Séance du jeudi 16 septembre 1993 à 17h
52e législature - 4e année - 7e session - 31e séance

PL 6991-A
32. Rapport de la commission de l'énergie et des Services industriels chargée d'étudier le projet de loi du Conseil d'Etat approuvant le rapport annuel de gestion, le compte de profits et pertes et le bilan des Services industriels de Genève pour l'année 1992. ( -) PL6991
Rapport de M. Jean-Claude Genecand (DC) commission de l'énergie et des Services industriel

C'est dans un climat de suspicion que la commission étudie les comptes qui ne sont pas contestés dans leur réalité comptable, mais qui donnent l'occasion, à plusieurs députés, d'interpeller la direction des SI sur la politique de la gestion de l'énergie menée par l'entreprise.

Notre commission énergie est présidée par Mme Micheline Calmy-Rey. A cette commission assistaient M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat et chef du département de l'économie publique, M. Jean-Pascal Genoud, délégué de l'énergie, M. L. Ducor, président des SI, M. G. Blondin, directeur du service du gaz, M. D. Perron, directeur du service de l'électricité, M. J.-G. Florio, secrétaire général, M. P. Giacasso, directeur du service des eaux, M. A. Rollier, directeur des services financiers, M. E. Wohlwend, directeur des services généraux.

Il convient de relever quelques points essentiels qui démontrent que les SI mènent une politique volontariste, recherchant, avant tout, à gérer au mieux l'entreprise comme le demande l'article 158 et, parallèlement, de mener à bien une stratégie d'économie d'énergie comme le stipule l'article 160c.

Il y a pourtant ambiguïté: les SI ont recours aux centrales nucléaires pour le 37 % de nos besoins non couverts par l'énergie hydraulique, ce qui leur vaut l'épithète «hypocrisie», exprimée par une députée qui explique «qu'il n'est pas suffisant de dire que le nucléaire est bon pour les autres et de continuer à s'alimenter en énergie nucléaire».

Un article récent du Monde diplomatique, sous le titre «Le souhaitable adieu au nucléaire», confirme l'inquiétude d'un nombre grandissant de citoyens à l'égard du nucléaire, ceci malgré le battage de l'EDF: «Le bluff de l'EDF laisse croire que cette option ne comporte aucun risque, tait le coût des révisions des installations et du démantèlement à venir, tout en évacuant l'insoluble problème des déchets. Mais, en Europe de l'Ouest, comme à l'Est, des expériences concrètes montrent que mieux vaut s'atteler à la maîtrise de l'énergie plutôt qu'encourager sa consommation».

Si je me permets de rapporter ces propos journalistiques hors commission, c'est qu'ils ont l'avantage de résumer le dilemme et mettent le doigt sur le problème essentiel, à savoir la réforme d'une véritable politique d'économie d'énergie, défi qui doit interpeller nos pays occidentaux. Il ne s'agit pas de clouer au pilori les SI qui s'engagent financièrement dans des mandats déterminés d'économie d'énergie, mais de repenser la stratégie des économies potentielles et de les proposer aux consommateurs. M. Ducor a donné l'exemple d'une grosse entreprise touchée par l'augmentation de 6 % des tarifs et la suppression de la dégressivité tarifaire. Celle-ci a sollicité une expertise qui a coûté 165'000 F aux SI, mais a permis une économie d'énergie de 20 %, et M. Ducor de dire: «On ne peut pas demander aux autres consommateurs de payer de telles expertises!». C'est à voir M. Ducor, si les résultats des économies d'énergie sont véritablement sensibles, on peut demander une participation aux bénéficiaires et cet argent ainsi investi est, à terme, très rentable, bien mieux qu'une campagne générale qui, le plus souvent, démobilise les consommateurs qui perçoivent mal les moyens à employer pour parvenir à une économie.

Ce travail de bénédictin est sûrement suivi d'effets car quel chef d'entreprise serait réfractaire à la diminution de ses coûts d'énergie, même si ceux-ci entraînent des investissements. Puis, il y a tous les renouvellements; prenons un artisan qui modifie ses installations frigorifiques. Si le concessionnaire a intérêt à vendre du matériel hautement isolé en recevant une prime des SI, ne va-t-il pas conseiller son client dans le bon sens! Résultat: tout le monde tire les marrons du feu! De plus, comme M. Jourdain, l'artisan fait des économies d'énergie sans le savoir! Certains députés vont peut être se plaindre que ce rapport est manipulé. Je réponds qu'il y a deux méthodes de faire les rapports. L'une consiste en un bon travail de secrétaire, en gommant les aspérités, l'autre à parvenir à faire émerger les confrontations. J'ai choisi la seconde et j'espère avoir atteint le but qui permet d'ouvrir un débat.

