Séance du jeudi 1 avril 1993 à 17h
52e législature - 4e année - 3e session - 14e séance

R 254
22. Proposition de résolution de Mme et MM. Hervé Dessimoz, Jean Opériol, René Koechlin, Jean Montessuit et Françoise Saudan pour demander l'abrogation de la Lex Friedrich. ( )R254

Débat

M. Hervé Dessimoz (R). Je voudrais rappeler que dans le paquet Eurolex qui devait accompagner l'entrée de la Suisse dans l'Europe, le 6 décembre dernier, il était prévu des mesures visant à assouplir la possibilité d'acquérir des biens immobiliers pour les étrangers en Suisse.

Malheureusement, le Conseil fédéral, qui a présenté son paquet de revitalisation de l'économie suisse suite à l'échec du vote du 6 décembre et à l'affirmation de la crise économique en Suisse, n'a pas pensé utile de reprendre l'arrêté modifiant la Lex Friedrich.

C'est la raison pour laquelle nous souhaitons que le Conseil d'Etat fasse usage de son droit d'initiative et qu'il demande au Conseil fédéral d'abroger la Lex Friedrich.

Cette manière est un peu abrupte, mais je tiens à vous dire que les députés nationaux, dont Gilles Petitpierre, ont déposé une motion semblable devant le Conseil fédéral et qu'en quelque sorte, cette initiative serait un appel de Genève pour appuyer la démarche des députés nationaux. Elle serait également un signe tangible de l'attention que nous portons à un secteur d'activité sinistré, dont nous parlons depuis longtemps, le secteur immobilier à Genève, et de notre volonté d'explorer toutes les pistes qui permettraient de relancer cette activité économique.

Je vous invite donc à accepter cette résolution.

M. David Lachat (S). Le groupe socialiste accueille avec quelque réserve cette proposition de résolution. Non pas que nous soyons, en principe, opposés à l'abrogation de la Lex Friedrich: c'est un postulat qui va dans le droit-fil des exigences européennes et de l'adhésion prochaine de la Suisse, nous l'espérons, non seulement à l'EEE, mais à la Communauté européenne.

Néanmoins, on ne peut pas «tout de go», sans précaution aucune, proposer d'ores et déjà l'abrogation pure et simple de la Lex Friedrich. C'est prendre des risques terribles pour le marché immobilier. C'est prendre des risques notamment d'une relance immédiate de la spéculation que vous et moi, Monsieur Dessimoz, avons cherché à combattre. Réfléchissez quelque peu, imaginez ce qu'il adviendrait si on abrogeait purement et simplement, demain matin, la Lex Friedrich. Nous courrions le risque d'une multiplication des résidences secondaires, non seulement dans les lieux de villégiature, mais encore dans les cités, les villes comme Genève, où nous aurions, par exemple, un accaparement d'un certain nombre de logements au profit de personnes qui ne les occuperaient pratiquement jamais ou quelques semaines par an. Nous créerions par là même une tension nouvelle dans le marché immobilier.

Pensez aussi à tous les risques que notre marché immobilier encourrait si des capitaux, sans origine connue, permettaient l'acquisition d'immeubles... (Protestation de M. Balestra.) Monsieur Balestra, nous ne souhaitons pas que des capitaux sales servent à l'acquisition d'immeubles à Genève!

Tout celà pour vous dire, en simplifiant vu l'heure tardive, que nous aurions souhaité que cette proposition de résolution soit renvoyée en commission pour que l'on puisse préciser quel type de garde-fous nous souhaiterions, les uns et les autres, voir apportés à cette proposition.

Je vous rappelle que dans le programme Eurolex, il y a déjà un certain nombre de mesures d'accompagnement qui ont été prévues. Je vous rappelle également que le texte de cette proposition de résolution esquisse la possibilité, pour les cantons, de prévoir de telles mesures, et j'aimerais simplement qu'au cours d'une seule et unique séance nous puissions, à la commission du logement par exemple, amender légèrement cette proposition de résolution.

Par conséquent, je vous remercie d'accepter le renvoi de cette proposition à la commission du logement.

