Séance du
vendredi 14 mai 1993 à
17h
52e
législature -
4e
année -
5e
session -
20e
séance
PL 6737-A et objet(s) lié(s)
9. Rapport de la commission fiscale chargée d'étudier les objets suivants:
Premier débat
Mme Françoise Saudan (R), rapporteuse. Tout d'abord, quelques corrections dont certaines revêtent de l'importance et que je transmettrai à notre mémorialiste. A la page 1, le projet a été déposé le 21 août «1991»; à la page 18, alinéa 1, avant-dernière ligne: «il apparaît pour certains», il faut compléter par la mention «pour certains», et à la page 17, alinéa 1, dernier paragraphe: «versées en réparation d'un dommage résultant de l'inexécution d'un contrat relatif à l'immeuble». C'est une notion plus précise et j'ai vu qu'elle interpellait certains députés.
En préambule à ce débat, j'aimerais resituer le cadre dans lequel se sont déroulés les travaux de la commission fiscale. Le rapport et le projet de loi qui y est joint, sur lequel vous serez appelés à vous prononcer, apportent une réponse politique, d'une part aux engagements pris par le Conseil d'Etat devant ce Grand Conseil concernant la fiscalité immobilière, d'autre part à la motion 474 déposée le 30 novembre 1987 invitant le Conseil d'Etat à prendre des mesures draconiennes ayant pour effet de lutter contre la spéculation foncière en revoyant l'impôt spécial sur certains bénéfices et biens immobiliers. Il apporte également une réponse à l'initiative populaire 21 intitulée «Halte à la spéculation foncière». Celle-ci comportait plusieurs volets, dont l'un traitait de la fiscalité et demandait de revoir l'impôt sur les plus-values immobilières et de prévoir une loi qui découragerait la spéculation immobilière par des prélèvements plus importants en empêchant la fraude et l'évasion fiscale.
Le deuxième point que j'aimerais relever est que nous sommes dans le domaine du droit fiscal, c'est-à-dire le domaine de l'impôt, et l'impôt c'est la contribution versée à une collectivité pour participer aux dépenses résultant des tâches générales dévolues à cette dernière en vue de la réalisation du bien commun. C'est dire que notre débat doit se dérouler dans le contexte de la fiscalité et non pas dans le contexte de l'économie en général. Il est bien évident que nous sommes tous sensibles à la situation dramatique du marché immobilier et de la construction.
Il est bien évident également, Monsieur Annen, que la situation du marché immobilier dépend à la fois de l'état du marché et des conditions-cadres dans lesquelles évolue cette économie. L'état du marché, vous le connaissez aussi bien que moi. Les conditions-cadres dans lesquelles évolue le marché immobilier sont celles auxquelles nous avons tenté de remédier en proposant une loi «antirecourite» qui, malheureusement, et je le regrette infiniment, a été refusée par le peuple. Ce sont les mesures dont vous allez être prochainement saisis qui visent à améliorer les conditions dans lesquelles l'on pourrait rénover le parc immobilier existant.
Les mesures fiscales ont leur importance, mais elles ne sont pas déterminantes en la matière. Le fait de supprimer totalement les impôts ne vous améliorera pas la situation puisque vous n'avez pas de locataires pour les dizaines de milliers de mètres carrés de bureaux ou de locaux commerciaux, et il suffit de regarder la situation au niveau des appartements pour se rendre compte que maintenant chaque locataire potentiel peut négocier à la baisse son loyer.
Le troisième point que je voudrais relever c'est que ce projet de loi soulève des questions politiques importantes, mais qui touchent essentiellement l'alinéa 2 de l'article 82 et les alinéas 1 et 6 de l'article 84. Il faudra être très attentifs quand nous examinerons en particulier l'article 82, alinéa 2, qui a fait l'objet de très longs débats en commission, à ne pas oublier que ce projet de loi forme un tout et que si l'on entre en matière sur les propositions d'indexation des valeurs d'acquisition et qu'on maintient les réductions pour les durées de possession -- j'espère que vous avez pris connaissance du tableau qui figure à la fin du rapport -- cela équivaut à diminuer les recettes de l'Etat de 50%.