Pour le surplus, la commission vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, par 5 oui (2 lib., 2 pdc., 1 rad.) et 4 abstentions (2 soc., 1 pdt., 1 peg.), à accepter le projet de loi 6991.

Premier débat

M. Chaïm Nissim (Ve). Je voudrais faire un petit commentaire au sujet du mot «hypocrite» rapporté par M. Genecand dans son rapport.

Ce mot a été prononcé en commission alors que nous parlions d'un contrat signé entre EOS et EDF pour l'achat de courant, notamment nucléaire, en France. C'est un gros contrat qui porte sur 1 milliard 300 millions. Vous savez qu'en France le courant est d'origine nucléaire à 66 %. Nous avons demandé à M. Ducor comment il avait pu signer ce contrat, alors que dans la constitution figure l'article 160 c qui recommande notamment à nos autorités : «...de s'opposer, par tous les moyens juridiques et politiques à leur disposition, à l'installation de centrales nucléaires...». Comment M. Ducor a-t-il pu concilier l'article de la constitution avec sa décision ? Il nous a répondu qu'il avait demandé un avis de droit car il était un peu emprunté par rapport à son vote au conseil d'administration d'EOS. Il lui a été répondu qu'il n'y avait pas de problème s'il votait oui car il n'y avait pas «voisinage». C'est pour cela que le mot «hypocrite» a été prononcé.

Ensuite, nous avons appris qu'il ne s'agissait pas seulement du courant de Fessenheim et de Cattenom, mais aussi de Malville et du parc nucléaire français en général.

Je voudrais attirer votre attention sur une curieuse contradiction. En effet, le Conseil d'Etat s'oppose depuis deux ans, via M. Haegi, à la remise en marche de Malville et, pendant ce temps, M. Ducor investit 21 % de 1 milliard 300 millions, ce qui fait quand même quelque chose comme 250 ou 300 millions dans le nucléaire français. Il est curieux de constater qu'une autorité cantonale travaille dans un sens et qu'une autre autorité cantonale travaille dans un autre sens.

De plus, une petite remarque a été faite en commission à M. Ducor, s'agissant des 250 millions. En effet, s'il les avait investis dans les économies d'énergie, il aurait pu créer un certain nombre d'emplois et fournir, ou plus exactement économiser, une certaine quantité de courant.

Ma troisième remarque porte sur la transparence et le contrôle. Qui sait dans ce Grand Conseil, et ailleurs dans la population, que M. Ducor a voté oui ? Qui connaît l'existence de ce contrat ? Qui sait que nous achetons 300 mégawatts de courant nucléaire en France chaque année ? Personne ne le sait ! Qui peut décider d'un tel contrat ? Comment M. Ducor se permet-il de voter une telle décision sans en référer à personne ? C'est assez curieux. Mais il y a matière à réflexion, et je voulais vous en faire part.

M. Philippe Joye (PDC). M. Nissim oublie une chose essentielle, c'est que M. Ducor ne fait que répondre à une demande. Vous savez, Monsieur Nissim, que la courbe de croissance de la consommation d'électricité diminue avec passablement de constance depuis un certain temps. Vous savez aussi que la ligne de 380 kilovolts qui pourrait peut-être permettre de nous approvisionner à d'autres endroits est en cours d'approbation depuis plus de dix ans et qu'à chaque procédure il faut recommencer pratiquement à zéro.

Vous savez que les économies d'énergie se chiffrent dans le domaine des énergies douces en termes de kilowatts, alors que les Services industriels doivent réagir en termes de mégawatts. Il y a donc un écart énorme, ce qui ne veut pas du tout dire que des recherches et des efforts très importants ne sont pas déployés par les Services industriels dans le domaine des économies d'énergie, piles à combustible, énergie solaire, etc.

Enfin, M. Ducor n'a pas signé ces accords tout seul. Le conseil d'administration a été derrière lui. Dans ce conseil, la répartition usuelle est connue. Vous avez aussi vos représentants et je crois pouvoir vous dire que ce n'est pas du tout de gaieté de coeur que nous achetons de l'énergie nucléaire en France. Cela est dû à ce que la consommation n'est pas encore maîtrisée actuellement.

Je suis moi-même un fervent adepte des économies d'énergie. Je suis membre de plusieurs clubs d'économies d'énergie. J'ai acheté une voiture électrique et je me suis «planté» royalement ! Je peux même vous donner le nom du vendeur ! Il n'est pas très loin ! (Rires.) En plus des 20'900 «balles» pour la voiture, j'ai souscrit une participation à une centrale solaire de 5'000 F, qui marche je crois très bien. Elle ne donne pas beaucoup de dividendes, mais ce n'était pas le but. Je suis un «économe content», mais je tiens à vous dire qu'il est plus facile de dire qu'il faut faire des économies d'énergie que de le faire lorsqu'on est à la tête d'un service qui est censé fournir sans interruption les prestations électriques demandées par tout un chacun et nous tous dans ce Grand Conseil.

M. Thierry Du Pasquier (L). Si le débat qui a lieu maintenant, suite au rapport de M. Genecand, est censé refléter les travaux en commission, il y a véritablement quelque chose qui ne fonctionne pas normalement.

M. Genecand a axé son rapport - je le lui dis très confraternellement, sans le critiquer - sur un point minime des débats en commission. Il convient de dire aujourd'hui que lors de cette séance de commission, qui a duré plusieurs heures, M. Ducor et tous ses collaborateurs ont répondu très précisément à toutes les questions posées. Il a été également répondu à la question qui est soulevée maintenant. Elle a fait l'objet d'un examen attentif de la commission en présence de M. le président Maitre à qui la question a été posée. On lui a demandé si l'attitude des Services industriels dans cette affaire d'achat d'électricité en France lui paraissait critiquable. Or M. Maitre a affirmé qu'il n'en était rien et qu'ils avaient été tout à fait corrects. Ils ont simplement cherché à se fournir en quantité suffisante pour répondre aux besoins de la population.

Il ne faut donc pas déformer les choses. Les travaux en commission ont été très sereins, sans suspicion - malgré ce qui a été dit un peu légèrement, il me semble. Il convenait de le dire. Pour terminer, je relèverai que ce rapport a été accepté à l'unanimité, avec quelques abstentions il est vrai, mais sans aucune opposition.

M. Chaïm Nissim (Ve). Il est tout à fait vrai, Monsieur Joye, qu'aujourd'hui les productions d'énergies alternatives, notamment solaires, se chiffrent en termes de kilowatts, alors que nous avons besoin de mégawatts. Par contre, les économies d'énergie, notamment aux Etats-Unis, se chiffrent elles aussi en termes de mégawatts. Il y a un potentiel inimaginable, notamment en Californie. Lorsqu'on investit des dizaines et même des centaines de millions, des dizaines et des centaines de mégawatts sont économisés. Ce n'est qu'une question de moyens à investir.

Je regrette l'absence de M. Maitre. M. Ducor nous a dit qu'un avis de droit avait été demandé et obtenu par ses services sur la constitutionnalité de ces achats de courant à l'étranger. Je souhaiterais que ce rapport soit connu par le Grand Conseil. Je le redemanderai à M. Maitre lors d'une prochaine interpellation. Mais je regrette que ces décisions importantes, qui engagent des centaines de millions et des centaines d'emplois, ne soient pas portées à la connaissance du Grand Conseil.

Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Je tiens à dire que je suis la personne qui a utilisé le mot «hypocrite».

Des voix. Oohhh !

Mme Elisabeth Reusse-Decrey. Je n'ai pas à le cacher, et je vais vous expliquer pourquoi.

Les Services industriels sont liés par deux mandats : celui de fournir des fluides et celui d'économiser l'énergie en s'opposant au nucléaire. La constitution précise que seule Genève et ses environs est concernée. Alors que font les Services industriels ? Ils demandent des avis de droit pour savoir à partir de quand et de quelle distance ils peuvent acheter du nucléaire; puis ils prennent un compas et achètent du nucléaire à l'extérieur du périmètre autorisé, sans essayer de trouver d'autres moyens d'acheter de l'électricité.

