Séance du jeudi 13 mai 1993 à 17h
52e législature - 4e année - 5e session - 19e séance

I 1855
8. Interpellation de M. Yves Meylan : Incompatibilités pour les membres de commissions extra-parlementaires : décision au coup par coup ou politique générale du Conseil d'Etat ?. ( ) I1855
 Mémorial 1993: Développée, 2070.

M. Claude Haegi, conseiller d'Etat. C'est la soirée «Meylan», si j'ose dire!

M. Meylan a exprimé le désir qu'on lui réponde avant qu'il ne quitte cette enceinte, ce que nous faisons volontiers.

Le principe de l'incompatibilité auquel vous faites référence est un des aspects de la séparation des pouvoirs, un principe constitutionnel qui doit être garanti. En réalité, il s'agit d'éviter qu'une personne soit, en quelque sorte, juge et partie lors de la prise d'une décision. En d'autres termes, il s'agit d'empêcher que par le biais d'influences, voire d'intérêts personnels, des pressions soient exercées et nuisent à l'objectivité du processus décisionnel.

Un certain nombre d'incompatibilités sont inscrites dans notre constitution, notamment celle sur laquelle nous serons amenés à voter le 6 juin prochain, à savoir l'impossibilité pour un fonctionnaire d'exercer un mandat de député au Grand Conseil. Il y a encore celle inscrite dans les dispositions constitutionnelles qui interdisent aux conseillers d'Etat ou aux conseillers administratifs d'exercer d'autres activités lucratives.

L'incompatibilité à laquelle se réfère plus particulièrement M. Meylan est de nature un peu différente. Il s'agit d'une incompatibilité de personne. Une même personne ne doit pas, dans le cadre de l'exercice de son mandat de membre de commission, confondre son intérêt personnel, notamment en raison de son activité professionnelle, avec l'intérêt général qu'une commission doit respecter. Chaque membre d'une commission doit, à titre personnel, respecter cette déontologie et s'abstenir, lorsqu'il estime que ses interventions pourraient être considérées comme une pression inacceptable sur la décision et incompatibles avec le principe fondamental de l'indépendance d'une commission. La loi du 24 septembre 1965 concernant les membres des commissions officielles prévoit à son article 3, alinéa 3, «que les membres des commissions doivent se récuser dans tous les cas où leurs intérêts ou ceux de personnes qu'ils représentent sont en cause». Cette disposition vise, en réalité, à fixer les règles du jeu et à définir l'éthique que doit suivre chaque membre d'une commission. A diverses reprises, votre Conseil s'est fait l'écho de difficultés qui ont surgi dans l'interprétation de cette disposition et plus particulièrement de la définition des intérêts pouvant être mis en cause pour justifier la récusation d'un membre d'une commission. Des conflits de personne existent, et ce plus particulièrement à la commission -- M. Baehler va bondir -- cantonale de la pêche au sujet de laquelle M. Yves Meylan nous interpelle. J'ai dû intervenir à diverses reprises et je me suis efforcé de trouver des solutions afin que le travail de cette commission puisse être exécuté dans la sérénité. Et cela ne va pas de soi, vous le savez fort bien, Monsieur le député.

Un des conflits qui a surgi dans ce cadre a eu pour cause la participation aux travaux d'un membre qui dirige une entreprise spécialisée dans les problèmes d'écologie du lac et des rivières. Etant donné ses grandes compétences professionnelles, celui-ci a été, à juste titre, à mon avis, mandaté à plusieurs reprises par mon département pour effectuer des études d'impact en matière de rivières et plus particulièrement en matière piscicole. En fait, le bureau «Ecotec» dirigé par la personne concernée n'a jamais eu un rôle d'entreprise, car il ne réalise pas les travaux soumis au préavis de la commission de la pêche: il se contente d'en analyser les impacts sur la faune et sur la pêche. En revanche, dans le cadre de mandats qu'il exerce pour d'autres entreprises, notamment les Services industriels, cet expert a eu l'occasion d'expliquer certains aspects des problèmes posés et des solutions proposées devant la commission de la pêche, du fait qu'il était le mieux à même d'exposer les motifs qui ont conduit aux options prises. Il est en effet intervenu et a donné son point de vue.