M. Hervé Dessimoz (R). Je suis heureux que M. Lachat ait reconnu mon engagement à combattre la spéculation à Genève. En l'occurrence, je ne voudrais pas qu'il y ait un malentendu sur la démarche que nous adoptons avec cette résolution.

Je dirais simplement que je ne m'opposerai pas au renvoi en commission si c'est le prix à payer pour que l'on trouve un accord sur un acte politique important, pour un secteur d'activité auquel je porte une affection certaine. Mais je voudrais dire que ces lois restent de la compétence fédérale. Je vois mal l'utilité d'aller en commission étudier des amendements qui,

dans tous les cas, ne sont pas de notre compétence, mais de celle des députés fédéraux. Si M. Lachat proposait un amendement disant, par exemple, que l'assemblée fédérale modifie la Lex Friedrich dans le sens de l'Eurolex, je l'accepterais volontiers. Je ne vois pas l'utilité d'aller en commission pour débattre de cette affaire puisque, au bout du compte, le travail que nous y ferions n'apporterait pas grand-chose au niveau de la finalité des débats au plan fédéral.

M. Jean Opériol (PDC). Je souhaiterais que l'on entre en discussion immédiate, parce que je m'étonne d'une chose: quand Genève a voté comme un seul homme l'entrée de la Suisse dans l'EEE, nous ne nous sommes pas beaucoup posé de questions, s'agissant de l'abolition de la Lex Friedrich qui figurait en bonne et due place dans les différentes mesures que nous aurions eu à prendre en vue de cette adhésion.

Pour ma part, Monsieur Lachat, je m'étonne de votre crainte, car je rappelle qu'en ce qui concerne la revitalisation de l'économie immobilière, tout le secteur de l'investissement social HLM, entre autres, n'a jamais été privé des capitaux étrangers. Là, il n'y aura pas de surprise. En ce qui concerne l'acquisition de domiciles privés, soit en propriété d'étage dans les immeubles, soit en villa, compte tenu du niveau économique général de l'Europe aujourd'hui en matière immobilière, je n'ai pas trop de soucis non plus. D'autre part, je vous rappelle quand même que Genève est en crise et que si l'on peut rallumer un tout petit peu la chaudière sur l'investissement immobilier, cela profitera à beaucoup de gens.

Je pense qu'il n'y a vraiment pas matière à avoir des craintes à ce niveau-là et, encore une fois, je souhaite la discussion immédiate.

M. Robert Cramer (Ve). Ce projet de résolution se présente comme se situant dans le droit-fil de la votation sur l'EEE. Cela n'est pas totalement exact et l'exposé des motifs l'indique d'ailleurs, puisqu'il précise quelle était la portée de ce qui avait été prévu dans l'EEE au sujet de l'acquisition des biens immobiliers. Il indique notamment que parmi les différents projets de lois liés à l'EEE, je cite: «Il se trouvait un arrêté fédéral modifiant la Lex Friedrich et assouplissant considérablement les conditions d'acquisition de biens immobiliers pour les Espaciens».

Or, ce que vous nous proposez ici de soutenir, c'est non pas une abolition de la Lex Friedrich pour les Espaciens, mais c'est une abolition de la Lex Friedrich pour tout le monde. Cela est une différence de taille. Ce que vous nous proposez également ici, c'est une abolition de la Lex Friedrich pure et simple, sans aucun type de mécanisme d'accompagnement.

Je dois vous dire que lorsque nous avons eu notre discussion au sein du caucus pour savoir quel accueil nous allions faire à cette proposition de résolution, nous avons estimé, d'une part pour les raisons que je viens de dire et, d'autre part parce que nous craignions fort, non seulement les effets de la spéculation dont parlait tout à l'heure M. Lachat, mais également la pression qui pourrait en résulter pour la zone agricole et pour l'aménagement du territoire du canton de Genève, que nous devrions voter non à cette proposition de résolution.

Nous avons pris cette décision avec regret, parce que dans le même temps que nous craignions ces effets que pourrait provoquer l'abolition de la Lex Friedrich, nous tenions pour souhaitable une ouverture de Genève et nous tenions, en particulier, pour souhaitable de lever le plus possible toutes les protections qui visent à singulariser Genève du reste du monde et du reste de l'Europe.

