Séance du
vendredi 5 novembre 1993 à
17h
53e
législature -
1re
année -
1re
session -
40e
séance
PL 7049
LE GRAND CONSEIL
Décrète ce qui suit:
Article 1
Mission
1 Le canton encourage la vie culturelle dans toute sa diversité.
2 Le canton assure la formation culturelle et soutient la créativité artistique. Il contribue à la pérennité et au renouvellement des valeurs du patrimoine culturel. Il veille au rayonnement culturel de Genève.
3 Le canton favorise l'accès à la culture et veille en particulier à ce que l'expression des minorités et les libertés fondamentales soient garanties.
4 Le canton respecte l'indépendance et la liberté de la création et de l'activité culturelles.
Art. 2
Compétences
1 L'initiative en matière culturelle appartient aux particuliers, aux associations, aux entreprises, aux institutions privées et publiques, à la Ville de Genève, aux communes et au canton.
2 Le canton soutient leurs efforts au titre de la subsidiarité. Il peut prendre des initiatives en matière culturelle, notamment pour des projets d'importance cantonale et en matière de relations intercantonales ou internationales.
3 Le canton favorise la création d'un concept culturel régional, pour permettre notamment la collaboration, la concertation et favoriser les échanges culturels transfrontaliers.
Art. 4
Activités
Le canton accomplit les tâches qui lui sont confiées par la présente loi, notamment:
a) en soutenant la création et l'innovation;
b) en encourageant l'éveil et l'éducation à la culture en particulier chez les jeunes;
c) en créant et soutenant la formation artistique, culturelle et la relève;
d) en encourageant l'échange, l'accueil et la diffusion de productions culturelles;
e) en contribuant à la promotion du mécénat, du sponsoring;
f) en favorisant la réflexion et les recherches sur la culture et la mise au point d'instruments d'analyse;
g) en stimulant les rencontres entre les diverses communautés culturelles du canton;
h) d'une manière générale, en encourageant la mise en valeur de la culture dans le cadre de l'image et du développement économique du canton et de la région.
Art. 4
Moyens
1 Pour les tâches prévues par la présente loi, le canton recourt notamment aux moyens suivants: attribution de subventions ponctuelles, contractuelles ou régulières, garantie de déficit, mise à disposition de locaux, d'équipements et d'infrastructures, participation à l'organisation de manifestations, achats et commande de biens culturels, organisation de prix et concours, prêts, bourses, facilités fiscales, informations, conseils et relations publiques.
2 Le canton peut créer des commissions et faire appel à des experts.
Art. 5
Contrat -Convention -Coordination
1 Le canton développe et encourage une pratique contractuelle avec les particuliers, associations, entreprises, institutions privées et publiques pour établir une relation de partenariat. Le contrat est limité dans le temps et soumis à une évaluation périodique; il peut être renouvelé.
2 Le canton développe et encourage, par l'adoption de conventions qui respectent l'autonomie communale, des relations privilégiées en matière culturelle et artistique avec la Ville de Genève et les communes.
3 Des structures d'interface sont mises en place pour favoriser la coordination des activités culturelles. Elles ont pour but de permettre le dialogue entre les particuliers, associations, entreprises, institutions privées et publiques, la Ville de Genève, les communes et le canton.
Art. 6
Evaluation
1 Le canton assortit de charges l'octroi de prestations; ces charges peuvent consister en particulier en la présentation régulière de budgets, comptes, rapports d'activités.
2 Les activités encouragées par le canton font en principe l'objet d'une évaluation. Celle-ci peut être périodique et effectuée par des experts extérieurs.
3 L'application de la présente loi fait l'objet d'une évaluation périodique, qualitative et financière, dont les résultats sont publiés.
Art. 7
Application
Le département de l'instruction publique est chargé de l'application de la présente loi.
Art. 8
Dispositions d'exécution et financement
Le Conseil d'Etat est chargé d'édicter les règlements d'application de la présente loi, notamment pour le subventionnement et il inscrit dans le budget de l'Etat les montants nécessaires à son application.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Introduction
Les lois cantonales genevoises sont étrangement muettes dans le domaine de la culture; le chapitre du recueil systématique consacré à ce sujet contient trois textes qui n'ont qu'un rapport bien ténu avec la culture, même dans une acception étroite.
Or, la culture est un élément essentiel de la société; elle en constitue à la fois le fondement d'où proviennent les structures institutionnelles et un des éléments décisifs pour faire face à l'avenir. Elle sous-tend les choix de société, la détermination politique, l'analyse critique des habitants; elle façonne la dynamique et l'éthique de l'économie.
Dans cette perspective, l'Etat est un des garants d'une continuité historique et d'une vision d'ensemble de la culture genevoise; il doit encourager et soutenir les initiatives et les efforts des individus, entreprises et institutions publiques ou privées actifs dans le domaine culturel. Il doit aussi favoriser les échanges culturels, l'ouverture sur la région et sur l'Europe, tous éléments indispensables à l'évolution harmonieuse de la communauté genevoise.
Le législateur genevois a déjà été saisi de projets de lois relatifs à certains aspects de l'activité culturelle (PL 6599, du 15 septembre 1990, instituant un office cantonal de la culture; PL 6905, du 21 octobre 1992, instituant un crédit de soutien à la diffusion et aux échanges culturels) ainsi qu'à des motions (M 735, du 31 mai 1991, concernant la mission de l'Etat dans le soutien à la culture; M 738, du 21 octobre 1992, sur un concept culturel régional). Le Conseil d'Etat a établi le 21 octobre 1992 un premier rapport sur les deux motions précitées; dans ce rapport, le Conseil d'Etat prévoyait la rédaction d'un projet de loi sur l'encouragement à la culture (lettre b, p. 7). Le présent projet s'inscrit ainsi dans cette démarche.
