Séance du
jeudi 11 mars 1993 à
17h
52e
législature -
4e
année -
3e
session -
10e
séance
RD 188 et objet(s) lié(s)
et
Débat
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Madame la présidente, serait-il possible de lire la lettre reçue concernant ce point de l'ordre du jour?
La présidente. Je prie notre secrétaire de bien vouloir la lire.
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Je crois qu'il faut faire un petit rappel historique face à ce projet de conception. Il y a trois ans, une proposition était faite par M. Maitre de créer une commission consultative sur les questions de l'énergie regroupant les différents partis représentés au Grand Conseil et divers milieux: les entrepreneurs, les syndicats patronaux, les représentants de l'économie, ainsi que les milieux associatifs de protection de l'environnement et antinucléaires. Ces derniers avaient beaucoup hésité à participer aux travaux de cette commission, à s'engager, puis avaient quand même accepté de se mettre au travail.
La présentation du premier projet parlait d'une augmentation d'électricité de 4% par année jusque vers l'an 2005-2010. C'était totalement inacceptable pour nous, parce que cela impliquait une augmentation de consommation d'électricité atteignant plus de 50%. Il était hors de question d'accepter une telle majoration, surtout dans un canton possédant une constitution antinucléaire.
Comme il était difficile de se mettre d'accord sur ces objectifs politiques, nous avons écarté cet aspect et nous nous sommes mis au travail sur ce que vous trouvez dans le document sous le nom de «postulats de base», et ensuite sous le nom de «catalogue d'actions». Nous avons voté ces différents points à la quasi-unanimité. Certaines discussions ont été laborieuses, les échanges vifs, mais nous avons réussi, à chaque fois, à nous mettre d'accord. Un grand travail a été effectué et un pas important a été franchi.
A la fin des travaux, nous ne sommes cependant pas revenus sur les objectifs politiques et nous avons tout de suite écrit au département pour bien indiquer que, si nous confirmions notre accord sur le catalogue des mesures et sur les postulats, nous réservions notre position par rapport à la déclaration des textes politiques.
Aujourd'hui, nous découvrons ce projet de conception avec la déclaration politique du Conseil d'Etat. Sur cette partie du document, nous ne pouvons pas entrer en matière, pour deux raisons.
La première, comme la lettre qui vient de vous être lue l'indique, parce qu'il y a deux phrases très importantes pour nous qui ont disparu. Elles ont été votées en commission, les procès-verbaux en font foi.
La deuxième raison est la suivante: l'article 10 de la loi sur l'énergie précise que «Le Conseil d'Etat établit un projet de conception générale en matière d'énergie qui porte principalement sur la situation du canton en matière énergétique et ses engagements à moyen et long terme».
Vous retrouvez d'ailleurs le même type de déclaration à la page 6 du document, vous disant que «La conception est fondée sur une analyse de la situation actuelle et sur une évaluation critique de l'évolution». Tant l'article 10 que cette phrase expriment donc sans ambiguïté qu'une conception doit se baser sur des consommations et des chiffres actuels. C'est clairement indiqué dans la loi.
Or la conception qui nous est présentée aujourd'hui est basée sur des analyses que l'on a stoppées à fin 1990! Pourtant, on reçoit ces chiffres très régulièrement, on vient encore de recevoir ceux qui concernent les deux premiers mois de 1993, et tout le monde peut en prendre connaissance dans des délais relativement rapides.
L'année passée, on a assisté à une diminution de consommation d'électricité. Il aurait été essentiel d'intégrer cette modification fondamentale de la consommation d'électricité à Genève dans le texte de la conception. Cette présentation comprend donc des chiffres caducs et, au vu de l'évolution d'aujourd'hui, il faudrait totalement modifier la manière d'agir pour ces prochaines années.
Je n'irai pas plus loin sur les autres problèmes de contenu de ce texte. Simplement, dans un premier temps, nous estimons que ce Grand Conseil ne peut pas entrer en matière sur des chiffres qui sont dépassés et sur un projet de conception qui ne répond pas à la loi sur l'énergie.