C'est vrai que les Services industriels doivent fournir de l'électricité aux consommateurs genevois, mais ils doivent aussi essayer de trouver d'autres solutions. Pour moi - je voudrais que cela soit clair - soit on est pronucléaire et on achète du courant nucléaire, soit on ne l'est pas et on fait tout pour éviter d'en acheter. On essaie de respecter l'article 160 c et on met tous les moyens nécessaires à sa disposition pour éviter d'y avoir recours. Au moins, il faut tenter de faire autrement.

Je dois dire que M. Ducor a eu la franchise de dire que ces deux mandats n'étaient pas compatibles, contrairement à ce que dit M. Maitre. C'est dommage que M. Maitre ne soit pas là, lui qui prétend que ces deux mandats sont compatibles et que les Services industriels sont effectivement liés par eux. M. Ducor a clairement dit en commission que l'article lui enjoignant de livrer des fluides prédominait pour lui et que l'autre ne le concernait guère.

En conclusion, notre parti s'abstiendra sur ces comptes. Nous ne nous sommes pas livrés à des calculs précis pour savoir si ceux-ci étaient justes ou non. C'est la politique des Services industriels que nous jugeons à travers ces comptes.

M. Claude Blanc (PDC). Je ne dirai pas que ce débat est «hypocrite», je dirai qu'il est tout simplement «malhonnête» ! En effet, je refuse d'admettre que M. Ducor soit traité d'hypocrite dans ce domaine. Je suis moi-même témoin des efforts considérables que le président des Services industriels a entrepris, dès le vote de l'article 160 c de la constitution, pour petit à petit - je vous le concède parce que l'on ne modifie pas si facilement une politique énergétique dans un canton - motiver les cadres des Services industriels. Dans ce sens il a atteint ses objectifs. Je vous assure qu'à ce niveau les cadres manifestent une réelle volonté de rechercher des moyens d'économiser l'énergie et de les proposer aux consommateurs.

Pour ma part, je trouve parfaitement malhonnête d'employer le mot «hypocrite» à l'intention de M. Ducor qui ne le mérite pas. Ce dernier, en effet, a fait un travail très important pour aller dans le sens de la volonté du peuple.

A mon avis, c'est vous qui êtes hypocrites, parce que d'un côté vous pleurez sur l'effondrement de notre économie, que vous avez d'ailleurs bien provoqué en partie... (Oohh de réprobation.) ...et en même temps, vous voudriez que l'on continue à la ruiner en la privant des moyens de travailler. Vous savez que nous n'avons actuellement aucun moyen de faire fonctionner notre système économique par nos seules ressources énergétiques suisses. Vous le savez, et si vous prétendez le contraire - j'ai le regret de vous le dire - c'est vous qui êtes hypocrites!

M. Philippe Joye (PDC). Je tiens à dire à M. Nissim qu'il a tout à fait raison. Les économies d'énergie en Californie, qui est la plus grosse productrice d'énergie puisqu'elle concerne 50 millions d'utilisateurs, se chiffrent en mégawatts.

On parle aussi de négawatts, soit des watts que l'on peut économiser en retardant la mise en chantier de nouvelles centrales, ce qui permet de continuer à vendre du courant au prix ancien. Ceci peut être vrai, par exemple, pour des usines comme Broc, comme Monsalvon, comme Rossens, qui ont varié entre 6 et 18 centimes, alors que les nouvelles usines coûtent entre 38 et 50 centimes. Ce souci est donc partagé par le conseil d'administration des Services industriels et, comme vous le voyez, nous sommes très au courant. Nous avons fait venir toute la documentation californienne à ce sujet.

Mme Reusse-Decrey parle d'avis de droit; je ne me suis jamais éclairé et je n'ai jamais fait marcher des machines avec des avis de droit.

Nous utilisons tous les paliers possibles qui restent maintenant sur le Rhône pour produire de l'énergie locale et je peux vous dire que le prix de cette énergie est colossal. Mais malgré cela, le conseil d'administration, presque unanime, a toujours estimé que cela valait la peine d'utiliser toutes les sources locales d'énergie.

L'électricité se distribue, comme le gaz, par le biais de centrales de dispatching. A Laufenburg, la centrale européenne ouest compte dix-sept producteurs d'énergie différents, et bien malin celui qui pourrait différencier l'énergie nucléaire des autres. C'est le même problème que pour le gaz. Si vous vouliez connaître l'origine du gaz que vous achetez, qu'il soit finlandais, hollandais ou russe, il faudrait vous lever très tôt, car c'est impossible vu les systèmes comptables très sophistiqués utilisés !

Je conclurai en disant, à la suite de mon collègue M. Blanc, que l'esprit des Services industriels, qui était plutôt conservateur jusqu'à il y a peu de temps - «L'électrique» aime bien vendre son électricité - a beaucoup changé ces dernières années.

M. Max Schneider (Ve). Il est clair que la direction des Services industriels doit mener une politique d'entreprise, c'est-à-dire vendre le maximum pour rentabiliser au mieux. Proposer aux clients des Services industriels des économies d'énergie est un mandat absolument incompatible avec celui de vendre. Ils essayent donc de diminuer les pertes, mais c'est tout. C'est là que la chatte a mal à la patte ! Ce qui est très grave, c'est qu'il est impossible de respecter l'article 160 c. L'interrogation reste donc entière.

La gestion des Services industriels n'est pas bonne. Actuellement, il y a des recours au Conseil d'Etat, car des lois sur les énergies renouvelables ont été votées au Grand Conseil, qui ne sont pas appliquées par le président et les services d'électricité. C'est M. Maitre qui a été saisi du dossier.

Nous avons parmi nous un pionnier des voitures électriques, M. Philippe Joye. Comme tous les pionniers, Monsieur Joye, vous avez connu des déboires dans cette aventure. Vous êtes aussi un pionnier dans le domaine des énergies renouvelables puisque vous faites partie de la CERA, c'est une première en Suisse romande. Cela est tout à votre honneur.

Mais vous mélangez la distribution du gaz et de l'électricité. Cela est peut-être vrai dans la vente des fluides. Néanmoins, il n'est pas judicieux d'investir dans la production de ces fluides à l'étranger, comme l'EDF le propose actuellement, pour réparer les centrales dans les pays de l'Est, racheter ensuite le courant à bas prix et le revendre enfin en Europe.

L'émission de télévision d'hier soir portait sur les risques du nucléaire, et je pense qu'il est criminel d'investir aujourd'hui dans de tels pays !

Vous savez certainement, Monsieur Joye - puisque vous êtes très bien informé dans ce domaine - que l'énergie nucléaire que nous achetons en Suisse n'est pas consommée en Suisse. Elle sert en bonne partie à remplir nos barrages et elle est revendue ensuite à prix fort, le matin et à midi, à l'étranger. Cela veut dire que nous faisons, en matière d'énergie, comme nos banques. En effet, ces dernières empruntent dans les pays du tiers-monde, qui canalisent les fuites de capitaux pour ensuite les réinvestir ailleurs... (Oohh de réprobation.) ...et faire des bénéfices extraordinaires. Nos banques le font et ce qui est plus grave c'est que nos compagnies d'électricité le fassent également. C'est devenu une véritable mafia ! C'est la mafia du nucléaire !

Elle est présente à Genève et en Suisse.

Lors d'un voyage au Japon, que j'ai eu l'occasion de faire cet été, les Américains ont bien parlé de mafia. Les Japonais et bien d'autres, qui étaient réunis à cette conférence de paix à Hiroshima et à Nagasaki, n'ont pas ménagé leurs paroles. Je ne traiterai pas M. Ducor d'hypocrite, par respect pour lui, mais il est vrai que cette mafia a un pouvoir, actuellement, qui dépasse le pouvoir politique !

Monsieur Joye, malgré toutes vos bonnes paroles, vous ne pourrez pas influencer cette mafia du nucléaire. Cela devient très grave, parce qu'aujourd'hui Genève a la plus belle carte de visite en matière d'environnement. Elle possède les meilleures lois au monde concernant le rachat et la promotion des énergies renouvelables, mais si les compagnies d'électricité qui détiennent ce pouvoir refusent de les appliquer, alors cette carte de visite n'est que du vent. Nous continuerons donc à voter des lois à Genève qui ne seront pas appliquées.

Le problème des déchets évoqué hier soir à la télévision est encore plus grave. En effet, ces déchets vont se transformer en plutonium, qui permet de fabriquer des armes nucléaires. Un débat de fond doit donc s'instaurer pour savoir si les investissements dans le nucléaire français sont compatibles avec notre constitution.

M. Jean-Claude Genecand (PDC), rapporteur. Je voudrais faire remarquer à M. Du Pasquier que le débat actuel ne porte absolument pas sur les chiffres; c'est un débat politique d'économies d'énergie. Mon rapport a tenté de refléter l'esprit et le déroulement de ce débat.

On reconnaît aux Services industriels les efforts fournis quant à l'information dans le domaine des économies d'énergie et quant aux actions précises entreprises ponctuellement. Mais, semble-t-il, nous pourrions aller plus loin, par exemple proposer une détaxe pour l'achat de certains produits, tels des congélateurs mieux isolés. Cela serait un moyen concret de faire des économies, plutôt que de se cantonner à l'information. Ce qu'on reproche aux Services industriels n'est pas leur manque de volonté de faire des économies, mais plutôt le manque «d'agressivité» de leur stratégie par rapport au potentiel d'économies de notre société. Je suggère donc que M. Ducor nous présente, pour les prochaines années, une stratégie plus pénétrante dans l'économie de tous les jours.

Mme Françoise Saudan (R). Chaque fois que nous examinons le budget des SI, nous avons l'art de nous lancer dans des débats qui dérapent immanquablement. Je ne cache pas que le rapport de M. Genecand ne fait rien pour calmer les choses. Ses propos m'ont fort déçu ! Madame Reusse-Decrey, vous parlez d'hypocrisie, j'entends parler de mafia...

Moi, je me pose une seule question: le manque de cohérence des Genevois qui ont manifesté une claire volonté dans le domaine de l'énergie et qui continuent à consommer l'énergie en quantité. C'est tout à fait contradictoire. Madame, j'aimerais mieux vous voir lancer une campagne de sensibilisation et reconnaître que les efforts des Services industriels sont toujours allés dans ce sens. En effet, chaque facture comporte le détail de la consommation et chacun peut donc prendre conscience de sa propre consommation. Nous avons supprimé, à votre demande et à celle de vos amis - et je vous en donne acte - tous les éléments incitatifs en faveur de la consommation d'électricité et nous constatons que, malgré cela, la consommation ne cesse d'augmenter.

M. Robert Cramer. Mais elle baisse !

Mme Françoise Saudan. Mais non ! Monsieur Cramer, il faudrait également chiffrer les conséquences de la crise économique par rapport à la baisse générale de la consommation. Cela est un autre problème.

Je souhaiterais simplement que l'on cesse d'employer les termes de «mafia» et «d'hypocrite» que je considère, pour ma part, complètement inappropriés dans ce parlement.

M. Jean Spielmann (T). Un certain nombre de dossiers provoquent une tension politique qui augmente, mais certains dossiers concrets sont en train d'être résolus à coup de modifications de lois constitutionnelles. Une loi constitutionnelle du parti radical portait sur l'environnement, mais nous attendons toujours, dans beaucoup de départements, son application concrète. Cela veut dire que les idées sont bonnes mais qu'il y a souvent une grande marge quand il s'agit de les appliquer.

Il y a aussi la volonté de sortir du nucléaire, de trouver une alternative à ce type de production qui implique une toute autre politique que celle qui est conduite aujourd'hui. Il faut le reconnaître et en être conscient. Les chiffres bruts sont fournis par les Services industriels qui doivent répondre aux besoins en énergie de la population. Je constate tranquillement dans ce rapport que de 1988 à 1992, s'agissant de puissance maximum du réseau genevois, la part de production genevoise a passé de 60 à 110, et la part des achats extérieurs a passé de 350 à 340; celle-ci a donc légèrement diminué. Mais nous continuons à utiliser plus des 3/4 de ce qui est produit à l'extérieur. Les perspectives à court terme, ou même à long terme, d'inverser cette tendance ne sont pas évidentes, du moins je ne vois guère de propositions qui permettent de le faire.

Une série de dossiers sont ouverts et il faudra entrer en matière comme celui de la modernisation de Chancy-Pougny, la mise en place d'une série de modérateurs et de possibilités de production.

En ce qui concerne la politique d'économies d'énergie, on se heurte à des contradictions de notre société. M. Genecand a parlé des frigos. Il est vrai - j'en avais fait une fois la démonstration - que les économies d'énergie sont devenues un argument de vente. Par contre, si vous voulez changer votre frigo contre un frigo qui consomme moins, il faut payer une taxe pour vous débarrasser de l'ancien, ce qui vous dissuade de le changer. Ce qui est paradoxal est que cette taxe est perçue dans le but de protéger l'environnement. Cette taxe est légitime, mais elle va à l'encontre des économies d'énergie.

