreprojet si les discussions en commission aboutissent à une telle conclusion.

M. Pierre Kunz (R). Quand je juge l'initiative 101 dans sa formulation, j'hésite entre plusieurs termes : démagogie, opportunisme ou caractère franchement primaire lorsqu'on se situe sur le plan fiscal et celui des recettes. C'est regrettable.

Sur le fond, cette initiative possède le grand mérite de poser un problème d'une extrême importance auquel ni Genève, ni la Suisse, ni l'ensemble des sociétés occidentales ne pourront échapper, c'est celui de la nécessaire création de postes de travail d'utilité publique, ceci dans le but d'occuper la part de notre population qui s'accroîtra encore, celle qui est en partie déjà et restera incapable de demeurer économiquement active et productive.

L'évolution des structures sociales et du marché du travail est telle - et ce n'est pas le GATT, dont on nous parle actuellement, qui changera les choses - la concurrence mondiale s'intensifie tellement, que nous nous acheminons inéluctablement vers une société - je devrais dire que nous retournons vers une société - clairement stratifiée.

D'une part, nous avons et nous aurons demain ceux qui, fort heureusement en majorité grâce à leur talent, à leur expérience, à leur flexibilité, à leur formation ont réussi à accéder et à se maintenir sur le marché du travail, voire même à s'y réaliser, de l'autre côté, se trouvent et se trouveront ceux que nous pouvons appeler les malheureux, les malchanceux, ceux qui n'ont pas été capables et demeureront incapables de répondre aux exigences du marché du travail et que la société devra bien s'arranger de faire survivre. Alors comment ? (Commentaires, sourires sur les bancs des socialistes.) Eh bien, en offrant à ces exclus du marché du travail des emplois d'utilité publique qui leur permettront malgré tout d'apporter leur contribution à la collectivité et de justifier et mériter ainsi leur rémunération.

Certains analystes, économistes et sociologues, estiment que ces malchanceux pourraient représenter au début du siècle prochain dans certaines régions d'Europe jusqu'aux 25% des individus en âge de travailler. Il s'agit donc, dès maintenant, de nous préparer à cette évolution dont nous ne percevons que les prémices, même si nous en subissons, d'ores et déjà, les conséquences financières - déficit des caisses de chômage - et sociales - augmentation du chômage de longue durée.

Malgré son indigence, l'initiative 101 doit nous inciter à entreprendre sans délai la révision de nos conceptions et de notre législation afin de rendre notre canton capable de lutter plus efficacement contre l'inactivité et ce que vous me permettrez d'appeler même parfois la déshumanisation des moins favorisés d'entre nous.

Nous devons saisir cette occasion pour mettre un terme au gaspillage des ressources. Il faut que nous cessions de nous focaliser sur les allocations de chômage pour nous consacrer à l'activité des chômeurs.

Pour notre part, nous ne manquerons pas, nous les radicaux, d'apporter une large contribution à la préparation de ce qui nous semble être l'indispensable contreprojet à l'initiative 101.

M. Bénédict Fontanet (PDC). Nous accueillons cette initiative avec intérêt car elle pose de vrais problèmes, même si elle ne leur apporte pas forcément les bonnes réponses. A notre sens, les réponses proposées ne sont pas adéquates.

Le premier de ces problèmes est celui du chômage. C'est un des grands maux de notre temps. Toutefois, Monsieur Kunz, je vous en conjure, une société avec 25% de chômeurs, nous, nous n'en voulons pas. Il est de notre devoir de politiciens de lutter contre ce phénomène, de mettre en place et de conforter les systèmes qui permettent aux gens se trouvant momentanément sans travail d'être indemnisés et de pouvoir vivre dans la dignité. Il en va de notre devoir de politiciens. A cet égard, le canton de Genève est exemplaire par rapport à ce qui se fait en Suisse.

Le deuxième des problèmes est celui des moyens que l'Etat met à sa disposition par le biais de prélèvements fiscaux. Lors du débat budgétaire que nous aurons demain, il sera démontré que nous avons atteint la limite des économies auxquelles nous sommes contraints et que nous pouvons encore faire sans toucher aux prestations que l'Etat de Genève assure à ses concitoyens. Nous verrons aussi qu'une interrogation est suscitée par cette initiative, à savoir celle du maintien de ces prestations.

Dans le cas où nous souhaiterions maintenir les prestations offertes à la population ce que nous devons faire, à mon avis, dans toute la mesure du possible nous devrons alors nous interroger sur une éventuelle augmentation de la fiscalité pour permettre à la population genevoise de continuer à bénéficier des avantages sociaux et des prestations dont elle jouit aujourd'hui.

La troisième des interrogations, légitime elle aussi, que suscite cette initiative, est celle qui consiste à savoir s'il y a lieu d'augmenter la fiscalité. Où et comment cette hausse de la fiscalité, des prélèvements que l'Etat doit opérer, se fera-t-elle ?