Cela est peut-être un bien, mais quand sur certains bancs on brandit l'article 86 de la constitution, quand on parle de dépenses nouvelles, il faudrait prendre en considération les conséquences du cumul de ces deux possibilités, parce que, en l'état actuel des finances cantonales, cela équivaut à 1 centime additionnel de plus, ou à une modification des taux d'imposition considérable, puisque les modèles qui nous ont été fournis par les collaborateurs du chef du département et sur lesquels je m'étais penchée avec Mme Martine Brunschwig Graf qui, malheureusement, ne peut pas assister à nos débats, nous amenaient à pratiquement doubler les taux d'imposition prévus. Ce sont les trois choses que je voulais préciser en préambule à ce débat.
M. Jean-Luc Ducret (PDC). Parler et débattre d'une imposition sur les gains immobiliers en période de forte dépression économique, c'est comme si on légiférait sur l'élevage de moutons dans le canton de Genève! Certes, il y a chez nous quelques moutons, il y en a toujours eu, et il y en aura peut-être un grand nombre dans un avenir incertain, et pas exclusivement dans nos pâturages!
Il y a en effet quelque chose d'irréaliste et de délirant dans le fait d'aborder un sujet, certes important, mais peu d'actualité. Si peu d'actualité que le chef du département des finances a même évoqué en commission fiscale la possibilité, au cas où les modifications de la loi seraient adoptées, de différer son entrée en vigueur pour tenir compte des difficultés actuelles, notamment dans le secteur immobilier.
Néanmoins, le Conseil d'Etat avait à coeur -- comme la loi l'y oblige d'ailleurs -- de répondre dans des délais raisonnables au volet fiscal de l'initiative «Halte à la spéculation foncière» et à la motion de notre collègue Passer datant de 1987, soit en pleine période de surchauffe immobilière.
Sur le plan fédéral, et dans un contexte économique quasi analogue, l'adoption des fameux arrêtés urgents contre la spéculation est tombée d'une façon identique, comme la grêle après la vendange.
Je fais ici des constats, non des critiques. Un gouvernement responsable doit prévenir une renaissance de la mauvaise spéculation foncière, celle génératrice d'abus malsains et dommageables pour une grande partie de la population.
Non, je fais ce constat pour déplorer la précipitation avec laquelle la commission fiscale a terminé ses travaux. Au pas de charge, pour donner satisfaction notamment à M. November, notre ancien collègue, qui précipita le vote final de la commission avant de donner sa démission de notre parlement.
Je le regrette, car sur bien des points nous avons pu obtenir un consensus général en commission. Je reste persuadé qu'avec quelques séances supplémentaires avec les collaborateurs de l'administration fiscale nous aurions pu obtenir des précisions et des éclairages aptes à lever toutes difficultés et incompréhensions et ainsi éviter un débat difficile en séance plénière.
Bravo, Madame Saudan! Certes, sur plusieurs points essentiels nous ne sommes pas d'accord avec vous, mais votre rapport, même s'il est certainement hermétique à des non-spécialistes, dénote d'un esprit de synthèse remarquable. Venons-en maintenant au problème de fond. Idéalement, il serait souhaitable d'imposer chaque année l'accroissement ou la baisse de valeur des immeubles en soumettant à l'impôt sur le revenu, comme gain de fortune, ses plus-values ou ses moins-values. Techniquement difficilement réalisable, cette manière de taxer n'a été adoptée par aucun canton. Chacun d'eux au contraire a introduit soit une législation fiscale ad hoc, soit, dans la législation fiscale ordinaire, le principe de l'imposition unique du gain lors de l'aliénation de l'immeuble.
Cette façon d'imposer le gain uniquement lors de la vente d'un immeuble présente dès lors l'inconvénient majeur de ne pas tenir compte, dans la détermination du prix de revient, de l'évolution du pouvoir d'achat survenu depuis l'acquisition de l'immeuble. Le rapport de Mme Saudan ne le dit pas, et je le regrette. Les cantons de Bâle-Campagne, des Grisons, du Valais et du Jura prennent en considération la dépréciation monétaire. Le gain réalisé lors de la vente d'un immeuble n'est pas imposé dans ces cantons dans la mesure où il est dû uniquement au renchérissement, soit à l'inflation. Certes, il s'agit d'exemples de cantons ruraux où les variations de prix sont peut-être moins systématiquement marquées que chez nous, mais, s'agissant notamment de la loi jurassienne -- la plus récente -- elle nous paraît être la plus équitable et surtout de nature à ne pas éloigner les contribuables de l'investissement immobilier.
