Séance du
jeudi 13 mai 1993 à
17h
52e
législature -
4e
année -
5e
session -
18e
séance
M 796-A
Débat
M. Pierre-Alain Champod (S), rapporteur. Je regrette que la majorité de la commission n'ait pas accepté d'entrer davantage en matière sur le contenu de notre proposition vu l'importance de ce sujet.
En effet, nous sommes confrontés à une situation nouvelle. Les caisses de l'Etat sont vides, les demandes en matière de formation augmentent et se modifient. L'augmentation constante du chômage et la dégradation de la situation économique posent des problème nouveaux et nécessitent que l'on recherche aussi des solutions nouvelles. Faire ce constat ne signifie pas que l'on critique ce que fait le département. Notre motion est une invitation à rechercher des solutions nouvelles, qui doivent être trouvées avec les partenaires sociaux et avec les fonctionnaires du département.
Si nous avions pu avoir un véritable débat en commission, nous aurions abordé un certain nombre de problèmes, notamment du fait que de nombreuses personnes sont encore sans formation ou que d'autres ne sont que partiellement formées et que ces bouts de formation ne sont pas reconnus, alors que beaucoup de pays européens utilisent un système d'unités capitalisables. Nous aurions pu parler également de la prise en compte des années de travail effectuées à l'étranger pour les personnes qui veulent passer des CFC, selon l'article 41. Nous avons actuellement beaucoup de problèmes avec des Suisses qui reviennent de l'étranger, qui y ont exercé une profession et dont les années d'expérience ne comptent pas forcément chez nous. Nous aurions pu également évoquer la nécessité de renforcer la collaboration entre les services s'occupant du recyclage des chômeurs et les services de l'office de la formation professionnelle.
Ces quelques remarques expriment mon sentiment de profond regret de ne pas avoir réussi à trouver une solution en commission sur ce thème. Nous nous retrouvons ce soir avec un rapport de majorité disant que tout va bien et que tout ce qu'il est possible de faire est déjà fait, alors que le rapport de minorité dit que, certes, des choses sont faites et bien faites, mais que l'on doit trouver des améliorations. J'espère que tout à l'heure au moment du vote, la volonté d'améliorer les filières de formation pour adultes l'emportera sur l'autosatisfaction.
Mme Maria Roth-Bernasconi (S). Selon un rapport de l'OCDE, qui a fait une analyse sur la formation des travailleurs et travailleuses en Suisse, cette formation est suffisante et les entreprises trouvent la main-d'oeuvre spécialisée nécessaire.
Pour le futur, toutefois, la situation est moins réjouissante. En effet, ce rapport indique également qu'à moyen et à long terme ce secteur de production risquait de manquer sérieusement de personnes qualifiées si des mesures n'étaient pas prises pour prévenir cet état de fait. Les experts constatent que les travailleurs et travailleuses en Suisse sont de moins en moins qualifiés. Or nous sommes tous conscients que chez nous la seule matière première que nous possédons est le savoir. Il ne faut donc pas lésiner sur les moyens de formation, et ceci à tous les niveaux.
Par ailleurs, le chômage galopant que nous connaissons actuellement touche proportionnellement beaucoup plus de personnes sans formation. La formation professionnelle des jeunes est assurée par une structure mise en place par la Confédération et elle a prouvé son efficacité. Mais qu'en est-il de la formation professionnelle des adultes, mis à part les hautes écoles ou les instituts universitaires?
Il y a trois possibilités pour obtenir un CFC.
Tout d'abord, l'apprentissage prévu par la loi fédérale sur la formation professionnelle pendant lequel les apprentis suivent un à deux jours par semaine des cours pratiques et théoriques dans une école professionnelle tout en travaillant le reste du temps chez un maître d'apprentissage.
La formation dispensée dans une école technique et de métier avec horaire à plein-temps est la deuxième possibilité. Troisièmement, la loi fédérale sur la formation professionnelle prévoit, à son article 41, la possibilité, sous certaines conditions, de recevoir un CFC en cours d'emploi. D'ailleurs, comme le relève le rapporteur de la majorité, l'office d'orientation et de formation professionnelle a édité des brochures pour informer le public de la possibilité offerte par la voie de l'article 41.