Le projet a été élaboré par un groupe d'étude constitué à l'initiative du chef du département de l'instruction publique, formé de Mme Gabrielle Maulini-Dreyfus, députée, MM. Jacques Boesch, député, Armand Lombard, député, Jean-François Rohrbasser, directeur du Festival de la Bâtie, Roland Vuataz, directeur du Conservatoire populaire de musique, François Abbé-Decarroux, chercheur au département d'Ecopo de l'université, Mme Anne Héritier Lachat, avocate, MM. Jean-Pierre Ballenegger, délégué aux affaires culturelles du DIP et Michel Ramuz, directeur des services administratifs et financiers du DIP.
Lignes directrices du projet
Comme l'écrivait déjà le Conseil fédéral dans son message de 1984 relatif à l'initiative populaire en faveur de la culture: «L'Etat ne crée pas la culture, il peut au mieux la favoriser».
Le présent projet est basé sur cette constatation; il reconnaît que les acteurs principaux en matière de culture sont les individus, les associations, les entreprises ainsi que les institutions privées et publiques, en particulier la Ville de Genève et les communes. Dans ce cadre, le canton favorise et soutient l'activité culturelle dans toute sa richesse; il peut aussi prendre l'initiative, dans des domaines qui lui sont attribués par d'autres lois (ainsi la formation) ou lorsque la nature ou l'ampleur des projets le rend nécessaire (coopération régionale, par exemple). Il s'agit, en l'espèce, non pas de figer des compétences, de créer des chasses gardées, mais bien plutôt de se donner les moyens d'intervenir, de coordonner et d'entreprendre avec d'autres partenaires. Le soutien à la culture par le canton existe depuis longtemps sous des formes multiples; cependant, des actions dispersées ne constituent pas une politique, des engagements ponctuels impliquent une justification, une vision plus globale.
Le projet de loi renonce à définir la culture; cette abstention est motivée par le fait que la notion est en soi floue et fluctuante, mais aussi par la conception du rôle du canton en la matière. Le canton n'exerce en effet qu'un rôle subsidiaire, même s'il a un pouvoir d'initiative; il n'est donc pas habilité à poser une définition de la culture. Le projet de loi fixe ainsi la mission de l'Etat, du canton dans le domaine; il s'agit d'une mission dynamique qui se situe dans le long terme, ce qui implique une approche évolutive de la culture.
Le projet de loi aurait pu être assorti d'une base constitutionnelle expresse, d'un nouvel article de la constitution genevoise sur l'encouragement à la culture. Cette voie n'a pas été suivie, bien que la proximité de la consultation fédérale sur l'article 27 septies (encouragement de la culture) aurait peut-être conduit à rédiger un article constitutionnel à Genève aussi. Il est apparu que la compétence cantonale en matière culturelle est incontes-table, ce qui permet de proposer une loi, concrète, d'application immédiate plutôt qu'un texte constitutionnel qui devrait encore s'incarner dans une loi.
Enfin, le projet est volontairement court, il se limite à l'essentiel et constitue le cadre dans lequel se développera une politique dynamique d'encouragement à la culture; il ne s'agit pas de contribuer à l'inflation législative, mais bien plutôt de marquer l'importance de la culture et la nécessité du soutien du canton.
Commentaire article par article
Article 1: Mission
Cet article fixe le cadre et le sens de la mission du canton en la matière. Après avoir posé le principe, encourager la vie culturelle dans toute sa diversité, il en indique les grands axes (alinéa 2).
Même si le projet ne définit pas la culture, la mission conférée au canton suppose une acception large de la notion; en effet, le canton doit veiller à maintenir la diversité de la vie culturelle genevoise et il doit (alinéa 3) favoriser l'accès à la culture. Cette dernière mission confère au canton la tâche de veiller aux équilibres en matière culturelle, de permettre l'expression des discours culturels majoritaires, comme minoritaires. Un large accès à la culture n'implique en effet pas que seules certaines formes s'adressant à une très large audience soient soutenues, privilégiées; il doit au contraire conduire à encourager aussi la réalisation de projets à audience restreinte.
L'alinéa 4 concrétise la garantie de la liberté fondamentale d'expression pour les acteurs de la vie culturelle et pour l'activité culturelle dans son ensemble. Pas plus qu'il ne crée la culture, l'Etat ne la censure ou la soumet.
Article 2: Compétence
Cet article exprime à la fois le principe de la subsidiarité et de la complémentarité de l'activité du canton en matière culturelle; l'initiative appartient en effet en la matière à tous les acteurs culturels énumérés au premier alinéa. Cette règle ne fait d'ailleurs que formaliser la réalité de la vie culturelle genevoise. La canton n'a pas de place prééminente; il doit fondamentalement soutenir les efforts des autres parties prenantes, et, le cas échéant, proposer de coordonner ces activités. Dans ce contexte, le canton joue un rôle subsidiaire, comme au niveau supérieur, la Confédération à l'égard des activités culturelles des cantons et communes. Certains projets ou certaines institutions ne peuvent exister que par un cumul des ressources. De plus, la pluralité des sources de financement constitue une garantie contre l'arbitraire pour les bénéficiaires des prestations.
Le canton joue aussi un rôle complémentaire: il peut prendre des initiatives soit parce qu'aucun autre acteur ne le fait, soit parce que le projet en cause ne peut émaner en pratique que du canton: c'est l'exemple des relations intercantonales, internationales, de la formation.
Le 3e alinéa répond à une préoccupation actuelle très importante, la nécessité de tenir compte de la position du canton dans la région. Le canton est donc chargé de promouvoir la création, puis la réalisation, d'un concept culturel régional. L'ouverture sur l'Europe, indispensable après le refus de décembre 1992, doit éviter la provincialisation, l'isolement dans une Europe des régions qui se construit. Il est nécessaire de rejoindre des réseaux, de coproduire des activités culturelles et de promouvoir des échanges. Enfin, la Genève internationale doit être aussi culturelle, sous peine d'être supplantée par des villes, des régions qui bénéficient d'une image culturelle positive.