A mon sens, l'initiative ne propose que des réponses qui ne sont pas satisfaisantes, car la fiscalité, quoi que vous en disiez, Monsieur Godinat, est un des éléments essentiels lorsqu'une entreprise décide de s'implanter ou non dans un endroit donné et pour savoir si elle y reste ou pas, cela d'autant plus qu'à Genève l'économie est essentiellement tertiarisée, composée de banques, d'assurances, de sociétés de service qui, par définition et par rapport aux entreprises industrielles, sont particulièrement mobiles.

Nous débattrons de cette initiative. Il n'y a donc pas lieu d'en explorer toutes les pistes aujourd'hui, mais les solutions que vous proposez sont mauvaises car la charge fiscale est un des éléments essentiels conduisant une entreprise à s'établir ou non dans le canton.

Vous proposiez tout à l'heure de ne taxer que les entreprises cotées en bourse. Il est vrai que seules peuvent être cotées en bourse les entreprises qui ont plus de 10 millions de capital social. Mais toutes les entreprises qui ont plus de 10 millions de capital social ne sont pas forcément cotées en bourse. Or, ce sont souvent celles-ci qui contribuent le plus à l'emploi et aux recettes de l'Etat par les impôts qu'elles paient. C'est pour ces raisons que vos solutions, même si elles sont intéressantes, ne nous paraissent pas adéquates et pourraient même être néfastes en fonction de la manière dont elles seraient appliquées.

Mme Fabienne Bugnon (Ve). Le groupe écologiste soutiendra ces deux initiatives et appuiera un traitement rapide, d'une part, par la commission législative et, d'autre part, par la commission fiscale.

Nous acceptons de débattre de ces deux initiatives de manière conjointe même si, pour notre groupe, il existe une différence de traitement entre l'initiative 102 et l'initiative 101.

Le parti écologiste a soutenu l'initiative 102 dès son lancement, après avoir largement participé à son élaboration. Comme vous le savez, les thèmes de solidarité et de partage rencontrent toujours un large écho chez les écologistes. La contribution fiscale demandée aux personnes fortunées par le biais de l'initiative sera redistribuée en priorité aux personnes âgées, aux chômeurs, à l'aide humanitaire, à la construction de logements bon marché et à l'extension des transports publics. Cette affectation solidaire devrait rencontrer un écho très favorable dans ce Grand Conseil.

Pour nous, cette initiative s'inscrit dans l'effort généralisé de solidarité dans lequel nous devons tous nous engager afin d'éviter de voir se creuser de manière encore plus dramatique le fossé entre riches et pauvres.

Toutefois, il faut garder à l'esprit que cet effort, demandé par le biais de l'initiative, n'est qu'un maillon de la chaîne de solidarité et qu'à plus ou moins long terme il devra s'accompagner de mesures durables et plus efficaces telles que le partage de l'emploi et des revenus. L'application de l'initiative 102 est extrêmement simple et cette initiative pourrait être soumise au peuple bien avant la fin des délais légaux.

Par contre, l'initiative 101 demande une étude plus approfondie, tant par son mode de prélèvement que par l'affectation des fonds. Je n'entrerai pas plus en détail sur les modes de prélèvement car ce sera le travail de la commission fiscale. Toutefois, je désire m'attarder quelques instants sur l'affectation de ce fonds. En ce qui concerne le domaine social, tout le monde sait à peu près ce que cela recouvre. Par contre, lorsque l'on parle de travaux d'utilité publique liés à l'écologie, on ne pense qu'au nettoyage des forêts ou des rivières. Il faut rappeler que ces travaux sont très importants et qu'il convient de les poursuivre, voire de les intensifier, notamment par le biais des occupations temporaires pour les chômeurs.

A côté de cela, il faut également créer, et notre pays est en retard sur ce sujet, des postes de travail dans ce que j'appellerais l'écologie rentable. Il existe aujourd'hui, et d'autres pays d'Europe le savent et l'exploitent, toute une économie rentable dans le domaine de l'écologie. Le ministre français de l'environnement, Michel Barnier, déclarait il y a peu de temps : «Pour développer une industrie de l'environnement forte demain, il faut encourager la créativité des entreprises, leur permettre de faire de la recherche, des expériences et de se développer. Les investissements aujourd'hui dans l'air, l'eau, les déchets, la maîtrise de l'énergie seront les emplois de demain dans une compétition internationale très forte.». Il a encore indiqué que, si les industries de l'eau réussissent à l'exportation, c'est parce que la France a engagé des efforts dans ce domaine bien avant d'autres pays.

