Séance du lundi 6 décembre 1993 à 17h
53e législature - 1re année - 2e session - 45e séance

No 45

 MÉMORIAL

DES SÉANCES DU

GRAND CONSEIL

53e LÉGISLATURE

Lundi 6 décembre 1993,

soir

en la cathédrale Saint-Pierre

Présidence:

M. Hervé Burdet,président

La séance est ouverte à 17 h, à Saint-Pierre.

Prennent place sur le podium :

M. Claude Haegi, président du Conseil d'Etat, conseiller d'Etat chargé du département de l'intérieur, de l'environnement et des affaires régionales;

M. Olivier Vodoz, vice-président du Conseil d'Etat, conseiller d'Etat chargé du département des finances;

M. Jean-Philippe Maître, conseiller d'Etat chargé du département de l'économie publique;

M. Guy-Olivier Segond, conseiller d'Etat chargé du département de l'action sociale et de la santé;

M. Philippe Joye, conseiller d'ETat chargé du département des travaux publics et de l'énergie;

M. M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat chargé du département de justice et police et des transports;

Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat chargée du département de l'instruction publique.

M. Hervé Burdet, président du Grand Conseil;

Mme Françoise Saudan, première vice-présidente du Grand Conseil;

M. Philippe Schaller, deuxième vice-président du Grand Conseil;

Mme Fabienne Blanc-Kühn, secrétaire du Grand Conseil;

Mme Liliane Johner, secrétaire du Grand Conseil;

M. Pierre Stoller, sautier du Conseil d'Etat et du Grand Conseil;

Mme Bernadette Bolay-Dard, mémorialiste du Grand Conseil.

M. Pierre-Yves Demeule, président de la Cour de justice;

M. Alain Zwahlen, président de la Cour de cassation;

M. Yves Grandjean, président du Tribunal administratif;

M. Pierre-Herbert Engel, président du Tribunal des conflits;

Mme Renate Pfister-Liechti, présidente du Tribunal de première instance et de police;

M. André Dunant, président du Tribunal de la jeunesse;

M. Pierre Marquis, président du collège des juges d'instruction;

M. Roger Dami, président de la Chambre des tutelles et de la justice de paix;

M. Laurent Walpen, chef de la police;

M. Raphaël Rebord, commissaire de police;

M. Urs Rechsteiner, commissaire de police;

M. Roger Dami, président de la Chambre des tutelles et de la justice de paix;

Prennent place au pied du podium:

M. Guy Baer, commandant de la gendarmerie

M. Jean-Pierre Eclade, capitaine de gendarmerie

M. Hugues Pochon, capitaine de gendarmerie.

(A l'orgue, pendant l'entrée du Conseil d'Etat et jusqu'à ce que toutes les personnes prenant place sur le podium soient installées, «Toccata et fugue en ré mineur» de Jean-Sébastien Bach.)

1. Exhortation.

Le président. Je prie l'assistance de bien vouloir se lever.

Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.

Veuillez vous asseoir !

Ont fait excuser leur absence : Mme Sabine Haupt Secrétan et M. Laurent Rebeaud, députés.

2. Appel nominal des députés.

Le président. Je prie Madame la secrétaire de procéder à l'appel nominal des députés présents :

Bernard Annen (L)

Michel Balestra (L)

Florian Barro (L)

Luc Barthassat (DC)

Claude Basset (L)

Roger Beer (R)

Dominique Belli (R)

Janine Berberat (L)

Claude Blanc (DC)

Fabienne Blanc-Kühn (S)

Nicolas Brunschwig (L)

Thomas Büchi (R)

Fabienne Bugnon (E)

Hervé Burdet (L)

Micheline Calmy-Rey (S)

Pierre-Alain Champod (S)

Sylvie Châtelain (S)

Anne Chevalley (L)

Hervé Dessimoz (R)

Jean-Claude Dessuet (L)

Daniel Ducommun (R)

Pierre Ducrest (L)

Jean-Luc Ducret (DC)

Michel Ducret (R)

John Dupraz (R)

Laurette Dupuis (AG)

Henri Duvillard (DC)

Catherine Fatio (L)

Bénédict Fontanet (DC)

Pierre Froidevaux (R)

Jean-Pierre Gardiol (L)

Jean-Claude Genecand (DC)

Mireille Gossauer-Zurcher (S)

Henri Gougler (L)

Isabelle Graf (E)

Nelly Guichard (DC)