Il faut faire une pause dans le matraquage fiscal dont est victime le propriétaire immobilier depuis plusieurs années. Impôt sur le revenu, impôt sur la fortune, impôt immobilier complémentaire, valeur locative ajoutée au revenu du propriétaire habitant son logement, nouvelle limite à 50% en matière de déduction des intérêts, augmentation de 80% des valeurs locatives intervenues sur le plan fédéral, augmentation de 20% des valeurs fiscales des immeubles acquis après 1984.
Fiscaliser à outrance le secteur immobilier est dangereux. Certes, il produit parfois à court terme un accroissement des recettes de l'Etat, mais, à moyen et à long terme, il détourne l'investissement vers des cieux plus hospitaliers, plus rentables et souvent à l'étranger.
En commission fiscale, M. Loosli, directeur de l'administration fiscale, s'est dit préoccupé par la mobilité des contribuables. Nombre d'entre eux lui ont signalé qu'après avoir effectué des calculs précis ils constataient que leurs charges fiscales globales seraient pour eux moins lourdes s'ils allaient s'établir dans d'autres cantons, notamment dans le canton de Vaud. Il s'avère que des fiduciaires font la même analyse et conseillent à leurs clients de ne pas rester domiciliés dans notre canton, recommandent le canton de Vaud pour les personnes physiques, et le canton de Fribourg pour les personnes morales. Il a été dit en commission qu'entre 1970 et 1980 quelque deux mille bons contribuables ont quitté le canton.
Tous les groupements auditionnés par la commission fiscale ont estimé par ailleurs totalement contre-productif de continuer à imposer des gains immobiliers sur le long terme, soit après vingt-cinq ans de propriété. Il convient à cet égard de mener une politique incitative pour l'investissement immobilier et favoriser l'accession à la propriété individuelle.
Je ne pense pas là aux gros propriétaires, mais plus particulièrement aux petits propriétaires qui ont pensé préparer leur retraite en faisant, il y a longtemps déjà, le pari de l'investissement immobilier. Il y a bien souvent chez eux un sentiment de spoliation à l'égard de l'Etat. Le prélèvement de l'impôt sur le bénéfice immobilier leur semble injuste.
Imaginez par ailleurs qu'en 1970 le marché immobilier concernait pour 15% les institutionnels et pour 85% les particuliers. En 1990, la proportion était de 35% pour les institutionnels et de 65% pour les particuliers.
Nos travaux sont incomplets. L'analyse du problème immobilier et de sa fiscalité n'a été que superficielle et c'est malheureusement notre habitude. Nous travaillons au coup par coup, par petite touche de cosmétique, mais nous n'avons aucune vision globale du problème. Comment traiter de l'impôt sur les bénéfices immobiliers sans appréhender parallèlement la loi sur les droits d'enregistrement totalement désuète sur bien des points? Imaginez que certaines opérations soumises à la loi sur les droits d'enregistrement sont taxées à 4,20 F, qu'un cautionnement de 50 millions de francs n'est taxé par l'administration fiscale que de 105 F. Il y a là des aberrations, et traiter tous ces problèmes les uns pour les autres ne peut que déboucher sur des affrontements législatifs permanents.
En période de difficultés conjoncturelles, et dans le cadre des mesures de relance de l'activité économique dans notre canton, nous aurions pu nous interroger, par exemple, à l'occasion de cette révision législative, sur les investissements dans les petites et moyennes entreprises ou les petites et moyennes industries. Le projet d'investissement dans une entreprise en société se heurte souvent à la nécessité de vendre un bien immobilier, d'où plus-value. En France, par exemple, le produit de la vente d'un immeuble apporté par une personne physique à une société style PME n'est pas imposé immédiatement. L'imposition est différée jusqu'au moment de la cession des droits sociaux ainsi reçus en contrepartie. Il y a là certainement une piste, parmi d'autres, à explorer: élargir le principe du réemploi à des investissements qui ne seraient pas obligatoirement immobiliers. Il nous faut travailler plus sérieusement et en profondeur avec l'aide de spécialistes choisis en dehors de l'administration.
En conclusion, je vous demande expressément d'accepter le renvoi de ce projet en commission, non pas pour le saborder, car sur certains aspects, et je l'ai dit, le groupe démocrate-chrétien le soutient fermement, je pense en particulier à la lutte contre l'évasion fiscale, contre les opérations spéculatives, mais au contraire pour améliorer ce projet. Nous devons mettre en place un système d'imposition simple, juste, compréhensible pour les contribuables, supportable pour les détenteurs de patrimoine immobilier, et non dissuasif pour les investisseurs. Si notre parlement devait refuser ce renvoi, je serais contraint, à regret, de lui proposer toute une série d'amendements difficiles à traiter en séance plénière.
