Séance du
jeudi 13 mai 1993 à
17h
52e
législature -
4e
année -
5e
session -
18e
séance
PL 6767-A et objet(s) lié(s)
Premier débat
M. Yves Meylan (Ve), rapporteur. Ce projet de loi date de quelque temps déjà. Renvoyé à la commission de l'aménagement, il n'a jamais été traité, la commission législative ayant conclu que le Grand Conseil ne pouvait le voter sans qu'il ait fait l'objet des procédures habituelles en matière d'aménagement du territoire, c'est-à-dire enquête publique, procédure d'opposition et préavis des communes concernées.
C'est pourquoi, par la suite, une motion ayant exactement la même teneur a été déposée et votée le 25 septembre 1992. Elle invitait le Conseil d'Etat à procéder à ce déclassement et à déposer un projet de loi pour permettre l'échange, en superficies équivalentes, d'une zone villa et d'une zone agricole. Après le vote de la motion, la commission, notamment sur la suggestion du conseiller d'Etat chargé du département des travaux publics, a proposé d'examiner le fond du problème. C'est la raison pour laquelle la commission a repris ce projet de loi pour confirmer ou infirmer le vote de la motion en séance plénière. Cette commission a confirmé ce vote et a proposé de transformer le projet de loi initial en motion.
Aujourd'hui, j'ai trois éléments nouveaux à vous apporter suite au dépôt du rapport.
Le département des travaux publics a fait procéder à l'enquête publique en avril 1993 et les observations recueillies seront transmises à la commission de l'aménagement lors des discussions sur le futur projet de loi. Suite à l'une de ces observations, la commission a souhaité, hier soir, procéder à une nouvelle audition du propriétaire concerné pour obtenir des précisions sur deux autres parcelles dont son fils est propriétaire par le biais d'une rente viagère. Enfin, après avoir reçu les explications et éclaircissements du Conseil d'Etat, la commission a confirmé son vote hier soir par 8 oui, 3 non et 1 abstention.
Ainsi, la commission maintient la proposition de motion telle qu'elle figure dans mon rapport.
M. Daniel Ducommun (R). J'aimerais remercier M. Yves Meylan pour son rapport qui a valeur de symbole, ce soir. En effet, il s'agit de son dernier rapport et il touche à notre territoire, à son aménagement et à la zone agricole. Je constate avec bonheur que ce rapport est objectif et réaliste, qu'il sort du traditionnel message idéologique et dogmatique stérile. C'est tout à votre honneur, Monsieur Meylan! (Applaudissements.)
Le dossier qui nous préoccupe concerne une démarche mise en route le 27 juillet 1987 par l'un de nos citoyens contribuables, soucieux de deux choses fort simples: d'une part, conserver un terrain viticole de grande qualité reposant sur du terrain à construire et, d'autre part, résoudre un problème de partage familial pour permettre à ses deux filles de se loger sans sacrifier la vigne, à l'appui d'une parcelle agricole située à proximité. Cette parcelle jouxtant la zone à construire ne se prête pas particulièrement à la culture. Il s'agit de 2300 m2 à échanger sans perte pour la zone agricole.
Le projet est soutenu par les deux communes concernées, par la Chambre genevoise d'agriculture, par le service d'agriculture du département de l'intérieur et par notre Grand Conseil à travers l'acceptation d'un projet de loi et de la motion 806. C'est donc un projet approuvé démocratiquement par tous.
Si le choix politique de chacun est clair en ce qui concerne ce projet, ne devons-nous pas, à nouveau, souhaiter la même clarté pour les procédures, règlements, commissions consultatives et tout ce que l'on peut imaginer avec, en point d'orgue, l'influence terriblement éprouvante et négative du chef du département des travaux publics?
Je ne parle pas au nom du «Renquilleur», mais deux mille cent six jours pour 2300 m2, cela équivaut quasiment à un jour de procédure par m2 pour accepter une utilisation raisonnable et utile de notre territoire!
Je vous remercie d'accepter la motion 859 qui appuie la 806 dont je suis comotionnaire et qui invite le Conseil d'Etat à présenter promptement, si possible, un projet de loi définitif.