Article 3: Activités
Cet article énumère, à titre exemplatif, les activités que le canton peut entreprendre pour encourager la vie culturelle dans toute sa diversité. Ces activités ne nécessitent pas de commentaires particuliers; elles constituent des pistes qu'il conviendra d'utiliser ou non, de modifier en fonction de l'évolution des pratiques culturelles, de l'offre et de la demande en la matière.
Il convient de préciser qu'en matière de formation culturelle, le rôle du canton ne se limite pas à la formation des jeunes et qu'il faut prendre aussi en compte les aspects de formation permanente ainsi que la nécessité exprimée par les intéressés de prévoir une formation «administrative» pour ceux qui sont chargés de gérer les activités culturelles.
Article 4: Moyens
Ici aussi, les moyens indiqués le sont à titre d'exemples; le canton devra les adapter à la réalité, aux nécessités de son activité.
Article 5: Contrat - Convention - Coordination
Les rapports avec les milieux culturels doivent s'inscrire dans une relation de partenariat et non dans une relation hiérarchique. A cet égard, la conclusion de contrats portant sur un projet culturel particulier permet de fixer les droits et devoirs réciproques et d'instaurer une collaboration. Le contrat permet au partenaire du canton d'être assuré d'un soutien déterminé pendant une certaine durée; il permet au canton d'accompagner la démarche et de s'assurer de son évaluation.
Le contrat, limité dans le temps et éventuellement renouvelable après évaluation, constitue aussi un instrument et, le cas échéant, pour lutter contre les rentes de situation et pour mettre en place des expériences nouvelles.
Le projet de loi consacre à son premier alinéa ce moyen, qui est d'ailleurs déjà utilisé en pratique.
Le projet de loi, dans le même esprit, envisage à l'alinéa 2 la collaboration avec la Ville de Genève et les communes, par la mise sur pied de conventions et l'établissement de liens privilégiés.
Enfin, les acteurs de la vie culturelle sont nombreux, la palette de leurs interventions très riche. Le dialogue et la collaboration deviennent ainsi indispensables pour assurer à la fois la diversité et l'utilisation efficace des ressources limitées à disposition. C'est pourquoi le projet de loi prévoit, à l'alinéa 3, des lieux (dénommés interfaces) pour favoriser cette nécessaire coordination. Il ne s'agit pas de créer des structures administratives lourdes, mais bien plutôt de permettre la collaboration, l'échange d'informations et surtout la rencontre de tous les participants à la vie culturelle genevoise. Ces interfaces exerceront à l'instar du conseil de la santé une activité consultative; toutefois, consultatif n'implique ni inefficacité, ni absence d'emprise sur la réalité!
La composition des interfaces sera fixée par le règlement d'application de la loi, après une large consultation des milieux intéressés.
Article 6: Evaluation
Le projet de loi prévoit non seulement l'évaluation des activités encouragées par le canton ce qui constitue le pendant logique de l'octroi de prestations mais aussi l'évaluation de l'application de la loi elle-même, sur le plan qualitatif et sur le plan financier. S'agissant d'une activité très importante (voir l'introduction), il est apparu que le canton ne pouvait se soustraire à l'évaluation de ses pratiques, ce d'autant moins qu'une telle démarche s'applique aux bénéficiaires des prestations. Le projet de loi prévoit, pour ces mêmes motifs, que les résultats de cette évaluation devront être publiés.
Article 7: Application
L'application de la loi est attribuée tout naturellement au département qui se trouve en première ligne dans ce domaine (que l'on songe par exemple à la formation). Toutefois, d'autres départements sont aussi concernés par l'encouragement à la culture (les travaux publics, l'économie publique, en particulier); les nécessaires collaboration et coordination se développeront notamment dans le cadre de l'interface.
Article 8: Dispositions d'exécution et financement
Le présent projet ayant été conçu comme une loi cadre, des dispositions d'exécution seront indispensables. Le Conseil d'Etat les élaborera en prenant en compte les intérêts de toutes les parties concernées. De même, le financement des activités prévues sera-t-il du ressort du Conseil d'Etat.
Préconsultation
M. Philippe Schaller (PDC). Ce projet de loi, comme vous l'aurez compris, est intéressant à plus d'un titre. Il comble un vide juridique puisqu'aucun article n'existait dans notre législation sur l'encouragement à la culture. D'ailleurs, nous sommes probablement l'un des derniers cantons qui n'avait pas une législation concernant la culture. Mais cette carence n'a pas empêché notre canton d'être l'un des plus généreux en la matière.
Ce projet de loi a l'ambition de mettre en place une politique culturelle digne de ce nom et de ne plus agir au coup par coup, mais d'agir sur le long terme. Un autre intérêt est de mettre en place des lieux dénommés «interface» qui permettront une coordination des activités culturelles et permettront également d'avoir une vision sur les sources de financement. Une autre préoccupation de ce projet de loi est l'établissement d'un concept culturel régional afin d'éviter la «provincialisation» et l'isolement. L'évaluation est un autre intérêt, et non des moindres. Cette évaluation permettra d'éviter les rentes de situation.
Il faut aussi souligner la méthode de travail pour l'élaboration de ce projet de loi puisqu'un certain nombre de députés, des personnes du DIP et des gens du terrain ont élaboré ce projet de loi avec le département. Bien entendu, il reste certaines questions ouvertes, et le projet de loi est là finalement pour susciter le débat. Quelles seront ces structures d'interface ? Quelle sera l'articulation concrète entre la culture et la société ? Quelles seront les répartitions des tâches entre l'Etat, les communes, la Ville de Genève ? Comment susciter cette dynamique ? Comment concilier culture individuelle et culture de masse ?