Cela étant dit, à notre avis, de nombreux problèmes pratiques méritent une réflexion un peu plus poussée. Lorsqu'il est question de la formation des adultes, on parle souvent soit de recyclage, soit de l'article 41. Ce n'est que rarement que l'on mentionne les autres voies, notamment celles existant pour les personnes sans formation. Or le recyclage n'est une solution que pour les personnes ayant déjà eu une première formation. Selon l'interprétation donnée à l'article 41 de la loi sur la formation professionnelle, cette loi ne concerne que les personnes en cours d'emploi, alors qu'il faut, à notre avis, inclure également les personnes hors emploi dans des cycles de formation. Je pense notamment aux chômeurs et chômeuses, ainsi qu'aux femmes qui aimeraient trouver ou retrouver une profession après s'être occupées de leurs enfants.
Par ailleurs, l'application de l'article 41 dépend entièrement du bon vouloir de l'employeur. Or on sait que cette méthode marche bien quand il y a pénurie de travailleurs ou de travailleuses, ce qui n'est pas la situation actuelle. Vous me répondrez peut-être qu'il y a la possibilité de l'apprentissage de l'école professionnelle mentionnée tout à l'heure. Oui, bien sûr! Mais dans ces deux filières des problèmes spécifiques se posent aux adultes.
En effet, en ce qui concerne l'apprentissage classique, nous voyons deux problèmes majeurs. D'une part, ce sont les employeurs qui choisissent les apprentis et ils choisiront de préférence de jeunes personnes plus faciles à manoeuvrer. D'autre part, le problème financier peut se poser à un adulte qui aura de la peine à survivre avec un salaire d'apprenti qui se situe entre 300 et 400 F en première année. Ce problème de financement se pose évidemment également lorsqu'un adulte veut suivre une école professionnelle. Ne pourrait-on pas trouver un moyen de financer ce genre de formation par le biais du fonds de chômage?
Un autre problème concernant l'école professionnelle nous semble mériter réflexion. C'est l'adaptation des adultes à un enseignement donné pour des jeunes. Depuis que la limite d'âge a été supprimée au niveau du collège et de l'école de culture générale, des filières parallèles ont été spécialement créées pour les adultes. Cela nous montre que la pédagogie doit être adaptée pour un enseignement pour adultes. A notre avis, il faudrait également créer des filières parallèles pour adultes qui veulent obtenir un CFC, ce qui revaloriserait cette voie de formation.
Dans le cadre d'une filière d'apprentissage pour adultes, une réflexion sur le raccourcissement de cet apprentissage doit être menée. En effet, il devrait être possible de prendre en considération d'autres acquis que ceux liés à la profession elle-même, comme dans le cadre de la loi sur l'université, et le fait de s'être occupé de sa famille, d'avoir fait du travail associatif, etc., pourrait être retenu.
Même si des efforts concernant leur formation sont déjà consentis, il nous semble nécessaire, en cette période de crise extrêmement importante, de faire tout notre possible pour qu'un maximum de gens puissent accéder à une formation, car nous sommes conscients qu'avec l'évolution de la technologie le travail devient plus exigeant. Il est juste que chacun puisse accéder au marché du travail. Cela éviterait de construire une société à deux vitesses, l'une où certains posséderaient le savoir et le travail, et l'autre où se trouveraient ceux qui ne les ont pas.
Pour toutes ces raisons, nous vous prions d'accepter le rapport de minorité et de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.
M. Nicolas Brunschwig (L), rapporteur. Je trouve regrettable que chaque fois que les avis divergent dans une commission, notamment en commission de l'économie, on parle de manque de dialogue. En l'occurrence, il ne me semble pas que cela a été le cas et c'est encore le droit de chacune des deux parties d'avoir un avis différent.
En ce qui concerne la motion en tant que telle, nous ne sommes pas d'accord avec les motionnaires, car nous avons été convaincus par les personnes qui, dans le cadre du département, s'occupent de ce problème. Celles-ci nous ont fait un catalogue extrêmement complet des différentes possibilités existant aujourd'hui. Ce catalogue fait du canton de Genève certainement l'un des plus efficaces et des plus performants en ce qui concerne les problèmes liés, entre autres, au chômage.
Sur la forme, on nous a indiqué qu'il y avait un certain nombre de commissions consultatives qui réunissaient les partenaires sociaux travaillant sur des améliorations, certes toujours souhaitables. D'ailleurs, on vient d'apprendre par la presse qu'un centre de bilan était en place ou allait être mis en place très prochainement. C'est l'une des concrétisations du travail de ces commissions consultatives. Dès lors, il nous semble que ces personnes sont mieux à même que nous, parlementaires, d'améliorer les différentes formations et les différents conseils existants.