Janine Hagmann (L)

Michel Halpérin (L)

Elisabeth Häusermann (R)

Claude Howald (L)

Yvonne Humbert (L)

Liliane Johner (AG)

René Koechlin (L)

Pierre Kunz (R)

Claude Lacour (L)

Bernard Lescaze (R)

Sylvia Leuenberger (E)

Armand Lombard (L)

René Longet (S)

Olivier Lorenzini (DC)

Pierre Marti (DC)

Michèle Mascherpa (L)

Alain Mauris (L)

Liliane Maury Pasquier (S)

Jean Montessuit (DC)

Geneviève Mottet-Durand (L)

Laurent Moutinot (S)

Chaïm Nissim (E)

Jean Opériol (DC)

Barbara Polla (L)

David Revaclier (R)

Martine Roset (DC)

Maria Roth-Bernasconi (S)

Françoise Saudan (R)

Andreas Saurer (E)

Philippe Schaller (DC)

Max Schneider (E)

Micheline Spoerri (L)

Jean-Philippe de Tolédo (R)

Claire Torracinta-Pache (S)

Pierre-François Unger (DC)

Olivier Vaucher (L)

Nicolas Von der Weid (L)

Michèle Wavre (R)

Le président. Nous passons le point 3 de l'ordre du jour - les quatre députés devant encore prêter serment n'étant pas là - et nous abordons le point 4 de l'ordre du jour.

3. Discours du président du Grand Conseil.

Le président.

« Dieu tout-puissant, protecteur de cette République, nous implorons sur elle et sur nous ta bienveillance paternelle.

« Bénis nos délibérations,

« Ecartes-en les pressions dangereuses,

« Fais servir nos travaux à l'avancement de ton règne, comme au bien de cette patrie qui nous a confié ses destinées.

« Seigneur, que sa félicité soit toujours notre but et notre récompense.»

Mesdames et Messieurs les députés,

Comme mon prédécesseur, il y a quatre ans, je souhaite renouer avec la tradition, vieille de trois ou de quatre cents ans, qui voulait qu'autrefois les séances du Grand Conseil débutent par cette exhortation.

Elle exprime, à l'image des plantes, et c'est un botaniste qui vous dit sa conviction, que l'être humain ne peut croître et prospérer que si ses racines sont profondes et solides.

Notre présence à Saint-Pierre doit ainsi nous faire prendre conscience de la continuité dans laquelle s'inscrit notre action. Dans leur sagesse, les pères de la constitution de notre République «moderne» ont voulu que ses serviteurs, investis de la tâche politique la plus haute, viennent prêter serment en ce lieu imprégné des prières de plus de soixante générations de croyants, dont la trace concrète est savamment préservée sous nos pieds. Nos ancêtres ont voulu que leurs élus viennent vérifier leur foi et placer leur engagement sous la protection de la Providence ou - sensibilité différente - sous celle de la force vitale qui les anime.

Je renonce en revanche à vous infliger, selon une tradition aujourd'hui bien vieillie, la longue litanie des travaux du Grand Conseil et de ses commissions au fil de la législature écoulée. Vous ne doutez pas, j'en suis sûr, que nous avons tous bien travaillé. Vous trouverez le détail de cette abondante activité parlementaire dans notre «Mémorial du Grand Conseil».

Les remerciements de nos concitoyennes et concitoyens, ainsi que les nôtres - ceux des députés au Grand Conseil qui les ont côtoyés, soutenus et parfois combattus pour leurs idées - s'adressent aux trois conseillers d'Etat qui quittent leurs fonctions aujourd'hui : MM. Dominique Föllmi, Christian Grobet et Bernard Ziegler. Ces trois magistrats ont accompli leur mission au sein du gouvernement avec dévouement et compétence. Nous leur exprimons ici solennellement la gratitude de la République.

Si l'Histoire ne se répète pas, Mesdames et Messieurs les députés, elle a parfois de curieuses coïncidences. Le 6 décembre 1992, le peuple genevois, fort de son expérience et de sa confiance en soi, avait choisi de se rapprocher de l'Europe avec laquelle il entretient depuis toujours des liens économiques, culturels et politiques sans doute plus étroits que bien d'autres cantons suisses.

La démocratie helvétique n'a pas permis que cela fût.

