Séance du jeudi 16 décembre 1993 à 17h
53e législature - 1re année - 2e session - 46e séance

M 870-A
13. Rapport de la commission de l'économie chargée d'étudier la proposition de motion de Mmes et MM. Jacques-André Schneider, Vesca Olsommer, Andreas Saurer et Gabrielle Maulini-Dreyfus : Et si l'on prêtait aux chômeurs ? ( -) M870
 Mémorial 1993 : Développée, 4782. Commission, 4797.
Rapport de M. Claude Blanc (DC) commission de l'économie

La commission de l'économie a étudié le projet de motion déposé par Mmes et MM. J.-A. Schneider, V. Olsommer, A. Saurer et G. Maulini-Dreyfuss au cours de ses séances des 4, 11 et 18 octobre 1993 tenues sous la présidence de M. Jacques Torrent, en présence de MM. J.-Ph. Maitre, conseiller d'Etat, Manghardt, secrétaire général du département de l'économie publique (DEP), Berger, secrétaire adjoint du DEP, Thiébaud, directeur de l'office cantonal de l'emploi, Karcher, adjoint de direction et Graf, directeur de l'autorité cantonale de recours en matière de chômage.

Travaux de la commission

Rappelons tout d'abord l'objectif du projet de motion qui invite le Conseil d'Etat à procéder à une étude de faisabilité sur la création de systèmes de crédits destinés aux entrepreneurs qui sont au chômage et aux groupes d'entraide qui souhaitent créer des entreprises et qui ne peuvent accéder aux crédits usuels des banques et des organismes de cautionnement mutuels, destinés à la création d'emplois dans les services locaux, par des micro-entreprises à faible capitalisation ; à établir, sur cette base, un rapport contenant des propositions concrètes ouvrant des perspectives de création d'emplois aux acteurs de la vie économique et sociale.

Auditions

Le 4 octobre, la commission a entendu MM. Genecand, président, et Huguelet, directeur de l'office genevois de cautionnement mutuel dont le but est précisément de cautionner des prêts jusqu'à concurrence de 500'000 F en faveur des PME, artisans et commerçants désirant créer, rénover ou développer leurs entreprises.

M. Genecand précise que l'OGCM a été intéressé par ce projet de motion. Il constate qu'elle s'adresse surtout à des petites affaires ne demandant pas de gros investissements. Il estime que son organisation pourrait jouer un rôle de conseiller technique pour l'appréciation de la viabilité des projets. Il pourrait aussi assurer un certain suivi des projets. L'OGCM pourrait donc être disponible pour des études, mais ne pourrait aller au-delà de conseils techniques et de soutien logistique.

M. Genecand déplore au passage que les banques ne fassent pas de différence de taux entre les crédits commerciaux non garantis et les crédits garantis par l'OGCM.

Le 11 octobre, la commission a entendu MM. Martin et Wawre représentant l'équipe Adiatus Genève-La Côte.

L'équipe Adiatus est composée d'anciens cadres bien connus dans les milieux économiques, industriels et financiers de la région. Ils proposent leurs services non rétribués pour l'étude de problème d'entreprises. M. Martin déclare à la commission que dans le cas soulevé par ce projet de motion, Adiatus pourrait travailler à la constitution d'une fondation ayant pour but de financer des projets de chômeurs désirant s'établir à leur compte.

Cette fondation devrait disposer d'un capital d'environ 1 million et de 100'000 F de frais de roulement pour les frais d'agencement, de locaux et de secrétariat. Il faudrait aussi que la première année au moins l'Etat puisse se porter garant d'une partie des engagements annuels. M. Wawre fait mention des contacts qu'il a déjà pu prendre avec les banques qui ont accueilli ce projet dans un esprit positif et qui seraient disposées à collaborer.

La commission a reçu ensuite l'association de défense des chômeurs représentée par Mme Bolay-Cruz et MM. Muller et Bonferroni.

Mme Bolay-Cruz signale que l'association a créé une commission d'entreprise chargée de conseiller et d'aider les chômeurs désireux de créer leur propre entreprise. M. Muller mentionne également la création, grâce au soutien de l'association et avec l'aide de l'office cantonal de l'emploi, d'un service de repas à domicile.

Conclusion

La commission a constaté que les diverses auditions ont montré quelques pistes de travail possibles et intéressantes.

Quelques députés expriment néanmoins leurs réticences à l'égard d'un projet qui pourrait favoriser des types d'emplois peu qualifiés, voire même du travail au noir, et risquant de faire concurrence aux entreprises établies.

D'autres se disent convaincus qu'il appartient au secteur privé de s'engager dans un système de prêts aux petites entreprises.

Néanmoins, ce projet a le mérite d'aborder les problèmes du chômage sous un autre angle que celui de l'indemnisation. M. Maitre propose donc que le parlement se prononce sur cette motion en la formulant d'une manière plus générale, demandant au Conseil d'Etat de lui faire rapport sur les possibilités qu'ont les chômeurs de créer leur propre entreprise et sur l'information qui pourrait leur être donnée.

