Séance du
vendredi 17 septembre 1993 à
17h
52e
législature -
4e
année -
7e
session -
34e
séance
I 1866
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. M. Spielmann a interpellé le Conseil d'Etat à propos de la cession par Swissair d'une des activités assumées directement par cette compagnie, soit le nettoyage des cabines des avions. Cette activité est désormais sous-traitée à une compagnie tierce.
Il faut savoir que cette activité est une des prestations de Swissair dans le cadre des opérations d'assistance au sol, appelées opérations de «handling». Depuis quelques mois, Swissair doit faire face à une concurrence nouvelle en ce sens que cette dernière, qui disposait jusqu'ici d'une sorte de monopole pour l'assistance au sol des compagnies aériennes de ligne, est obligée de s'ouvrir à la concurrence. D'autres compagnies peuvent traiter ce type d'opérations qui sont rentables. Cela est nécessaire, notamment à la suite de notre intégration progressive sur le plan du trafic aérien européen, et en raison de certaines règles de concurrence admises aujourd'hui.
Dès lors, Swissair s'est trouvée dans la situation de devoir ajuster la structure de ses coûts pour faire face à une situation concurrentielle nouvelle. Cette obligation de rester compétitive dans son activité par rapport aux autres aéroports l'a conduite à engager une réflexion sur un certain nombre de restructurations de ses activités et à examiner la possibilité de sous-traiter certaines de ses activités plutôt que de s'en occuper elle-même, alors même que ces activités pouvaient être rentables.
Le problème est que Swissair n'a plus le droit de revendiquer un «monopole» consenti par l'Etat de Genève, puisqu'il ne s'occupe pas lui-même de ce type d'activités. Ce n'est pas l'Etat de Genève ni l'aéroport qui réalisent les opérations de «handling». Lorsque nous avons pris connaissance de cette réflexion et des perspectives qui s'offraient ainsi à Swissair, nous avons constaté qu'évidemment un tel choix n'était pas de notre compétence puisque nous n'avons pas le moyen d'intervenir à ce niveau, mais nous nous sommes néanmoins montrés tout à fait précis et insistants sur les aspects sociaux de cette restructuration.
Comment cette dernière s'est-elle opérée ? Tout d'abord, la totalité du personnel de Swissair affectée au nettoyage de cabines a été transférée à la société qui a repris cette activité, cela - sur notre insistance - sans aucun licenciement. C'est la première des choses.
Le problème incontestable soulevé par M. Spielmann - il est au coeur de son interpellation, d'ailleurs - est que les salaires du personnel transféré sont diminués en moyenne de 3,8%. La fourchette va jusqu'à 8, voire 13% dans certains cas. Ce problème s'explique parce que la société qui a repris cette activité assure des salaires sur une moyenne qui correspond à un standard légèrement inférieur aux salaires payés jusqu'alors par Swissair. Cela nous a évidemment inquiétés et nous avons examiné si ces nouvelles conditions salariales respectaient les usages en application dans le canton de Genève. Dans le cas contraire, nous ne les aurions pas admises.
Il a été constaté que les salaires du personnel de Swissair sont d'environ 20% supérieurs à la moyenne de la profession au sein de l'Association genevoise des entreprises de nettoyage qui détermine les usages en la matière. Nous avons également constaté l'application de la réduction salariale - que je regrette - qui est de 3,8% en moyenne et que j'ai signalée. Mais, néanmoins, la rémunération des collaborateurs transférés dans la nouvelle société sera toujours sensiblement supérieure à la moyenne de rémunération des sociétés de nettoyage de l'Association genevoise des entreprises de nettoyage. Nous n'avons donc pratiquement aucun moyen pour dire que cette rémunération n'est pas conforme aux usages, puisqu'elle est supérieure de la moyenne de la branche.
Je voudrais dire, par ailleurs, que Swissair a mis en place un plan social pour permettre au personnel transféré de bénéficier d'indemnités forfaitaires dont le montant varie en fonction de l'âge et des années d'ancienneté pour compenser - en tout cas sur une certaine durée - cette différence salariale.
Je souligne également que nous avons exigé - parce que nous sommes en droit de le faire - que la société qui reprenait les activités de Swissair - encore une fois, sans licenciement - dont le siège était dans un autre canton, crée une filiale dans notre canton, d'une part, pour qu'elle paye des impôts dans notre canton et, d'autre part, pour mieux contrôler l'application des usages dans la profession.
