Séance du
jeudi 7 octobre 1993 à
17h
52e
législature -
4e
année -
8e
session -
35e
séance
I 1864
M. Hermann Jenni (MPG). Dans cette enceinte, l'expérience nous a accoutumés au spectacle de politiciens accomplissant de véritables acrobaties verbales dans le seul but de nous faire prendre des vessies pour des lanternes.
Si bien que, pour notre part, nous refusons de pratiquer ce qu'il est convenu d'appeler la langue de bois. Elle devrait nous être suffisamment connue pour ne plus nous surprendre. (Commentaires de M. Lachat.) J'aimerais bien que M. Lachat se taise !
La présidente. Monsieur Lachat, s'il vous plaît, allez à la buvette !
M. Hermann Jenni. Et pourtant nous devons saluer ici la performance linguistique accomplie par notre département de justice et police qui réussit le joli tour d'intituler «rues de connexion», du verbe connecter, qui signifie mettre en contact, faire communiquer des rues où justement on met force obstacles au passage.
On se glorifie dans la République d'avoir dépensé plus d'un milliard pour construire le tronçon d'autoroute le plus coûteux du monde et l'on a trouvé moyen, dans le même temps, de «péjorer» la circulation urbaine que cet ouvrage était censé améliorer.
Rues de connexion, dites-vous ? Du verbe connecter, bien sûr. Ne serait-il pas plus conforme à la réalité de dire, rues de «déconnexion», du verbe «déconner» cette fois, dont je n'ai pas besoin de vous donner la définition car tout un chacun à Genève s'accorde à dire qu'il qualifie parfaitement la politique du département de justice et police en matière de circulation et transports.
En voulant faire les yeux doux aux écologistes malthusiens dans la perspective d'élections proches et hasardeuses, M. Ziegler aura fait l'unanimité contre lui. Cependant, croyant tout savoir et n'écoutant jamais les avis de l'expérience en quelque matière que ce soit, il reste persuadé d'avoir toujours raison, seul et contre tous. Voilà un point du moins où il s'accorde parfaitement avec son ennemi intime, son frère en politique, Christian Grobet, qui, lui aussi, croit tout savoir.
La seule chose qu'il ne sache pas est de reconnaître une erreur. Il aura fallu quatorze ans pour réaliser à contrecoeur cette autoroute dite «de contournement» que nous appellerions plus volontiers «de détournement». En effet, n'est-ce pas détourner les fonds publics que de les dépenser pour faire exécuter - à quel prix ! - des fresques dans les tunnels ?
Pendant ce temps, le bon peuple attend depuis plus de cinq ans la réalisation d'une traversée de la rade qu'il a votée. (Rumeurs de lassitude.) On multiplie les études à grands frais. On reporte le tracé toujours plus loin dans le seul but, semble-t-il, de dégoûter le souverain d'un ouvrage dont on décuple les coûts tout en rendant plus aléatoire son utilité immédiate.
Dans le même temps, en couleur et sur papier glacé, le même département se glorifie de ses prétendues réalisations, de telle sorte que je suis tenté d'accommoder à son usage un dicton populaire. La devise qui conviendrait le mieux à son chef serait : «Bien braire et ne rien faire».
Ne rien faire n'est toutefois pas le terme absolument approprié pour qualifier l'activité de l'un et l'autre département car l'on s'y démène beaucoup. On s'y active vivement. L'essentiel de cette activité consiste à entraver celle d'autrui. Les interdictions déraisonnables se multiplient et deviennent la source d'un rançonnement journalier des usagers. Il est devenu matériellement impossible d'observer scrupuleusement la réglementation pléthorique à laquelle on veut nous astreindre. Par nécessité et pour maintenir tant bien que mal en vie le commerce et l'industrie, on est contraint de transgresser quotidiennement des interdictions imbéciles, quitte ensuite à passer à la caisse.
Trop de lois tuent les bonnes moeurs et, à tant réglementer et transgresser, on finira par ne plus savoir où passe la limite qui sépare les honnêtes gens des délinquants.
Je pose à ce gouvernement les questions suivantes.
Quand reconnaîtrez-vous que votre plan de circulation au centre-ville est un échec ? Et quand rétablirez-vous l'état antérieur réclamé par l'unanimité des gens actifs et productifs, à l'exception des seuls «écolos-parasites» ? (Manifestations de mécontentement.)
Quand cesserez-vous de dépenser vainement les deniers publics en études, contre-études, expertises, contre-expertises, avis de droit divers et contradictoires, etc. pour enfin vous attaquer à la réalisation de la traversée de la rade votée démocratiquement voici plus de cinq ans ?
Quand peut-on espérer voir soumise en votation populaire l'initiative dite de l'Alhambra, en souffrance depuis plus de treize ans ? Comme je prévois que ce gouvernement sera incapable - ou ne daignera pas - de me donner les réponses aux questions que tout le peuple se pose, c'est du prochain gouvernement que j'attends autre chose que les belles promesses que nous font miroiter tous les candidats plus ou moins valables qui se bousculent au portillon de l'élection au Conseil d'Etat. Qu'ils prennent garde, les consuls !