Un an plus tard, aujourd'hui, jour pour jour, dans un mouvement tout aussi historique, une large majorité de Genève, maîtrisant seule son destin, confirme à ses nouveaux magistrats, en venant prendre acte de leur serment, dans ce temple populaire et sacré, que la République a décidé de vous confier ses destinées, Madame et Messieurs les Conseillers d'Etat. Genève manifeste ainsi une attente et des besoins à la mesure du défi sans précédent que vous avez déjà commencé à affronter, sans plus tergiverser.

Chacune des générations qui nous ont précédés a dû faire face à son changement. En cela, nous ne sommes pas différents. Mais autrefois, l'évolution se faisait en douceur, imperceptiblement. Nos parents avaient le temps de l'absorber et de l'assimiler, de sorte que l'on pouvait parler de changement dans la continuité. Les points de repères étaient solides, les références claires et l'on pouvait faire des prévisions sans risquer de trop se tromper.

Certes, une guerre, une épidémie venaient parfois troubler la quiétude, mais, une fois l'orage passé, le cours des choses reprenait comme avant et l'oubli venait bientôt effacer toutes traces de l'événement malheureux.

Aujourd'hui, nous sommes confrontés à un bouleversement tel que nos parents n'en ont pas connu. Ce bouleversement est caractérisé par quatre facteurs que l'homme déteste parce qu'il n'y est pas préparé et qui exigent de lui l'application de sa plus précieuse faculté: sa capacité d'adaptation, c'est-à-dire son intelligence.

Ces quatre facteurs sont :

le temps,

la rupture,

la complexité,

et la simultanéité.

Le temps :

Mesdames et Messieurs, c'est un truisme, le temps s'écoule de plus en plus rapidement. Bien sûr que les 24 heures ont toujours la même durée, mais on accomplit de plus en plus de choses en moins en moins de temps. Aussi longtemps que l'homme s'était contenté de prolonger ses muscles par des outils, il a conservé, dans une large mesure, la maîtrise de son temps. Le jour où il s'est mis à prolonger son cerveau par la technologie électronique, c'est elle désormais qui lui dicte son rythme.

La rupture :

L'évolution lente fait place à de brutales ruptures. Ce qui est vrai aujourd'hui ne l'est plus demain. Rupture entre les hommes - ceux d'ici et ceux de là-bas - entre les nantis et les démunis, entre les jeunes et les vieux, entre le Nord et le Sud, entre les modes de vie même.

Ce phénomène est attesté, tant par nos anciens, bornes vénérables dont notre société moderne semble bien à tort vouloir faire fi, que par les spécialistes éminents, sociologues et politologues, qui en permanence, observent, analysent et étudient notre société pour tenter de catégoriser nos comportements.

La complexité :

Chaque problème comporte tant de paramètres qu'il devient impossible de les appréhender tous dans leur globalité. Nous prenons conscience de l'interdépendance des choses. Une solution heureuse à première vue peut s'avérer avoir des conséquences fâcheuses à plus long terme.

«Un papillon qui bat des ailes au Népal, et c'est un ouragan dans les Caraïbes.»

La simultanéité :

Il semble que tous les problèmes nous assaillent en même temps: la conjoncture affaiblie, les entreprises qui périclitent, le chômage, la drogue, le sida, les maladies dégénératives, les réfugiés qui affluent, la pollution qui augmente, le vieillissement de la population, etc., et j'en passe...

Dans ces conditions, Mesdames et Messieurs, prévoir, donc gouverner, est devenu plus difficile que jamais. Les vieilles recettes ne fonctionnent plus. Alors que faut-il faire ?

Tout d'abord, le message exprimé par la population genevoise est très clair :

Si difficile que cela soit, Genève veut être gouvernée. Elle s'est choisi un gouvernement homogène pour y parvenir.

Après Sénèque, repris par Guillaume d'Orange, campé sur notre Mur des Réformateurs, Genève vient d'affirmer que :

«Il n'y a pas de bon vent pour qui ne sait où il va.»

Pour gouverner il faut du temps et comme le temps a rétréci, faisons-en meilleur usage. Sachons le consacrer aux tâches primordiales en distinguant l'essentiel de l'accessoire, sans se perdre dans les détails, en supprimant vaines palabres, affrontements personnels usants et querelles partisanes stériles.

Nous ne pourrons pas, à nous seuls, politiciens, changer notre société. Mais il est clair que si les uns contre les autres nous nous mettons aux deux bouts de la corde à tirer en sens contraire, il y aura rupture. Tirons donc ensemble dans la même direction pour que nos forces, au lieu de s'annuler, s'additionnent.