La proposition que vient de faire M. Lachat paraît être une voie raisonnable. Elle permettra peut-être d'amender très légèrement votre proposition de résolution et de trouver un consensus sur ce nouveau texte qui pourrait être adopté sans réticence par tous les groupes du Grand Conseil.

C'est dans cet esprit-là que je vous demande de renvoyer cette proposition en commission, tout en prenant l'engagement ici, au nom de mon groupe -- et je vous signale que personnellement je siège à la commission du logement -- que nous ferons diligence dans nos travaux, de telle sorte que nous puissions rapporter déjà à l'occasion de la prochaine séance du Grand Conseil.

Mme Martine Brunschwig Graf (L). J'aimerais intervenir sur deux points.

Le premier concerne la spéculation immobilière. Je trouve quand même un tout petit peu curieux d'entendre parler de spéculation immobilière dans la période dans laquelle nous sommes, ce d'autant plus que, si ma mémoire est bonne, j'ai beaucoup entendu parler de spéculation immobilière ces dernières années. Et si ma mémoire est toujours aussi bonne, la Lex Friedrich était en vigueur. Alors, on peut, pour finir, trouver qu'il y a spéculation immobilière dès que le marché immobilier reprend un peu de vigueur. C'est apparemment ce que vous avez l'air de penser et à partir de là, on y voit effectivement tous les dangers dès que se manifeste une reprise de l'économie dans cette République, ce qui, pour moi, ne serait pas un très grand malheur.

Le deuxième élément concerne finalement les distinctions que vous faites au sujet des étrangers. Je trouve assez intéressant que, du côté des bancs où l'on présente des résolutions sur l'exclusion, on fasse une distinction aussi importante entre les Espaciens et les autres. Il est vrai que l'abrogation de la Lex Friedrich, ou plutôt sa modification, était prévue dans le cadre de l'EEE, mais je trouve tout de même un peu curieux que n'étant plus dans ce cadre-là, on puisse faire une distinction aussi importante entre les étrangers qui sont bien et ceux qui sont moins bien.

Nous allons demander la discussion immédiate. Nous souhaitons qu'elle s'applique dans ce cas-là et nous ne voyons pas pour quelle raison il n'en serait pas ainsi. Je vous rappelle, par ailleurs, que ceci est à l'adresse de l'Assemblée fédérale et que, si nous étions si peu raisonnables, elle aurait encore la possibilité de rectifier ce que vous pensez être une erreur et que, pour notre part, nous pensons être juste. (Quelques applaudissements en provenance des bancs libéraux.)

M. Bénédict Fontanet (PDC). Je pense que dans des affaires de ce genre, il faut essayer de montrer une volonté politique claire et non une volonté politique tarabiscotée qui n'a pas beaucoup de sens.

La Lex Friedrich est de la compétence des autorités fédérales. Alors, soit on dit qu'on veut l'abroger, soit on dit qu'on ne veut pas l'abroger. Mais on ne va pas dire qu'on veut l'abroger si, très éventuellement, on prend ou pas tel type de condition ou de précaution. Il faut être clair.

En Europe occidentale, il n'y a pas un pays qui ne connaisse une loi comme la Lex Friedrich. On trouve une législation équivalente dans les pays du Golfe, Monsieur Lachat, où effectivement, si on n'est pas un résident du coin, on ne peut pas acheter. En Europe de l'Ouest, que je sache, aujourd'hui, en matière immobilière, il n'y a pas une spéculation qui couve

partout, bien au contraire! L'économie immobilière est en ruine; c'est vrai à Paris, c'est vrai à Londres, c'est vrai dans tous les grands centres urbains. Il est incompréhensible qu'on veuille maintenir une législation de ce type qui est une législation discriminatoire et qui n'a plus à exister, à mon sens, aujourd'hui.