Mme Erika Sutter-Pleines (S). Soulignons en premier lieu que le département des travaux publics, comme l'a dit M. Meylan, a ouvert l'enquête publique immédiatement après le vote de la commission de l'aménagement du territoire, alors qu'il aurait pu attendre le vote d'aujourd'hui. Il n'y a donc pas eu volonté de faire traîner les choses.
Sur le fond, personne ne niera qu'il régnait un certain malaise lors de la discussion du projet de loi, transformé en motion, concernant une rocade de zones entre Lully et Confignon. Le malaise s'est accru lors de la deuxième audition au cours de laquelle le bénéficiaire de la rocade a plaidé la bonne foi quant au fait qu'il n'avait pas indiqué à la commission une propriété appartenant à son fils viticulteur, actuellement habitée en viager et utilisée par la soeur du bénéficiaire. Personnellement, mon malaise provient surtout du fait que nous nous trouvions devant un partage de biens effectué du vivant des parents qui a, en quelque sorte, lésé les filles.
C'est pourquoi j'ai accepté d'expliquer aujourd'hui les raisons du refus de ce projet de loi par nos commissaires. Devant cette demande d'une famille de viticulteurs, appuyée entre autres par des autorités communales, notre analyse a été la suivante: on ne peut qu'entrer en matière sur le principe d'une rocade de terrains et nous l'avons fait. Dès lors se pose la question de l'influence de cette rocade du point de vue de l'aménagement du territoire. Sur ce plan, les commissaires socialistes, ainsi qu'un commissaire libéral, sont arrivés à la conclusion que dans un tel cas -- mesures correctrices extrêmement locales d'aménagement du territoire -- la pesée d'intérêts à effectuer devait aboutir à un refus.
En effet, le projet de loi et la motion demandent de créer une brèche dans un hameau relativement compact en y rouvrant une zone agricole à affectation viticole sans protection contre un éventuel retour à la zone de construction dans une génération, voire moins. La proposition d'inscription de servitude de non bâtir n'offre, en effet, pas la même garantie d'échapper à la facilité de radiation par un chef de département des travaux publics inattentif ou enclin à arranger le meunier, son fils et l'âne.
Une voix. C'est qui l'âne?
Mme Erika Sutter-Pleines. En outre, le seul but de cette brèche, dans un plan de zones formant un tout et permettant de continuer à cultiver la vigne, est de réparer les erreurs commises lors d'un premier partage de biens qui a eu lieu en 1987. On peut d'ailleurs s'étonner que le notaire n'ait pas attiré l'attention du propriétaire sur le caractère boiteux de ce partage.
Nous pensons que l'intérêt général, qui est de traiter tout le monde de la même façon, pèse plus lourd que celui de ramener la paix dans une famille, alors que le frère possède des biens en zone à bâtir qu'il pourra partager un jour, même s'il les a grevés d'une hypothèque. Entre l'intérêt général, la cohérence de l'aménagement du territoire et l'intérêt particulier, c'est l'intérêt général qui doit primer.
Voilà pourquoi nous ne voulons pas créer de précédent. Cela engendrerait toutes sortes de querelles de propriétaires que le Grand Conseil devrait régler. Nous nous sentons donc obligés de refuser le projet de loi et la motion qui le remplace.
D'aucuns ont procédé à une autre pesée d'intérêts qui l'a emporté en commission. C'est leur droit. A vous maintenant de juger.
M. Christian Grobet, président du Conseil d'Etat. Je sais, Monsieur Ducommun, qu'il est usuel dans vos milieux de toujours reprocher au chef du département des travaux publics de prétendus retards pour tel ou tel dossier.
J'en ai l'habitude, mais vous me ferez néanmoins le plaisir de vous rappeler que si la demande de vos amis, déposée il y a quelque deux mille et quelques jours, n'a pas eu de suite, c'était en raison d'une décision du Conseil d'Etat. Or nous sommes sept, cher Monsieur, au Conseil d'Etat. (Contestations, brouhaha.) Je sais que l'on a toujours l'impression que ce Conseil d'Etat est manipulé par l'un de ses membres, mais je vous assure que le jour où nous avons pris cette décision en toute connaissance de cause, nous étions bel et bien tous présents, les sept, avec les plans dépliés sur la table. Il est vrai qu'un de mes collègues était de votre avis, mais les autres, et notamment celui de votre parti absent ce soir, ne semblaient pas être d'accord avec vous. Personnellement, je n'ai fait qu'exécuter, une fois de plus, une décision du Conseil d'Etat. Si la procédure d'une modification de zones n'a pas été ouverte, ce n'était nullement à la suite d'une décision du département des travaux publics, mais d'une décision du Conseil d'Etat, je tiens à le rappeler.