Des dispositions sont mises en place sans mesurer les problèmes de fond. Il ne s'agit pas seulement de modifier des articles de la constitution pour se donner bonne conscience par rapport au nucléaire, il faut agir dans la vie de tous les jours. Il y a beaucoup de possibilités pour l'Etat de réduire la consommation et d'inciter aux économies en proposant une politique alternative. Jusqu'à présent, peu de choses ont été faites, et celles qui l'ont été sont critiquées. Je dois dire que j'ai un peu de peine à suivre les discours des uns et des autres. Nous devrions tous nous atteler à la tâche et appliquer les lois que nous votons. Nous devons reconnaître les petites choses positives qui ont été faites.

Les termes utilisés tout à l'heure ne peuvent que décourager ceux-là mêmes qui essayent d'aller dans la bonne voie. Ils ne font rien d'autre que de remplir le mandat que vous leur avez donné.

M. Philippe Joye (PDC). (Se référant au Petit Larousse.) Hypocrisie : «attitude qui consiste à cacher ses sentiments et à montrer des qualités que l'on n'a pas». Mafia : «réseau d'associations secrètes siciliennes résolu à assurer la justice par elle-même et à empêcher l'exercice de la justice officielle par un silence concerté». On est loin de cela !

M. Jean Spielmann. C'est l'interpartis pour les justes, ça ! (Rires.)

M. Philippe Joye. L'économie, Madame, et non les économies des citoyens dans leur ménage, est en train de corriger les consommations.

En ce qui concerne l'énergie nucléaire pour les barrages, je trouve que c'est vraiment un comble de critiquer une entreprise d'électricité parce qu'elle cherche à remonter le niveau de l'eau dans ses barrages lorsque la consommation est faible.

Il y a les clubs d'économies d'énergie des entreprises électriques suisses : Forces motrices bernoises, Club des économies d'électricité - abonnez-vous, vous serez surpris ! - Electro-Broc, qui a un bilan de 200 millions. Les entreprises électriques fribourgeoises ont fait une centrale d'information qui leur a coûté 2,5 millions. Il y a des conseils aux particuliers dans les Services industriels. L'affichage des consommations précédentes figure sur votre facture. Il est possible de racheter des lampes à incandescence pour les remplacer par des lampes du type SLPL, avec un subside à la base. Une loi très moderne a été votée par ce même Grand Conseil concernant la production d'énergie par des méthodes douces. Vous savez que l'on paye trois fois le kilowatt. Cette loi est en vigueur; elle est utilisée et ses développements impressionnent beaucoup les gens d'Energie 2000. Il faut vraiment cesser de vouloir stigmatiser des attitudes qui ne sont plus du tout celles qui prédominent actuellement dans les compagnies d'électricité suisses.

Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Le rapport de M. Genecand a été critiqué. Moi, j'aimerais le féliciter ! (Rires de toute l'assemblée.)

La dernière phrase de son rapport dit notamment: «J'espère avoir atteint le but qui permet d'ouvrir un débat.». Je crois qu'il y est arrivé !

Ce projet est adopté en trois débats, par article et dans son ensemble.

La loi est ainsi conçue:

LOI

approuvant le rapport annuel de gestion,

le compte de profits et pertes

et le bilan des Services industriels de Genève

pour l'année 1992

LE GRAND CONSEIL,

vu l'article 160, alinéa 1, lettre b, de la constitution genevoise, du 24 mai 1847;

vu l'article 37, lettre b, de la loi sur l'organisation des Services industriels de Genève, du 5 octobre 1973,

Décrète ce qui suit:

Article 1

Gestion

Le rapport annuel de gestion des Services industriels de Genève pour l'exercice 1992 est approuvé.

Art. 2

Comptes de profits et pertes et bilan

Le compte de profits et pertes et le bilan pour l'année 1992 sont approuvés conformément aux résultats suivants:

F

a) recettes 

b) dépenses d'exploitation 

c) bénéfice 

d) actif du bilan 

e) passif du bilan* 

589'831'500,17

575'480'861,18

14'350'638,99

1'474'277'482,43

1'474'277'482,43

*Y compris le bénéfice visé à la lettre c.

Art. 3

Répartition du bénéfice

Ce bénéfice de 14'350'638,99 F de l'exercice 1992 est attribué en totalité au fonds de constructions nouvelles, conformément à l'article 28, alinéa 2, de la loi sur l'organisation des Services industriels de Genève, du 5 octobre 1973.

 

La séance est levée à 19 h 5.