Finalement, j'ose espérer que ce projet de loi sur l'encouragement à la culture permettra à cette dernière de ne pas devenir simplement l'ornement d'une société d'abondance ou un monopole dont l'Etat sera juge et partie, ou encore le bien de consommation d'une industrie culturelle, mais qu'il permette à cette culture d'être généreuse. Je tiens à remercier le chef du département ainsi que le petit groupe de travail d'avoir mis sur pied ce projet de loi.
Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Qu'il y ait un article de loi sur la culture est une chose que nous attendions depuis longtemps et nous accueillons donc ce projet avec plaisir. Toutefois, il faut être conscient qu'il y a d'abord la culture qui imprègne profondément notre société et que l'esprit de nos lois découle ensuite de notre identité culturelle.
Cerner la culture dans une loi n'est pas chose facile. La culture n'est pas une structure mathématique mais une émotion subjective première de l'être humain. Dans ce projet de loi, nous attachons une importance toute particulière aux points suivants, car ils reflètent nos préoccupations en matière de politique culturelle.
A l'article 1, il est dit que le canton assure la formation culturelle. L'Etat a donc le devoir de développer la culture à travers l'enseignement primaire, secondaire et universitaire ainsi que dans les écoles d'art. D'autre part, il participe au soutien de la création, mais selon le principe de la subsidiarité, c'est-à-dire qu'il n'agit pas en tant qu'organe suprême de décision mais laisse les instances plus proche de la base, telles que particuliers, associations, communes, Ville de Genève, avoir les initiatives comme cela est décrit à l'article 2.
Ce principe de subsidiarité nous permet d'être en accord avec l'article fédéral sur l'encouragement à la culture. D'autre part, à l'article 5, il est fondamental que tout le développement de la culture se fasse par l'adoption de conventions réglant et les devoirs et les droits des partenaires concernés. Pour nous, il ne s'agit pas non plus que l'Etat construise une seule structure de coordination, d'où l'importance, à l'alinéa 3 de l'article 5, de la précision «des structures» car une tertiairisation étatique centralisée trop lourde et trop coûteuse étoufferait la dynamique de la création artistique et agirait au détriment de l'aide financière directe aux artistes et aux acteurs culturels, comme c'est le cas, par exemple, pour le Théâtre du Grütli qui voit sa subvention diminuée de moitié alors que, selon l'esprit de ce projet de loi, il répond exactement aux objectifs du département de l'instruction publique.
Enfin, pour terminer, on peut se poser une question à l'article 8. On peut se demander s'il n'est pas plus judicieux de régler les aspects financiers de subventionnement par une loi d'application plutôt que par voie réglementaire afin de pouvoir garder un contrôle parlementaire en cas de mécontentement ou de litige.
M. Armand Lombard (L). On peut se poser un certain nombre de questions devant un tel projet de loi. Pourquoi une loi alors qu'il y en a déjà tellement ? Pourquoi une loi alors que la culture genevoise semble se porter parfaitement bien et depuis belle lurette sans loi ? Enfin, pourquoi l'Etat dans le domaine de la culture ? J'aimerais brièvement répondre à ces trois questions.
Trop de lois d'abord. C'est un fait qu'il y a trop de mauvaises lois et d'inutiles lois. Le juridique fige la société; c'est avec son imbroglio de règlements, de directives et d'articles que l'on étouffe d'acquis chez nous. Mais une cité se gère quand même avec des lois, peu mais bonnes et ciblées. Même la jungle se gère avec une loi. Car la loi suit l'intention et traduit un projet de société. Elle impose un cadre à la vie d'une communauté et pondère les libertés individuelles. En matière de culture, il faut un cadre d'action qui n'existe pas, à ce stade, au niveau du canton.
Deuxièmement, la culture genevoise n'a pas de loi; elle ne s'en porte pas plus mal, dit-on. La raison de cette absence est historique, j'aimerais le rappeler. La culture de Genève s'est faite en ville. Canton, République ou région ne représentait rien par le passé. Seule importait la cité avec ses autorités campées sur sa colline et ses salles de spectacles et ses écoles qui l'entouraient. Un ancien maire de Chêne-Bougeries disait il y a vingt ans, je m'en rappelle : «La culture pour Chêne, c'est au bout du Tram 12, en ville.» Les 130 millions de budgets culturels de la Ville, forte somme en comparaison des autres cantons suisses, en font foi. Les règles en matière culturelle sont actuellement à la Ville, mais le canton est devenu une part majoritaire de Genève en 1814 et la région genevoise sera peut-être demain l'entité culturelle et économique genevoise. Aujourd'hui, on s'aperçoit du vide légal, de l'absence de cadre à l'action du partenaire canton et du partenaire régional dans la culture genevoise.
Troisièmement, pourquoi l'Etat dans la culture ? Qui dit la cité ? Qui dit ses racines ? Qui proclame ses grands hommes et ses excellences ? Qui dit sa façon de vivre ? Qui dit l'équilibre entre les communautés linguistiques ou sociales, entre les plus démunis et les mieux lotis ? C'est la culture qui exprime ces problèmes, et pas seulement sur les planches des théâtres. C'est peut-être la croissance débridée des années d'après-guerre qui a fait oublier que tout ne marche pas tout seul. La crise a besoin de réponses qu'on ne peut pas simplement tirer d'un cours d'économie politique mais que l'on découvre dans la culture de la cité.
