Séance du
vendredi 8 octobre 1993 à
17h
52e
législature -
4e
année -
8e
session -
38e
séance
RD 206
Discours de Mme Micheline Calmy-Rey, présidente sortante
Mesdames et Messieurs les députés, mon ambition, en accédant à la présidence du Grand Conseil, était de pouvoir contribuer au bon fonctionnement de cette institution, de voir le parlement renforcé et son image améliorée dans l'esprit de chacun.
Les membres du Bureau et moi-même avons travaillé avec constance dans ce sens, d'une part pour tenter de rationaliser les débats et d'abréger les discussions en accord avec les chefs de groupe et, d'autre part, pour essayer de faire respecter les délais légaux de réponse pour les propositions du Grand Conseil en informant systématiquement ce dernier à l'expiration des délais.
Il faut bien avouer que nos efforts ont été faiblement couronnés de succès. J'ai aimé jusqu'au bout conduire les débats de ce parlement, mais c'est un euphémisme que d'affirmer qu'ils ne se sont pas tous déroulés dans le calme et la sérénité.
Je dirai en outre que le Conseil d'Etat s'est plus ému que les députés des listes de délais échus que je lis patiemment lors de chaque séance. Il ne me semble pas que le fait de recevoir des réponses tardives aux demandes parlementaires ou de ne pas en recevoir du tout soit un sujet d'émotion particulier pour les députés.
Pourtant, la lenteur des réponses, Mesdames et Messieurs les députés, n'est pas un sujet anodin. Elle traduit aussi la faible efficacité générale de nos interventions. A l'appui de cette thèse, une statistique du service du Grand Conseil démontrant que sur 466 motions adoptées et renvoyées au Conseil d'Etat de 1978 à 1993, 188 attendent encore un rapport du Conseil d'Etat et que, sur les 1'603 projets de lois présentés par le Conseil d'Etat pendant la même période, le taux d'acceptation a été de 93%, alors que sur les 375 projets déposés par des députés ou des commissions ce même taux tombe à 47%.
On peut trouver que les demandes des députés ne valent pas la peine d'une réponse et rire de cette situation comme le Grand Conseil l'a fait hier soir. On peut trouver aussi qu'il y a un problème. Mon année de présidence m'a convaincue, Mesdames et Messieurs, que c'est le cas et que ce parlement est arrivé à la limite des capacités de fonctionnement d'un parlement de milice. Surchargés, il faut constater que nous ne pouvons plus assumer les tâches qui nous incombent avec les moyens dont nous disposons. C'est la raison pour laquelle le Bureau a souhaité équiper les députés en matériel informatique et former ceux qui en auraient besoin.
Il a décidé d'informatiser le trajet des documents parlementaires de leur dépôt à leur diffusion sous forme imprimée et d'avancer vers une généralisation de toute l'information circulée dans le cadre des travaux parlementaires.
La chancellerie proposera donc, au début de la prochaine législature, différents outils informatiques. Ils faciliteront sans doute le travail parlementaire, mais j'espère aussi qu'en allégeant le côté matériel de la fonction ils permettront aux députés d'avoir le temps de relever la tête, de prendre leur place et de se faire respecter.
L'efficacité du fonctionnement de nos institutions est en effet liée au respect des compétences respectives du législatif et de l'exécutif. Et quand le nombre de fonctionnaires dans les commissions dépasse celui des députés, quand un conseiller d'Etat domine et dirige le travail d'une commission, quand le Conseil d'Etat en vient à considérer que l'ordre du jour du Grand Conseil est son affaire, quand le service du Grand Conseil dépend administrativement de la chancellerie et qu'il n'est pas vraiment le service du Grand Conseil, j'en constate l'érosion avec tristesse.
Confrontés à une série de transformations et de changements rapides des valeurs et des modes de vie avec lesquels nous n'avons pas de recul et que nous n'avons pas pris le temps d'analyser, nos institutions en général et notre parlement en particulier fonctionnent tant bien que mal.
On a récemment beaucoup parlé des difficultés de fonctionnement du Conseil d'Etat. Des analyses de causes ont été publiées sur ce thème, des solutions proposées jusque dans ce Grand Conseil. Je souhaiterais que nous puissions accorder la même attention au fonctionnement de notre parlement. La révision de son règlement n'intéresse pas seulement quinze députés et le Conseil d'Etat. Elle est une affaire importante qui touche au bon fonctionnement de notre démocratie. Ce sera là mon dernier voeu de présidente. Je lègue ce souci et cette tâche à mon successeur.
Mesdames et Messieurs, je n'ai pas voulu ce dernier discours comme l'admonestation d'un juge extérieur, c'est le constat d'une députée parmi cent autres, qui avait mission d'incarner l'institution pendant un an.
Et si j'ai pu un tant soit peu faire fonctionner ce parlement et tenter de mettre votre travail en évidence, je le dois aux appuis que j'ai trouvé auprès des membres de mon Bureau et auprès des chefs de groupe, au service du Grand Conseil, à Messieurs Stoller, Obrist ainsi qu'aux huissiers et aux secrétaires. Je voudrais également remercier le service du protocole dont nous avons apprécié l'assistance efficace et discrète et le service de M. Taschini auquel nous avons eu recours en permanence tout au long de cette année pour mettre en place le projet informatique.
Mesdames et Messieurs, j'ai été heureuse et fière de vous représenter. J'espère avoir accompli mon mandat à votre satisfaction; sachez que c'est en tout cas ce vers quoi j'ai tendu mes efforts.
Au terme de la 52ème législature et au moment de quitter mon perchoir pour solliciter le suffrage des Genevois pour d'autres fonctions, permettez que je rappelle une dernière fois aux uns et aux autres, depuis ce Grand Conseil où, séance après séance, je vous ai exhortés à la respecter, l'allégeance que chacun d'entre nous, députés, conseillers d'Etat et citoyens, devons à la constitution genevoise. (Chaleureux applaudissements.)
Mesdames et Messieurs, nous prenons congé des députés suivants qui ne sollicitent pas un nouveau mandat des électeurs et que tous nos voeux vont accompagner.
Georges Cardinaux, député depuis 1981
Bernard Erbeia, député depuis 1981
Michel Jacquet, député depuis 1969; 1er vice-président en 1989; président en 1990
Béatrice Luscher, députée depuis 1980; 2e vice-présidente en 1984
Liselotte Born, députée depuis 1977; secrétaire en 1986
Jeannik Dami, députée depuis 1989
Jacqueline Damien, députée depuis 1969; secrétaire en 1982; 2e vice-présidente en 1987
Michel Jörimann, député de 1974 à 1985 puis dès 1989; 2e vice-président en 1983
David Lachat, député depuis 1989
Christiane Magnenat Schellack, députée de 1973 à 1985 et dès 1987; 2e vice-présidente en 1979
Jean-Luc Richardet, député depuis 1980; secrétaire en 1990
Alain Rouiller, député depuis 1981
Alain Sauvin, député depuis 1981
Irène Savoy, députée depuis 1981; 2e vice-présidente en 1991
Erika Sutter-Pleines, députée depuis 1973
Michel Urben, député de 1983 à 1985, de 1986 à 1989 et de 1991 à ce jour
Hélène Braun-Roth, députée depuis 1973; 1ère vice-présidente en 1987; présidente en 1988
Andrée Dayer, députée depuis 1977; 2e vice-présidente en 1982
Albert Maréchal, député depuis 1985
Monique Vali, députée depuis 1985
Robert Cramer, député depuis 1985
Catherine Rapp-Jotterand, députée depuis 1989
Alain Vaissade, député depuis 1989
Charles Bosson, député depuis 1981
Philippe Fontaine, député depuis 1985
Maurice Giromini, député depuis 1981
Bernard Lusti, député depuis 1981; 1er vice-président en 1990; président en 1991
Michel Rossetti, député depuis 1989
Jacques Torrent, député de 1981 à 1985, et de 1987 à ce jour; secrétaire en 1988; 2e vice-président en 1993
Florian Vetsch, député depuis 1989
Alberto Genini, député cette année
Georges Jost, député depuis 1987; secrétaire en 1990
André Vial, député depuis 1985; secrétaire en 1992
Jacques Andrié, député depuis 1989
Raymond Martin, député de 1987 à 1989 et depuis notre précédente séance !
(Tous ces députés sont vivement applaudis.)
Mesdames et Messieurs, je suis arrivée au terme de la liste des députés qui ne se représentent pas. Je leur souhaite bon vent et bonne chance. (Les huissiers leur remettent un stylo-souvenir.)
M. Michel Jacquet (L). Madame la présidente, c'est en qualité de membres les plus anciens de ce Grand Conseil, avec Mme Damien, mais certainement pas de plus vieux, car dans cette enceinte certains pourraient être nos parents, chère Madame Damien, que nous allons découvrir ce cadeau emballé dans un petit paquet bleu, d'une originalité à nous faire frémir, avec une émotion que, personnellement, je n'arrive pas à contrôler !
Je voulais, au nom de tous ceux qui se retirent - nous sommes une quarantaine, je crois - vous remercier très vivement, ainsi que votre Bureau, de votre immense générosité.
Que d'expériences extraordinaires, Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, ai-je pu accumuler au cours des six législatures passées dans ce Grand Conseil, après avoir occupé tous les postes à responsabilités que votre parlement pouvait offrir et qui m'ont permis, ainsi qu'à d'autres présidents encore présents dans cette assemblée, d'acquérir une connaissance particulière de notre canton et de ses nombreux atouts, de ses habitants, suisses et étrangers de quelque provenance qu'ils viennent. Je profite donc de cette occasion, la dernière qui me soit offerte, pour remercier une fois encore celles et ceux qui m'ont fait confiance lorsque j'ai sollicité leur suffrage.
Que de choses donc pourrais-je vous dire, Mesdames et Messieurs, chers futurs ex-collègues et surtout aux successeurs de ceux qui nous quittent ! J'en ai préparé une cinquantaine. Mais pour ne pas paraître trop ringard, je me suis dit, comme Charles Aznavour, qu'il faut savoir quitter la table quand l'amour est desservi, et comme mon idylle avec le Grand Conseil a pris quelques rides, il n'y avait finalement rien à ajouter.
Pourtant, une remarque faite dernièrement à la commission judiciaire m'a donné à réfléchir sur un constat qui me tient particulièrement à coeur et que la plupart d'entre vous partageront sans doute, c'est l'érosion des libertés individuelles. A l'occasion d'une de ces dernières séances, précisément, j'avais fait remarquer à mes collègues deux projets de lois que nous étions en train d'examiner et que nous souhaitions voir votés avant la fin de la législature. L'un des deux a été voté hier.
Il s'agit du projet d'abaissement de l'âge des jeunes pour accéder à des lieux où l'on peut se divertir ainsi que la suppression de la patente d'alcool que je souhaite voir présentée à la prochaine séance. Mais nous n'y serons pas. Au fond, ces deux projets de lois étaient peut-être les seuls de la législature à pouvoir apporter un peu plus de liberté à nos concitoyens.
Depuis 1969, date de mon entrée dans ce parlement - ce qui, entre parenthèses, m'a fait remarquer que mon chef de groupe actuel avait dix ans à l'époque (Rires.) - soit un an après Mai 1968, période pendant laquelle la liberté se manifestait le pavé à la main avec la meilleure conscience du monde, celle d'élus transcendés par leur mission de législateurs, nous avons conçu, peaufiné et voté des textes, encore et encore, comme de gigantesques matrices qui doivent peupler la cité de lois et de règlements.
Nous avons analysé les textes existants, prompts à débusquer leurs lacunes, leur insuffisance, les oublis de nos prédécesseurs étourdis. Nous avons ajouté les virgules décisives à ceux qui manquaient de rigueur et, dans nos jours fastes, distillé l'adverbe «notamment», qui permet les interprétations les plus larges, c'est-à-dire les plus restrictives. Tout cela est l'illustration de la démocratie que nous souhaitons et l'Etat de droit dont nous nous honorons. Mais nous avons trop souvent oublié l'essentiel qui est finalement la liberté individuelle.
Prenez un jour la peine, Mesdames et Messieurs, de rechercher dans ce passé proche les lois votées qui ont octroyé ou garanti des libertés et celles qui ont fixé des interdictions. Vous constaterez avec moi que, finalement, le bilan ne penche pas du côté de la liberté. Je sais que la liberté de l'un finit là où commence celle de l'autre et il faut des règles pour fixer les limites de chacun. Ainsi, l'on prévient les risques de débordement, mais l'on s'expose aussi à étouffer les effusions et les enthousiasmes.
Le désir de perfection pousse à régir encore plus et encore mieux la vie de nos concitoyens, et pourtant, j'en suis totalement convaincu, ceux-ci aspirent, non pas à des directives supplémentaires, mais à plus d'air, plus d'espace; en un mot, plus de liberté pour créer, entreprendre sans entraves administratives ni autorisations aliénantes.
Vous, Mesdames et Messieurs les députés, vous Mesdames et Messieurs les futurs conseillers d'Etat qui siégerez à nouveau au cours de la prochaine législature, veillez à leur garantir cet espace de liberté. Rendez-leur la foi en leur génie propre et aiguisez leur sens des responsabilités.
Genève, berceau d'humanistes, de scientifiques et d'artistes, doit rester une terre de liberté et d'accueil. Ne laissez pas la source tarir. Ne permettez pas l'exil des talents et des cerveaux découragés par les lois prolifiques et les réglementations. Je souhaite une législature qui voie Genève et sa région gagner, non seulement en croissance économique, mais aussi en ouverture d'esprit, en dimension culturelle et surtout en accroissement des libertés individuelles. Cela n'est pas mon testament, mais ce sera mon pavé d'octobre 1993 en faveur des libertés. (Applaudissements.)
Mme Jacqueline Damien (S). Comme colauréate rescapée de la volée 1969, permettez-moi d'évoquer quelques souvenirs. Le premier, c'est la violence inouïe de mon presque voisin qui se trouvait au premier rang de la surface radicale, Robert Ducret qui, lorsqu'il avait vu qu'il m'effrayait vraiment, me lançait toujours un gros clin d'oeil avant de commencer comme pour m'avertir que c'était un jeu.
Et puis, la gentillesse, la chaleur humaine du groupe formé par Maurice Roset, dit : «Toguiss», par «Fanfi» François Cochet, Paul Baudit, Boccard père, Robert Tochon, Torrent père, Georges Herbez, avec sa discrétion et sa bienveillance, le seul, à ma connaissance, à incarner les trois pouvoirs : maire de sa commune de Chancy, juge assesseur et député.
Je m'en voudrais de ne pas évoquer l'infinie gentillesse et le dévouement d'Aliette Aubert; le charme, la joie de vivre, le talent et le courage de Jaqueline Gillet - Jaqueline sans C - qui, fidèle à ses convictions, comme «Toguiss» d'ailleurs, n'hésitait pas à voter parfois contre son groupe, à l'opposé d'une sémillante et intelligente jeune avocate radicale qui, après avoir brillamment défendu une cause en commission, pour ne pas être en porte-à-faux avec son groupe en séance plénière, avait le génie de disparaître au moment crucial, celui du vote, à l'opposé de Claude Ketterer, qui avait le génie d'apparaître aux quatre coins du canton, quasiment en même temps, «mais lui» rétabli lorsqu'il le fallait.
Comment oublier la volcanique générosité d'Amélia Christinat ? La finesse et l'humour de Maurice Aubert ? La qualité d'attention, la gentillesse de Dominique Micheli, président de grande qualité, comme Jean-Claude Cristin dont la parenté du mélange de rigueur, du sens de l'humain et les dons de pédagogue avec notre collègue actuel Alain Sauvin m'a toujours frappée.
J'en reviens au corescapé de la volée 1969, Michel Jacquet, qui s'est révélé, avec Pierre Schmid d'ailleurs - je n'ose pas dire, à la surprise générale - un excellent président, tous deux attentifs, ayant le sens du rythme, chefs d'orchestre de talent, sachant quand ils devaient laisser à tous le temps de s'exprimer, même longuement, et quand ils pouvaient être expéditifs.
J'avoue que je garderai toujours en mémoire la ténacité, la constance, l'immense travail et le dévouement de nombre de députés du parti du Travail, dignes héritiers de leurs talentueux prédécesseurs, dont Jean Vincent et Jacqueline - avec C - Zurbrügg.
Je terminerai en souhaitant du fond du coeur bonne chance à celles et à ceux qui se représentent, en espérant toutefois que la technocratie ambiante ne soit pas trop contagieuse et que les économistes, distingués comme il se doit, n'oublient pas que la femme, l'homme qui travaille ou essaie d'avoir un travail qu'il aime et pour lequel il a été formé, ne soit pas considéré comme une entité économique éventuelle, mais comme un être humain pour qui la vie est difficile et angoissante. Pardon d'avoir pris un peu de votre temps. (Applaudissements chaleureux.)
Mme Erika Sutter-Pleines (S). Après avoir entendu le pavé que M. Jacquet a lancé, j'ai les mains qui tremblent et le coeur qui bat comme il y a vingt ans lorsque je suis intervenue pour la première fois.
J'aimerais simplement lui conseiller d'aller voir un film dont tout le monde parle - mais à mon avis, ne parle pas suffisamment - c'est soi-disant un film sur la liberté, il se nomme : «Bleu». Il se termine, et c'est bien ce que veut nous dire le cinéaste, par une allusion à une autre trilogie que celle de liberté, égalité, fraternité, c'est celle de la foi, de l'espérance, de l'amour.
J'aimerais lui dire que, au gré de ces vingt ans, au travers de tout ce que j'ai vu et entendu, la liberté n'est pas ce qu'il a décrit. C'était pour certains hommes d'Etat et certains d'entre nous la compréhension de nos concitoyens, de telle façon que la vie soit meilleure à Genève. Ce n'est pas forcément ou simplement en votant des lois comme celles que vous avez décrites. Ma liberté n'est pas celle-là. (Applaudissements.)
La présidente. Après ces belles paroles, nous allons lever la séance et je vous invite à prendre un verre dans la salle des Pas-Perdus.
La séance est levée à 19 h 5.