Mme Françoise Saudan (R), rapporteuse. Je ne m'exprimerai pas sur les problèmes de fond qu'a abordés M. Ducret avant que ce parlement se soit prononcé sur le renvoi en commission.
J'aimerais simplement relever à quel point il est choquant de faire cette proposition. La commission fiscale s'est penchée pendant plus de deux ans sur ce problème de l'impôt sur les plus-values et gains immobiliers. Par intermittence, il est vrai, nous avons travaillé en sous-commission et nous avons vu que les problèmes essentiellement politiques, nous ne pouvions pas les trancher. Nous avons travaillé en commission, nous ne sommes également pas arrivés à trancher ces problèmes, et quel que soit le désir de M. Ducret d'améliorer ce projet, le résultat sera le même, il appartiendra à la plénière de trancher les questions politiques de ce projet de loi.
Je suis d'autant plus choquée, Monsieur Ducret, que vous aviez annoncé tout au long de nos débats votre désaccord sur certains points. Vous aviez même annoncé un rapport de minorité. J'ai eu l'obligeance de vous transmettre mon rapport avant que l'ensemble du Grand Conseil en soit saisi, et je trouve cela particulièrement déplacé, d'autant plus que le chef du département a fait l'effort d'être là aujourd'hui. Je vous invite à refuser ce renvoi en commission. (Applaudissements.)
M. Jean Montessuit (PDC). Je suis celui des deux commissaires démocrates-chrétiens qui s'est abstenu lors du vote final en commission fiscale. Effectivement, les débats sur cet objet se sont étendus sur deux ans, mais le projet de loi est loin d'avoir été traité durant deux ans. Il y a eu d'énormes difficultés car c'est un sujet éminemment technique, compliqué, dont on arrive mal à mesurer rapidement les conséquences. On a tenté devant cette difficulté de le renvoyer en sous-commission, la sous-commission n'est pas arrivée à formuler des conclusions claires à l'intention de la séance plénière et il y a eu -- je suis du même avis que M. Ducret -- une accélération des débats à la fin, et cela est fort regrettable.
Comme je n'arrivais pas -- je le dis bien humblement -- à mesurer toutes les incidences du problème, que j'ai confiance dans les représentants du département qui nous donnaient des assurances, je me suis abstenu. Depuis, j'ai examiné les textes, j'ai essayé d'en voir les conséquences pratiques et suis arrivé à la conviction que l'aboutissement de ce projet de loi n'était pas satisfaisant, c'est la raison pour laquelle je soutiens la proposition de renvoi en commission fiscale.
Je voudrais en préambule du débat de fond développer quelques points. Au préalable, j'aimerais relever encore une fois que cette loi dans ses conséquences fiscales ne s'applique pas aux professionnels, mais à tout un chacun, les professionnels étant taxés sur le revenu en ce qui concerne les bénéfices qu'ils réaliseraient sur des biens immobiliers.
Quels étaient les objectifs de ce projet de loi? Je crois qu'ils sont clairement formulés dans l'exposé des motifs, à la page 9 du projet de loi: «Garantir le paiement de tout bénéfice ou gain immobilier». Sur ce plan, je crois que le projet de loi donne satisfaction. Il empêche l'évasion fiscale et détermine le bénéfice imposable selon des critères objectifs plutôt que sur la base d'une évaluation.
«Freiner la spéculation immobilière» dont on peut craindre la résurgence quand les conditions du marché se seront améliorées. C'est un domaine où l'on peut avoir des appréciations très divergentes. Je vous le dis franchement, j'ai quand même, en tant qu'observateur, vu pas mal d'opérations de spéculation immobilière et n'ai jamais vu un spéculateur qui acquérait un bien pour une utilisation future se préoccuper du montant des impôts qu'allait payer celui qui le lui vendait. Or, pour faire une transaction, il faut qu'il y ait un vendeur et un acheteur. Cela dit, à partir du moment où il y a spéculation, je suis d'accord que l'Etat ramasse une grande partie du bénéfice réalisé et que la nouvelle loi frappe plus durement les opérations qui ont un caractère spéculatif, de façon que la caisse de l'Etat en profite. Elle en a bien besoin.
«Atténuer les disparités entre les contribuables», ceux qui agissent à titre professionnel et ceux qui, dans la gestion de leur patrimoine privé, spéculent sur les plus-values importantes à court terme, cela veut dire que l'on veut frapper autant le monsieur qui a acquis une villa pour y habiter que le professionnel, si je comprends bien. «Clarifier les conditions légales de l'exonération d'impôts, de sa perception différée et de la prorogation de la taxation», c'est effectivement un des bons aspects du projet de loi ainsi que cela est ressorti du travail de la commission.
Il y a enfin un aspect qui, dans la finalité du projet de loi, est marqué très timidement, celui d'augmenter la fiscalité et je ne crois pas que c'était le but essentiel de l'opération. Ce n'était pas le but premier, il était ailleurs -- vous l'avez rappelé, Madame le rapporteur, en parlant de l'IN 21 et de la motion 474. Je me suis livré à quelques calculs dont j'ai remis un exemplaire à chacun des partis. J'ai examiné la situation d'un père de famille ayant acheté une villa 500 000 F en 1971, et qui, vingt ans plus tard, soit en 1991, l'a revendue au prix strictement indexé, soit 1,125 million. Dans la loi actuelle, ce monsieur est frappé d'un impôt, que je considère comme normal, atténué par le fait que l'on prend dans le calcul du bénéfice la valeur fiscale majorée de 30%. Dans le nouveau projet de loi, l'impôt est sensiblement augmenté.
Si la valeur de la villa, au lieu d'être de 500 000 F, est d'un million et le prix de vente de 2,25 millions, le bénéfice est beaucoup plus grand, mais il n'y a toujours pas de bénéfice économique, toujours pas de spéculation et un impôt multiplié par 2,5. Il me semble qu'il y a là quand même une anomalie méritant réflexion. Si le même objet est un immeuble locatif, la taxation explose, et c'est là que le chat a mal à la patte. Le marché immobilier est en très mauvaise santé, il n'y a plus d'intérêt pour l'investissement immobilier parce qu'il ne rapporte rien. Le seul intérêt qui lui reste, c'est la préservation de la valeur d'achat à long terme. Si la nouvelle loi massacre cette sauvegarde du pouvoir d'achat, c'est le découragement total pour les investisseurs immobiliers, c'est la crise du logement dans quelques années. Je vous invite vraiment à réfléchir à toutes ces considérations et à revenir en commission de façon que nous puissions les analyser. Encore une fois, nous sommes d'accord sur la taxation des gros bénéfices et des bénéfices à très court terme, mais il ne faut surtout pas que le système mis en place pénalise les investissements à long terme.
Mme Françoise Saudan (R). Nous sommes entrés dans le débat de fond et j'aimerais rappeler quand même certaines choses à mes collègues démocrates-chrétiens. Le principe de l'indexation de la valeur d'acquisition n'existe pas dans la loi actuelle et ça n'a pas empêché le marché immobilier de connaître une de ses plus graves crises. Ce n'est pas un argument, Monsieur Montessuit, de nous dire maintenant: «Si vous ne faites pas cela, ce sera vraiment la catastrophe pour le marché immobilier». Je ne suis pas d'accord avec ce genre d'argumentation parce que maintenant nous sommes dans un débat qui consiste à savoir si ce Grand Conseil désire renvoyer ce projet de loi en commission ou pas, c'est tout! Je veux bien rentrer dans le débat de fond, j'ai toute une série d'arguments concernant l'indexation. (Remarques de M. Brunschwig.) Oui, mais dites-le à vos collègues, Monsieur Brunschwig, s'il vous plaît! (Ton agacé de l'oratrice.)
La présidente. Nous débattons sur le renvoi en commission, j'arrêterai ceux qui débattent sur autre chose.
Mme Christine Sayegh (S). J'ai été extrêmement surprise des propos de M. Ducret, car dire que nous n'avons pas travaillé sérieusement dans cette commission, je trouve cela relativement insultant. Le travail était non seulement dans la commission, mais nous avons sollicité l'administration fiscale, les services de la division de contrôle en particulier, nous avons reçu énormément de documents et ce n'était pas dans la commission, mais avant la commission qu'il fallait les étudier.
Les amendements que vous proposez maintenant, Monsieur Ducret, vous pouviez très bien les faire pendant les séances de commission... (Brouhaha. La présidente s'acharne sur sa cloche!)
La présidente. Que ceux qui reviennent de la buvette le fassent discrètement! (Rires.)
Une voix. Ferme la porte, Ducommun!
Mme Christine Sayegh. Vous voyez que même quand on est virulent et qu'on veut renvoyer une loi en commission, on pense que la buvette est peut-être préférable! Je suis un peu étonnée de la manière dont les travaux de la commission ont été qualifiés car l'on nous a fourni énormément d'exemples, avec les différents critères, qu'ont proposés les milieux immobiliers pour définir le bénéfice fiscal. Mme Saudan a attiré votre attention dès le début des débats sur le fait que le bénéfice fiscal n'est pas un bénéfice économique.
Les amendements qui viennent d'être déposés sur nos tables sont fondamentaux peut-être, mais ils auraient pu, puisque les travaux ont duré deux ans, être proposés antérieurement. Je pense que cette loi est tout à fait prête à être votée et je constate que M. Ducret n'était pas d'accord avec le changement. Effectivement, ce n'est pas dans son intérêt que l'on vote, puisqu'il ne faut pas changer la loi qui est très bien et très simple! Pourquoi la changer? M. Ducret oublie qu'il y a un mandat populaire et que nous devons l'exécuter. Aussi, je pense tout à fait inutile de repartir en commission et notre groupe s'y opposera.
M. Anne Chevalley (L) (L). J'aimerais que l'on se détermine sur le renvoi en commission. C'est inutile d'entrer dans un débat de fond. Je vous demanderai de me repasser la parole si par hasard le renvoi en commission était refusé.
M. Jean Spielmann (T). Tout à l'heure, on a fait une observation sur le renvoi en commission après que M. Ducret l'a proposé. Vous avez laissé parler M. Montessuit, il n'y a pas de raison qu'il y ait deux poids deux mesures, et je m'en vais développer mes arguments! (Protestations sur les bancs de la droite.)
Premièrement, il a été dit que la commission avait travaillé dans la précipitation pour justifier le renvoi en commission, or il faut quand même préciser que l'initiative populaire a été déposée au tout début de l'année 1988 et le délai imparti par la constitution à ce parlement pour prendre position était échu le 8 février 1989. Si cela est de la précipitation, permettez-moi de douter de vos convictions et de votre volonté d'aboutir. Cinq ans après, vous venez dire ici que l'on a trop précipité les choses! Il vous faut donc trouver un autre argument.
L'offensive faite par les représentants des milieux immobiliers est d'ailleurs assez paradoxale car, il y a quelques années, on arrivait dans ce parlement à développer une politique sociale du logement grâce à la position du parti démocrate-chrétien, et aujourd'hui les représentants des milieux immobiliers sont représentés par ce même parti. C'est un changement politique fondamental qui est aussi une position importante et je crois que ce sera l'occasion de le rappeler au cours des prochains mois, pour que les gens sachent qui ils «expédient» dans ce parlement. Ces messieurs les représentants des chambres immobilières sont venus argumenter pour le renvoi en commission en mettant en parallèle des problèmes fondamentaux, comme par exemple celui du bénéfice résultant d'une spéculation immobilière. Dans le court terme, je crois qu'il ne s'agit pas de régler le problème des propriétaires de villas et des petits propriétaires, il s'agit de pénaliser ce qui est à mon avis grave et dangereux pour notre économie: le phénomène de la spéculation. L'argumentation développée pour renvoyer ce projet en commission en disant qu'il n'y a plus aujourd'hui de motivation pour légiférer, pour tenter de mettre en place des dispositions empêchant le développement de la spéculation, est aussi un mauvais argument parce qu'il est bien sûr plus facile aujourd'hui -- alors que ce problème ne touche personne puisque vous venez de dire qu'il n'y a plus de spéculateurs -- de mettre en place une législation prohibant le retour de cette spéculation qui a posé tant de problèmes à notre canton. D'ailleurs, ce n'est pas nous qui le disons, c'est Jean-François Aubert qui a notamment dit dans un article intéressant qu'il n'était pas normal que certains s'engraissent impunément de l'industrie ou de l'activité des autres. C'est bien de cela qu'il s'agit; il ne s'agit pas ici de punir le propriétaire, de punir celui qui a un immeuble.
On pourrait d'ailleurs rediscuter de la valeur immobilière. Il s'agit de trouver les moyens -- c'est l'objectif que nous avions fixé dans cette initiative -- de lutter contre la spéculation, le profit immédiat, qui ne pénalise pas seulement les locataires, mais qui touche l'ensemble des activités aujourd'hui, et c'est un problème de fond que nous pouvons régler en toute tranquillité. L'autre argument développé pour le renvoi en commission est de venir dire: «Il faut ajouter d'autres éléments à ce débat». Vous avez parlé des taxes des droits d'enregistrement à 4,20 F, alors vous me permettrez quand même de sourire lorsque vous viendrez avec toute une série d'arguments de ce type pour justifier le renvoi en commission, alors qu'il s'agit de combattre un phénomène de spéculation, de mettre en place une loi qui nous prémunisse enfin contre un retour de cette spéculation. Dites ouvertement: «Nous, la spéculation, c'est notre job. Nous en vivons et laissons les autres faire le travail et nous voulons continuer à gagner de l'argent sans rien produire, sans enrichir le patrimoine construit, sans enrichir l'industrie, sans participer à la formation et au développement de notre canton, donc une activité totalement nuisible!». Dites-le franchement, et ne conduisez pas des batailles d'arrière-garde juridiques.
Autre argument développé par M. Ducret tout à l'heure. Il est vrai que les AFU ont eu un phénomène pernicieux, et je l'ai dit au Parlement fédéral, on ne peut pas, en matière économique, régler les problèmes économiques simplement par des dispositions urgentes qui renvoient le problème à plus tard. Ces AFU ont été, pour ceux qui avaient les moyens d'attendre, une vertu hautement rémunératrice, car ils ont pu profiter des problèmes rencontrés par les autres pour faire des bénéfices encore plus importants. Aujourd'hui, il est primordial et indispensable de mettre en place une législation qui empêche le retour de la spéculation, et toute proposition de renvoi en commission, de retour en arrière, n'est qu'une mesure dilatoire qui, dans le fond, cache votre véritable intention, celle de continuer à profiter et à vivre de la spéculation, et ça, la population genevoise n'en veut plus et il serait temps de lui donner la parole.
M. Robert Baud (S). Pour qu'il y ait un marché immobilier, un marché où se développe notre économie...
Une voix. Sur le renvoi en commission!
M. Robert Baud. Oui! Je me prononce sur le renvoi en commission, mais je suis obligé d'apporter quelques arguments, il est manifeste... (Manifestation de M. Revaclier.)
Des voix. Laisse-toi pas faire par Revaclier!
M. Robert Baud. ...que le débat de maintenant est un débat politique, contrairement à ce que M. Ducret a voulu laisser entendre en le cachant derrière quelques arguments techniques. Pour qu'il y ait un marché du logement, il faut évidemment une offre et une demande, un équilibre entre cette offre et cette demande, et cela n'était manifestement pas réalisé à Genève dans les années 80 et même avant, où nous avons vécu dans un marché de pénurie où il a fallu intervenir, il a fallu créer des logements subventionnés et d'autres mesures d'encouragement à l'accès à la propriété.
Une autre condition pour que ce marché existe et qu'il continue de se développer sainement est qu'il faut lutter contre les profits qui ne proviennent pas d'un effort économique justifié. Il faut lutter contre les forces non productives. Lorsqu'un immeuble est acquis 4 millions et revendu quelques mois après 5 millions, il s'agit d'une force non productive. Il n'y a aucun bien supplémentaire sur le marché, il y a uniquement un profit, une soustraction de la valeur économique. Cela s'appelle la spéculation, et si vous voulez renforcer le marché immobilier, il faut absolument lutter contre la spéculation qui gâte ce marché, qui fait monter les prix au-delà et sans proportion avec la valeur économique.
Au niveau du logement, le marché a été gâté à la fin des années 80, et il l'est a contrario maintenant avec un effet de retour assez puissant, beaucoup trop puissant et dont nous devons subir à tous les échelons les effets. Le marché tarde à se rétablir, les victimes, ce sont les consommateurs, c'est-à-dire les propriétaires qui habitent leur propre logement, ce sont les locataires qui évidemment dans un marché faussé doivent payer des loyers parfois trop élevés. Ce sont également les promoteurs qui, en général, ne sont pas tous des spéculateurs.
(Manifestation d'étonnement de quelques députés.)
M. Robert Baud. Tout à fait! La présente loi veut lutter contre la spéculation, stabiliser le marché, éviter les fluctuations qui sont hors de la vérité économique. Il s'agit de protéger l'accès à la propriété, et en particulier le propriétaire habitant son propre immeuble. Celui-là n'a absolument rien à craindre des effets de la présente loi. Nous pourrions d'ailleurs en parler dans le deuxième débat.