Il existe plusieurs exemples d'entreprises en France qui, contraintes de diminuer le taux de pollution engendrée par leur production, ont vu, dans le long terme, leur chiffre d'affaires augmenter en raison de l'économie réalisée dans la diminution de l'utilisation des produits polluants.

En conclusion, même si cette initiative 101 rencontre a priori des difficultés d'application, elle ouvre la voie à des propositions intéressantes émises dans la direction d'un marché nouveau et porteur, tout en maintenant une redistribution importante dans le domaine social.

M. Michel Balestra (L). Nous parlons des initiatives 101 et 102 conjointes. Le parti libéral genevois les a étudiées toutes les deux avec beaucoup d'attention. Je me permets donc de les joindre dans ma brève allocution puisqu'elles ont ensemble une unité de matière qui est leur étatisme commun.

La première prétend créer des emplois d'utilité publique et écologiques en finançant ces derniers par un impôt supplémentaire prélevé sur le capital et le bénéfice des entreprises, tandis que la seconde prévoit de taxer la fortune lorsqu'elle dépasse 500 000 F. Voilà deux dangereuses idées que quelques apprentis sorciers comme vous prétendent mettre en pratique en affaiblissant les entreprises saines pour créer des emplois publics subventionnés et prendre plus d'argent aux gros contribuables qui, pour mémoire, sont déjà beaucoup plus taxés à Genève que dans les cantons voisins et concurrents du nôtre...

Une voix. C'est faux !

M. Michel Balestra. Malheureusement, 35% de différence pour des salaires au-dessus de 150 000 F, Monsieur Spielmann. D'ailleurs, on en discutera tout à l'heure. Malheureusement, pour les initiants les choses ne sont pas aussi simples qu'ils veulent bien le dire. D'après une étude - c'est une réponse très précise à M. Spielmann - des experts comptables genevois, 65% des contribuables qui ont quitté Genève en 1991 l'ont fait pour des raisons fiscales. (Rumeurs.) De plus, 43% des entreprises intéressées par une implantation sur notre territoire ont renoncé à s'y établir pour les mêmes raisons.

Je vous rappelle le fameux discours de M. Fred Henri Firmenich, voici deux ans devant la Chambre de commerce, dans lequel il répondait non à la question : Vous implanteriez-vous aujourd'hui à Genève ? Et il ne s'agit pas d'une petite entreprise. Vous acquiescerez qu'il ne faut pas être bien malin pour comprendre qu'en plus de l'aspect purement quantitatif - 65% et 43% - de cette étude, il faut analyser son aspect qualitatif. Ce sont certainement les plus gros contribuables qui ont quitté Genève et les plus gros contribuables qui ont renoncé à s'y installer. Cela n'est pas très productif en matière de revenus fiscaux.

Voilà la preuve chiffrée que l'expression bien connue d'un président socialiste français : «Trop d'impôts tue l'impôt.» est chaque jour vérifiée.

Le chômage est, vous avez raison, la plus cruelle des injustices sociales. Notre groupe est très sensible aux drames frappant les femmes et les hommes qui en sont victimes. Mais la seule solution pour résoudre ce problème, contrairement à ce qui a été dit ici ce soir, est de créer des conditions-cadres, permettant la croissance des entreprises existantes et qui soient suffisamment attractives et compétitives pour en attirer de nouvelles à Genève.

En effet, selon une étude de l'Institut CREA, 85% des postes de travail créés en Suisse le sont pas des entreprises de moins de cent employés et une grande partie de ces derniers par de nouvelles entreprises. C'est ce que vous dites dans votre initiative.

Malheureusement, l'ensemble du problème réside dans la faiblesse de la conjoncture. La durée de vie de ces nouvelles entreprises est beaucoup trop courte car elles sont sensibles aux conditions extérieures, donc plus fragiles que les anciennes. Vous ne devez pas oublier dans ce raisonnement que, si elles sont fragiles face aux conditions extérieures, c'est que souvent elles ont découvert des niches économiques de sous-traitance pour de grosses entreprises qui, lorsque la conjoncture faiblit, ou parce que leur compétitivité diminue, assument l'entité de leur production afin de faire des économies.

L'idée d'affaiblir les grandes entreprises n'est pas productive et il est fondamental de comprendre que toutes les dispositions législatives qui affaibliraient encore plus les PME sont des propositions qui peuvent être qualifiées de suicidaires, aussi louable que soit l'idée qu'elles prétendent défendre.

C'est pour toutes ces raisons que nous demanderons à la commission fiscale d'être très attentive aux effets pervers de ces initiatives, de ne pas nous laisser abuser par les titres accrocheurs qui leur ont été donnés et de leur réserver le sort qu'elles méritent, c'est-à-dire un préavis négatif de notre parlement. C'est d'ailleurs la proposition que nous a faite le Conseil d'Etat, sous réserve d'un contreprojet éventuel pour l'une des deux.

En conclusion, ces deux excellents rapports sont bien documentés. Et la petite note cocasse, après la prise de position du PDC ce soir, c'est que ces deux rapports sont signés par un futur député de l'Alliance de gauche !

Mme Claire Chalut (AdG). Je suis assez troublée de ce que j'entends. Lorsque l'on parle d'exode d'entreprises, on se garde de dire que beaucoup d'entreprises ne partent pas uniquement dans le canton de Vaud, mais dans le canton de Fribourg ou ailleurs en Suisse. On se rend aussi bien compte que de très grandes entreprises préfèrent s'en aller pour raison de profit aussi. On oublie de dire aussi que, par exemple, elles s'installent aux Philippines ou dans d'autres endroits, là où les gens sont payés avec un bol de riz, et encore... là où la misère est exploitable sans avoir besoin de s'embarrasser de trop de scupules... Cela me laisse songeuse. Pourquoi n'en parlez-vous pas ?

D'autre part, je me demande s'il est «indigent» de poser ici la question de la fiscalité, car en fait le problème est là : vous vous montrez très chatouilleux là-dessus ! J'ai observé cette constance depuis toujours : lorsque l'on prononce le mot de «fiscalité», cela vous met les pieds en «choux-fleurs» ! Cela vous est insupportable ! (Grands éclats de rires de toute l'assemblée.)

Malheureusement, je ne trouve pas cela très drôle. Je suis parfaitement indignée, surtout à la suite de l'intervention de M. Kunz qui, lui au moins, a la franchise d'être clair sur ce qu'il pense réellement. Je résume. Pour lui, il y a ceux qui gagnent... «Genève gagne»... A mon avis, Genève ne gagne justement pas grand-chose. A côté de ceux qui gagnent, il y a aussi ceux qu'on laisse au bord de la route ; tant pis pour eux, ils survivront ! Je m'arrête là car vous vous montrez parfaitement indignes face à tout cela. (Mme Chalut s'emporte quelque peu.) Vous ne tenez absolument pas compte de la dignité des personnes qui sont dans cette situation. Si je m'énerve un tout petit peu, c'est parce que je suis assez émue.

Mme Christine Sayegh (S). Le groupe socialiste soutient l'initiative 102 qui propose de prélever un impôt, non pas sur la fortune mais sur le montant imposable, supérieur à un demi-million, pour constituer un fonds de solidarité.

Le Conseil d'Etat, qui a conclu à la recevabilité de cette initiative, propose il est vrai son rejet sur le fond, mais admet que les questions soulevées sont intéressantes et se réserve la possibilité de faire un contreprojet.

Nous aurons donc, dès la connaissance du rapport de la commission législative, la possibilité de renvoyer cette initiative à la commission compétente, soit la commission fiscale, et d'entendre les propositions du Conseil d'Etat.

Toutefois, il me semble prématuré d'aller très avant dans le débat de préconsultation, puisque lors des travaux sur le nouveau droit de l'initiative, le but du rapport de préconsultation du Conseil d'Etat était avant tout destiné aux initiants eux-mêmes qui pouvaient ainsi décider de maintenir ou de retirer leurs initiatives, puisque, comme vous le savez, les initiatives doivent maintenant être obligatoirement munies de la clause de retrait. Vous pourrez relire cela dans le rapport de mon collègue, M. Lachat, dans le Mémorial N° 41 à la page 5052.

Toutefois, je précise que le principal reproche que fait le Conseil d'Etat à cette initiative est que l'impôt serait prélevé sur les fortunes et qu'il serait affecté. Or, en l'espèce, l'affectation est plutôt large, vous en conviendrez, puisqu'il est affecté à des dépenses de solidarité en priorité et pas exclusivement dans les domaines de l'aide aux personnes âgées, aux chômeurs, humanitaires, de la construction HBM et de l'extension des transports publics. Ce qui permet d'ailleurs au Conseil d'Etat d'émettre quelques doutes quant à l'exécution de cette initiative législative mais qui donne un bémol pertinent à cette notion d'affectation.

La crainte du Conseil d'Etat de voir l'exode des fortunés vers d'autres cantons n'est pas fondée. En tout cas, ce dernier n'est pas préoccupé par cette crainte lorsqu'il décide d'augmenter des taxes personnelles ou communales. Ainsi, la proposition de taxer les fortunes imposables de plus d'un demi-million en faveur d'actions de solidarité au sens de l'initiative est tout à fait supportable et admissible. D'ailleurs, le Conseil d'Etat ne nie pas complètement ce fait puisqu'il prévoit de proposer un contreprojet que nous aurons, j'espère, très bientôt le plaisir d'étudier en commission.

Cette initiative ainsi que le rapport du Conseil d'Etat sont renvoyés à la commission fiscale.