Lorsqu'on parle des retards et des deux mille jours écoulés, la moitié, si ce n'est davantage, en revient à la commission de l'aménagement. Alors, de grâce, n'imputez pas au Conseil d'Etat le fait que ce dossier est resté si longtemps devant la commission de l'aménagement. Je n'en fais d'ailleurs pas le reproche à cette dernière, parce qu'elle était submergée par un nombre impressionnant de projets. Il est vrai que certains auraient pu être traités avec plus de célérité, comme celui des rives du lac, et j'en passe, mais l'assiduité de la commission pour certains projets a fait qu'effectivement d'autres ont subi du retard. La commission a considéré, non sans raison, que des projets d'importance générale devaient passer avant le cas particulier de votre «communier».
Cela étant dit, j'ai ouvert la procédure qui suivra son cours. Il n'empêche que, comme Mme Erika Sutter-Pleines, j'ai éprouvé un profond malaise dans cette affaire, malaise renforcé par la date de 1987 que vous venez d'indiquer. En effet, nous avons découvert, il y a quelques jours seulement, que c'était en 1987 que M. Mermoud avait pris des dispositions concernant ses biens immobiliers qui lésaient gravement les intérêts de deux de ses filles. Maintenant il s'agit, en quelque sorte, de corriger cela. C'est un aménagement du territoire pour le moins curieux, vous me permettrez de le dire. Mais la connexité des dates est caractéristique, comme la déclaration faite par M. Mermoud en commission. On m'a rapporté qu'au moment où il avait procédé à ce partage pour le moins curieux, il escomptait déjà un arrangement sous la forme d'un déclassement ultérieur de terrain.
C'est à vous de décider si vous voulez, par le biais de l'aménagement du territoire, régler des cas particuliers de ce type ou tenter de réaliser cet aménagement en fixant des objectifs généraux. Dans ce cas, le projet reviendra en temps voulu devant ce Conseil qui décidera de ce qu'il fera.
M. René Koechlin (L). Je m'oppose à cette motion bien que des personnes dans ce parlement, généralement de mon avis, la soutiennent.
Nous ne pouvons pas, nous parlement, qui représentons l'intérêt général, entrer dans ce genre de marchandage -- car il s'agit bien d'un marchandage -- et procéder à un aménagement du territoire franchement incohérent. C'est dangereux. Même si l'on veut faire plaisir à M. Mermoud parce qu'il est sympathique, on crée un précédent. Demain, n'importe qui pourra pleurnicher, comme M. Mermoud, en disant: «Je me suis trompé, pardonnez-moi, je suis très ennuyé pour mes filles, alors je vous demande de bien vouloir déclasser
un petit bout de terrain agricole ici et je vous en donne un petit bout là pour compenser et tout ira bien». Si nous donnons suite à ce genre de requête, nous serons submergés de sollicitations de ce genre dans les années qui viennent. J'en connais plusieurs dans ma propre commune qui sont prêts, en utilisant ce précédent, à venir déposer ce type de demande. Je trouve cela vraiment incohérent; ça n'est pas digne de ce parlement.
M. Robert Cramer (Ve). Quand M. Ducommun s'est exprimé, il a jugé nécessaire de reprocher, à M. Meylan peut-être, à notre groupe certainement, d'adopter régulièrement des positions «dogmatiques et stériles». Monsieur Ducommun, si vous considérez comme telles nos positions en matière d'aménagement du territoire parce que nous refusons d'imaginer qu'un seul mètre carré de zone agricole puisse être déclassé en zone constructible, alors j'accepte d'être taxé, moi aussi, de dogmatisme stérile.