Dans son panier, il y a la formation des futures élites, le message que l'on veut transmettre aux écoliers; il y a les choix de l'avenir, le moral de toute une population, il y a ce que l'on sait bien faire et ce que l'on sait devoir éviter. Cette culture se fait par un dialogue entre tous les acteurs, canton compris. La présente loi devra exprimer qu'en plus de la ville, de l'économie privée, des acteurs et des penseurs de la cité, de ses critiques, de ses analystes et de ses médias, il y a une culture dite par la République et dont les autorités sont soucieuses, non seulement soucieuses, mais responsables, non comme acteur mais comme garant de la liberté de ses acteurs dans un cadre fixé.
Dans la vision du groupe libéral, le projet de loi ne va pas amener un sou de plus de subvention à la culture mais peut-être des dégrèvements pour ceux qui la financent. Il ne va pas garantir des acquis, ne va pas prévoir des offices centraux, des administrations ruineuses ou des cultures totalitaires; il va dire simplement que la culture genevoise existe, qu'elle est régionale, qu'elle est reconnue par ses autorités comme l'élément clé de tout développement économique ou communautaire, qu'elle est placée sous leur responsabilité. C'est un acte fondamental.
Nous proposerons de compléter cette loi d'un préambule qui l'affirme, sinon elle risque de n'être que des mots de défense d'une corporation «déculturelle» ou un texte comme un déclassement de zone ou les motifs d'un crédit.
Nous proposons également la suppression de quelques oripeaux, comme ceux de l'article 4, afin d'éviter un texte de plus de caractère administratif, bureaucratique et financier. Nous vous recommandons le renvoi en commission de ce projet.
M. Jean-François Courvoisier (S). Il y a peut-être actuellement pléthore de vocations artistiques à Genève, alors que la commercialisation de la culture cherche de plus en plus à fabriquer artificiellement des vedettes, que le matraquage publicitaire des magazines, des firmes de disques, des radios et des télévisions arrive à imposer ses modèles à un public plus enclin à aller voir un monstre sacré de la scène qu'à assister à un spectacle éducatif.
Le commerce de la culture soigne donc un petit nombre de vedettes car, trop nombreuses, ce ne seraient alors plus des vedettes. Ce commerce, qui fait de quelques artistes des êtres prestigieux et hors du commun, que les foules courent admirer, a un effet très néfaste sur la culture de développement si nécessaire à notre civilisation dévorée par le technique.
Il appartient donc à l'Etat de rétablir un équilibre en soutenant, avec la collaboration des municipalités, la création artistique. Il est illusoire de compter sur des sponsors privés pour la création, car les privés ne soutiennent généralement les activités culturelles que dans un but publicitaire et ne prennent que difficilement le risque de soutenir un artiste méconnu dont le succès n'est pas assuré.
En demandant une aide à la culture, nous sommes conscients du fait qu'il ne sera pas possible de soutenir tous ceux qui demanderont l'aide de l'Etat. Cela obligera les responsables à faire un choix au risque de se tromper. Mais la plus grave erreur serait de ne rien faire sous prétexte qu'il est impossible d'aider tout le monde. Dans un autre domaine, cela correspondrait à refuser toute aide aux victimes de la guerre sous prétexte qu'elles sont trop nombreuses et que, dans l'impossibilité de les secourir toutes, il vaut mieux s'abstenir.
Ce projet de loi n'est pas parfait, mais il a au moins le mérite d'exister et si nous ne pouvons pas l'adopter aujourd'hui, nous recommandons son renvoi en commission.
M. Bernard Lescaze (R). Effectivement, ce projet de loi a le mérite d'exister, mais malgré son objet extrêmement important il marque un certain flou artistique car il semble davantage codifier la situation existante que véritablement innover. En effet, je vous rappelle que vous ne trouverez pas réellement dans ce projet de loi un partage des compétences autre que celui qui existe actuellement. En Suisse, le principe de subsidiarité fait - et cela est très important - que c'est la commune qui est l'organe principal par lequel doivent être soutenues les activités culturelles.
Or il se trouve aujourd'hui que les institutions culturelles les plus lourdes, à savoir les bibliothèques, les musées, l'opéra, peinent à exister faute de moyens financiers, mais vous ne trouverez pas, dans ce projet de loi du Conseil d'Etat, une véritable solution de rechange à cela. On ne vous parle en réalité dans le projet de loi que de création et d'échange, c'est-à-dire de ce qui nécessite heureusement le moins de fonds mais qui également nécessite le moins - ceci est heureux - de structures.
Je dois reconnaître que ce projet de loi est extrêmement intéressant, mais qu'il pourra certainement être amélioré en commission comme l'avait déjà dit le parti radical à l'époque, en défendant précisément ce principe d'autonomie communale. Nous n'aimerions pas que ce projet serve finalement uniquement à régler la grosseur des trous de la pomme d'arrosoir cantonal sur la culture en oubliant l'essentiel, à savoir qu'il s'agit maintenant d'harmoniser les efforts culturels entre la Ville de Genève, notamment les autres communes, et l'Etat afin de permettre à certaines institutions culturelles de renommée internationale de pouvoir survivre.
C'est cela qui nous paraît important à défendre dans l'avenir de la culture genevoise. Tout le monde veut s'occuper de création, à juste titre, parce que c'est peut-être valorisant, mais il ne faut pas oublier que la culture n'est pas seulement la création; cette création s'appuie sur un patrimoine culturel qui mérite également d'être soutenu et d'être conservé et c'est là, à notre avis, la grande lacune de ce projet. Malgré tout, nous tenons à remercier le Conseil d'Etat et les auteurs de ce projet d'avoir fait un effort en faveur de la culture genevoise. Je tiens donc à m'associer aux remerciements qui ont été adressés aux auteurs de ce projet.