Là où il y a rigidité, il faut de la flexibilité,

Là où il y a affrontement, il faut de la concertation,

Là où il y a individualisme, il faut plus de solidarité.

Je sais, Madame et Messieurs les conseillers d'Etat, que vous avez à coeur le bien-être de toutes les Genevoises et de tous les Genevois et que vous ne vous sentez pas seulement redevables à celles et à ceux qui vous ont élus mais à l'ensemble de la population de notre République. C'est donc véritablement un contrat de solidarité que vous allez passer avec toutes les citoyennes et tous les citoyens de ce canton, pour que notre société ne devienne pas, comme on dit, «à deux vitesses», avec les conséquences sociales dramatiques que l'on commence à mieux connaître, et dont on souffre même déjà.

Pour faire face à la complexité et à la simultanéité des problèmes, il faut du courage et de l'humilité, de la persévérance et de la souplesse. Vous avez montré, Madame et Messieurs les conseillers d'Etat, que vous possédez ces qualités, dans les fonctions que vous occupiez précédemment, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur du gouvernement.

 En chinois, l'idéogramme qui signifie «crise» veut également dire, paraît-il, «chance» ou «opportunité». Et il est vrai que c'est en période de crise et de tension que souvent l'homme, faisant preuve d'une force de caractère insoupçonnée, se développe. Saisissons donc cette occasion pour tout remettre en question, à commencer par nous-mêmes. Osons arpenter des voies inexplorées. Sachons inventer des formules originales. En raison de sa taille, Genève peut tenter des expériences nouvelles qui pourraient être ensuite réalisées à l'échelon national, dans le domaine social par exemple.

Ayons de l'imagination, demandons-nous ce que nous voulons que soit Genève dans 20, 30, 50 ans. Créons une vision à laquelle toutes les Genevoises et tous les Genevois puissent s'identifier et consacrons toutes nos forces à sa réalisation. Ce ne sera certes pas un exercice facile, mais le moment n'a sans doute jamais été aussi propice.

Genève dispose d'atouts considérables. Au lieu de nous complaire dans la morosité, il faut en être conscient et en tirer profit. Nous avons tous découvert, au cours de la campagne «Genève gagne» qui va se terminer, l'une ou l'autre des facettes de notre canton que nous ignorions.

- La Genève internationale qui a tissé des liens avec le monde entier et grâce à qui nous jouissons d'une notoriété sans commune mesure avec la taille de notre région.

- La Genève agricole et viticole qui offre en abondance des produits de très grande qualité.

- La Genève industrielle dont le savoir-faire est reconnu partout et qui contribue largement à la prospérité de notre canton en exportant dans le monde entier.

- La Genève des services, entre autres bancaires, de réputation internationale.

- La Genève culturelle et universitaire dont la vie foisonnante se compare avantageusement à celle de cités bien plus grandes.

Et puis, ceux d'entre nous qui voyagent le savent: une qualité de vie exceptionnelle, des institutions qui fonctionnent et la sécurité. C'est sans aucun doute pour cette raison que, ces derniers mois, des dizaines d'entreprises étrangères sont venues s'établir dans notre canton.

Ces avantages n'ont pas été créés sans efforts, ni rapidement. Ils sont le résultat de dizaines, de centaines d'années de travail intense. Nous devons à nos prédécesseurs, à leurs efforts et à leur clairvoyance, une immense reconnaissance pour l'héritage qu'ils nous ont confié. A nous de le gérer efficacement pour le transmettre intact et solide à nos enfants.

Madame et Messieurs les conseillers d'Etat, Genève ne demande qu'à vous suivre. Je suis certain que vous saurez guider notre cité vers le bien-être modeste et l'avenir ambitieux auxquels elle aspire.

Les attentes de nos concitoyens sont grandes, mais tous, j'en suis sûr, sont prêts à fournir des efforts importants, si vous savez les enthousiasmer et les unir, toutes et tous, pour un projet mobilisateur. Le pessimisme est une affaire d'humeur, dit-on, et l'optimisme une affaire de volonté. Madame et Messieurs les Conseillers d'Etat, c'est au pied du mur que Genève, avec confiance, vous attend..., le mur de Guillaume d'Orange, réformateur et navigateur habile sachant où aller...

(A l'orgue : Largo du Concerto en ré mineur, Vivaldi - Bach.)