Séance du jeudi 16 septembre 1993 à 17h
52e législature - 4e année - 7e session - 31e séance

PL 7026
23. Projet de loi de Mmes Maria Roth-Bernasconi, Christine Sayegh, Claire Torracinta-Pache, Gabrielle Maulini-Dreyfus, Vesca Olsommer et Micheline Calmy-Rey concernant la protection de la personnalité et notamment le harcèlement sexuel dans la fonction publique (B 5 18). ( )PL7026

LE GRAND CONSEIL

Décrète ce qui suit:

CHAPITRE I

Définition

Article 1

Harcèlement

1 Le harcèlement sexuel constitue une atteinte illicite à la personnalité.

2 Est considéré comme harcèlement sexuel toute conduite se manifestant à une ou plusieurs reprises par des paroles, des actes ou des gestes à connotation sexuelle, non désirés, qui sont de nature à porter atteinte à la dignité et/ou à l'intégrité physique et/ou psychique de la personne, ou à mettre en péril son emploi.

CHAPITRE II

Prévention

Art. 2

Conditions de la prévention

1 Le Conseil d'Etat définit les conditions de protection de la personnalité de ses employés et employées dans le cadre des rapports de travail.

2 Il prend les mesures utiles pour préserver et combattre toutes atteintes à la personnalité notamment le harcèlement sexuel.

Art. 3

Circulaire

1 Le Conseil d'Etat édicte une circulaire distribuée à l'ensemble du personnel, laquelle rappelle que chacun et chacune doit respecter les conditions de protection de la personnalité et de la dignité et que le non-respect ouvre la voie de la plainte pour la personne lésée.

2 La procédure de plainte doit être expliquée clairement.

Art. 4

Information

Dans le cadre de la politique de prévention, des séances d'information sur les questions de protection de la personnalité et de harcèlement sexuel sont inclues dans les cours destinés aux cadres et au personnel de l'administration.

CHAPITRE III

Procédure de médiation et de plainte

Art. 5

Autorité compétente

Le Conseil d'Etat prévoit une procédure simple et rapide, organisée selon les articles 6 à 17 de la présente loi.

Art. 6

Médiation

1 Le Conseil d'Etat nomme un médiateur ou une médiatrice et des suppléants et suppléantes spécialement formés sur les questions de protection de la personnalité, rattachés au bureau de l'égalité des droits entre homme et femme.

2 Les tâches du médiateur ou de la médiatrice sont les suivantes:

a) recevoir les plaintes en matière de harcèlement sexuel;

b) entendre et soutenir la personne plaignante en toute confidentialité;

c) informer la personne faisant l'objet de la plainte du contenu de celle-ci;

d) engager un processus informel et confidentiel de médiation, dans le but de résoudre le conflit à l'amiable;

e) faire toute proposition utile aux supérieurs hiérarchiques des intéressées ou à l'office du personnel afin de résoudre le conflit;

f) en cas d'échec de la médiation, fournir aide et conseils à la personne plaignante, l'informer de ses droits et de la procédure à suivre.

Art. 7

Enquête administrative

1 En cas d'échec de la médiation, la personne plaignante peut demander l'ouverture d'une enquête administrative.

2 La décision refusant d'ordonner l'ouverture d'une telle enquête peut faire l'objet d'un recours au Tribunal administratif.

Art. 8

Composition de la commission

1 Dans les cas de plainte pour harcèlement sexuel, l'enquête administrative est menée par une commission dont la composition est la suivante:

a) un ou une juge du Tribunal de première instance;

b) une personne désignée par le Conseil d'Etat;

c) une personne désignée par le Cartel intersyndical des organisatons du personnel de la fonction publique.

2 La commission est composée aux deux tiers de femmes.

3 Tous les membres de la commission doivent suivre une formation adéquate sur les problèmes de protection de la personnalité et de harcèlement sexuel.

Art. 9

Audition

1 La commission entend séparément la personne plaignante et celle visée par la plainte.

2 Elle mène, si nécessaire, une enquête appropriée pour établir les faits.

Art. 10

Droit d'être entendu

Une confrontation entre la personne plaignante et la personne accusée de harcèlement sexuel ne peut être ordonnée contre la volonté de la personne plaignante que si le droit d'être entendu de la personne mise en cause l'exige impérieusement.

Art. 11

Qualité des parties

1 Dans la procédure d'enquête, tant la personne plaignante que celle visée par la plainte sont considérées comme parties à la procédure.

