Séance du
jeudi 11 mars 1993 à
17h
52e
législature -
4e
année -
3e
session -
9e
séance
M 728-A
Débat
M. Philippe Fontaine (R), rapporteur. J'aimerais faire deux constatations qui m'ont renforcé tout récemment dans l'idée que cette motion est importante.
D'abord, c'est la façon dont la non-élection de Mme Brunner s'est déroulée et, en particulier, j'insiste sur ce «particulier», les arguments que l'on a pu entendre un peu partout, de la part de l'homme et de la femme de la rue. On s'est rendu compte que si l'on avait eu affaire à un homme, ces réflexions n'auraient pas été les mêmes.
La deuxième constatation que j'ai faite, qui me touche peut-être de plus près, m'est apparue à la lecture du mensuel français «Enfants-Magazine» de mars 1993, qui a réalisé un sondage en interrogeant les femmes françaises sur le sexe désiré de leur premier enfant: «Souhaitez-vous ou auriez-vous souhaité que ce soit d'abord un garçon, que ce soit d'abord une fille, ou cela vous est-il indifférent?». Eh bien, en 1978, 49% des femmes interrogées souhaitaient que ce soit un garçon, alors qu'aujourd'hui il n'y en a plus que 28%. Ce qui nous montre que beaucoup de chemin a été parcouru en quinze ans, que la cote des filles a progressé, et que c'est certainement là un acquis du féminisme, même s'il reste encore bien des progrès à faire.
Eh bien oui, Mesdames et Messieurs, c'est bien pour cela que cette motion est importante, parce que le débat n'est pas clos, loin de là, et qu'il faut insister encore et toujours, et particulièrement dès la fréquentation de l'école. L'égalité entre les hommes et les femmes est un idéal vers lequel nous devons tendre, et ce n'est qu'en respectant ce droit légitime que nous, les hommes, pourrons aussi nous respecter nous-mêmes.
Mme Maria Roth-Bernasconi (S). Comme l'a déjà relevé M. Fontaine, nous avons pu constater ces dernières semaines, ici en Suisse, que l'égalité de traitement entre hommes et femmes n'est de loin pas acquise. Aujourd'hui encore, quand des femmes posent leur candidature pour un poste à responsabilités, les décideurs ou les groupes de pression fouinent dans leur vie la plus intime pour pouvoir ensuite les descendre en flammes.
Pour une femme, il ne suffit pas d'être intelligente et compétente. Il faut qu'elle soit d'une sainteté irréprochable, qualité qu'on ne demande pas aux hommes. Elle ne doit être ni trop belle, ni trop moche, d'une apparence passe-partout et surtout ne pas avoir des cheveux bouclés et dorés. (Rires.) Oui, eh oui, Mesdames et Messieurs les députés, le style semble plus important que les compétences quand il s'agit d'une femme.
Vous conviendrez donc avec moi que notre motion est toujours d'actualité. Nous l'avons modifiée afin de pouvoir trouver un consensus au sein de notre commission qui s'est penchée sur ce sujet. Nous l'avons trouvé, et je remercie les membres de la commission, notamment M. le rapporteur, d'avoir contribué à une certaine ouverture.
Nous avons également senti que le département de l'instruction publique a un esprit ouvert et est prêt à agir sur ce terrain. Je l'en remercie.
Nous nous réjouissons que les excellentes suggestions émises par les directeurs et directrices cantonaux de l'instruction publique trouvent leur application à Genève. Le rapport de la conférence reprend des thèses que les motionnaires avaient déjà partiellement avancées. Les chercheurs et chercheuses mettent, par exemple, en évidence que la mixité à l'école, qui est un premier pas vers l'égalité, n'est pas une garantie que filles et garçons profitent des mêmes chances. La présence d'une majorité de femmes dans le corps enseignant de l'école primaire n'est pas non plus, à elle seule, un gage d'égalité de traitement. Car, comme l'exprime si bien la directrice de l'instruction publique de Lucerne -- mon canton -- il ne faut pas demander à des moyens ce que les êtres humains seuls sont capables d'accomplir. Il est donc très important que l'ensemble des personnes concernées restent sensibilisées à ce problème.