Mme Erica Deuber-Pauli (T). Cet été, Genève recevait, à l'occasion d'un été suédois, la ministre de la culture de Suède. Dans une intervention devant la presse, celle-ci disait : «La Suède ne dispose pas de loi sur la culture mais nous avons une politique culturelle extrêmement active». La politique culturelle de la Suède se développe autour de trois axes : d'une part la reconnaissance de la valeur prédominante de la culture pour - comme le disait tout à l'heure Armand Lombard - le développement économique et social d'une communauté, deuxièmement la démocratie, c'est-à-dire le droit de tous à l'accès à la culture, et enfin, la décentralisation, c'est-à-dire l'irrigation du territoire par la culture.
Ces axes politiques n'avaient pas besoin en Suède d'une loi pour s'exprimer. Pourquoi avons-nous, en 1990, jugé utile de déposer un premier projet de loi qui a occasionné les travaux de la commission de l'enseignement et qui a débouché sur les préparatifs du présent projet de loi ? C'est parce qu'il existe à Genève une situation tout à fait spécifique - certains d'entre vous l'ont rappelé et je le rappellerai aussi. L'histoire culturelle de Genève repose essentiellement sur deux phénomènes qui sont très différents de ce que l'on trouve, par exemple, en France voisine.
Le premier de ces phénomènes, c'est que l'initiative culturelle a été de tout temps, en dehors de l'Académie et des écoles, le fait des milieux privés, soit des milieux de l'économie, soit des familles ou des individus. Depuis la fin du XVIIIème siècle, marquée par la création d'une première école de dessin pour les besoins de l'industrie de luxe de Genève, en passant par le Musée Rath, le Victoria Hall, le Conservatoire de musique ou les premières collections qui ont donné naissance à nos musées, on trouve à tous les carrefours l'initiative des savants, des collectionneurs, des amis des arts et les besoins des secteurs privés. Ce n'est qu'au XXème siècle que la Ville où se sont développées ces collections et ces activités a repris à son compte l'essentiel de l'héritage. La seule exception d'importance, c'est évidemment le Grand Théâtre qui est une création de la Ville grâce au legs Brunschwig, ce que chacun sait.
Nous avons hérité d'une situation d'extrême concentration du fait de la richesse de cette société genevoise traditionnelle fixée dans un espace urbain restreint, ce qui conduit aujourd'hui la Ville à posséder un patrimoine culturel et à devoir consentir des engagements financiers considérables. Ces engagements financiers se montent, pour le budget annuel de la Ville, à 137 millions. Genève caracole en tête de toutes les villes de Suisse et même du demi-canton de Bâle-Ville pour le financement de la culture.
Parallèlement, deuxième fondement de cette politique culturelle, il y a eu une expansion urbaine formidable à partir des dernières années du siècle passé et cette expansion a créé des quartiers d'habitation, d'industrie et de commerce, mais pas d'institution culturelle importante, sinon quelques salles communales ou salles de paroisse où se sont développées progressivement des activités socioculturelles. Le canton n'a pas eu d'actions spécifiques en dehors de l'école et ces zones sont restées dépourvues d'équipement culturel. Ces dysfonctions ont commencé à être corrigées par l'installation d'un réseau de centres de loisirs, il y a une trentaine d'années, puis, progressivement, par le développement d'initiatives communales, de quartiers ou privées. On a continué à voir se développer selon le même axe des initiatives privées qui, au bout de cinq ans lorsqu'elles persistaient ou même au bout de dix ans lorsqu'elles s'imposaient par la reconnaissance publique de la qualité de leurs prestations, finissaient par obtenir des subventions de la Ville. Un moment donné, la Ville ne pouvant plus faire face, l'Etat est entré en matière et a pris le relais de ces subventions par un appoint de plus en plus considérable qui fait qu'aujourd'hui le canton a une intervention culturelle d'à peu près 62 millions inscrits à son budget, y compris un établissement de formation.
Nous avons donc, en 1990, proposé un projet de loi, Monsieur Lescaze, en particulier pour donner acte de cette situation particulière et pour légiférer en matière de compétence entre la Ville de Genève, dont le budget culturel est hypertrophié, et le canton, qui intervient à hauteur de 62 millions sur le même terrain comme appoint et généralement pas sur des terrains nouveaux. Les communes sont pour leur part restées à peu près en dehors de ce mécanisme de régulation et nous n'avons pas réussi à travers les adaptations de péréquation fiscale intercommunale à régler ce problème.
Lausanne ne connaît pas tout à fait le même problème puisque des villes secondaires comme Yverdon, Morges, Montreux ont développé des institutions culturelles qui permettent de mieux irriguer le territoire.
Mais à Genève, pour prendre part à la culture, on le sait, il faut «descendre en ville», à la rigueur au Théâtre de Carouge - mais vous le savez, celui-ci incombe encore pour les deux tiers à la charge de la Ville de Genève. Lausanne a essayé d'innover en matière de périphérie, en assignant à ses quatre grandes institutions - le Théâtre municipal, l'Orchestre de chambre de Lausanne, le Théâtre de Vidy et le Ballet Béjart - une sorte de soutien subsidiaire de la part de ce que l'on appelle les communes de la couronne lausannoise : ces communes ont été invitées à offrir des subventions à ces grandes institutions de la métropole vaudoise jusqu'à concurrence d'à peu près un dixième de la charge totale.
Elles l'ont fait à bien plaire en fonction de leurs disponibilités. Ce mécanisme est en cours, mais je ne pense pas qu'il peut être mis en oeuvre à Genève dans la mesure où nous n'avons pas une couronne de communes urbanisées mais des poches urbaines dans l'ensemble du territoire qui se prolongent jusqu'aux frontières et qu'aujourd'hui le problème concerne l'ensemble du territoire. Il fallait donc essayer de cerner le problème globalement dans une loi.
Il fallait aussi essayer de mettre fin à une sorte de guerre d'initiatives. A un moment donné, à juste titre et pour régler le problème des subventions de plus en plus considérables offertes par l'Etat, celui-ci a développé un service des affaires culturelles. Désormais, à l'extérieur les gens confondent souvent le service des affaires culturelles de l'Etat avec le département des affaires culturelles de la Ville. On s'adresse à l'un ou à l'autre pour obtenir des subventions et parfois l'initiative d'attribuer une partie de la subvention est prise par la Ville, parfois par l'Etat et on va chez l'autre partenaire pour obtenir un complément. Il fallait donc essayer d'y voir clair. Cette situation a certainement été un des détonateurs de la nécessité de légiférer.
Enfin, aujourd'hui, à l'heure de l'Europe, le problème de la culture a même dépassé les frontières cantonales et nous sommes de plus en plus confrontés aux besoins de ce que l'on appelle les proximités. Il existe des institutions culturelles à Lausanne, Chambéry, Lyon, dans des villes plus proches. Le besoin apparaît de valoriser les productions, de les faire circuler, de les rentabiliser en terme d'accès du public pour éviter, par exemple, qu'un concert de l'Orchestre de la suisse romande ne soit donné qu'une fois après six répétitions, mais, au contraire, pour qu'il soit donné deux ou trois fois dans un rayon d'action qui n'en augmente pas considérablement le coût. Cela devient une exigence impérative.
C'est la raison pour laquelle on parle de rayonnement dans ce projet de loi, car il appartiendra à l'avenir, autant et peut-être plus au canton qu'à la Ville de Genève, de favoriser la coopération, la diffusion et les échanges et d'instituer des règles en matière de convention ou d'accord interrégional concernant la culture et son rayonnement. A ce titre, la Ville et le canton de Genève exercent déjà un rôle de métropole.
L'essentiel sur ce projet de loi a été dit tout à l'heure par mes préopinants. Le projet de loi devra trouver, au cours d'une discussion en commission, un certain nombre de précisions, peut-être certains axes plus aigus, des mises en évidences plus importantes, mais dans l'ensemble il correspond bien à l'enregistrement d'une situation existante. Ses lacunes résident peut-être dans le fait qu'on se montre un peu timide en ce qui concerne des propositions que nous avions pourtant faites et qui consistaient à dire : si la culture appartient d'abord à l'initiative des individus, des associations, des groupes, des troupes, des créateurs, les autorités publiques ont mission de la protéger dans sa liberté d'expression, de l'encourager par l'attribution de subventions et la mise à disposition de locaux, de veiller à des équipements décentralisés pour permettre à tout un chacun d'accéder à la culture.
Le rôle de l'Etat, c'est d'assurer le rayonnant de la culture, d'appuyer les structures d'interface, mais c'est aussi de mettre en place et d'encourager les forums au cours desquels des artistes et des créateurs de milieux très différents, qu'ils soient du théâtre, de la musique, de la danse, de la création plastique, etc., puissent confronter leurs intérêts, leurs problèmes et leurs besoins et que l'on cesse d'opposer, les unes aux autres, des activités de type aussi importantes que celles que mentionnait Bernard Lescaze comme le Grand Théâtre et l'Orchestre de la suisse romande... (M. Vanek est monté à la tribune du public et est aussitôt interpellé par le président.)
Le président. Monsieur Vanek, vous avez insisté si fort pour siéger dans cette salle, vous pourriez y venir ! Il est interdit pour un député d'être à la tribune du public.
Mme Erica Deuber-Pauli. J'ai perdu le fil... Je disais que ces forums seraient utiles pour que cessent de s'opposer la culture savante et la culture qui émane du vivier de la jeunesse, de la création la plus récente, des institutions les plus modestes, pour que cessent de s'affronter aussi deux catégories que je juge «inaffrontables» qui sont celles de la conservation et de la création.
Vous avez parlé de ces deux catégories. Or je suis absolument convaincue que s'il n'y a pas conservation, il ne peut pas avoir création. Je prendrai deux exemples. D'abord, le Jardin et le Conservatoire de botanique qui possèdent les plus grandes collections d'herbiers du XVIIème, du XVIIIème et surtout du XIXème siècle d'Europe. Ces herbiers, nous devons les conserver. Eh bien, c'est notamment grâce à l'extraordinaire savoir accumulé dans ces herbiers et à l'ensemble des paramètres qu'ils permettent de mettre en oeuvre que l'on est aujourd'hui à Genève à la pointe de la recherche en botanique - ce n'est pas le président de ce Grand Conseil qui me contredira - et l'on peut dire de même que, lorsqu'on possède un répertoire théâtral conservé dans un théâtre lyrique ou dans un théâtre comme la Comédie, peuvent être établies les bases d'une création.
Même les jeunes rockers l'ont compris, eux qui réclamaient il y a quelques mois un Zénith en squattant le toit du Grand Théâtre. Ils avaient écrit sur leurs banderoles : «Le Grand Théâtre oui, le Zénith aussi». Il y a dix ans, on aurait certainement dit : «Grand Théâtre non, Zénith oui». Les mentalités ont évolué et, si elles l'ont fait, c'est peut-être grâce aux débats qu'a suscité récemment l'ensemble des problèmes qui nous occupent dans ce projet de loi, et j'espère que ce débat pourra être poursuivi utilement en commission. Je me réjouis donc que ce projet soit envoyé en commission.
M. Dominique Föllmi, conseiller d'Etat. «La culture nous apparaît d'abord comme la naissance de ce qui a fait l'homme, autre chose qu'un accident de l'univers», André Malraux.
Le Conseil d'Etat vous propose aujourd'hui un projet de loi un peu inspiré de cette maxime pour inscrire dans notre législation cantonale l'encouragement à la culture. Vous avez désiré connaître le pourquoi de ce
projet de loi et un certain nombre d'entre vous ont déjà apporté quelques réponses.
Je m'en tiendrai à deux arguments : celui de la reconnaissance du fait culturel et celui de la consolidation d'une pratique déjà existante il est vrai. Nos textes législatifs sont muets sur la culture. Il n'y a rien. Ce silence pourrait être pris pour une dénégation. Or le fait culturel est constitutif de la vie en société. Faut-il rappeler, en effet, que la culture donne des racines, un équilibre à une communauté, qu'elle est à l'origine de notre sentiment d'identité, de notre sentiment d'appartenance. Non seulement elle remplit une fonction d'intégration, mais elle développe la réflexion, la critique, elle forge les voies de l'avenir, s'interrogeant sur nos valeurs, le sens de nos pratiques, elle explore les marges ou les avant-postes. Elle est la condition de notre vie, pourquoi ne pas dire même de notre survie.
Plus concrètement, la culture est devenue une demande sociale dans notre société des loisirs et elle représente, pour une région, un facteur d'attraction et aussi, pourquoi ne pas le reconnaître, un argument touristique. Lorsque l'on songe à Genève, dans sa dimension historique et spatiale, lorsque l'on évoque sa tradition calviniste et humaniste, son rôle international, son ambition d'être une métropole régionale, une cité de l'environnement, on aborde des valeurs, des comportements, une ouverture d'esprit au monde qui sont d'ordre culturel. On mentionne, ce faisant, une continuité dans l'histoire, une vision d'ensemble dont l'Etat est l'un des garants. En résumé, la culture n'est pas pur divertissement, elle est bel et bien notre existence même. C'est donc le premier argument pour inscrire, dans notre législation, une loi sur la culture.
La deuxième raison de légiférer sur le soutien à la culture, c'est que sous la pression des demandes, en réponse aux besoins de milieux culturels, le département de l'instruction publique a développé ces dernières années une action, un savoir-faire, une politique dans ce domaine. La compétence acquise, l'utilité des engagements pris ont été, je crois, largement appréciés et le projet de loi reprend, à cet égard, des idées expérimentées sur le terrain. Qu'il me suffise de citer les contrats, l'aide à la relève, le soutien aux échanges, les interfaces ou encore la recherche. Le texte de loi qui vous est proposé devrait donc, il est vrai, conforter des pratiques existantes, mais, Monsieur Lescaze, avec l'ouverture d'esprit qui caractérise et le Grand Conseil et ce projet de loi, il devrait également permettre de nouveaux développements. Il n'est pas statique.
Permettez-moi encore de souligner deux aspects de ce projet de loi. Il est tout d'abord le fait d'une maturation d'idées. Il est également la marque d'une philosophie à laquelle je tiens, qui est la philosophie de réseau. Du projet de loi sur la création d'un office cantonal de la culture, rédigé par Mme Deuber-Pauli, M. Spielmann et M. Boesch, à ce texte aujourd'hui, de nombreuses étapes ont été franchies et ont permis de dégager des idées forces pour élaborer ce projet de loi. C'était les auditions de la commission de l'enseignement, et je profite de remercier ses membres du travail important et intense qu'ils ont réalisé. C'est la motion qui a été élaborée par la commission de l'enseignement, présentée au Grand Conseil et acceptée à l'unanimité et sur laquelle nous avons travaillé pour la mise en oeuvre de ce projet de loi. C'est enfin des rapports comme celui de l'I.R.E.C. ou les résultats de la consultation de ce rapport dont la commission de l'enseignement a également tenu compte.
La version qui vous est soumise a été rédigée par un groupe de travail dont la composition panachée comprenait des représentants du monde politique, des acteurs culturels, des universitaires et des représentants de l'administration, autrement dit du département de l'instruction publique. Je tiens ici à remercier les trois députés qui ont participé à cette élaboration, Mme Maulini-Dreyfus, M. Lombard et M. Boesch. La genèse de ce projet de loi qui a reçu l'approbation de M. Alain Vaissade, conseiller administratif de la Ville de Genève, s'est donc faite par palier avec le souci de tenir compte d'un large éventail d'opinions.
Quant à la philosophie du réseau à laquelle je tiens, je veux indiquer par là une volonté manifeste dans ce texte exprimée par des mots clés auxquels je tiens et qui sont : consultation, coordination, contrat, convention. Ces mots expriment au mieux cette philosophie du réseau. Une volonté de partager les responsabilités, de rechercher l'action concertée. Le réseau s'oppose au centre, le service à l'imposition. Le rôle de l'Etat n'est sans doute pas facile à définir, surtout en matière culturelle, mais, pour moi, ce rôle est de servir, d'activer les réseaux, de lancer des idées, de réunir les partenaires, d'inventer des ressources, pas nécessairement financières d'ailleurs, en résumé un rôle de levier.
La culture est comparable aux piliers d'une cathédrale, elle soutient l'édifice qu'est la société. Elle en permet l'élévation. Elle implique des choix fondamentaux. Entre la Nouvelle Heloïse et Jurassic Park, quoi de commun ? La question des valeurs, leur appropriation, leur manipulation. Entre les chansons de Janequin, un compositeur de la Renaissance, et le rap aujourd'hui, quoi de commun ? Sans doute le langage, son invention ou son appauvrissement. Entre la perspective de Brunelleschi, cet architecte de la Renaissance au XVème siècle, et les images de synthèses aujourd'hui, quoi de commun ? La construction de l'espace, notre rapport au monde.
On pourrait, bien sûr, multiplier les exemples pour montrer que la culture pose des choix fondamentaux pour l'individu et pour la société, pour le présent et pour le futur. Elle forme la trame de nos existences, le tissu de notre communauté, le réseau de pistes de notre avenir. Je vous remercie pour vos interventions, je partage avec vous bien entendu la volonté de renvoyer ce projet de loi à la commission de l'enseignement de façon à permettre à l'Etat de mieux reconnaître et de mieux soutenir la culture et ses choix.
Ce projet est renvoyé à la commission de l'enseignement et de l'éducation.