Je proposerai donc que ce texte soit retourné au Conseil d'Etat, non pas qu'il ne contienne que de mauvais éléments -- on a dit que le catalogue d'actions nous convenait tout à fait, on l'a voté -- mais simplement pour le réactualiser en fonction des consommations actuelles.
M. Thierry Du Pasquier (L). L'adoption par le peuple en 1986 de l'article 160 C de la constitution et de la loi sur l'énergie entrée en vigueur l'année suivante a conduit le Conseil d'Etat à étudier et à proposer aujourd'hui ce document: «Conception cantonale de l'énergie».
Je pense que nous sommes tous conscients ici du fait qu'il s'agit d'un document important, et que, par la voie de la résolution qu'il nous est demandé de prendre aujourd'hui, ce document serait accepté et servirait de base à la conception de l'énergie, à la gestion du problème de l'énergie pendant plusieurs années dans notre canton.
Or il semble que, d'un côté ou de l'autre de l'hémicycle -- si vous me permettez encore une fois d'employer l'expression -- il n'y ait pas un accord complet sur les éléments de base et de faits, ainsi que sur les conclusions de ce document. Mon intention était tout d'abord d'en faire l'analyse de façon assez détaillée, et puis, comme de l'autre côté on ne souhaite pas que ce document soit adopté et qu'en ce qui me concerne ma proposition sera de le renvoyer en commission, je pense pouvoir faire l'économie d'un certain nombre d'explications.
Je voudrais tout de même dire que les moyens proposés -- principalement l'information, l'instruction et la formation professionnelle -- apparaissent évidemment nécessaires, mais ne me semblent pas suffisants ou adéquats pour atteindre les buts qui ont été proposés, soit, notamment, de réduire la consommation d'énergie de chauffage de 45%, de réduire de moitié la consommation de mazout, de produire 10 à 16% d'énergie nécessaire au moyen de l'énergie solaire, de la géothermie et des déchets, d'augmenter la production indigène pour atteindre 50 à 60% de la demande.
Je crois que ces objectifs sont ambitieux. Nous sommes tous désireux de les atteindre. Mais il me semble que le catalogue des vingt-cinq mesures mentionnées dans ce document ne semble pas être de nature à atteindre ces objectifs. Je crois que, pour cette raison et pour celles qui ont été indiquées tout à l'heure, il y a lieu de remettre ce rapport sur le métier. Je ne vois guère d'autre moyen que de le renvoyer à la commission de l'économie.
La présidente. De l'énergie!
M. Thierry Du Pasquier. Effectivement! Je crois qu'il y a un certain nombre de chiffres qui doivent être réactualisés. On a parlé, notamment, de la diminution de la consommation d'énergie électrique. C'est un chiffre important et significatif. Je pense tout de même que la plupart d'entre nous
sommes conscients du fait que cette diminution est tout de même plus en rapport avec les difficultés conjoncturelles qu'avec les véritables économies faites en matière d'énergie électrique.
Ce rapport repose sur un certain nombre de postulats, c'est-à-dire sur des conditions dont on ne sait pas si elles seront réalisées, et tout cela me semble devoir être précisé.
Dernier point. S'agissant notamment de l'énergie électrique, dont on sait qu'un quart environ est d'origine nucléaire, il n'est pas possible de ne pas mentionner ce problème dans un pareil rapport. Je ne veux pas entrer ici dans les détails, mais je crois qu'il y a un point que l'on devra examiner en commission, celui des perspectives du remplacement de la fission nucléaire par la fusion nucléaire pour la production d'énergie électrique. (Rumeurs.)
Je crois que c'est un point qui nécessite une prise en compte à longue échéance. Il n'est pas possible de tout régler ce soir. On ne peut pas examiner et adopter tout cela sous une forme ou sous une autre, malgré le travail considérable qui a été fait par les services de M. Maitre, travail auquel je rends hommage. Avant d'arriver à accepter un document de cette importance qui déterminera la politique de notre canton sur l'énergie pour plusieurs années, je crois qu'il convient de le réétudier en commission, et c'est la raison pour laquelle notre groupe conclut dans ce sens.
