Séance du
jeudi 10 juin 1993 à
17h
52e
législature -
4e
année -
6e
session -
22e
séance
I 1860
Mme Liliane Johner (T). En date du 5 avril 1993, M. Dominique Föllmi adressait à M. Lamprecht, président de l'Association des communes genevoises, une lettre concernant la surveillance des crèches et des jardins d'enfants. Cette lettre disait en substance que le département de l'instruction publique souhaitait déléguer la compétence d'autorisation et la surveillance des collectivités de la petite enfance aux communes subventionnantes.
Aujourd'hui, la compétence de la délivrance des autorisations et l'évaluation du fonctionnement des institutions de la petite enfance sont confiées au groupe évaluation des lieux de placement du service de la protection de la jeunesse, selon l'ordonnance fédérale du 19 octobre 1977 réglant le placement d'enfants. C'est avec beaucoup d'angoisse que tous ceux qui entourent la prise en charge de la petite enfance dans ce canton ont pris connaissance de cette décision. S'il y a un secteur de l'Etat qu'il ne fallait pas démanteler, c'est bien celui-ci! Même si vous gardez la compétence en ce qui concerne les lieux d'accueil privés, cela ne changera rien au problème.
Nous allons inévitablement vers une prise en charge à deux ou trois vitesses. Inévitablement des disparités verront le jour entre les communes. La petite enfance a droit à un encadrement assuré par un personnel qualifié et suffisamment nombreux. Il faut que les autorisations de fonctionnement soient délivrées aux institutions selon des critères identiques et évalués par des professionnels compétents en la matière.
La petite enfance a toujours été le parent pauvre de l'éducation et c'est grâce à l'engagement sans relâche de tout ce que compte ce canton de bénévoles engagés dans des comités, regroupés dans des fédérations parents-petite enfance, aidés par les associations du personnel et les syndicats que la situation évoluait dans le bon sens.
A nos yeux, la décision du département équivaut à un véritable retour en arrière pour des raisons qui nous échappent totalement.
Je voudrais poser les questions suivantes au conseiller d'Etat.
Pourquoi cette décision a été prise et par qui a-t-elle été inspirée?
Soupçonnant que la décision revêt des objectifs économiques, à quel niveau se situeront ceux-ci? M. Föllmi ne trouve-t-il pas parfaitement incohérent de confier aux communes le contrôle de ses propres institutions? C'est comme si le Conseil d'Etat se chargeait lui-même de contrôler sa gestion!
Quant aux normes d'encadrement que nous attendons toujours, qui sera chargé de les faire respecter? Les communes? Mais, si pour des raisons financières elles décidaient de ne pas les respecter, quel sera l'organe de contrôle?
Mise à part la Ville de Genève dotée d'une délégation de la petite enfance et qui, je n'en doute pas, respectera les normes du département, je demande au Conseil d'Etat de bien vouloir éclairer la lanterne de toutes les personnes qui n'ont pas été consultées et qui sont très préoccupées de l'avenir de cet important secteur, tant il est vrai que tout ce qui sera investi dans la petite enfance sera gagné pour plus tard.
M. Dominique Föllmi, conseiller d'Etat. Je réponds volontiers à Mme Johner au sujet de la surveillance des crèches, garderies et jardins d'enfants.
Ainsi que vous l'avez rappelé, Madame, selon l'ordonnance fédérale sur le placement et la loi genevoise d'application, c'est le département de l'instruction publique, et plus particulièrement le service de protection de la jeunesse, qui est compétent pour délivrer les autorisations et exercer la surveillance sur les lieux de placement des mineurs. Ce service exerce donc la surveillance des mineurs mais aussi celle des crèches et des garderies subventionnées par les communes et non par le département de l'instruction publique.
Dans la mesure où la prise en charge des tout-petits dans les crèches et les garderies a pris une grande ampleur de nos jours -- il faut le dire grâce aux communes, appelées à subventionner de plus en plus les crèches -- il m'a semblé rationnel de déléguer la tâche d'autorisation et de surveillance aux communes concernées. Ce mode de faire aurait -- j'emploie volontairement le conditionnel -- l'avantage pour les communes d'exercer une autorité complète et d'en répondre ainsi directement et totalement devant leur population, au lieu de se borner au simple rôle de «subventionneur» soumis aux décisions de l'Etat.
Vous dites que la commune ne peut pas se contrôler elle-même et que c'est le rôle de l'Etat. Cette affirmation me surprend, car les communes ont un contrôle assumé par le législatif par rapport à l'exécutif. Les citoyennes et les citoyens ont également leur mot à dire à ce niveau.
Nous avons envisagé et proposé -- c'est fou comme une proposition est tout de suite perçue comme une décision définitive -- une formule dans laquelle le département de l'instruction publique garderait la compétence générale d'établir les normes, comme c'est déjà le cas actuellement, et de garantir un fonctionnement correct et uniforme des crèches. Mais il déléguerait aux communes concernées l'application de ces mesures sur le terrain.
Cette démarche a l'avantage de mieux répartir les tâches entre l'Etat et les communes. C'est une volonté politique qui a souvent été exprimée dans cette enceinte et c'est ce qui nous a incités, nous le Conseil d'Etat, à la mettre en pratique.
Le service de protection de la jeunesse resterait, de manière générale, compétent pour tous les lieux de placement non subventionnés par les communes. Il serait à la disposition des communes ou des personnes désirant créer des établissements de ce genre. Les communes seraient chargées de lui communiquer régulièrement les autorisations ou les modifications survenues dans leur secteur, cela dans le but de garder, précisément, une cohérence générale -- qui est votre préoccupation -- quant à une garantie d'application correcte vis-à-vis des enfants, cela en fonction des règles imposées par l'ordonnance fédérale sur le placement des mineurs.
Les communes sont à l'heure actuelle cantonnées dans un rôle de «subventionneur» et l'Etat est perçu par ces communes et par certains comités qui gèrent les crèches, comme un «gendarme donneur d'ordre». Le but est donc de mieux répartir ces responsabilités qui peuvent être prises par les communes. Je trouve étonnant que l'on puisse ne pas avoir confiance dans les autorités communales régulièrement élues dans cette République en mettant en doute leur sens des responsabilités.
Où en est la démarche? C'est ce qui vous intéresse. Le département de l'instruction publique envisage de déléguer le contrôle des institutions de la petite enfance tout en gardant ce rôle de garant du fonctionnement concret de ces établissements. Mais nous entendons discuter de cette proposition. C'est la raison pour laquelle j'ai écrit à l'association des communes genevoises et au conseil administratif de la Ville de Genève. De plus, une discussion va s'ouvrir avec tous les partenaires concernés, l'association des parents et la fédération des crèches. J'ai à peine proposé une nouvelle formulation que les interventions pleuvent comme si les décisions avaient déjà été prises, alors que nous en sommes seulement au stade des propositions et des discussions.
Le département de l'instruction publique ne déléguera aux communes la tâche précitée que si les intérêts de l'enfant sont sauvegardés et les normes correctement appliquées. Il faudrait également que les communes aient les moyens adéquats d'exercer cette surveillance. Si l'évaluation était positive, si ce projet devait voir le jour, un organe régulateur réunissant tous les partenaires intéressés sera proposé avec les représentants des crèches et leur personnel pour faciliter l'information et la coordination des efforts.
En conclusion, ce projet est en discussion et il n'est pas question pour l'Etat de lâcher «le petit enfant»; il désire au contraire optimaliser les efforts fournis en faveur de la petite enfance en responsabilisant ceux qui sont au front et qui en assument les subventions.
Mme Liliane Johner (T). Monsieur le président, je vous remercie de votre réponse. Permettez-moi quand même de ne pas être tout à fait d'accord avec vous!
Vous parlez d'optimaliser les efforts. Or à l'heure actuelle, la fédération rencontre des difficultés avec certaines communes. Ce n'est donc pas cette décision qui va améliorer les choses! Excusez-moi, je ne veux pas jeter l'anathème sur les communes, mais le problème se fait déjà sentir. En effet, certaines se disent que cette décision est formidable car elle leur permettra d'ouvrir des classes supplémentaires avec le même personnel. Alors, je vous dis franchement que je suis très inquiète, et je ne comprends que vous envisagiez une telle décision.
J'avais déposé avec Fabienne Bugnon une motion pour la prochaine séance vous demandant d'abandonner cette proposition, je me réserve donc la possibilité de la maintenir.
M. Dominique Föllmi, conseiller d'Etat. Je comprends parfaitement que l'on discute d'un certain nombre de propositions, mais je n'abandonnerai pas la discussion sur ce projet avant que les partenaires concernés en aient loyalement et concrètement discuté. Il est trop facile de ne pas être d'accord sur un projet avant même d'en avoir discuté. Cela voudrait dire que toute
proposition faite par le Conseil d'Etat serait immédiatement battue en brèche, ce qui empêcherait tout progrès et toute évolution. Mesdames et Messieurs les députés, je vous entends souvent rappeler au Conseil d'Etat les mesures nécessaires pour la restructuration et la réorganisation de l'administration et, lorsqu'il propose de nouvelles mesures, vous le contrecarrez d'emblée.
Nous ne sommes pas devant un problème fondamental, mais en l'occurrence je reste surpris de votre réaction et de votre manque de confiance dans les communes. Votre attitude signifie que les institutions normalement élues n'ont pas le sens des responsabilités!
Les communes se plaignent d'être toujours prises dans le carcan de l'Etat, c'est pourquoi nous leur demandons de prendre leurs responsabilités en leur indiquant le cadre dans lequel elles peuvent évoluer. L'exécutif et le législatif existent. La population peut organiser des référendums et elle peut refuser d'élire certains candidats si ceux-ci n'appliquent pas la politique souhaitée. Notre système démocratique me semble tout à fait judicieux, mais nous devons clarifier les choses: l'Etat ne doit pas faire ce que les communes peuvent faire!
Cette interpellation est close.