Certains députés ont émis des craintes que notre désir était d'uniformiser tout et d'enlever toute différence existant entre hommes et femmes. C'est bien le contraire que nous demandons, car à notre avis ce n'est pas à cause d'une appartenance sexuelle qu'il faut mettre toutes les femmes et tous les hommes dans le même moule. Nous aimerions qu'on montre aux enfants que différents modèles d'hommes et de femmes existent, afin que les filles et les garçons aient un réel choix d'identification sociale. L'égalité des droits sera également
une égalité dans les faits le jour où hommes et femmes se sentiront responsables ensemble de la marche de notre économie et des tâches sociales et pédagogiques confiées à toute société.
C'est dans cet esprit que nous vous prions de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.
Mme Gabrielle Maulini-Dreyfus (Ve). A l'appui des propos tenus par ma collègue Roth-Bernasconi, je voudrais faire état de quelques considérations générales.
D'abord, il est nécessaire, mais non suffisant, d'inscrire le droit à l'égalité dans les constitutions fédérale et cantonales. Pour qu'il devienne effectif, l'exercice de ce droit dépend aussi de la pratique sociale, de l'évolution des mentalités et de l'adhésion de tous. Dès lors, plutôt que de recourir à une inflation législative, il apparaît plus important de faire appel à l'éducation.
Dans le cadre de l'éducation, seule l'école constitue un lieu de large diffusion accessible à des propositions publiques. Chaque projet social, suivant ce raisonnement, fait ainsi appel à l'école. L'instruction publique voit ainsi sa mission s'élargir à toutes sortes de tâches nouvelles en plus de l'instruction académique. A la charge majeure d'accueillir des enfants de différentes nationalités, à celle de respecter chez les enfants les individualités, à l'attention requise pour différencier les exigences et à la charge d'être en relation avec le milieu familial, il a été ajouté la nécessité de promouvoir les grandes options telles que les droits de l'enfant ou la protection de l'environnement.
L'instruction publique doit ainsi répondre à la fois à l'attente des familles et à celle des politiques. Son travail est considérable.
La présente demande de promotion de l'égalité entre hommes et femmes dans le cadre de l'instruction publique doit s'entendre, non pas comme une intervention politique dans le programme scolaire, mais comme le rappel d'une norme constitutionnelle que tout responsable de formation se doit d'observer. Cette norme culturelle n'a aucun caractère naturel et elle nécessite donc une attitude volontariste, respectueuse du principe énoncé.
La prise en compte du droit à l'égalité s'est déjà traduite dans l'institution scolaire par une égalité formelle: mêmes classes, mêmes enseignants, même éducation, mêmes activités créatrices. Or nous savons ici, tout comme dans le monde du travail, que l'égalité formelle ne débouche pas automatiquement sur une égalité dans les faits. L'accès des femmes à des postes importants ne résout pas non plus, à lui tout seul, la situation du plus grand nombre.
Au-delà de tous les efforts déjà consentis par le département de l'instruction publique pour la mise en oeuvre du principe de l'égalité, il s'agit d'une entreprise à long terme. Par leurs propres investigations, les responsables de l'instruction publique ont déjà découvert la disparité des choix professionnels, le déséquilibre des formations supérieures et le sexisme des manuels scolaires, toutes atteintes au principe de l'égalité que le département s'emploie à corriger.
Plus que la correction des inégalités, nous aimerions proposer la promotion de l'égalité. Le document du DIP «L'An 2000, c'est demain, où va l'école genevoise?» estime que sa mission est, d'une part, de démocratiser la connaissance et, d'autre part, d'éduquer pour une société pluraliste et ouverte. Sous ce deuxième chapeau sont inscrits tous les projets démocratiques qui nous sont chers, y compris celui de l'égalité entre hommes et femmes. Dont acte.
Or les auteurs estiment eux-mêmes qu'il ne suffit pas d'affirmer leur importance dans l'abstrait. Les auteurs invitent les maîtres à prendre du temps, le temps de la réflexion et de la discussion sur les sujets de société. Les auteurs estiment aussi qu'il faut créer de véritables moyens didactiques et former les maîtres.
En conclusion, je voudrais remercier M. Fontaine pour son rapport. Il a su tirer du travail de la commission le meilleur. La motion de la commission peut paraître minimaliste, mais elle est appréciable parce qu'elle a un caractère de globalité. Vive Ruth Dreifuss, vive Christianne Brunner!