M. Jean Opériol (PDC). En ce qui concerne ce texte, que j'ai lu avec beaucoup d'attention, je tiens à dire qu'il y a un chapitre qui ne me convainc absolument pas et qui ne me convaincra jamais. C'est celui qui a trait au décompte individuel des frais de chauffage.
Certes, ce chapitre a animé beaucoup de discussions dans la République, et même dans la Confédération. Ce qu'il faut savoir, et je le dis en tant que régisseur, c'est que ce décompte individuel n'est rien d'autre qu'une tromperie pour les locataires qui y placent beaucoup d'espoir.
De l'avis de tous les ingénieurs consultés, le décompte individuel des frais de chauffage n'aboutira à aucune économie. Par contre, ce que l'on n'a jamais dit aux locataires, c'est la répercussion financière de l'installation de ce système sur leur loyer. En effet, il y a tout de même une loi que personne ne conteste et qui permet au propriétaire de répercuter, sur les comptes de loyer, dans des conditions juridiques et financières bien précises, les investissements qu'il fait, investissements dits «à plus-value». Et là, il n'y a aucun doute que, si on veut prouver au locataire que le décompte individuel des frais de chauffage est indiscutablement une plus-value pour lui, il devra obligatoirement et légalement en supporter le coût.
Je ne m'étendrai pas davantage sur différents aspects qui ont déjà été évoqués, à savoir, les imprécisions du décompte, les vols de chaleur et les coûts des relevés auxquels les propriétaires et les régies devront procéder et qui feront évidemment partie intégrante des frais annuels de chauffage.
C'est sans beaucoup d'espoir que je développe ce plaidoyer, mais je tenais tout de même à ce qu'il figure au Mémorial, car les locataires qui le liront sauront, une fois qu'ils auront reçu leur facture, de quoi je parlais.
M. Robert Cramer (Ve). Il y a, en matière d'énergie, une méthode que je pourrais appeler: «Méthode Jean-Philippe Maitre», méthode à laquelle je voudrais encore une fois rendre hommage. (Exclamations de surprise sur certains bancs.) J'entends une manifestation de surprise à ma droite, et je confirme donc que j'aimerais encore une fois rendre hommage à cette méthode.
Vous avez réussi, Monsieur le conseiller d'Etat, en matière d'énergie à concilier fréquemment des points de vue qui apparaissaient inconciliables. Je ne vous dis pas que cela s'est fait sans que les uns ou les autres, à un certain moment, n'ayons ressenti certaines frustrations. Je ne dis pas non plus que cela s'est fait par des travaux qui ont été menés «tambour battant».
A certains moments, nous avons pu, les uns et les autres, ressentir certaines impatiences devant ce souci du compromis. Mais cette méthode a donné des résultats.
Tout d'abord, elle en a donné dans la loi sur l'énergie. Nous avons réussi à Genève, je crois, à avoir une des meilleures lois cantonales sur l'énergie, peut-être la meilleure.
Nous avons notamment réussi à introduire un certain nombre de principes importants dans cette loi cantonale sur l'énergie. Nous avons même
réussi, Monsieur Opériol, à faire en sorte que le décompte individuel des frais de chauffage qui, à teneur de la législation fédérale, aurait dû être imposé à tous les locataires, dans tous les appartements, ne soit pas exigé lorsqu'un certain nombre de conditions étaient réunies.
On a réussi cela grâce à cette méthode de compromis, et on a réussi à faire en sorte que les milieux, dont je suis proche et que je représente ici, acceptent que l'on n'impose pas de façon systématique le décompte individuel des frais de chauffage, alors même que notre constitution cantonale l'impose, de même que la législation fédérale.
Vous avez également réussi, Monsieur le conseiller d'Etat, à faire en sorte que l'on puisse élaborer à Genève une nouvelle tarification de l'énergie, et de l'énergie électrique en particulier; et cela aussi a été un succès de votre méthode de compromis.
Je sais qu'aujourd'hui vous vous attachez à résoudre la question du fonds cantonal de l'énergie. De ce côté, les travaux de commission auxquels nous avons participé montrent qu'il y a des espoirs pour que nous puissions arriver à trouver une solution satisfaisante.