Dans le cadre de cette motion, le rôle d'une commission est d'obtenir certaines assurances de la part du département sur le travail effectué et sur les structures mises en place. Nous avons été rassurés, et c'est pourquoi nous vous invitons à suivre les conclusions du rapport de majorité.
M. Jean Montessuit (PDC). Très simplement et très brièvement, je voudrais expliquer pourquoi notre groupe n'a effectivement pas accepté cette motion.
Vous avez dit, Monsieur le rapporteur de minorité, que nous aurions pu parler de ces sujets en commission. Je suis désolé, mais nous les avons très largement évoqués! Nous avons entendu tous les spécialistes du département sur ces questions et nous avons appris -- puisque la formation et l'information sont les deux sujets principaux de cette motion -- toute l'information faite sur ces objets et nous sommes tout à fait satisfaits. Nous avons surtout appris que tous ces problèmes de formation étaient traités -- comme vient de le dire M. Brunschwig -- dans des commissions paritaires. Or l'essentiel de ce que vous demandez dans votre motion a été repris -- excusez-moi l'expression -- de «fuites» qui provenaient de ces commissions extraparlementaires.
Dès lors, nous déplorons surtout la méthode. En effet, si nous nous amusons tous à ce petit jeu, ce parlement sera inondé de motions inutiles. Dire au parlement ou au gouvernement de faire ce qu'il fait déjà nous paraît absolument vain. Cela dit, sur le fond et en tout cas sur la question de l'information, nous partageons entièrement les préoccupations des auteurs de la motion, mais nous ne l'appuierons pas pour les raisons que je viens d'exprimer.
M. Bernard Annen (L). Tant M. Champod que Mme Roth ont fait la démonstration de l'arsenal existant en la matière pour s'occuper de ces problèmes.
J'étais aussi un de ceux qui, en commission, étaient opposés à cette motion. Aujourd'hui, Monsier Champod, je vous dis tout simplement que vous, vous êtes dans la théorie, et que moi, je suis dans la pratique. Avec les services de M. Maitre, nous avons mis en place un cours d'installateurs sanitaires pour des chômeurs. C'est une classe de vingt élèves qui va s'ouvrir ces prochains jours. Le discours, c'est bien, la pratique, c'est mieux! Je puis vous affirmer que les bases légales existent pour agir et les partenaires sociaux s'y emploient. M. Brunschwig vous en a donné un exemple tout à l'heure. Je vous en donne également un maintenant.
Je pense que ce parlement doit refuser cette motion en raison du risque que prendrait notre parlement de décourager les hauts fonctionnaires qui s'occupent parfaitement bien de ces questions. Les critiques exacerbées que nous entendons, selon lesquelles rien de concret ne se fait, finissent par démotiver les gens qui travaillent sur ces problèmes dix heures par jour. Quant à nous, nous souhaitons au contraire les encourager à continuer leurs actions. En ce qui concerne les installateurs sanitaires, puisque je m'en suis occupé personnellement, les cours pour adultes fonctionnent avec la contribution des partenaires sociaux pour les salaires des personnes qui touchent les indemnités de chômage.
Mme Vesca Olsommer (Ve). En commission nous nous étions abstenus, en partie pour les raisons évoquées par M. Montessuit. Effectivement, il nous a semblé que les différents chefs des offices concernés avaient apporté un certain nombre de réponses à cette motion. Le temps a passé. Mme Roth-Bernasconi et M. Champod ont développé une nouvelle approche de la formation des adultes dans leurs interventions et dans le rapport de minorité. Aussi, je crois qu'il ne faut pas leur en tenir rigueur, pour les raisons invoquées plus haut.
Je propose donc que cette motion soit renvoyée à la commission de l'économie.
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. La motion 796 demande deux choses. D'une part, le développement de l'information pour faire savoir aux adultes quels sont les parcours de formation professionnelle possibles et, d'autre part, la mise en place de filières de formation pour adultes en écoles ou en emplois. Ces deux invites sont en soi légitimes. Le problème est de savoir si elles sont déjà en tout ou partie concrétisées.
S'agissant de l'information, les services de l'office d'orientation et de formation professionnelle ont pu indiquer ce qui était fait en matière d'information. J'aimerais vous rendre attentifs au paradoxe suivant. Une information très abondante est actuellement délivrée tant par l'office d'orientation et de formation professionnelle que par le CECA, conseil de l'éducation continue des adultes qui, vous le savez, regroupe l'ensemble des partenaires concernés.