En résumé, la commission accepte l'entrée en matière par 11 voix et 3 abstentions (2 lib., 1 peg.) et par 12 voix et 2 abstentions (lib.) elle remplace les 2 invites par les 2 suivantes : «invite le Conseil d'Etat : à faire un rapport sur les possibilités qu'ont les chômeurs de créer des petites entreprises ; à faire en sorte que les chômeurs intéressés puissent avoir connaissance de ces possibilités.»

La commission vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à la suivre dans ses conclusions et à voter le projet de motion ainsi modifié.

Débat

M. Max Schneider (Ve). En lisant le rapport de notre collègue Blanc, j'ai eu l'impression que le Grand Conseil était en retard d'une réflexion concernant cette motion.

En effet, la commission européenne, par la voix de son président, M. Jacques Delors, a présenté son livre blanc sur l'emploi et a bien précisé, pour tous ceux qui prônent la formation de l'Europe, que ces petits emplois de proximité sont une piste pour l'avenir dans le domaine de la création de nouveaux emplois.

Une part importante de cet ouvrage est consacrée aux emplois de proximité, donc la création de petites entreprises soit commerciales, soit destinées au secteur de la santé. Par exemple, dans le développement de la solidarité envers les personnes âgées, dans le secteur de la santé ou pour des emplois concernant la défense de l'environnement. Dans ce livre blanc de la Communauté européenne, on cite de nombreuses expériences ayant eu lieu, notamment en France, en Allemagne et en Angleterre. Il est sorti voilà quelques semaines, bien après que cette motion eut été déposée par le groupe écologiste.

A la page 7, où l'on parle d'expériences en Europe mais aussi dans des pays du tiers-monde, on dit aussi qu'une grande partie des projets de développement ne sont plus des «mégaprojets» mais, bien au contraire, des petits projets, une multitude de petits projets qui permettent de créer des emplois.

Comme le citait la Grameen Bank, un professeur d'économie du Bangladesh était, lui aussi, convaincu que l'on peut grignoter le chômage en tentant de créer autant de micro-entreprises qu'il y a de chômeurs. Par rapport à tout ce qui se fait en Europe et dans le reste du monde, il serait dommage de refuser d'entrer en matière sur la question du chômage. Il faut étudier des pistes concrètes pour l'aide à la création d'entreprises. Une simple information ne suffit pas.

L'Office genevois de cautionnement mutuel est très actif. Il reçoit, de la part des banques, un prêt à un taux inférieur de 1% à celui des crédits commerciaux. Ensuite, il prête à ceux qui veulent créer une petite entreprise ou à des artisans déjà établis à un taux de 0,5% plus élevé que celui des taux de crédits commerciaux pratiqués actuellement.

Dans les années 70, ainsi qu'il y a deux ou trois ans, ces taux étaient montés à 9,5%, voire à 10%. Malheureusement, bien des entreprises n'ont pas pu supporter cette charge due aux taux très élevés et ont fait faillite. Aujourd'hui, les taux hypothécaires sont à la baisse. Ils avoisinent les 5 à 5,5% et ceux des crédits commerciaux les 6,5%.

L'idée de cette motion n'est pas de demander à l'Etat de fixer des taux plus fiables, ni de les descendre ou de les subventionner, mais plutôt de l'encourager à faire des études pour que des chômeurs en fin de droit, qui ont envie de prendre leur destin en main en créant leur micro-entreprise, puissent le faire en s'appuyant sur les structures déjà préparées par le département de l'économie publique et s'adresser à l'Office genevois de cautionnement mutuel ou à d'autres services de la société civile pouvant être mis en place.

Il est certain que l'Etat doit cautionner les études. Par contre, on ne lui demande pas d'assistance financière pour créer ces petites entreprises. Certes, des cours de formation ou d'autres appuis logistiques devront être mis en place, mais on ne demande ni la réduction des taux d'intérêt pour ces petites entreprises, ni d'argent à l'Etat pour créer ces nouveaux emplois.

On pourrait souhaiter de la part des banques - comme le demande M. Genecand, président de l'Office genevois de cautionnement mutuel - qu'elles pratiquent un taux d'intérêt situé entre le taux hypothécaire et celui des crédits commerciaux, c'est-à-dire que la différence soit de plus d'un pour-cent, et qu'elles cautionnent ces nouveaux crédits en gardant cette référence pour la création de ces nouvelles petites entreprises.

Naturellement, le groupe écologiste appuiera cette motion en priant expressément le Conseil d'Etat de nous informer des possibilités réelles, mais également de faire une étude sur les programmes-cadres que l'on pourrait mettre en place en vue de la création de petites entreprises à Genève en utilisant les taux actuels les plus proches, si possible, du taux hypothécaire.

M. Claude Blanc (PDC), rapporteur. M. Schneider fait une certaine confusion lorsqu'il dit, au début de son exposé, que l'Office genevois de cautionnement mutuel emprunte aux banques pour prêter ensuite aux entreprises. Ce n'est pas le cas et il l'a mieux compris, semble-t-il, lorsqu'il a précisé que l'Office genevois de cautionnement mutuel se bornait à cautionner auprès des banques les prêts pouvant être attribués à des entreprises désirant se créer, se développer ou se réformer.