J'en viens à ce projet de conception cantonale en matière d'énergie, pour lequel, vous avez bien sûr mis en oeuvre votre méthode en créant tout d'abord une commission, en la réunissant ensuite et en réussissant, après qu'un certain nombre de compromis aient été consentis par les uns et par les autres, à faire en sorte qu'un catalogue d'actions puisse être adopté à l'unanimité, semble-t-il, au sein de cette commission, à faire en sorte aussi qu'un catalogue de postulats de base qui devrait servir de fil directeur à cette politique de l'énergie puisse être adopté à l'unanimité, si je ne me trompe, par les membres de cette commission.
Alors permettez-moi de regretter que vous renonciez à la méthode que vous avez suivie jusqu'ici pour une petite partie de cette conception cantonale de l'énergie que vous nous proposez, et plus particulièrement sur les points qu'ont relevés tout à l'heure Mme Reusse-Decrey et les auteurs de la lettre de la Coordination de l'énergie qui a été lue.
Nous sommes particulièrement sensibles à la question des chiffres proposés en ce qui concerne les économies d'énergie. Comme l'a relevé Mme Reusse-Decrey tout à l'heure, on se fonde sur des chiffres dépassés puisqu'ils remontent à 1990. Ils nous renvoient à une réalité qui n'est plus la nôtre, puisqu'ils retiennent l'hypothèse d'une croissance de la consommation d'électricité, alors qu'elle stagne actuellement. Ils nous renvoient également à une réalité où l'on pouvait sous estimer les résultats d'une politique qui veut réellement des économies en matière d'énergie électrique.
Je prends l'exemple important de la Ville de Genève qui, depuis deux ans, a décidé de faire un effort tout particulier pour réduire sa consommation d'électricité. La Ville de Genève s'était efforcée de réduire sa consommation d'électricité de 2% par an. Elle n'y est pas parvenue, mais elle l'a tout de même réduit de 1% par an. Les résultats qu'elle a obtenus l'année dernière et il y a deux ans sont des résultats importants dont on aurait dû s'inspirer lorsque l'on a fixé des objectifs chiffrés sur ce que l'on se propose de faire en matière d'économies d'électricité.
Ce point de votre projet devra être très sérieusement revu. Les objectifs que vous proposez, plus particulièrement dans un canton qui se veut à l'avant-garde en matière de lutte contre l'usage de l'énergie nucléaire, devraient être à la pointe en matière d'économies d'énergie dans le domaine de l'électricité. Les objectifs figurant dans le projet ne sont donc pas acceptables.
On pourrait encore relever quelques phrases que nous considérons comme malheureuses, par exemple celles qui figurent dans ce projet de conception cantonale dans le chapitre «Objectifs politiques».
Qu'est-ce que cela signifie? Cela signifie-t-il que nous ne pouvons pas parler de ce projet en commission et qu'il doit vous être renvoyé, comme le propose Mme Reusse-Decrey, ou, en tout cas, qu'il devrait vous être renvoyé en ce qui concerne les passages que nous contestons fortement?
Ou encore, cela signifie-t-il qu'il y a l'espace pour une discussion en commission au cours de laquelle le Conseil d'Etat pourra nous dire qu'il convient de réactualiser tous ces chiffres, qu'il viendra en commission avec des chiffres nouveaux au sujet desquels une nouvelle discussion pourra s'engager.
Avant de se faire une opinion sur ce point et avant de déterminer le vote que nous aurons tout à l'heure, nous attendons donc d'entendre les
propositions que le Conseil d'Etat pourrait faire en commission pour modifier les quelques données contestables qui figurent dans le projet tel qu'il a été rédigé.
M. Claude Blanc (PDC). Je constate que le principal point d'achoppement dans ce concept est que certains d'entre nous contestent l'actualité des chiffres, notamment en ce qui concerne la consommation d'électricité.
Mesdames et Messieurs, «les bras m'en tombent!». En effet, vous prenez comme point de départ la consommation en 1990, année encore presqu'heureuse où notre économie était toujours presque prospère, et vous l'actualisez à l'année 1993, alors que nous avons 13 000 chômeurs et que nous en attendons beaucoup plus pour la fin de l'année.
Vous spéculez sur la régression économique pour justifier votre demande de réactualisation des chiffres. Alors, on en arrive à l'heure de vérité. Que voulez-vous en réalité? Voulez-vous pratiquer une politique d'économies d'énergie ou une politique de régression économique? Vous êtes les mêmes d'ailleurs à travailler, motion après motion, pour demander au Conseil d'Etat ce qu'il compte faire pour réanimer l'économie et redonner des possibilités de travail.
En réalité, vous ne pouvez pas considérer que la baisse de consommation d'énergie, qui a malheureusement été constatée depuis 1990, soit une économie. C'est une régression économique et sociale, et, si vous voulez vous appuyer là-dessus pour faire une politique, alors il faudra que vous disiez aux travailleurs que vous prétendez défendre quel sort vous leur réservez. Alors, arrêtez de jouer un double jeu!
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Monsieur Blanc, il est vrai que la crise et le chômage entraînent des situations dramatiques. C'est exact qu'il faut s'en soucier, mais on ne doit pas écarter d'autres crises graves telles que celle qui atteint l'environnement aujourd'hui. Il n'est pas question de choisir l'une ou l'autre, mais de travailler à chercher quel équilibre on peut trouver entre les deux: c'est-à-dire redresser l'économie tout en préservant la planète. Voilà ce que je voulais vous dire.
J'aurai peut-être une proposition pour la suite de ce débat. Puisque nous sommes unanimement d'accord -- en tout cas tous les partis représentés dans ce Grand Conseil ont approuvé en commission consultative les postulats de base et le catalogue des actions -- on pourrait peut-être proposer de séparer cette conception en deux, à savoir, accepter aujourd'hui les postulats de base et le catalogue des actions, voire les renvoyer en commission, si certains veulent y retravailler. Mais cela va être long et onéreux en jetons de présence, alors que toutes les tendances se sont déjà exprimées sur ces points. Par contre, il faudrait demander au Conseil d'Etat de reprendre la partie «Objectifs politiques» et de nous la proposer à nouveau ultérieurement, une fois réactualisée.
Je suggère donc un amendement. Au lieu d'avoir le Grand Conseil qui décrète: «La conception cantonale de l'énergie est adoptée», l'amendement consisterait à dire:
«Vu les travaux de la commission consultative sur l'avant-projet de conception cantonale de l'énergie, le Grand Conseil décrète que les postulats de base et le catalogue des actions en vue d'instaurer des mesures d'économies d'énergie sont adoptés».
M. Max Schneider (Ve). Je pense que les gens qui ont rédigé ce rapport sont des personnes très compétentes. Elles présentent un concept fondé sur les réalités des années 1980 jusqu'aux années 1990, et peut-être que, pour le futur, des surprises nous attendent.
Après ce qu'a dit M. Blanc, je dois tout de même intervenir car je pense qu'on pourra discuter de ce rapport soit en commission, soit lors d'un prochain débat. Mais débattre d'un concept cantonal de l'énergie, c'est aussi débattre, Monsieur Blanc, d'un concept de société. L'énergie n'est pas seulement de la technique ou la production d'énergie, c'est aussi savoir quelle société nous voulons. Cela touche le social, l'économie, l'éthique et, pourquoi pas, la religion...
Une voix. La liberté!
M. Max Schneider. ...la liberté. Donc, la démocratie est en jeu, Monsieur Blanc. Lorsqu'on veut parler d'énergie et qu'on prétend avoir un concept de l'énergie, il y a une question à se poser.
Nous n'avons pas de pétrole ou, en tout cas, le pétrole genevois n'a pas encore été découvert en grande quantité. Nous n'avons pas de gaz genevois, Monsieur Blanc. Par contre, nous avons des gens capables. Nous avons des industries qui, malheureusement, encerclent bien des problèmes, mais c'est dans ce domaine que nous allons créer des emplois, par des appareils plus efficaces en matière d'économies d'énergie.