Cette information est même si abondante que votre commission des finances a donné conjointement avec mon département, avec le Conseil d'Etat, un mandat à la commission de contrôle de gestion pour voir si, dans le cadre de l'office d'orientation et de formation professionnelle, l'information était toujours bien ciblée. Vous savez que cette commission de contrôle -- les membres de la commission des finances le savent -- a rendu un rapport selon lequel l'information est jugée trop abondante à Genève. Genève fait trop souvent le travail d'autres cantons, et une évaluation doit être faite sur ce plan. Je ne dis pas que nous allons freiner l'effort d'information, mais vous voyez que nous devons gérer ce paradoxe.
En ce qui concerne la mise en place d'une filière de formation pour adultes, je crois que la commission de l'économie a pu être convaincue, d'une part, qu'il s'agit d'un problème maîtrisé exclusivement par le droit fédéral, l'article 41 de la loi fédérale sur la formation professionnelle et, d'autre part, qu'il existe à Genève un certain nombre de dispositifs qui, effectivement, permettent d'aller de l'avant dans ce domaine. Je crois que Genève est l'un des cantons de Suisse dont le nombre de titulaires de certificats fédéraux de capacité délivrés sur la base de l'article 41 de la loi fédérale est le plus grand.
Mais je pense qu'il faut effectivement aller plus loin et que des efforts nouveaux doivent être fournis. La situation est difficile, précisément parce que tout le domaine de la formation professionnelle, en tant qu'il conduit à la délivrance de certificats fédéraux de capacité, est totalement maîtrisé par le droit fédéral. Tous les règlements d'apprentissage sont des règlements d'apprentissage fédéraux en application du droit fédéral, alors que nous avons un certain nombre de domaines spécifiques sur le plan cantonal que nous avons développés et que nous développons encore.
C'est précisément dans le sens de ce qui a été dit, à juste titre, par M. Champod, que nous tentons de mettre en place des systèmes de formation sur le modèle des modules d'unités capitalisables. Les adultes fournissent un effort très important lorsqu'ils suivent des cours de formation en emploi. Pour les motiver, il est tout à fait décisif de procéder à des formations par étape, par unité, chaque étape de cette formation étant en quelque sorte consacrée par un titre ou un élément d'un titre de reconnaissance prouvant que l'étape a bel et bien été franchie et que cette unité est désormais acquise.
En définitive, en examinant les travaux effectués par la commission, il nous a paru, au département de l'économie publique, que tous les députés étaient en fait d'accord sur l'essentiel mais pas sur la méthode. Il est vrai qu'il y a çà et là un peu d'irritation, soit du côté des partenaires sociaux, soit du côté des collaborateurs très engagés de l'office d'orientation et de formation professionnelle à constater -- je ne fais de procès d'intention à personne -- une forme d'utilisation politique des travaux en cours entre les partenaires sociaux et le département.
Par exemple, aujourd'hui, je viens d'apprendre qu'une motion a été déposée sur un sujet nouveau, appelé les «entreprises tremplins». C'est ce que l'on appelle également les «entreprises fictives». Des expériences sont du reste tentées dans le Jura. Comme par hasard, un groupe de travail de mon département, avec les partenaires sociaux, planche sur cette question depuis environ deux mois. Et maintenant une motion arrive au Grand Conseil sur ce sujet!
Je vous suggère d'être plus prudents, car vous êtes en train de démobiliser les énergies les plus fortes et les plus positives. Voilà les quelques informations que je pouvais vous donner.
Mme Maria Roth-Bernasconi (S). Je remercie M. Maitre pour ses réponses.
J'aimerais toutefois insister pour que la première et la deuxième voie de l'obtention du CFC ne soient pas oubliées dans l'information, même si cela relève du droit fédéral. Il faut dire aux adultes quelles sont les possibilités existantes.
D'autre part, j'invite les personnes qui traitent de ce problème à réfléchir sur le moyen que l'on pourrait trouver pour que l'information parvienne aux gens qui en ont besoin. En effet, à notre avis, il ne suffit pas d'éditer de nombreuses brochures; il faut surtout cibler les gens à qui ces brochures sont destinées -- d'autant plus qu'en général ces gens n'ont pas l'habitude de lire -- pour qu'ils aient accès à ces informations.
La proposition de renvoi en commission est mise aux voix.
Le résultat est douteux.
Il est procédé au vote par assis et levé.
Le sautier compte les suffrages.
La proposition de renvoi en commission est rejetée par 46 voix.
Mise aux voix, cette motion est rejetée.