M. Bernard Ziegler, conseiller d'Etat. Je connais M. Jenni depuis trop longtemps - je le côtoyais déjà au Conseil municipal de Collonge-Bellerive, ensuite dans cette salle du Grand Conseil; cela fait vingt ans que je le connais - pour pouvoir encore m'alarmer de l'excès de ses propos. Il est comme cela, (Vague de rires.) en commission comme en plénière.
Toutefois, en privé, il est beaucoup plus raisonnable lorsque l'on discute avec lui, (Rires.) mais, lorsqu'il parle pour la galerie, il a une propension à tenir des propos excessifs. Or ce qui est excessif se révèle finalement inutile. C'est vain, Monsieur Jenni. Vous connaissez l'adage.
Je ne ferai pas comme vous et n'irai pas chercher la source du mot déconnexion dans les propos que vous avez tenus. Je dirai simplement que, par vos propos tenus ce soir, c'est plutôt vous qui déconnectez, Monsieur Jenni.
Vous avez intitulé votre interpellation : «La thrombose provoquée du réseau routier urbain». Il est vrai que certains avaient effectivement promis une thrombose de la circulation à la rentrée, mais elle ne s'est pas produite. L'option qui a été prise s'est révélée juste. Tout fonctionnait très bien à la rentrée.
Bien entendu, il est toujours difficile de demander aux citoyens de changer leurs habitudes. Cela ne se fait pas en deux jours. Dans ce cas, cela s'est fait en quelques semaines. Les citoyens genevois ont changé leurs habitudes beaucoup plus vite que prévu. On compte actuellement - Monsieur Jenni d'ailleurs comme artisan taxi vous devriez en être satisfait - vingt-cinq mille véhicules de moins en transit à l'intérieur de la petite ceinture. Loin de provoquer une thrombose, on a fluidifié le sang dans les artères. Tout le monde le reconnaît.
La liaison de rive à rive dont on n'a jamais beaucoup parlé avec la mise en place du «U» de circulation sur les deux quais s'est considérablement fluidifiée. On a fait sauter le fameux bouchon devant le Noga Hilton et je crois que tous les citoyens genevois en sont extrêmement satisfaits. Cela, Monsieur Jenni, touche cent mille personnes. Ce ne sont pas les six mille «accros» du quai des Bergues qui sont concernés ici.
Monsieur Jenni, il faut savoir prendre un peu de recul dans ce genre de dossier. En effet, toutes les villes d'Europe, lorsqu'elles mettent en place de nouveaux plans de circulation, doivent faire le même exercice que nous, sous peine de congestion ou de thrombose justement. Nous essayons d'éviter la thrombose que vous prédisez. Mais pour ce faire, il faut avoir le courage de prendre des décisions.
En définitive, toutes les villes d'Europe doivent adopter de nouveaux plans de circulation. Cela commence toujours par des cris et des chuchotements. Chez nous, il n'y a pas de chuchotements, mais des cris assez virulents. Toutefois, lorsque l'on prend du recul, on constate que les problèmes de circulation ont été considérablement améliorés. Je suis convaincu que l'on fera ce constat à Genève comme dans les autres villes de même importance en Europe.
Le Conseil d'Etat lui-même trouvait qu'il fallait laisser s'écouler un peu de temps dans une telle affaire et ne pas agir de manière obtuse face à un dossier aussi délicat. Vous savez probablement, Monsieur Jenni, que l'organisation de la circulation est devenue une science. C'est une affaire diablement complexe que ces réglages de flux de circulation sur ordinateurs.
Très rapidement, on se rend compte, si l'on rétablit un «tourner à gauche par-ci ou un sens unique par-là», des conséquences qui se font sentir parfois très loin sur le réseau routier. Dans cette affaire, il faut écouter aussi les propos des ingénieurs, ceux qui étudient et préparent ces dossiers. En tout cas, ils m'avaient annoncé une décharge substantielle du trafic de transit au centre de l'agglomération. Or les premiers résultats des comptages à la rentrée montrent que leurs prévisions étaient exactes.
Mais, comme en horlogerie, un certain nombre de réglages fins ne peuvent être faits que sur le terrain. Cela nécessite un certain temps. Toutefois, les choses se sont beaucoup mieux passées que la thrombose que vous nous aviez prédite. Cette dernière ne s'est pas produite. Nous l'avons au contraire évitée, Monsieur Jenni, en ayant le courage d'aller de l'avant avec ce dossier.
M. Hermann Jenni (MPG). Je ne prolongerai pas outre mesure ce qui ne peut être qu'un dialogue de sourds. Mais M. Ziegler vient d'illustrer parfaitement ce que j'ai dit tout à l'heure concernant le fait qu'il croit tout savoir et n'écoute jamais les avis provenant de l'expérience pratique - j'ai parcouru 1,5 million de kilomètres dans cette ville - (Rires.) en quelque matière que ce soit et reste persuadé d'avoir toujours raison, seul et contre tous.
L'interpellation est close.