A la suite de discussions qui ont eu lieu au sein de la commission, d'autres membres sont intervenus auprès de moi pour contester le droit de cet expert à s'exprimer devant la commission. Il semblerait également, et ceci est d'ailleurs contesté par d'autres, procès-verbaux des séances à l'appui, que l'expert en question ne se soit pas toujours abstenu de voter lors des préavis délivrés par la commission en fonction de la loi fédérale sur la pêche. Soulignons toutefois que ces votes ne sont que des préavis et non des décisions qui, elles, sont délivrées par mon département. Lors d'une réunion des deux groupes antagonistes existant au sein de la commission de la pêche, une discussion est survenue sur cet objet et j'ai confirmé, il est vrai, que j'entendais que la loi soit respectée et qu'aucun doute ne subsiste sur mon intention d'éviter des interventions qui pourraient donner l'impression qu'un membre de cette commission est juge et partie. J'ai insisté auprès du chef du service des forêts, de la faune et de la protection de la nature pour que les limites des compétences des uns et des autres soient clarifiées et que des ambiguïtés ne subsistent pas. L'attribution de mandats devra être examinée dans cette optique.

J'entends faire respecter le principe des incompatibilités fixé dans la loi et regrette que des antagonismes de personnes empoisonnent le travail de la commission cantonale de la pêche qui est amenée à donner des préavis d'experts sur des projets qui ont des conséquences importantes sur le maintien de la vie piscicole dans nos cours d'eau. Monsieur le député, vous connaissez la situation de la commission. J'ose espérer, eu égard à l'ambiance générale et aux divisions dans ce secteur, n'être pas obligé de vous présenter un nouveau projet de loi pour l'élection de la commission de la pêche, parce qu'en réalité il s'agit aussi de cela. Je souhaite vivement que le bon sens l'emporte et que les uns et les autres travaillent dans l'intérêt général.

Par cette longue réponse, j'espère vous avoir donné satisfaction.

M. Yves Meylan (Ve). Le mois dernier, j'avais posé deux questions au conseiller d'Etat chef du département de l'intérieur et de l'agriculture. Premièrement, je désirais savoir s'il était vrai qu'il envisageait de ne plus donner de mandat de l'Etat de Genève aux membres de la commission cantonale de la pêche. On me l'a laissé entendre.

Deuxièmement. Son département entend-il faire appliquer la même règle à l'ensemble des commissions qui dépendent de lui, ainsi qu'à l'ensemble des commissions de tous les départements du Conseil d'Etat?

Je n'ai pas perçu une réponse claire dans le discours de M. Haegi, mais j'ai cru comprendre, de manière sous-jacente, qu'il ne voulait pas appliquer cette règle, mais qu'il entendait simplement faire respecter -- ce qui a été le cas lors des votes en commission de la pêche -- le principe d'abstention des personnes directement concernées.

Dans le cas contraire, cela reviendrait à nier l'article 3, cité par M. Haegi lui-même, de la loi concernant les membres des commissions officielles et qui dit: «Les membres des commissions doivent se récuser dans tous les cas où leurs intérêts ou ceux de personnes qu'ils représentent sont en cause». Le fait de ne plus attribuer de mandat serait conférer une portée différente et beaucoup plus large à cet article voté par notre Grand Conseil.

Par rapport au principe général des commissions, on aboutirait à des situations aberrantes. Si je prends pour exemple la commission consultative de la faune, cela signifierait que les biologistes ou les forestiers qui en font partie ne pourraient plus jamais recevoir de mandat de l'Etat. Idem pour les horticulteurs de la commission des forêts. Idem aussi pour les architectes de la commission des monuments, de la nature et des sites. Cela serait pareil pour les ingénieurs et les architectes qui font partie de la commission de l'urbanisme.

C'est pourquoi je conclus implicitement que M. le conseiller d'Etat entend simplement respecter l'article 3 de la loi sur les membres des commissions officielles.

M. Claude Haegi, conseiller d'Etat. Je me bornerai à vous dire, Monsieur le député, que vous avez bien interprété.

L'interpellation est close.