Il me semble que vous faites aussi une confusion, Monsieur Schneider, au sujet de la volonté de la commission. Comme j'ai tenté de l'expliquer dans mon rapport, toutes les auditions que nous avons entendues nous ont amenés à penser que la piste que vous ouvrez dans cette motion mérite d'être suivie, mais qu'on ne peut pas voter la motion telle que vous l'avez conçue, sans autre, car elle demande carrément de créer des systèmes de crédit. Or, nous n'en sommes pas encore là.

A la fin de nos auditions, les commissaires se demandaient quelle direction prendre pour être utiles. Or, M. Maitre, représentant du Conseil d'Etat, nous a demandé de lui laisser un peu de temps, ainsi qu'au Conseil d'Etat, de voter cette motion et de faire une étude sur les possibilités réelles de donner des informations afin de lui permettre de revenir avec des propositions concrètes.

C'est sur la suggestion de M. Maitre que la commission a modifié l'invite, en ayant la garantie de sa part qu'il allait empoigner le problème et nous faire peut-être des propositions réalistes. Voilà l'esprit dans lequel nous avons voté cette invite à la quasi-unanimité. Je vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, d'en faire de même.

M. Max Schneider (Ve). Je remercie M. Blanc pour sa précision. Non seulement un rapport sera fait mais également une étude. Je vous prie de m'excuser si je me suis mal exprimé.

Il est clair que les banques ont investi ou investissent dans l'Office cantonal de cautionnement mutuel. En Suisse, l'Office cantonal investit également puisque les sommes d'investissements représentent 12 millions environ aujourd'hui et qu'il possède des fonds propres d'une valeur d'environ 3 millions.

Cet Office de cautionnement est un outil formidable, mais il est bien clair qu'en Suisse - et vous avez raison, Monsieur Blanc - ce sont les banques qui prêtent directement aux nouvelles entreprises et que l'Office de cautionnement est là au cas où il y aurait des problèmes, notamment des faillites.

M. Pierre Meyll (T). Nous avons examiné cette motion dans le cadre de la commission de l'économie et nous nous sommes aperçu que ce qui était demandé par le groupe écologiste ne pouvait pas avoir de réalisation immédiate. Cela ressemblait trop au genre «petits boulots» et manquait de sérieux.

Nous sommes arrivés à la conclusion que l'Etat devait organiser les différents services susceptibles d'aider les chômeurs à devenir des entrepreneurs.

Il s'est avéré que l'Office genevois de cautionnement avait certaines difficultés à aider des petites entreprises. Autrefois, les taux accordés sous caution de l'Office de cautionnement étaient intéressants. En effet, les banques nous prêtait de l'argent à 5% et l'Office de cautionnement pouvait obtenir un prêt à 4%, cela faisait une différence de 25%. Aujourd'hui, on pratique des taux d'environ 10% et on parvient à des différences très faibles concernant le pourcentage. C'est la raison pour laquelle l'Office de cautionnement est totalement désarmé face à de toutes petites entreprises qui sont trop chargées par les intérêts bancaires.

Nous avons demandé au conseiller d'Etat Jean-Philippe Maitre d'intervenir dans certains cas pour que les banques pratiquent tout de même une forme d'escompte car l'Office de cautionnement prend tous les risques.

Mise aux voix, cette motion est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

MOTION

«Et si l'on prêtait aussi aux chômeurs»?

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

 que le chômage s'aggrave ;

 que les perspectives de reprise de l'emploi en cas de reprise de l'activité économique ne sont pas évidentes ;

 que de nombreuses mesures sont entreprises pour améliorer les prestations de chômage, introduire un revenu minimum d'insertion et d'existence, prévenir le chômage en donnant une formation aux chômeurs ;

 que si ces mesures sont indispensables, l'expérience de pays européens voisins avec le chômage de longue durée montre qu'elles n'ont pas d'effet palliatif en ce qui concerne la diminution d'emplois ;

 qu'il existe de nombreux besoins non satisfaits, notamment pour ce qui a trait aux emplois dans les services ;

 que ces emplois peuvent être créés sans investissements majeurs ;

 que cela implique, en sus de l'assistance accordée aux chômeurs, la prise de responsabilité de tous les acteurs de la vie sociale économique pour inciter à la création de tels emplois ;

 que l'une des voies ouvertes à cette prise de responsabilité est l'octroi de prêts aux personnes exclues du marché du travail afin de développer de nouveaux emplois ;

 que cela présuppose la création d'institutions de crédits capables d'exercer une activité en faveur des personnes exclues et au chômage, afin de leur permettre de prendre des responsabilités dans la création d'emplois pour eux-mêmes et pour d'autres,

invite le Conseil d'Etat

 à faire un rapport sur les possibilités qu'ont les chômeurs de créer de petites entreprises ;

 à faire en sorte que les chômeurs intéressés puissent avoir connaissance de ces possibilités.