2 Les parties ont le droit de se faire assister par une personne de leur choix.

3 L'accès au dossier est garanti de la même manière aux deux parties.

Art. 12

Partie de la procédure

En règle générale, le Conseil d'Etat suspend provisoirement pendant la durée de l'enquête administrative ou pénale la personne visée par la plainte.

Art. 13

Délai

La commission d'enquête doit en principe achever son enquête dans un délai ne dépassant pas un mois.

Art. 14

Recours

1 Au terme de son enquête, la commission rend une décision constatant que la plainte était fondée ou non. Cette décision, écrite et motivée, est notifiée aux deux parties.

2 Les parties peuvent recourir contre cette décision auprès du Tribunal administratif.

Art. 15

Sanctions disciplinaires

1 Si la plainte est jugée fondée, l'autorité compétente statue sur la sanction disciplinaire à infliger à l'auteur du harcèlement sexuel conformément à l'article 14 de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale et des établissements publics médicaux, du 15 octobre 1987.

2 L'autorité prend les mesures d'organisation nécessaires afin que la victime du harcèlement sexuel ne soit pas contrainte de continuer à travailler avec l'auteur de l'atteinte contre son gré.

3 L'Etat s'efforce, dans toute la mesure du possible, de réparer le préjudice subi par la victime du fait du harcèlement sexuel, par exemple en lui facilitant l'accès à des mesures de formation ou de perfectionnement professionnel.

Art. 16

Transfert

Si la plainte n'est pas jugée fondée, il convient néanmoins de transférer, à leur demande, l'un(e) ou l'autre ou les deux employé(e)s concernés.

Art. 17

Protection des personnes

1 Les personnes plaignantes de même que les témoins éventuels ne doivent subir aucun préjudice de quelque nature que ce soit pour avoir dénoncé un cas de harcèlement sexuel ou témoigné à ce sujet.

2 Les personnes plaignantes ou les témoins ne peuvent pas être licenciés ou transférés contre leur gré pendant toute la durée de la procédure et les deux années suivant la fin de celle-ci.

3Les cas de licenciement pour faute grave sont réservés.

Art. 18

Modification à une autre loi

(E 3,5 1)

La loi sur le Tribunal administratif et le Tribunal des conflits, du 29 mai 1970, est modifiée comme suit:

Art. 8, al. 1, 9° bis (nouveau)

9° bis décisions prises en application des articles 7 et 14 de la loi concernant la protection de la personnalité et le harcèlement sexuel dans la fonction publique (B 5 18, art. 7, al. 2 et 14).

EXPOSÉ DES MOTIFS

L'affaire de harcèlement sexuel au service de santé du personnel de l'Etat a permis de constater que la procédure d'enquête administrative était inadéquate pour traiter des problèmes de protection de la personnalité. En effet, dans le cadre d'une telle enquête, les employé(e)s qui dénoncent les actes d'un collègue ou d'un supérieur sont traité(e)s comme de simples témoins et ne bénéficient d'aucun des droits qui sont reconnus à la personne qui fait l'objet de l'enquête.

Des procédures dans l'administration existent depuis plusieurs années dans différents pays, notamment en Belgique, aux Pays-Bas, au Canada, aux Etat-Unis, etc.

1. Les limites de la procédure

L'enquête administrative est régie par les articles 25 et 26 de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale et des établissements publics médicaux B 5 0,5. Le Conseil d'Etat peut ordonner l'ouverture d'une enquête administrative en tout temps mais il doit le faire en cas de rétrogradation au statut d'employé ou de licenciement.

Ce sont les syndicats qui ont demandé l'obligation de procéder à une enquête administrative pour établir les faits dans les cas graves de conflit de travail avec droit pour les salarié(e)s mis en cause d'être assisté(e)s, d'avoir accès au dossier, d'être présent(e)s à l'audition des témoins, d'avoir accès aux conclusions de l'enquête de façon à garantir leurs droits face à la hiérarchie. Car c'est en général à l'initiative de la hiérarchie, qui veut sanctionner un-e collaborateur-trice, que le Conseil d'Etat décide d'ouvrir une enquête.

L'enquête administrative a donc été prévue par le législateur dans le cadre d'un conflit de travail classique opposant l'employeur à l'employé-e, pour garantir les droits des salarié(e)s face à la hiérarchie.

Dans les cas d'atteinte à la personnalité, la situation est tout à fait différente: le Conseil d'Etat peut en effet être amené à ordonner l'ouverture d'une enquête administrative, suite aux plaintes de fonc-tionnaires à l'encontre d'un supérieur hiérarchique, ou d'un collègue de travail. Or, aucun article de loi ne prévoit ce cas de figure qui met en présence trois parties: l'Etat, le fonctionnaire mis en cause et les plaignant(e)s.

Quand on connaît la difficulté de dénoncer un supérieur hiérarchique, en particulier pour harcèlement sexuel, il est nécessaire de garantir aux plaignantes au moins les mêmes droits que ceux reconnus au fonctionnaire mis en cause. En effet de nombreuses études relèvent la difficulté pour les personnes ayant subi des comportements de harcèlement sexuel de parler et de se faire entendre .

La honte, la crainte de ne pas être crues, de se voir accusées d'avoir provoqué d'une manière ou d'une autre ou d'être rejetées par les collègues de travail empêchant généralement les victimes de dénoncer les auteurs de harcèlement sexuel.

Le rapport d'enquête concernant l'affaire précitée a d'ailleurs montré que les plaignantes ont été abondamment accusées, alors qu'elles n'ont jamais eu l'occasion de se défendre, l'accès au dossier leur a été refusé et qu'elles n'ont pas eu l possibilité d'être confrontées aux témoins qui les mettaient en cause.

2. Les limites de la plainte pénale

Selon la révision du code pénal, entrée en vigueur le 1er octobre 1992, le fait d'importuner une personne par des attouchements d'ordre sexuel ou par des paroles grossières est puni d'une contravention, de même que le fait de profiter d'un lien de dépendance fondé sur des rapports de travail pour faire subir un acte d'ordre sexuel est puni de l'emprisonnement. La plainte pénale est dirigée contre l'auteur du harcèlement.

Dès lors, la plainte ne permet, dans l'hypothèse la plus favorable pour la victime, d'obtenir qu'une sanction à l'encontre du harceleur, mais ne permet en revanche pas d'obtenir l'essentiel dans le cadre professionnel, à savoir les mesures d'organisation du travail de la part de l'employeur pour éviter les récidives et garantir le respect de la personnalité de ses employé(e)s. En effet, il y a lieu de souligner la spécificité des situations de harcèlement sexuel sur la place de travail: il s'agit de comportements généralement répétitifs, de sorte que la victime cherche une solution susceptible de faire cesser l'atteinte au plus vite, et qui ne lui fasse pas courir le risque de perdre son emploi ou de voir ses conditions de travail se dégrader davantage.

3. Définition du harcèlement sexuel

Il est nécessaire de parvenir à une définition légale de ce phénomène. Une telle définition doit être à la fois précise et suffisamment large pour englober les formes très diverses que peut prendre le harcèlement sexuel.

On peut citer, à titre d'exemple, une liste non exhaustive de comportements constitutifs de harcèlement sexuel:

 des manifestations persistantes d'intérêt sexuel (telles que les invitations ou requêtes inoportunes) qui ne sont pas souhaitées par la personne destinataire;

 des remarques, commentaires, allusions, plaisanteries ou insultes à connotation sexuelle, ou relatives aux caractéristiques physiques d'une personne ou aux discriminations dues à son appartenance sexuelle;

 l'étalage de photographie ou de matériel pornographique, offensant ou humiliant;

 des promesses implicites ou explicites de récompenses ou de traitement de faveur liées à la satisfaction d'une demande d'ordre sexuel;

 des menaces implicites ou explicites de représailles ou de traitements défavorables ou discriminatoires, en cas de refus de satisfaire à une demande d'ordre sexuel, ainsi que la réalisation de telles menaces;

 des comportements non verbaux à connotation sexuelle tels que des regards, des sifflements, des gestes obscènes, de l'exhibitionnisme;

 des contacts physiques inutiles, tels qu'attouchements, caresses, pincements, ou tout autre geste imposant une intimité non voulue;

 toute autre attitude offensante pour la personne, notamment voies de fait, gestes ou propos grossiers, dénigrement, etc.

4. La prévention

Une étude menée à Genève relève la gravité des conséquences pour les victimes (dépression, stress, anxiété, nervosité, troubles somatiques, rupture affective, perte de confiance en soi, perte de l'emploi, licenciement, désintérêt pour le travail, difficulté de concentration etc.). Dans tous les cas, le harcèlement sexuel perturbe les conditions de travail et porte atteinte à la santé des femmes. Le harcèlement sexuel est probablement une des raisons majeures du retrait des femmes du monde du travail.

Il est nécessaire d'agir en amont, avant que le problème ne prenne trop d'ampleur. L'Etat, comme employeur, est responsable des conditions de travail de son personnel. Pour cela, il est indispensable qu'il prenne des mesures, notamment qu'il développe des moyens de prévention tels que des campagnes régulières de sensibilisation et d'information, des séminaires de formation pour le personnel d'encadrement qui a le devoir de veiller à ce que chacune et chacun puissent travailler dans la dignité, etc.

5. La médiation

Les personnes qui se plaignent de harcèlement sexuel ont comme seul souhait que cesse ce harcèlement pour pouvoir travailler dans des conditions normales. C'est pourquoi l'étape de la médiation est importante, car elle est un moyen simple, informel et rapide pour résoudre un conflit dans la mesure où la situation n'est pas encore empoisonnée et que le harceleur reconnaît ses actes ou modifie son comportement.

La personne qui se plaint de harcèlement sexuel doit pouvoir être accueillie et écoutée par une personne qui lui inspire confiance, car on sait que le harcèlement plonge généralement la victime dans un état de désarroi et que celle-ci est souvent soumise à des pressions visant à l'empêcher de parler.

La médiation sert également à encourager les victimes, des femmes dans l'immense majorité des cas, à rompre le silence.

Cette tâche est importante et requiert différentes qualités et compétences pour la personne qui l'exerce: elle devra être accueillante, accessible, dépourvue de préjugés, motivée et convaincue de la nécessité d'une politique contre le harcèlement sexuel. Elle devra être formée à cet effet.

En ce qui concerne ses fonctions, elle doit pouvoir intervenir pour rétablir un climat de travail normal, et doit également pouvoir faire toutes propositions à la hiérarchie dans le but de trouver une solution au problème.

Pour éviter le découragement de la personne plaignante et le pourissement de la situation, la procédure de médiation ne devra pas durer plus d'un mois.

Cette mission devrait être confiée au Bureau de l'Egalité des droits entre homme et femme, qui a pour objectif de veiller à l'application, dans les faits, du principe de l'égalité entre les hommes et les femmes; le harcèlement sexuel, défini comme une discrimination fondée sur le sexe, fait partie intégrante de ce programme.

Ces pratiques de médiation sont développées depuis plusieurs années aux Pays-Bas et la Belgique a également, à son tour, créé de telles instances.

6. La commission d'enquête

En cas d'échec de la médiation, la personne plaignante doit pouvoir solliciter du Conseil d'Etat l'ouverture d'une enquête administrative à l'encontre du harceleur.

Cette enquête devrait être menée par une commission indépendante du Conseil d'Etat. Ce dernier ne peut être juge et partie. Une commission tripartite composée d'un-e juge professionnel-le, d'une personne désignée par le Conseil d'Etat et d'une personne désignée par le Cartel intersyndical représentant le personnel donne de meilleures conditions quant à l'impartialité de l'enquête. Ces personnes devront suivre une formation spécifique dans le domaine de la protection de la personnalité et plus particulièrement en matière de harcèlement sexuel. La présence d'au moins 2/3 de femmes dans cette commission est indispensable. En effet, une femme ayant subi des actes de harcèlement aura davantage de difficultés à s'exprimer et décrire les faits, par exemple, auprès d'une instance composée exclusivement d'hommes. La présence également d'un-e juge, par ses compétences, devrait assurer le bon déroulement de l'enquête.

7. La confrontation

Lorsqu'une personne porte plainte, en particulier si l'autre personne impliquée est un supérieur hiérarchique, c'est souvent après mûre réflexion qu'elle se décide à le faire, tant les pressions exercées de toute part sont importantes. Il est donc nécessaire d'offrir les meilleures conditions possibles afin que la personne plaignante puisse s'exprimer librement. Une confrontation entre celle-ci et la personne visée par la plainte peut constituer une forme de pression et empêcher la victime de maintenir ses dires. Il serait donc souhaitable d'éviter une confrontation si la personne plaignante s'y oppose.

L'entrée en vigueur le 1er janvier 1993 de la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infraction (LAVI) va dans ce sens. En effet, la victime a le droit de refuser d'être confrontée à l'agresseur lors de l'instruction de la plainte.

8. La suspension provisoire

Suite au dépôt de plainte, le climat de travail peut se détériorer très rapidement. La personne faisant l'objet de la plainte rend souvent la vie impossible à la personne plaignante par des mesquineries, des représailles sur le plan professionnel et/ou exerce généralement des pressions pour que celle-ci retire sa plainte. Plusieurs exemples de situations ont montré que le personnel se solidarise souvent avec un chef mis en cause, ce qui contribue à pourrir l'ambiance de travail et à marginaliser la personne plaignante. La suspension provisoire de la personne mise en cause semble indispensable pour éviter de biaiser l'enquête et de pénaliser par avance la plaignante.

9. Le droit de recours

La personne plaignante dvrait avoir le droit de recourir contre la décision de la commission d'enquête de la même façon que la partie mise en cause. Les affaires de harcèlement sexuel sont complexes et délicates et de nombreux préjugés sont véhiculés dans la société sur cette question (les femmes provoquent, elles se vengent, etc.). Bien souvent la personne qui dénonce ce type de comportement se retrouve dans le rôle d'accusée.

Le recours est un moyen que pourrait exercer la victime si elle estime que le problème n'a pas été traité justement.

10. La sanction

Il est important de distinguer la commission d'enquête qui a pour tâche d'établir les faits, du Conseil d'Etat qui a la compétence de statuer sur la sanction disciplinaire. Il revient à l'autorité compétente interne à l'administration d'infliger une sanction à l'auteur de harcèlement sexuel.

11. La protection des plaignant(e)s et des témoins

Les personnes plaignantes sont souvent considérées comme des gêneuses. Elles révèlent des actes de harcèlement sexuel qui jusque-là étaient restés cachés et impunis, voire tolérés par l'entourage et la hiérarchie. Les conséquences de ces comportements sont souvent graves et la personne en ayant fait l'objet ne peut généralement pas continuer à entretenir des relations professionnelles avec le harceleur même si celuici est sanctionné. Ceci explique que beaucoup de femmes préfèrent donner leur congé sans même porter à la connaissance de la hiérarchie les faits incriminés. En outre, nous avons vu, dans de nombreux cas, qu'une fois la situation dénoncée, la personne plaignante était licenciée ou déplacée.

Une politique cohérente contre le harcèlement sexuel doit tenir compte de ce problème. Les personnes plaignantes et les témoins ne doivent pas être pénalisés. Au contraire ceux-ci doivent avoir l'assurance qu'aucune sanction ne leur sera infligée et qu'aucun préjudice ne leur sera fait en raison de leur plainte ou de leur témoignage. Cette protection est fondamentale si on souhaite que les personnes concernées osent s'exprimer. Un transfert des

plaignantes et des témoins peut être envisagé, voire facilité, uniquement si ceux-ci en font tout spécialement la demande. Il peut arriver que les victimes préfèrent être déplacées soit parce que l'ambiance de travail est devenue intolérable, soit parce que le souvenir de situations douloureuses n'est pas envisageable (la victime a besoin de tourner la page).

Pour toutes ces raisons nous vous prions, Mesdames et Messieurs les députés, d'accueillir favorablement ce projet de loi.

Préconsultation

Mme Maria Roth-Bernasconi (S). En octobre 1992, plusieurs députés de ce parlement avaient déposé une motion concernant la protection de la personnalité au sein de la fonction publique. A cette époque, ma collègue, Elisabeth Reusse-Decrey, avait très justement relevé qu'en prononçant les mots de «harcèlement sexuel», on est souvent accueilli soit par un silence pudique, soit par des rires assortis de plaisanteries douteuses.

Pourtant, c'est un problème grave, particulièrement pour les femmes qui travaillent, car cette atteinte à la dignité de la personne les touche au plus profond de leur être. Il n'est pas du tout simple d'en parler et de briser ainsi le silence. Nous-mêmes, nous avons réfléchi longtemps pour choisir les mots adéquats pour parler de ce sujet.

Cette forme très ancienne de discrimination des femmes est débattue depuis une vingtaine d'années dans plusieurs pays du monde, et récemment une étude a été menée à ce sujet à Genève. Il en ressort qu'un énorme mur de silence a été construit autour de cette atteinte à la personnalité, et ce n'est pas par hasard qu'une norme punissant le harcèlement sexuel a été introduite dans le code pénal suisse en 1992 seulement.

Pour pouvoir prévenir un comportement, et le cas échéant le punir, il faut d'abord le définir. L'argument selon lequel le harcèlement sexuel ne peut pas être défini - et de ce fait qu'il ne peut pas être combattu - est souvent allégué. Or, même si chaque femme peut ressentir différemment le comportement d'un homme et que les réactions peuvent, en conséquence, être différentes, nous sommes absolument persuadées que chacun et chacune d'entre nous, hommes ou femmes, sait très bien faire la différence entre le harcèlement sexuel et le flirt ou une relation librement choisie et consentie.

Selon le Ministère de l'emploi et du travail de Belgique, le harcèlement sexuel consiste en une attitude ou des propos désagréables à caractère sexuel, dont l'auteur sait ou devrait savoir qu'ils ne sont pas les bienvenus.

Quant aux formes que peut prendre un tel comportement, elles peuvent aller des simples mots à des attouchements violents. L'élément important de la définition est ce qui suit : «...quels qu'en soient la forme, le geste, l'acte ou le commentaire à connotation sexuelle non désirés, offensants et déplacés parce qu'ils se produisent sur les lieux de travail ou dans des situations reliées au travail.». La description des formes de harcèlement sexuel dans l'exposé des motifs n'est pas une invention des autrices de ce projet de loi mais ressort de documents de différents pays, notamment de la commission de travail des femmes du Ministère de l'emploi et du travail de Belgique, de la commission des droits de la personne du Québec, de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, etc.

Lors de l'affaire qui avait déclenché une motion et deux interpellations durant l'année écoulée, nous avons pu constater que la procédure administrative en place à l'Etat de Genève n'est pas adaptée aux cas d'atteinte à la personnalité dont le harcèlement sexuel fait partie. Le but de notre projet de loi est donc d'instaurer une autre procédure que celle prévue dans la loi actuelle pour ces cas spécifiques. Il s'agit en premier lieu de prévenir ces atteintes en instaurant des mesures d'information et de formation.

Je ne mentionne que les principaux points de la procédure prévue, car nous pourrons certainement en discuter les détails en commission. La première nouveauté est l'instauration d'un médiateur ou d'une médiatrice, qui devrait être un moyen simple, informel et rapide pour résoudre un conflit dans la mesure où la situation n'est pas encore empoisonnée. Elle doit, d'une part, encourager la victime à rompre le silence et, dans ce sens, être un moyen de prévention d'atteinte plus grave à la santé ou à son équilibre psychique, et, d'autre part, elle doit éviter le déballage sur la place publique qui, comme nous avons pu le constater l'année passée, peut faire beaucoup de mal.

L'enquête administrative qui peut être demandée par la plaignante, si la médiation ne donne pas de résultat satisfaisant, doit être menée par une commission indépendante du Conseil d'Etat pour éviter que celui-ci ne soit juge et partie en même temps. En plus, nous demandons que la commission composée de trois personnes comporte au moins deux femmes. Nous partons du constat qu'actuellement dans la très grande majorité des cas, si ce n'est pas la totalité, il s'agit de femmes, et celles-ci ont plus de facilité à s'exprimer sur un sujet aussi délicat devant des personnes du même sexe. Les personnes plaignantes doivent avoir la qualité de partie, d'une part, pour avoir le droit d'être entendues et, de ce fait, avoir accès au dossier et, d'autre part, pour pouvoir recourir contre la décision de cette commission d'enquête.

Ce qui différencie la procédure prévue ici d'une éventuelle plainte pénale est le fait que les personnes plaignantes ainsi que d'éventuels témoins soient protégés au niveau de l'emploi durant la procédure et les deux années suivantes. En effet, une telle loi n'aurait aucun sens si les personnes concernées devaient craindre des représailles, voire le licenciement. Je vous ai montré là un bref aperçu des éléments les plus importants de ce projet de loi que nous espérons pouvoir discuter et, éventuellement, améliorer en commission.

Il nous semble très important que l'Etat montre le bon exemple en la matière et qu'il continue de combattre en son sein efficacement toute atteinte à la personnalité. C'est pour cette raison que nous vous prions de renvoyer ce projet en commission.

M. Bénédict Fontanet (PDC). Loin de moi l'idée, Madame Roth-Bernasconi, de vouloir faire des plaisanteries grasses sur le dos, si je puis m'exprimer ainsi, du harcèlement sexuel. Mais il faut tout de même relever que le texte que vous proposez à nos suffrages a un petit côté d'harassement textuel tant il est compliqué à mon sens, et inutile par ailleurs !

Cela étant, notre parti ne s'opposera pas au renvoi en commission de ce projet, mais je tiens à souligner - d'ailleurs vous le disiez tout à l'heure - qu'il y a eu des modifications récentes du code pénal qui permettent, dans une affaire dans laquelle on subodorerait une odeur de harcèlement sexuel...

M. Claude Blanc. Ça sent ?

M. Bénédict Fontanet. ...de renvoyer l'affaire à la justice pénale qui est beaucoup mieux outillée et organisée pour enquêter que l'administration et qui, en plus, est une autorité indépendante de l'administration. Je crois que, dans ces circonstances, le texte que vous proposez, quand bien même il procède d'une bonne intention, est inutile et trop compliqué.

Il est, pour le surplus, constitutif d'une inégalité qui me semble choquante par rapport aux travailleurs du secteur privé qui, eux, ne bénéficient pas de ce type de dispositions.

S'il y a harcèlement sexuel, ou s'il y a un fumus de harcèlement sexuel, c'est à la justice pénale de le déterminer, puisque les nouvelles dispositions pénales le permettent. Tant que celle-ci n'a pas terminé son enquête, eh bien la procédure administrative ne suit pas son cours, car, comme en matière civile, les procédures sont suspendues tant que la justice pénale n'a pas tranché l'affaire.

Je ne vois donc pas la nécessité de créer ex nihilo une nouvelle commission; notre administration en regorge. Je ne vois pas pourquoi non plus il est nécessaire de prévoir une procédure spéciale au plan administratif pour ce type d'affaires. Il existe déjà des normes qui permettent d'agir avec toute la délicatesse voulue dans le cadre de notre procédure administrative, et je trouve que les propositions qui nous sont faites sont excessives et qu'elles vont trop loin. Cela étant, nous en discuterons volontiers en commission avec vous.

Mme Vesca Olsommer (Ve). Monsieur Fontanet, vous n'avez rien compris ! Vous pensez que ces affaires doivent être traitées directement devant une juridiction pénale, alors que les plaignantes n'ont pas cessé de nous dire que ce qu'elles désiraient avant tout était d'abord de la discrétion et qu'elles répugnaient à mettre ces affaires sur la place publique et même devant une juridiction pénale. Elles souhaitent une médiation. C'est bien parce que ce sont des personnes responsables qu'elles ne désirent pas aller trop loin dans ce genre d'affaire au sein de l'administration.

Mme Gabrielle Maulini-Dreyfus (Ve). Puisque Mme Olsommer a déjà fait la leçon à M. Fontanet qui ne comprend pas bien ce projet, je continuerai en vous parlant de la LAVI.

Vous savez qu'il s'agit de procédures pénales qui traitent de délits et que le harcèlement sexuel ne fera pas partie des délits. Comme vient de le dire Mme Olsommer - très bien - la situation que nous traitons ne constitue pas une démarche propre à la procédure pénale. Il s'agit de la protection de la personnalité dans le travail.

L'affaire qui s'est passée à l'Etat de Genève n'a pas été considérée comme elle l'aurait dû, soit à un niveau assez élémentaire, c'est-à-dire au niveau hiérarchique qui n'est pas un niveau pénal. Voyant que cela ne donne aucun résultat à ce niveau-là, nous proposons une mesure douce : la médiation. Ce n'est donc pas une démarche punitive faite dans un esprit de vengeance. Cette mesure a seulement pour objectif de préserver les droits à l'honneur des personnes. Cette motion mentionne à plusieurs reprises qu'il s'agit, notamment ou particulièrement, de harcèlement sexuel, mais dans la discussion que nous aurons en commission, j'apprécierais personnellement que l'on ouvre un peu le débat à toutes les atteintes à la personnalité dans le cadre du travail.

Si l'Etat fait une fleur à ses employés en leur offrant cette possibilité de médiation pour les problèmes concernant ces atteintes à la personnalité, c'est tant mieux ! Vous savez très bien que nous n'avons aucun pouvoir sur l'introduction d'un médiateur dans le domaine privé. Nous donnerons l'exemple et nous dirons ce que nous voulons.

Ce projet est renvoyé à la commission judiciaire.