Pour une fois, montrons une volonté politique claire. Trêve d'amendements compliqués! Cette résolution s'adresse à l'Assemblée fédérale, où nous avons tous des représentants et des représentantes de qualité. Je pense aussi qu'il faudrait peut-être faire, dans un premier temps, une distinction entre résidence principale et résidence secondaire; on pourrait aussi donner la faculté aux cantons, effectivement, de permettre ou d'interdire aux étrangers d'acquérir des résidences secondaires, mais ce n'est pas notre problème dans un parlement cantonal.

Disons simplement que c'est une législation discriminatoire. Vous voulez la suppression des discriminations. En matière économique, ce sont des discriminations qui nous coûtent très cher, année après année. Le secteur de l'immobilier est aujourd'hui un secteur sinistré. Aidons-le un peu et supprimons des législations qui font que, par certains côtés, nous ressemblons à des pays qui sont éloignés des traditions démocratiques qui sont les nôtres.

M. David Lachat (S). Par respect pour mes honorables collègues du Grand Conseil, je souhaite que l'on vote maintenant sur le renvoi en commission que j'ai proposé. Si d'aventure et par malheur ce renvoi était refusé, je prendrais la parole pour proposer une série d'amendements.

M. Robert Cramer (Ve). Il est fréquent, dans les débats que l'on peut avoir au Grand Conseil, que l'on tente un petit peu de déformer ce qu'a dit quelqu'un avec qui on n'est pas d'accord pour essayer ensuite d'utiliser les propos qu'on lui prête. Généralement, je laisse passer, mais ici, je ne peux pas le faire, Madame Brunschwig Graf. Je trouve inacceptable que vous me prêtiez des propos discriminatoires à l'égard des étrangers. Vous savez parfaitement bien, et j'ai été clair sur ce point, que j'ai simplement dit qu'il y avait une contradiction dans votre proposition de résolution.

Il y a une contradiction parce que, d'une part, vous vous référez au vote du 6 décembre sur l'EEE et vous inspirant de ce vote, vous demandez l'abolition de la Lex Friedrich, alors que de son abolition pure et simple, il n'a jamais été question lorsque nous avons voté sur l'EEE. C'est cela que je voulais relever.

Votre proposition à l'Assemblée nationale va au-delà de ce qui a été proposé dans le cadre du vote sur l'EEE.

La proposition de renvoi de cette résolution en commission est mise aux voix.

Le résultat est douteux.

Il est procédé au vote par assis et levé.

Le sautier compte les suffrages.

Mise aux voix, la proposition de renvoi de cette résolution à la commission est rejetée par 33 oui contre 27 non.

M. David Lachat (S). Je serai forcément long et je vous prie de m'en excuser. Je prendrai le temps qu'il faut pour vous proposer mes trente-trois amendements.

Amendement n° 1: (Protestations de M. Balestra.)

La présidente. Monsieur Balestra, si vous continuez, je suspends la séance. On attendra un quart d'heure et on reviendra! (Clameur et claquements de pupitres.)

M. David Lachat. Dans le débat qui, maintenant, va concerner mes propositions d'amendements... (Brouhaha.) Ce n'est pas une farce du 1er avril, j'ai le temps!

Je demanderai tout d'abord que, dans un premier temps et dans l'esprit de la votation du 6 décembre, on limite la libéralisation de la Lex Friedrich aux ressortissants de l'EEE. Deuxièmement, je demanderai que cette libéralisation sauvegarde les exigences de l'aménagement du territoire. Troisièmement, je souhaiterais que cette libéralisation tienne compte des nécessités d'une politique sociale du logement. Dernier amendement, je proposerai que l'on tienne compte de la nécessaire lutte contre la spéculation immobilière. J'en ai terminé.

La présidente. L'amendement est libellé de la façon suivante: «Demande au Conseil fédéral de proposer à l'Assemblée fédérale d'abroger la Lex Friedrich pour les ressortissants de l'Espace économique européen, tout en sauvegardant les exigences de l'aménagement du territoire, les nécessités d'une politique sociale du logement et la nécessaire lutte contre la spéculation immobilière».

Mis aux voix, cet amendement est rejeté.

Mise aux voix, cette résolution est adoptée.

Elle est ainsi conçue: