Séance du vendredi 5 novembre 1993 à 17h
53e législature - 1re année - 1re session - 41e séance

M 511-A
Motion de Mme et MM. Dominique Ducret, Olivier Vodoz, Claude Fischer et Sylvia Leuenberger concernant la création d'un centre de l'eau (Hydrorama) à Genève. ( -) M511
Mémorial 1988 : Lettres, 3077. Développée, 3456. Lecture, 3534, 3535. Motion, 3550.
M 515-A
Motion de Mme Erica Deuber-Pauli concernant la conservation du bâtiment des forces motrices de la Coulouvrenière. ( -) M515
Mémorial 1988 : Annoncée, 3163. Développée, 3456. Motion, 3552.
Q 2826
b) Réponse à la question écrite de Mme Simone Martin : Quel avenir pour le bâtiment des forces motrices ? ( )Q2826

8. a) Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur les objets suivants:

Dans sa séance du 17 juin 1988, votre Grand Conseil a accepté deux motions portant sur le bâtiment des forces motrices (ci-après BFM) de la Coulouvrenière, qui fait partie des ouvrages de régularisation du niveau du lac Léman et restera en fonction à ce titre jusqu'à la mise en service du barrage du Seujet dans le courant de l'année 1994. Ce bâtiment servait également, grâce à l'utilisation de la force motrice provenant de la chute, de station de pompage pour le réseau d'eau potable des Services industriels de Genève (ci-après SIG) jusqu'à la mise en service récente de la nouvelle station de pompage située à la rue de l'Arquebuse.

Les SIG libéreront définitivement le BFM au cours de l'année 1996 avec la mise en service de leur nouveau centre d'exploitation du Lignon et le bâtiment sera restitué à l'Etat de Genève, conformément aux conditions de la concession du 5 octobre 1973 concédée par l'Etat de Genève aux SIG pour l'exploitation de la force hydraulique du Rhône. Ces deux motions ont la teneur suivante :

MOTION 511

concernant la création d'un centre de l'eau (Hydrorama) à Genève

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

 la nécessité toujours plus impérieuse de susciter dans la population une prise de conscience de l'importance de l'eau douce et des dangers qui la menacent ;

 la place considérable de l'élément aquatique dans l'évolution du pays lémanique en général et à Genève en particulier ;

 la volonté d'information exprimée par le Grand Conseil à l'occasion de l'étude de la motion 231 déposée en juin 1983, par M. Raoul Baehler, Hugues Boillat, Charles Bosson, Pierre Pellegrin, Jean Spielmann et Mme Christiane Schellack-Magnenat (Mémorial du Grand Conseil 1984, p. 4670 et ss.) ;

 la prochaine désaffectation par les Services industriels du bâtiment des forces motrices de la Coulouvrenière ;

 l'importante étude effectuée par l'unité de biologie aquatique de l'université de Genève sur la création d'un centre d'exposition, de documentation, de recherche et d'information dans le bâtiment des forces motrices libéré de sa fonction actuelle,

invite le Conseil d'Etat

 à procéder à une étude attentive de l'avant-projet de l'unité de biologie aquatique de l'université de Genève, en vue de la création d'un centre de l'eau (Hydrorama) dans le bâtiment des forces motrices de la Coulouvrenière lorsque celui-ci sera libéré par les Services industriels et de lui faire rapport sur les conditions de faisabilité d'un tel projet.

MOTION 515

concernant la conservation du bâtiment des forces motricesde la Coulouvrenière

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

 les divers projets d'affectation du bâtiment des forces motrices de la Coulouvrenière ;

 l'intérêt présenté notamment par les projets relatifs aux questions de l'eau, du Rhône et de l'industrie, compatibles avec l'identité historique du bâtiment ;

 les démarches préalables à tout projet de transformation du bâtiment préconisées par les conservateurs du patrimoine architectural et par l'ICOMOS en vue de la sauvegarde de cette identité, des valeurs du bâtiment et des installations qui fondent la volonté de conservation exprimée par le Conseil d'Etat ;

 le démontage actuel des pompes,

invite le Conseil d'Etat

 à procéder à l'inventaire historique et culturel et à l'analyse du bâtiment et de ses installations, de même qu'à l'étude des conséquences sur leur conservation des éventuelles modifications qui seraient rendues nécessaires par des projets pris en considération. A recourir à cette fin à des experts dans le domaine de la muséographie comme de la conservation des monuments et des matériaux. A éviter d'engager des projets de transformation avant de disposer desdites études préalables et d'avoir mené les concertations nécessaires.

Il convient tout d'abord de relever que le BFM présente un grand intérêt tant sur le plan architectural que sur le plan historique comme le relèvent les considérants précités. C'est du reste pour ces motifs que ce bâtiment et la parcelle 79 sur laquelle il a été érigé ont été déclarés monuments classés par arrêté du Conseil d'Etat du 27 juillet 1988. En conséquence, il convient de modifier le moins possible ce bâtiment qui comporte deux ailes, et de le maintenir dans son état actuel, sous réserve des travaux liés au réhaussement du plan d'eau résultant de la mise en service du barrage du Seujet et qui sont pris en charge par les crédits de construction de cet ouvrage.

Afin de permettre le passage de l'eau du bras gauche du Rhône à veine libre pour alimenter l'usine du Seujet en cours de construction, les pertuis des quatre groupes situés dans la petite aile ont dû être entièrement transformés.

Signalons que deux groupes turbines-pompes (nos 5 et 6) ont toutefois été conservés à titre de témoins historiques et mis hors d'eau, y compris leur tuyauterie en sous-sol, les vannes et leur commande par moteur hydraulique.

Dans la grande aile, toutes les turbines-pompes ont été évacuées. Les pertuis des groupes de même que les vannes d'entrée sur le bras gauche avec leur commande sont maintenus en l'état. Les vannes qui doivent être conservées pour assurer l'écoulement du bras gauche du Rhône ne seront pas entièrement fermées afin d'assurer la circulation d'eau fraîche dans les sous-sols immergés.

Il en résulte que d'importants espaces seront à disposition dans la grande aile du bâtiment qui sera complètement dégagée, offrant une surface de plancher de plus de 2'000 m2, et dans la petite aile, d'une surface de 900 m2. Malgré l'intérêt du projet de musée préconisé par la motion (M 511), le Conseil d'Etat a décidé de renoncer à celui-ci vu qu'il est mal adapté à la nature de ce bâtiment de surcroît non chauffé qu'il convient de préserver dans sa substance actuelle, sans parler du coût élevé d'aménagement d'un tel musée et des frais de fonctionnement qui en résulteraient, sa prise en charge étant incompatible avec la situation financière actuelle de l'Etat. A noter que la Ville de Genève, a, elle aussi, renoncé à réaliser de nouveaux musées pour les mêmes motifs.

Par contre, l'espace de la grande aile, complété d'une partie importante de la petite aile du BFM, devrait permettre à moindres frais de créer une superbe salle polyvalente en pleine ville, remarquablement bien située, pouvant servir pour des grandes réunions, des kermesses, des banquets, des expositions, à l'exclusion de manifestations bruyantes tels que concerts. Un tel emplacement fait manifestement défaut en ville et le Conseil d'Etat est arrivé à la conclusion qu'une telle affectation, qui n'exige que très peu de travaux, répondrait véritablement à un besoin et constituerait pour notre canton une infrastructure supplémentaire précieuse dans le domaine social et culturel.

Certes, l'utilisation du bâtiment sera réduite pendant la saison froide, bien que l'installation d'aéro-chauffeurs permettrait néanmoins d'envisager son utilisation en certaines occasions durant cette saison.

L'affectation retenue pour le BFM, après consultation du conservateur des monuments, est celle qui paraît la mieux adaptée en regard de la conservation du bâtiment en son état actuel et elle a l'avantage, de plus, de ne pas entraîner de coûteux travaux d'isolation qui seraient de nature à porter atteinte à la substance du bâtiment.

Il convient, enfin, de préciser que le Conseil d'Etat a décidé de mettre en place dans la petite aile une exposition rappelant les aménagements du Rhône exécutés à la fin du siècle dernier et complétés de certains éléments muséographiques, ce qui répond à la préoccupation de ceux qui, à juste titre, souhaiteraient que la fonction de ce bâtiment et les installations qui lui étaient liées soient mises en évidence aux yeux de la population genevoise et du public intéressé.

Débat

Mme Erica Deuber-Pauli (T). Le bâtiment des forces motrices de la Coulouvrenière appartient à l'un des dispositifs urbains les plus passionnants de l'histoire moderne de Genève. La question, lorsque le bâtiment a été construit, remontait loin dans le temps. D'une part, elle était liée aux inondations récurantes des villes riveraines du Léman, dont nos voisins les plus puissants, les seigneurs de Berne, imputaient la cause aux encombrements de l'émissaire du lac à Genève : barrage de la machine, roues et biefs des moulins en particulier. Des plaintes, des conférences diplomatiques, des mesures du débit et les premiers levés du plan d'eau ont accompagné ces inondations.

D'autre part, la question était liée au pompage de l'eau, dont je ne rappelle pas l'histoire, connue de tous, qui remonte à l'installation d'une première machine hydraulique en 1708 en amont du pont de l'Ile. Pendant plusieurs siècles, cette question a animé les débats dans une grande ignorance technologique et scientifique du problème de l'eau. Elle est même à l'origine des grands progrès que les savants genevois ont faits dans ces domaines. Ce n'est qu'au XIXème siècle que la question a pris un tournant juridique et technologique déterminant, notamment avec la création du Tribunal fédéral, quand les riverains du lac ont pu porter plainte devant le Tribunal fédéral et que s'est engagé ce que l'on a appelé «le procès du Léman.» C'est au terme de ce procès, accompagné d'appels d'offres aux écoles polytechniques et de travaux d'ingénieurs dans toute la Suisse, qu'ont été fixés, grâce aux nouvelles technologies, le niveau maximum que pouvait atteindre le lac et les dispositifs technologiques qui devaient permettre de l'évacuer.

On a associé à cette évacuation le pompage de l'eau qui a permis de livrer non seulement de l'eau à domicile pour les habitants, comme l'ancienne machine hydraulique avait commencé à le faire au XIXème siècle, mais également de l'eau sous pression aux industries, ce qui a permis de débarrasser le paysage des rives de ses moulins et d'expatrier les industries à Sécheron, aux Charmilles, au Creux de Saint-Jean ou à Plainpalais. Cette histoire, unique en son genre en Europe, méritait à coup sûr que l'on classe cet édifice parmi les bâtiments très intéressants du patrimoine industriel. Je suis particulièrement satisfaite, et l'Alliance de gauche avec moi, que le département des travaux publics ait résolu de la manière la plus élégante possible la perspective de conservation de ce bâtiment. D'abord en le classant, ensuite en décrétant qu'étant un bâtiment industriel non chauffé, non isolé on ne pourrait pas en faire une enveloppe pour un musée ou pour des affectations trop subtiles et, finalement, en décidant de l'affecter à un espace public couvert destiné à des manifestations et à des fêtes.

Cependant j'aimerais ajouter quelque chose. Ce bâtiment perd toute compréhension en perdant ses machines et en perdant une partie du dispositif qui le lie au lac. Il est donc essentiel d'assurer le souvenir de son utilisation à travers ce mini-musée si évocateur qui est contenu dans le projet, mais aussi en attachant beaucoup de soins à la conservation des équipements qui sont en amont de l'usine. Cette usine, lorsqu'elle a été établie, procédait d'un plan général du Rhône divisé en deux bras par une digue et des vannes de décharge avec un barrage à la Machine, sur le bras droit d'écoulement creusé à cet effet, un bras gauche industriel conduisant aux dix-huit turbines de l'usine de la Coulouvrenière. Avec la disparition de l'écart des plans, cette digue, ces vannes, ce barrage risquent de perdre leur sens. Je voudrais inviter le département des travaux publics à garder en mémoire ces éléments du dispositif qui appartiennent, au même titre que l'usine, au patrimoine industriel et qu'il conviendra de mettre en valeur de la meilleure façon possible

lorsque sera mis en eau le nouveau barrage du Seujet.

M. Christian Grobet, président du Conseil d'Etat. J'aimerais remercier Mme Erica Deuber-Pauli de l'appui qu'elle a donné à la position du Conseil d'Etat. En votre qualité d'historienne de l'art, vous êtes parfaitement qualifiée - vous venez de le démontrer - pour mettre en évidence non seulement l'intérêt de ce bâtiment, mais également l'intérêt que présentait l'ensemble des aménagements réalisés à la fin du siècle dernier pour régulariser le niveau du lac. Il faut bien dire que ces installations étaient quasiment uniques en Europe et, au moment où il s'est agi de construire le barrage du Seujet, remplaçant la régulation qui se faisait au pont de la Machine à «l'huile de coude» - si je peux m'exprimer ainsi - avec les rideaux qu'il fallait lever toutes les nuits à la force humaine, il s'est posé un grave dilemme au département des travaux publics, mis en évidence par la commission des monuments et des sites, à savoir que l'on allait faire disparaître un élément du patrimoine industriel.

Nous avons essayé de limiter la casse et nous avons pris note à l'époque du préavis de la CMNS en maintenant tout ce qui pouvait être maintenu dans le concept nouveau et, notamment dans ce bâtiment des forces motrices, nous avons conservé deux remarquables turbines Escher-Wyss plus que centenaires et qui fonctionnaient encore, il n'y a pas si longtemps, avec une dizaine d'autres pour alimenter le réseau d'eau potable de notre ville. Nous allons, Madame, veiller - et je vous remercie de votre intervention à ce sujet - à ce qu'un certain nombre d'autres éléments, notamment ceux qui doivent faire fonctionner les vannes sous le bâtiment, soient conservés et, par ailleurs, nous allons récupérer certains éléments qui seront exposés dans le bâtiment. Mais nous avons voulu quand même donner un usage à ce bâtiment, et je crois que celui qui a été prévu par le Conseil d'Etat est celui qui permet le mieux de respecter le patrimoine en question tout en créant au centre-ville un lieu assez exceptionnel pour des activités sociales, culturelles et autres à un moment où manque précisément ce type d'équipements. Cela peut se faire à moindre coût et je suis heureux que ce projet puisse se concrétiser.

Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.