Nous allons, et cela a été démontré par les chauffagistes, améliorer certains systèmes dans le domaine de l'usage rationnel de l'énergie. Dans cet énorme potentiel d'économies d'énergie, il y a aujourd'hui un énorme potentiel d'emplois.
Pour vous confirmer cela, je vous invite, Monsieur Blanc -- je vous paierai le billet d'entrée! -- à faire le voyage au Palais de Beaulieu. Cette semaine, jusqu'à dimanche, il y a une très bonne exposition qui démontre qu'aujourd'hui les industries suisses du chauffage, du gaz, de l'électricité, des énergies renouvelables misent sur cet énorme potentiel d'économies d'énergie et d'un usage rationnel de l'énergie pour créer leur marché des prochaines années et pour créer également un marché de l'emploi, car nous ne sommes pas des producteurs de matières premières.
Enfin, nous ne sommes pas des producteurs d'énergies fossiles, mais nous avons d'autres champs d'application pour notre industrie et pour l'artisanat dans lequel nous pourrons nous engager. Ce concept cantonal en matière d'énergie a toute son importance, car, suivant les options et les scenarii que nous choisirons, soit nous choisirons la toute automation où la machine travaillera et les gens resteront dehors, soit nous arriverons à un bon compromis, à une création d'appareils qui consommeront un minimum d'énergie pour les mêmes services et pour un plein emploi ou un emploi maximum. Voilà pourquoi, Monsieur Blanc, vos remarques ne sont absolument pas à propos, et je réitère mon invitation au Palais de Beaulieu. Je vous invite non seulement pour le billet d'entrée, mais aussi pour le voyage!
M. Thierry Du Pasquier (L). Je crois que l'on assiste à une tentative assez habile de la part de Mme Reusse-Decrey qui consiste à utiliser la technique dite: «du salami», c'est-à-dire que l'on va couper en deux le rapport de M. Maitre. Mme Reusse-Decrey nous propose de conserver la partie de ce rapport qui lui convient et de revenir sur la partie qui ne lui convient pas.
Alors qu'il soit bien dit que cette méthode ne doit convenir à aucun d'entre nous. Je crois que le rapport dont il s'agit, et dont j'ai dit tout à l'heure qu'il était destiné à devenir un document important pour la gestion de l'énergie au cours des prochaines années, doit absolument faire un tout. S'il y a un certain nombre d'éléments qui doivent être revus, notamment dans les chiffres, il n'est pas du tout exclu, je soutiens au contraire que cela devra être fait, que certains objectifs... (Brouhaha, chahut.)
La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, je vous en prie, on ne s'entend plus. Menez vos conversations particulières ailleurs! Monsieur Du Pasquier, continuez...
M. Thierry Du Pasquier. Je crois donc que, précisément pour les raisons qui ont été indiquées par différents groupes, certains problèmes doivent être revus tant au niveau des éléments de fait, des chiffres mentionnés qu'au niveau des objectifs et des moyens mis en cause. La technique ou la tactique qui consisterait à couper en deux ce rapport et à en considérer une partie comme adoptée et à en reprendre l'autre est inacceptable et antidémocratique.
Je demande que personne n'accepte cette proposition et qu'au contraire ce rapport soit renvoyé dans son ensemble à la commission de l'énergie pour que les amendements nécessaires dont il a été question soient faits.
M. Bernard Annen (L). J'ai cru lire dans la presse, à la sortie de ce rapport, que la hache de guerre était enterrée. Je vois que je me suis trompé! Je suis tout de même étonné qu'un certain nombre d'intervenants n'aient pas fait allusion aux travaux complets de la commission consultative. Il eût été tout de même plus sincère de dire que le consensus auquel cette commission est arrivée était l'oeuvre de tous. Il eût été plus sincère de dire que les milieux économiques cités par Mme Reusse-Decrey avaient réussi à convaincre la Coordination et que cette dernière ne pouvait pas aller plus loin.
Aujourd'hui, on s'aperçoit que, pour aller plus loin, vous êtes dans le «starting bloc»! Je crois qu'il est sincère de dire, Madame Reusse-Decrey, que nous n'irons pas plus loin. Nous estimons que l'effort a été fait avec un certain nombre de spécialistes. La Coordination dont vous faites partie l'a agréé,
même avec un certain nombre de sacrifices. J'ai lu dans la presse que vous aviez admis que la hache de guerre était enterrée. Nous ne vous laisserons pas, Madame, la déterrer.
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Il a été dit par plusieurs d'entre vous que Genève disposait, aujourd'hui, grâce aux efforts de tous, d'instruments jugés parmi les meilleurs que l'on connaisse dans le domaine, sur le plan suisse.
Par ailleurs, le document qui vous est présenté et qui résulte de travaux à propos desquels nous avons pu, sur certains points -- sur un maximum de points, devrait-on dire -- trouver des consensus ne permet pas, effectivement, d'exprimer un consensus sur certains objectifs; encore faut-il s'entendre sur ce que l'on exprime par «objectifs».
Qu'est-ce qu'une conception cantonale en matière d'énergie? C'est la référence à un certain nombre de lignes directrices. C'est ce que l'on a appelé «postulats de base». C'est, par ailleurs, l'expression traduite en propositions et en actes concrets de ce qui se trouve dans la constitution, dans la loi sur l'énergie et dans les règlements d'application que vous avez qualifiés de modèles, et le Conseil d'Etat vous en remercie.
En d'autres termes, une conception cantonale en matière d'énergie c'est un outil de travail pour des réalisations concrètes. C'est un outil d'aide à la décision. Ce n'est pas une somme politico-philosophique sur tel ou tel aspect abstrait, au demeurant controversée et nécessairement controversée. Sur ce plan, je crois que la controverse fait partie de la nature des choses et qu'elle fait avancer un certain nombre de choses.
J'en viens aux critiques énoncées à propos de l'un des aspects, effectivement important, concernant le domaine de l'électricité et les prévisions de croissance. Je vous rends justice. De toute évidence, les chiffres qui sont ici sont des chiffres dépassés. Si nous en mettions d'autres, ce que nous aurions évidemment pu faire -- d'ailleurs nous jouons la transparence, puisque les chiffres de consommation actuelle vous sont communiqués par un autre service de mon département: le service cantonal de la statistique -- je crains qu'ils ne soient à nouveau dépassés dans six mois, sur la base de l'alternative suivante: soit, ce qu'à Dieu ne plaise, mais malheureusement il faut être réaliste, la conjoncture ne s'améliore pas, les emplois décroissent ou continuent à décroître et la corrélation qui s'établit avec la consommation d'énergie électrique se vérifiera et nous serons en décroissance de consommation d'énergie électrique de manière plus marquée encore, soit la conjoncture reprend et les chiffres de croissance d'énergie électrique devront également être corrigés, quelles que soient par ailleurs les actions qui seront entreprises et doivent être entreprises et poursuivies. S'agissant de celles qui sont déjà engagées, la consommation électrique, effectivement, marquera une nouvelle croissance.
J'aimerais alors que l'on ait tout simplement l'honnêteté et l'humilité intellectuelle d'arrêter ici cette bagarre de chiffres, parce que les chiffres d'aujourd'hui sont nécessairement dépassés. Ceux qui vous ont été annoncés et qui remontent effectivement à 1990 ne sont plus d'actualité. J'en conviens tout à fait. Seulement, ils peuvent conserver un certain intérêt à titre de référence, si nous reprenions une croissance économique d'ici aux années 2000 du type de celle que nous connaissions en 1990. Ils présentent un intérêt en ce sens que notre objectif est que, à croissance économique égale à celle de 1990, nous n'ayons pas une croissance de l'énergie électrique égale en l'an 2000 à celle que nous connaissions en 1990.
Nous nous trouvons devant la situation suivante: soit on renvoie ce projet de conception en commission de l'énergie, soit on adopte l'amendement de Mme Reusse-Decrey. Les deux hypothèses sont tout à fait possibles.
Si on renvoie ce document en commission de l'énergie, je souhaite que la commission de votre parlement, chargée de statuer sur ce projet, se concentre essentiellement sur les postulats de base et sur les vingt-cinq actions concrètes en espérant peut-être qu'on en rajoutera quelques-unes.
Si on adopte d'ores et déjà l'amendement de Mme Reusse-Decrey -- ce qui signifie que cette conception est adoptée en tant qu'elle consacre les postulats de base et les actions concrètes -- les différents éléments et objectifs chiffrés pourront parfaitement donner lieu, le cas échéant, à une discussion et à une évaluation en commission qui pourront être actualisées, au demeurant pratiquement chaque année.
Je m'en rapporte à votre appréciation de la procédure. La seule chose que je demande, et sur ce plan, je ne le cache pas, l'attitude de la Coordination me déçoit, c'est qu'on sorte de la stérilité des débats abstraits,
que l'on s'engage de manière concrète à réaliser les actions prévues dans le cadre de la conception cantonale de l'énergie et à nous aider à appliquer dans le concret les objectifs extrêmement intéressants qui se trouvent d'ores et déjà dans la loi.
A défaut, la Coordination risquerait de démontrer qu'en fait de politique énergétique elle préfère la polémique, qui se réfugie dans l'abstraction, à la réalisation concrète d'objectifs politiques induits par la constitution cantonale, par la loi sur l'énergie, objectifs que vous retrouvez en particulier dans le catalogue des vingt-cinq actions concrètes proposées ici et que nous pouvons engager.
Je souhaiterais vraiment que l'on s'en tienne au concret, parce qu'en définitive, en matière d'objectifs politiques -- et je pense que sur ce plan nous serons d'accord -- au-delà de tous les chiffres dont nous connaissons parfaitement le caractère très alléatoire, en tout cas très incertain, nous savons parfaitement que nous avons:
1° à assurer notre approvisionnement en énergie;
2° à valoriser vigoureusement le potentiel d'énergie indigène à notre disposition;
3° à exploiter le «gisement» d'économies d'énergie qui est à notre disposition en réalisant toutes les économies qu'il est possible de réaliser au-delà des chiffres.
Si nous parvenons à infléchir la croissance de l'énergie électrique, même avec une reprise de la conjoncture économique, dans des termes plus anticipés que ce qui est exprimé, nous avons le devoir de le faire. Mais nous ne le ferons pas par des discours polémiques sur tel ou tel chiffre, tel ou tel pourcentage. Nous le ferons par des actions concrètes. Si nous pouvons nous mettre d'accord sur cette ligne de conduite, car en définitive ce n'est rien d'autre qu'une ligne de conduite, alors l'amendement de Mme Reusse-Decrey est parfaitement acceptable et le débat peut être poursuivi sur des objectifs ou des chiffrages qui vont nécessairement s'actualiser au fil du temps.
Mais, aujourd'hui, force est d'admettre que nous sommes dans le domaine de l'incertain et non pas dans le domaine du certain et du quantifiable, dès lors que nous voudrions mettre des chiffres, des pourcentages de croissance ou de décroissance aux objectifs politiques. C'est dans ce contexte que le Conseil d'Etat s'en rapporte à votre appréciation sur la suite de la procédure.
Soit nous considérons cette conception comme adoptée dans le sens de l'amendement de Mme Reusse-Decrey, soit elle est renvoyée en commission de l'énergie. En tout état de cause, cela n'aurait vraiment aucun sens -- sauf celui de cultiver la polémique -- de renvoyer ce document au Conseil d'Etat, parce que nous perdrions inutilement du temps.
Mise aux voix, la proposition de renvoyer ces projets à la commission de l'énergie est adoptée.
Mme Elisabeth Reusse-Decrey (S). Je m'excuse, Madame la présidente, nous avons été un peu surpris. Ce n'est pas l'amendement qui est...
La présidente. Madame Reusse-Decrey, ce projet est renvoyé en commission.
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Dans le cadre des travaux en commission, nous aurons peut-être à reprendre l'amendement de Mme Reusse-Decrey, dans la mesure où il permet de préciser ce qu'entend le Grand Conseil à propos de la conception cantonale; mais cela fera l'objet du débat en commission que nous aurons à ce moment-là.