Voilà dans les grandes lignes, Monsieur Spielmann, les informations que je pouvais vous donner. Oui, il y a eu une restructuration dictée par un changement du cadre concurrentiel de Swissair pour ce type d'activités. Oui, malheureusement - et je le regrette - il y a réduction de l'ordre de 3,5 à 3,8% du salaire du personnel transféré. Ce sont les aspects négatifs de la question.
Il n'y a pas eu de licenciement et, par ailleurs, les salaires se trouvent au-dessus de la moyenne en usage dans la branche. De plus, nous avons obtenu l'inscription de cette société au registre du commerce genevois de façon que sa succursale paye des impôts. Cela permet de contrôler plus efficacement les règles du jeu. Ce sont les aspects positifs.
M. Jean Spielmann (T). Je tiens tout d'abord à remercier M. Maitre pour les informations qu'il vient de nous fournir.
Je souligne que certains points sont effectivement importants, en particulier l'assimilation, je dirais la «prise de siège», de cette entreprise à Genève qui permet un éventuel contrôle.
M. Maitre ne m'a pas précisé - je pense que cela fait l'objet de discussions actuelles - s'il y aura une convention collective pour le personnel et quelle sera sa nature. Il est également important qu'il n'y ait pas eu de licenciement.
Mais je relèverai tout de même que certaines méthodes me semblent inquiétantes de la part de Swissair, notamment la manière dont le personnel a été traité. Je rappelle ici - je l'ai fait hier très rapidement - qu'un certain nombre d'employés de ses services de nettoyage, dont quatorze travaillent depuis plus de vingt ans pour cette entreprise et un depuis plus de trente-trois ans, ont été traités plus que cavalièrement. Je trouve cela inacceptable ! Le personnel a été averti dans l'après-midi et convoqué à une assemblée à 20 h 30, le même jour. On leur a annoncé qu'ils avaient été «vendus», purement et simplement, avec leur travail et leurs services à une entreprise extérieure au canton.
Cela engendre une série de questions trapues par rapport au statut qu'ils avaient dans l'entreprise, par rapport aux conditions qui leur avaient été faites pendant des années. Je ne parle pas ici des problèmes plus pointus liés à la retraite et aux différentes indemnités auxquelles ils avaient droit. Tout cela a été perdu d'un coup et d'un seul. Ce qui a le plus choqué les 163 personnes concernées est la manière cavalière dont on leur a signifié ce changement.
Leurs représentants et les différents responsables syndicaux avaient eu un entretien, voici quelques semaines, avec des directeurs de Swissair. Ils leur avaient posé la question au sujet des sous-traitances sachant qu'une rumeur courait. Un des directeurs leur a répondu qu'il en avait été question, mais que ce n'était plus le cas et qu'ils ne risquaient rien. Or, quelques jours après, ils ont appris qu'ils avaient purement et simplement été vendus comme du matériel ou du bétail. Je trouve cela inacceptable de la part d'une entreprise comme Swissair !
Cette arrogance et cette manière de traiter le personnel m'inquiètent à d'autres titres. Il est vrai que dans le cas particulier il a été clairement dit qu'il n'y avait plus rien à faire. Mais ces menaces sont lourdes pour le personnel de Swissair puisque, avec les arguments de «dumping» salarial et social, on entend dire que Swissair sous-traiterait pratiquement tous les services aéroportuaires qui ne sont pas liés directement au traitement du personnel et du transport de personnes. Ce sont de gros risques potentiels pour l'ensemble des activités et pour ceux qui travaillent pour cette entreprise. Il me semble qu'il y aurait pour le gouvernement matière à inquiétude et nécessité de reprendre contact avec Swissair pour que le minimum soit respecté, c'est-à-dire le maintien de la discussion avec le personnel et ses représentants avant qu'ils soient mis devant des faits accomplis.
Ce problème sera encore suivi avec attention. Je me réserve le droit de revenir sur les questions concrètes qui sont celles de la convention collective de travail et le respect du droit des personnes concernées. Je tiens tout de même à remercier le Conseil d'Etat pour la rapidité de son intervention, et j'espère qu'il continuera à être attentif au personnel de cette entreprise.
L'interpellation est close.