Il s'agit également de maintenir par la présente loi les droits des professionnels de l'immobilier. M. Montessuit l'a dit, M. Vodoz pourra le dire aussi, les professionnels ne sont que peu ou pas touchés par la présente loi. Il s'agit de lutter contre des achats abusifs suivis d'une revente dans un délai de quelques années.
En régulant le marché, et cela avant tout est important, cette loi intéresse indirectement les locataires qui sont largement majoritaires dans ce canton en agissant comme frein sur les prix. A Genève, 80 à 90% des citoyens sont locataires; pour eux, cette loi est incontestablement une amélioration par rapport à la situation actuelle. Au-delà de ces 80 à 90% et jusqu'à 99%, nous avons une couche de propriétaires habitant leur propre immeuble, ensuite il y a les professionnels de l'immobilier qui ne sont pas touchés directement par cette loi. Que reste-t-il? Il reste moins de 1% des Genevois qui ont à craindre cette loi.
C'est pourquoi le parti socialiste trouve que cette loi est une mesure absolument nécessaire, c'est une mesure minimum, et nous ne saurions accepter certains amendements visant à en diminuer la portée. Bien entendu, nous nous opposons au renvoi de cette loi en commission. Il y a plus d'une année que nous débattons sur ce sujet, nous avons vu plusieurs dizaines d'exemples réels sur lesquels on a simulé l'effet de la nouvelle loi, nous avons été parfaitement renseignés et il n'est pas convenable de remettre en question le travail déjà fait.
M. Paul Passer (HP). Il aura fallu six ans pour que les objets figurant dans ce rapport arrivent en séance plénière. En 1987, la motion 474 invitait le Conseil d'Etat à prendre des mesures draconiennes en revoyant l'impôt spécial sur certains bénéfices et gains immobiliers, demandant que ces gains soient imposés au maximum lorsque les propriétaires ont été possesseurs pendant moins d'un an, etc. A la page 17 du rapport, au dernier paragraphe, il est dit: «Certains commissaires auraient préféré en rester au système actuel en augmentant simplement les taux en particulier pour les courtes durées de possession afin de lutter contre la spéculation».
Tout le problème est là, il s'agit de lutter contre la spéculation. La spéculation a pris fin avec les années de récession que l'on vit depuis 1990, mais rien ne prouve et rien ne dit que cette spéculation ne va pas reprendre lorsque la conjoncture le permettra. Genève a souffert de la spéculation autant que les autres villes de Suisse et d'Europe où les taux d'imposition sur les gains immobiliers étaient les plus faibles. J'en veux pour preuve le tableau comparatif se trouvant à la page 36 du rapport, et j'en prends ici quelques exemples.
Zurich, pour une possession de un à deux ans, impose à 58,4%; à cinq ans: à 37%; à dix ans: à 31%; à vingt ans: à 19%. Pour comparaison, Genève est à 32%, 20%, 10% et 10%. Berne, pour une possession de un à deux ans, impose à 56,8%, Sion à 40%, Lucerne à 37,8%. Il s'agit donc ici d'imposer non pas les constructeurs, non pas les promoteurs, non pas les petits propriétaires, simplement les spéculateurs, ceux qui achètent par pur profit, et c'est pour cela que le renvoi de ce projet de loi en commission me semble une bonne idée afin qu'une clause spéciale sur la spéculation immobilière soit introduite.
M. Jean Montessuit (PDC). Je voudrais simplement vous demander comment l'on peut argumenter sur le renvoi en commission sans aborder les problèmes de fond, alors que c'est précisément les problèmes de fond qui justifient le renvoi en commission? J'aimerais simplement relever quelque chose qui m'a paru totalement inexact. Vous avez dit, Madame la rapporteuse, qu'actuellement le principe de l'indexation n'existe pas. Si, il existe. Actuellement, dans la loi, on prend la valeur fiscale des villas dix ans en arrière, on la majore de 30%. C'est une indexation, Madame! En ce qui concerne les immeubles, on prend la valeur fiscale cinq ans avant la vente, c'est également une indexation. Je n'irai pas plus loin. J'insiste encore une fois, je vous en supplie, renvoyez ce projet en commission, il a mal abouti.
Mise aux voix, la proposition de renvoi en commission est adoptée.