Il ne s'agit pas ici de considérer les avantages immédiats de ceux qui peuvent avoir intérêt à tel ou tel déclassement, mais de prendre en compte les besoins de ceux qui viendront après nous et qui auront besoin de cette zone agricole.
Vouloir être ferme sur un certain nombre de principes, dont le fait de ne pas toucher à la zone agricole, ne signifie pas que nous ne soyons pas capables de comprendre que certaines situations exigent parfois d'être plus accommodants les uns avec les autres.
C'est dans cet esprit que nous avons accepté de nous associer au projet de loi déposé pour proposer cet échange de parcelles, projet qui est devenu la motion soumise aujourd'hui à notre Grand Conseil. Pourquoi? Parce que ce projet de loi propose simplement un échange, une zone constructible deviendra zone agricole, et inversement. Il ne fait perdre aucune surface à la zone agricole de ce canton.
On nous dit -- et c'est peut-être là le sens des observations de Mme Sutter-Pleines et de M. Koechlin -- que nous aboutissons à un aménagement peu harmonieux du canton. Les limites de zones ne seront pas tirées au cordeau. Si les villes, Monsieur Koechlin, étaient toutes construites au cordeau, elles seraient bien tristes! C'est là une certaine conception de l'architecture. Un certain nombre de pays, plus à l'est que le nôtre, ont produit ce genre d'architecture pendant quelques années et ce fut tout, sauf une réussite. Nous pouvons nous accommoder qu'il y ait, ici et là, quelques discontinuités dans la zone agricole.
Un argument auquel nous avons été sensibles et que le chef du département a en l'occurrence utilisé est que ce projet de loi est dangereux. On nous assure que l'on va profiter de cette discontinuité dans la zone agricole. On nous dit: «Cette parcelle que vous proposez aujourd'hui de classer en zone agricole fera ultérieurement l'objet d'une procédure de déclassement et, finalement, vous allez vous faire avoir et vous perdrez une partie des parcelles de la zone agricole».
Vu l'esprit qui a animé nos débats, nous sommes prêts, dans le cas présent, à faire confiance à nos autorités pour que si jamais devait leur parvenir une demande de déclassement elles soient fermes et sachent dire non à tout demande de déclassement ultérieur des parcelles qui font l'objet de l'échange que nous vous proposons d'accepter aujourd'hui.
M. Hermann Jenni (MPG). Si je comprends les scrupules qui ont inspiré notre collègue Koechlin, je dirais qu'ils peuvent être levés pour la raison suivante.
M. Koechlin craint que ce précédent ne provoque une avalanche de demandes de particuliers. De deux choses l'une: ou bien cette avalanche -- qui peut-être se produira -- est le reflet d'une situation dans laquelle les particuliers ne peuvent pas utilement intervenir directement auprès de l'administration, et c'est alors au Grand Conseil de tenir compte de leurs réclamations, ce qui veut dire que ces réclamations seront légitimes comme nous avons jugé légitime la proposition d'échange faite par M. Mermoud et à ce moment le Grand Conseil devra trancher en faveur de ces gens -- en effet, les citoyens sont habilités, même à titre individuel, à donner au Grand Conseil, lorsque l'administration ne fait pas son travail, un pouvoir de décision en leur faveur -- ou bien ces demandes ne seront pas légitimes et le précédent ne pourra pas être invoqué.
Nous avons jugé que ce cas était légitime, et ce à une majorité suffisante pour que vous puissiez nous faire confiance. J'ai adhéré à cette proposition, bien que je ne connaisse personne dans la commune, et surtout pas les propriétaires concernés.
M. René Koechlin (L). Je pose une question à M. Cramer et ne lui demande pas de me répondre ici, mais à la buvette, s'il le désire.
La présidente. Vous auriez pu poser votre question à la buvette, Monsieur Koechlin!
M. René Koechlin. Si vous faisiez abstraction, Monsieur Cramer, de M. Mermoud et de ses motifs pathétiques, procéderiez-vous à ce déclassement, dans la logique de l'aménagement du territoire et sa cohérence? Très sincèrement, j'en doute.
Cette motion est mise aux voix.
Le résultat est douteux.
Il est procédé au vote par assis et levé.
Le sautier compte les suffrages.
Cette motion est adoptée par 46 voix.
La séance est levée à 19 h 10.