Séance du
jeudi 4 novembre 1993 à
17h
53e
législature -
1re
année -
1re
session -
39e
séance
E 655
Le président. Conformément au règlement, nous allons procéder à la prestation de serment de M. Pierre Meyll, doyen d'âge.
M. Pierre Meyll est assermenté.
Le président. Nous prenons acte de votre serment. Dès maintenant, vous pouvez siéger dans votre groupe. Je prie Mesdames et Messieurs les députés, ainsi que le public, de bien vouloir s'asseoir.
(Les deux huissiers quittent la salle. Applaudissements. L'huissier-chef remet une gerbe de fleurs à M. Meyll.)
Le président. (Debout.) Mesdames et Messieurs les députés, en m'appelant à présider le Grand Conseil, vous me faites un très grand honneur. Libéral de coeur et de conviction c'est personnellement, mais au nom de mon parti politique aussi, que je vous remercie pour cette marque de confiance. Je m'efforcerai, que nul n'en doute, de remplir consciencieusement les devoirs de la charge dont vous venez de m'investir, avec le souci constant de garder toujours l'impartialité que doit avoir désormais celui qui prend l'engagement d'être votre président à tous.
Monsieur le président, Monsieur le doyen, je tiens à vous remercier des paroles que vous avez prononcées en ouvrant la 53e législature du Grand Conseil de notre République et canton de Genève. Votre carrière parlementaire nous a permis de découvrir en vous un combattant enthousiaste qui défend ses idées avec volonté, opiniâtreté et parfois même véhémence. Nous savons tous aussi que le député valeureux que vous êtes est en même temps un coeur sensible et généreux, celui - bien entraîné - d'un cycliste émérite et d'un défenseur passionné de l'environnement, à Versoix, dans les bois de la Versoix, ou de la manière la plus générale. De cela aussi, Monsieur le très jeune doyen, je voulais vous remercier.
En commençant cette brève allocution, j'aimerais dire à tous ceux qui sont à la tribune du public et qui ont tenu à honorer ce Grand Conseil de leur présence : simples citoyens, conseillers nationaux ou aux Etats, ambassadeurs, fonctionnaires, députés sortis de charge, anciens présidents du Grand Conseil et magistrats municipaux, notre gratitude pour avoir choisi de vous associer à cette manifestation.
Le 8 octobre dernier, séance de clôture de la 52ème législature, Mme Micheline Calmy-Rey, présidente sortante, prenait congé de nous et de non moins de 38 députés qui ne sollicitaient pas le renouvellement de leur mandat. Cette brève cérémonie, empreinte de nostalgie, marquait la sortie de cette enceinte de bon nombre de figures marquantes de notre parlement. Permettez à votre nouveau président de leur adresser, une fois encore, les remerciements qui leur sont dus pour leur collaboration efficace et pour leur parfait dévouement au service de la République.
J'ai maintenant le plaisir d'exprimer, en votre nom et au nom de l'ancien Bureau du Grand Conseil, nos sentiments de reconnaissance à notre présidente sortante, Mme Micheline Calmy-Rey. Très consciencieuse et souvent volontaire - ce qui, à mes yeux, n'est pas un défaut - elle a su maîtriser nos ordres du jour surchargés et nos palabres interminables. Elle a fait la preuve de la vive intelligence qui est la sienne, et je reste, pour ma part, en admiration devant la promptitude stupéfiante avec laquelle elle sait adapter quasi instantanément sa position personnelle en fonction de mouvances politiques changeantes et souvent fort complexes. Sa volonté et sa ténacité ont été remarquables, même dans la situation qui a fait d'elle une «candidate» au milieu de la tumultueuse campagne électorale que nous vivons tous, et elle plus spécialement : «Merci Micheline !». (Applau-dissements.)
Lors de ses adieux, Micheline Calmy-Rey a exprimé une série de remarques critiques et très pessimistes sur le fonctionnement du Grand Conseil et sur son efficacité, ou plutôt son inefficacité. Elle a cité des chiffres montrant que les projets de lois présentés par le Conseil d'Etat semblent plus facilement passer dans le droit positif que ceux proposés par les députés. Elle a fustigé les députés sortants pour la mollesse avec laquelle ils réagissent à la négligence, plus ou moins bienveillante, que leur témoigne le Conseil d'Etat.
Ces remarques sont justes. Elles pourraient aussi se révéler inexactes. Par exemple, qu'il me soit permis de souligner tout de même que dans cette statistique entrent bon nombre de démarches parlementaires et de projets de lois présentés par des députés de ce Grand Conseil qui procèdent si fort de l'utopie et qui ont été si maladroitement étudiés qu'ils sont, en conséquence, rejetés par une majorité de ce même Grand Conseil.
Quant à la mollesse... là, la présidente sortante a peut-être touché juste. Au seuil de cette législature qui voit le parlement renouvelé de près de 50%, un ancien - déjà - comme moi peut-il se permettre à l'intention de ses collègues, anciens ou nouveaux, de poser trois questions ?
Premièrement. Quand plusieurs formations politiques ont choisi de limiter les mandats électoraux à 12, voire à 8 ans, c'était dans le but de faire «place aux jeunes». Souci fort louable ! Mais, il y a 12 ans, si le doyen de notre Grand Conseil était octogénaire, sa benjamine avait 20 ans. Aujourd'hui, notre doyen n'a que 66 ans, mais notre benjamine - excusez-moi, Madame, en a 29. La cible, selon vous, est-elle atteinte ? Et quelle est la valeur de ce genre de réglementation ?
Ensuite. Dans un parlement où les plus anciens auraient 12 ans d'expérience et où 50 députés sur 100 n'en ont aucune, comme c'est le cas aujourd'hui, la mémoire institutionnelle, la culture de l'entreprise «Grand Conseil» est-elle bien gérée ?
Enfin : les députés qui dénoncent dans cette enceinte, souvent avec véhémence - mais à bon droit, je le reconnais - les moindres carences de notre gouvernement, se révèlent-ils capables, à l'inverse, d'aller expliquer à la population le bien-fondé de nos décisions, pour éviter les recours, les référendums et tous les blocages étouffants que nous connaissons ?
Quelles que soient les réponses que vous donneriez à ces questions un peu rhétoriques, autorisez-moi, au seuil de votre vie parlementaire pour la moitié d'entre vous, à la veille d'un mandat politique de plus pour l'autre moitié, de vous suggérer qu'au-delà de la durée des mandats, ce sont les qualités propres des femmes et des hommes qui composent notre parlement, ce sont les vertus ou les défauts de ceux qui se préparent à faire le rude travail de député qui nous attend, qui assureront la sauvegarde de la République. Peu importe, me semble-t-il, l'âge ou l'ancienneté, c'est le souffle et l'enthousiasme qui comptent !
Deux citations pour engager cette législature.
La première est de Jean Dutourd, qui évoque dans une publication récente ce qu'il appelle la «décadence de la bêtise». Jean Dutourd suggère que des êtres pensants, comme le sont a priori des députés, se distancient de l'affligeante régression culturelle à laquelle notre siècle semble vouloir céder... Régression vers les époques sombres de l'Antiquité et ses rites magiques ou du Moyen Age obscur et superstitieux où le hurlement incantatoire et la vocifération brutale de stéréotypes semblaient suffire et se substituer à toute réflexion politique.
La seconde est un aphorisme limpide d'André Malraux qui aimait à répéter que : «L'intelligence est l'art de contraindre les êtres et les choses.»; art subtil que possède, à n'en pas douter, chaque représentant du peuple, et du peuple genevois.
Un parlement vivant doit permettre à chacun de défendre librement ses idées politiques, sociales, voire financières et de soutenir tant qu'il le peut son opinion. Turbulent et indiscipliné comme il a choisi de l'être, le parlement genevois doit rester la tribune privilégiée des débats d'idées, et il est à souhaiter que ces débats soient de qualité. Assurons aux citoyens qui nous ont accordé leur confiance - et au moins aux 36 % d'entre eux qui ont pris la peine de le faire - que chacun parmi nous assumera sa tâche, si lourde et ingrate soit-elle, avec efficacité.
Il m'est agréable, enfin, de remercier, en votre nom à tous, le sautier et les collaborateurs du service du Grand Conseil et de la chancellerie pour leur dévouement sans faille et leur disponibilité. Leur aide précieuse nous est indispensable dans l'accomplissement de nos travaux parlementaires.
Je souhaite également saluer les représentants de la presse qui suivent avec attention et une patience méritoire nos trop volubiles débats.
Mesdames et Messieurs les députés, nous voici élus pour la 53e législature et je vous en félicite, en accueillant cordialement celles et ceux d'entre nous qui, pour la première fois, siègent dans ce Grand Conseil, en leur souhaitant d'y accomplir un travail fructueux. Je forme le voeu qu'ils se souviennent qu'au-delà de toutes les controverses les parlements comme le nôtre sont faits non seulement pour dénoncer les situations que nous désapprouvons, mais surtout pour trouver des solutions aux problèmes nombreux et trapus auxquels sont confrontées nos collectivités.
A propos de problème trapu, je ne voudrais pas terminer cette intervention sans évoquer la crise économique que nous traversons et le grave fléau social du chômage qu'elle induit. J'ai la conviction personnelle que nous ne nous en sortirons que par la revitalisation de l'économie, le redressement des finances publiques et la création d'entreprises et d'emplois nouveaux. Mais après avoir cité Jean Dutourd et André Malraux, permettez-moi d'ajouter la citation d'un Genevois : Patrice Mugny, le courageux rédacteur en chef du «Courrier» qui, dans un éditorial récent, met en évidence que la crise ouvre aussi des perspectives morales et l'espoir d'une formidable revitalisation de la vie politique, sociale et intellectuelle, en particulier par la nécessité de redéfinir toute une série de concepts, jusqu'aux éléments essentiels de notre vie, ne serait-ce que celui de retrouver le sens moral de l'existence et des rapports humains.
La nécessité de «réenchanter» le monde, de redécouvrir et de proposer un espoir collectif, justifie d'y travailler.
Au fil de la législature qui débute, Mesdames et Messieurs les députés, nous devrons y travailler et garder à l'esprit le serment que nous venons de prononcer ensemble, sans perdre de vue que nos attributions ne sont qu'une délégation de la suprême autorité du peuple. Nous remplirons notre mandat de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.
(Chaleureux applaudissements de toute l'assemblée. Une gerbe de fleurs est remise à Mme Calmy-Rey.)