M. Hermann Jenni (MPG). Dans l'annexe jointe à ce rapport concernant la conférence de presse du conseiller d'Etat chargé de l'instruction publique, je lis, en bas de la première page: «Quant aux manuels scolaires, ceux de l'enseignement primaire sont romands. Les nouveaux ouvrages sont soumis avant impression à l'Association des droits de la femme dont le siège est à Lausanne. Les remarques et modifications proposées sont prises en compte par les auteurs et, plus souvent encore, par les auteures». Eh bien, à
l'heure où l'on parle tant de mobilité de la main-d'oeuvre, d'abattre les frontières, de permettre aux gens qu'aura formés notre instruction publique d'aller travailler à l'étranger, je doute fort que si on leur inculque une telle orthographe ce soit bien apprécié, en France notamment. A ma connaissance et jusqu'ici, la seule autorité admise pour des modifications de l'orthographe est quand même l'Académie française qui fait autorité en la matière.
Je ne voudrais pas que l'on modifie nos manuels scolaires à grands frais pour y introduire de telles fantaisies et que nos écoliers soient considérés comme des cancres en France.
M. Dominique Föllmi, conseiller d'Etat. J'aimerais d'abord dire aux auteurs de la motion que je les remercie d'avoir accepté de la modifier quelque peu, de telle façon que l'ensemble de la commission de l'enseignement puisse s'y rallier. Cela a permis un bon débat à la commission et a donné l'occasion aux responsables du département de l'instruction publique, des divers ordres d'enseignement, de vous faire part de l'état de la situation, de ce qui a été entrepris et aussi du chemin qu'il faut encore parcourir.
Le Conseil d'Etat accepte la motion telle que vous la proposez, telle que la commission l'a rédigée après ses débats. Il est évident qu'elle touche à un thème qui est plus que jamais à l'ordre du jour et qui est une de nos préoccupations permanentes dans le domaine de la formation et de l'éducation. C'est par là qu'il faut essayer de changer les mentalités. Nous les changerons difficilement par d'autres moyens ou à d'autres étapes de vie des personnes. C'est à la base même qu'il faut agir, et c'est la raison pour laquelle c'est une préoccupation non seulement pour Genève, mais aussi une préoccupation de la Conférence des chefs des départements de l'instruction publique suisses, car l'ensemble des responsables de l'instruction publique en Suisse sont conscients de ce problème. C'est la raison pour laquelle ces responsables ont commandité un rapport qui vous a été distribué à la dernière séance de la commission, rapport intitulé «Filles, femmes, formation vers l'égalité des droits».
Je crois que ce qui s'est passé -- puisque vous y avez fait référence -- cette semaine et la semaine dernière à Berne sera peut-être quelque chose qui ne se reproduira plus dans l'avenir, une fois que nous aurons, dans l'ensemble des systèmes de formation suisses, réussi à mettre en oeuvre une politique d'égalité de formation entre les hommes et les femmes, entre les jeunes filles et les jeunes gens.
J'ai accepté avec enthousiasme, au comité de la Conférence des chefs des départements de l'instruction publique, le rapport qui vous a été distribué. Nous avons prévu dix recommandations qui sont mises en consultation auprès des vingt-six cantons. Ces recommandations vous ont été transmises lors de la dernière séance. Pour Genève, votre appui avec la motion, aujourd'hui, va me permettre de prendre position avec plus de force encore pour soutenir ces recommandations. Ce sera donc une oeuvre commune entre le Grand Conseil et le Conseil d'Etat pour répondre à cette consultation confédérale, puisqu'il s'agit des cantons et de la Conférence des chefs des départements de l'instruction publique, la formation étant prioritairement de la responsabilité des cantons.
Je vais donc incessamment prendre position. Je transmettrai à la commission de l'enseignement la prise de position du département de l'instruction publique et, je l'espère, celle du Conseil d'Etat. Nous pourrons ainsi progresser sur le chemin que vous avez indiqué. Merci aux motionnaires de leur contribution, merci de votre préoccupation. Je crois que c'est une préoccupation qui concerne l'ensemble de votre Conseil.
Mise aux voix, la motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue: