Séance du vendredi 15 janvier 1993 à 17h
52e législature - 4e année - 1re session - 4e séance

I 1848
7. a) Interpellation de Mme Erica Deuber-Pauli : L'école d'architecture de l'université de Genève entre tous les risques; ( )I1848
R 251
b) Proposition de résolution de M. Philippe Joye concernant la coordination du fonctionnement des diverses écoles d'architecture de Suisse (Genève - Lausanne - Zurich) et de France voisine (Lyon - Genève). ( )R251

Débat

Mme Erica Deuber-Pauli (T). En date du 10 novembre 1992, le conseiller fédéral Flavio Cotti a écrit une lettre à M. Dominique Föllmi au sujet de l'école d'architecture de Genève. Cette lettre,

qui a fait l'effet d'une bombe, disait en substance: «Au regard de la situation financière actuelle des cantons et de la Confédération, qui ne laisse guère présager de meilleurs jours dans un proche avenir, il s'avère capital de faire des économies. Il me semble qu'une meilleure répartition des tâches dans la formation des architectes entre Genève et Lausanne permettrait au canton de Genève de réaliser des économies importantes. On pourrait dans ce cas -- je cite toujours -- envisager la solution suivante: l'EPFL prendrait à sa charge tous les étudiants de l'école d'architecture de Genève, sans frais pour l'université de Genève. Il va sans dire que ceci ne serait pas possible du jour au lendemain et qu'il est nécessaire de trouver une solution intérimaire pour les étudiants déjà inscrits à Genève. Toutefois, il serait préférable que de nouveaux étudiants ne s'inscrivent pas à l'école d'architecture de Genève. Je suis convaincu qu'à long terme cette solution permettra de diminuer considérablement les dépenses de l'université de Genève. En raison de l'effet de taille, les frais additionnels pour l'EPFL qui seraient occasionnés par ces nouveaux étudiants seraient négligeables, et il m'est donc possible de vous faire cette offre et de la soumettre à votre appréciation».

 En clair, M. Cotti proposait la fermeture, dans les meilleurs délais, de notre école d'architecture. En date du 4 décembre, M. Föllmi a répondu poliment et fermement qu'il n'en était pas question. Au demeurant, «l'idée» de M. Cotti constitue une intervention dans les affaires intérieures du canton de Genève qui relève, à mon sens, de la provocation.

 Ma présente interpellation vise à rendre le Grand Conseil attentif au péril encouru par l'école d'architecture de l'université de Genève, à renforcer la détermination du Conseil d'Etat et à soulever quelques questions délicates.

 Le courrier du conseiller fédéral Cotti n'est d'ailleurs pas le premier coup de semonce. Le secrétaire d'Etat Ursprung, chef du groupement fédéral pour la science et la recherche récemment créé, a expliqué à de nombreuses reprises ses conceptions pour l'avenir des universités romandes. Il préconise la répartition radicale des enseignements et des domaines de recherche entre les universités. La chimie serait enseignée à Lausanne, la physique des hautes énergies à Genève, à Lausanne encore, l'architecture et l'urbanisme, etc. Bien qu'alertée par les articles de presse, l'opinion publique s'habitue progressivement à cette idée.

Actuellement, la défiance est telle à l'égard de l'EAUG que son président, M. Mariani, avoue que vingt-cinq étudiants de Genève, à la rentrée d'octobre de 1992, ont choisi Lausanne pour échapper au risque d'un cursus arrêté. Des parents inquiets téléphonent et demandent si les diplômes de Genève sont encore valables, s'ils ne vont pas se dégrader. En tout état de cause, la «pompe» est branchée: les meilleurs professeurs de Genève sont ou seront sollicités pour des postes à l'EPFL. Celle-ci ouvre des concours de relève tout en laissant vacants des postes de professeurs ordinaires, sans les repourvoir, afin de les réserver à des collègues genevois, au demeurant susceptibles d'être attirés par des traitements plus élevés. Si la «pompe» à étudiants continue à fonctionner, l'université de Lausanne sera bien obligée de répondre à l'accroissement de leur nombre!

 La tendance est donc amorcée, en dépit des déclarations encourageantes du chef du DIP. Elle est dangereuse, elle fait décliner l'EAUG, elle la fait mourir jour après jour. Elle ancre l'idée de cette mort annoncée dans l'opinion publique, chez les étudiants et les enseignants. Quel sens y a-t-il à se donner du mal pour obtenir un diplôme dans une école bradée, dans une école en déclin?

 J'ai évidemment pris connaissance avec satisfaction du projet de résolution de notre collègue Philippe Joye concernant la coordination du fonctionnement des diverses écoles d'architecture de Suisse -- Genève, Lausanne, Zurich -- et de France voisine -- Lyon et Grenoble. Cependant, j'aimerais souligner trois points.

 On peut certes être d'accord avec une université romande d'architecture et d'urbanisme en réseau, dont les programmes d'études, la répartition des cours et des matières -- leur non-dédoublement -- la valeur des diplômes, les titres -- et pourquoi pas les traitements des collaborateurs? -- soient harmonisés. En Suisse, il y a trois écoles d'architecture de niveau universitaire. Chacune d'elles donne son propre diplôme. Celle de l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich a environ mille six cents étudiants, celle de Genève a trois cent septante étudiants, et l'EPFL a sept cent trente étudiants. Genève et Lausanne n'ont pas attendu les propositions de fusion qui viennent des milieux politiques pour nouer des collaborations. Des conventions de collaboration existent depuis longtemps: l'une, datant de 1983, pour l'enseignement de l'histoire de l'architecture, et l'autre, datant de 1986, pour la mobilité des étudiants et pour le renforcement de la recherche

et de la postformation. Deux cours postgrades communs sont organisés et pris en charge par l'EAUG et par l'EPFL, l'un sur la sauvegarde du patrimoine bâti, l'autre sur l'urbanisme. Bien que satisfaisante en soi, cette collaboration ne suffit plus devant l'importance qualitative et quantitative des besoins en formation et face aux restrictions financières. En effet, la situation actuelle présente deux gros inconvénients: il subsiste toute une série d'enseignements dédoublés dans les deux écoles. Il y a des lacunes dans chacune d'elles, dans les sciences humaines à Lausanne et dans la technique au sens large à Genève. En somme, il y a des doubles emplois dans certains secteurs et des lacunes dans d'autres qu'il serait facile de combler.

 Dans chaque école, l'environnement scientifique, technique, social et culturel est trop restreint. Deux formations analogues en Suisse romande, présentant chacune des lacunes et des défauts, ne sont pas satisfaisantes.

 Pour pallier ces inconvénients, le Conseil fédéral préconise donc une solution que d'aucuns, j'imagine, soutiendront dans ce parlement: la fusion et la disparition de notre école. Cette solution est celle de la concentration de la formation.

 De leur côté, le rectorat de l'université de Genève et la présidence de l'EPFL ont, au cours des deux années précédentes, amorcé leur propre réflexion et se sont convaincus que la meilleure forme de collaboration souhaitable serait la mise en commun des ressources et des compétences disponibles dans les deux hautes écoles, c'est-à-dire de passer de la collaboration actuelle à une coordination accrue par la mise en commun des ressources. C'est le projet Vittoz-Weber, des noms respectifs de l'ex-président de l'EPFL, récemment parti à la retraite, et de notre recteur de l'université de Genève.

 Ils ont mandaté un groupe de travail formé des professeurs de chacune des écoles et, avec son appui, ils ont décidé de proposer une solution aux autorités, connue sous le nom du projet Vittoz-Weber: une seule formation d'architecture en Suisse romande, avec un plan d'études unique, un diplôme «architecte diplômé de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne et de l'université de Genève» et un partage des cycles de formation. Je n'entre pas dans le détail de cette proposition car j'imagine que mon collègue Philippe Joye la développera tout à l'heure. Le détail de cette formation, au demeurant, relève de l'organisation interne des universités et ne touche pas, au premier chef, aux compétences de notre parlement. Les

lignes de force des deux hautes écoles seraient poussées de la manière suivante: histoire et théorie de l'architecture, construction et sciences de l'ingénieur à l'EPFL; ville et territoire, patrimoine bâti, réhabilitation et restauration à l'université de Genève.

 Ce projet a été brutalement bloqué. On pourrait dire qu'il a subi un moratoire à partir du moment où les manoeuvres fédérales ont été déclenchées. Or, à quoi assiste-t-on dans le même temps? Le Conseil d'Etat tessinois vient de donner son accord de principe au «projet Botta» d'une école d'architecture à Lugano. M. Cotti, pratiquant apparemment quelque favoritisme, a mandaté ses collaborateurs pour étudier le dossier d'une nouvelle «école Botta» à Lugano. Si je suis personnellement très heureuse de la création d'une école d'architecture tessinoise, je me demande, à bon droit, où est la logique de M. Cotti en ce qui concerne Genève.

 C'est donc bien à une étude d'ensemble de l'enseignement de l'architecture et de l'urbanisme en Suisse que doit se rattacher toute proposition réaliste pour l'avenir de notre école.

 En 1975, Claude Schnaidt, alors professeur à l'unité pédagogique d'architecture à Paris, une autorité dans le domaine de l'enseignement de l'architecture en Europe, écrivait au sujet des buts de réforme à conduire dans les années 70: «Doubler le nombre des établissements d'enseignement de l'architecture et limiter leur effectif aux environs de deux cent cinquante étudiants. Il y a en France, disait-il, vingt-quatre écoles qui forment des architectes. Le nombre de leurs étudiants augmente constamment. A l'unité pédagogique N°1, par exemple, il est passé au cours des sept dernières années de trois cent quatre-vingt à mille cinq cent soixante. Les enseignants découvrent les uns après les autres que, au-delà d'un certain seuil, situé autour de deux cent cinquante étudiants, il devient très difficile, sinon impossible, de constituer un corps enseignant homogène, de resserrer les liens entre cours théoriques et exercices pratiques, de guider et de contrôler les étudiants, de faire circuler l'information, de maintenir la vigueur de la gestion. Si la Grande-Bretagne forme convenablement ses architectes, ajoutait Claude Schnaidt, c'est en partie parce que ce pays, pour une population et une quantité d'étudiants à peu près équivalentes à celles de la France, dispose du double d'établissements d'enseignement de l'architecture, soit plus d'une quarantaine».

 Pour ma part, j'ajouterai que toute école est une communauté d'histoire, de formation. Toute école est un patrimoine d'idées et de projets, de convictions et d'acquis, qui irrigue le tissu social alentour, qui nourrit les administrations publiques, qui crée des connaissances bien au-delà de l'institution, qui produit des habitudes critiques et qui met une société en mouvement.

 Imaginez Genève sans école d'architecture et sans enseignement dans ce domaine. C'est toute une série d'activités, des associations, des projets éditoriaux, des parutions, des réflexions sur l'urbanisme et l'architecture, sur la conservation du patrimoine, c'est le droit immobilier foncier, la culture urbaine, la réflexion critique sur l'environnement et le paysage, qui déserteraient Genève, qui déserteraient les administrations publiques, qui déserteraient les bureaux d'architectes et la société locale.

 Car il ne faut pas se leurrer, le meilleur exercice, le meilleur entraînement, la meilleure connaissance qu'on peut acquérir sur le plan théorique, en dehors des grands enseignements académiques, reste toujours la vérification de ces savoirs sur le terrain que l'on connaît -- que connaissent les étudiants. Je puis dire, depuis les années 60, pour avoir accompagné de nombreux architectes qui étaient étudiants à l'université en même temps que moi, que les meilleurs sont ceux qui se sont fait la main et qui se sont exercés sur le terrain qu'ils connaissaient, celui où ils habitaient, où ils travaillaient, où ils avaient à intervenir.

 Que l'on prenne donc la peine de penser le lien entre la présence de cette école et notre société cantonale. De plus, l'école attire à Genève des enseignants permanents et invités d'autres régions de Suisse, les Tessinois par exemple, et de l'étranger, ainsi que des étudiants d'autres régions. Elle attire l'attention sur ses recherches et sur ses publications. Les recherches elles-mêmes sont dirigées en grand nombre sur des objectifs locaux: projets d'architecture, interventions dans le tissu existant, histoire du territoire, cartographie, histoire de l'architecture, etc. La formation continue garantit, elle aussi, en permanence ce lien.

 Enfin, il vaut la peine de signaler que l'an passé, l'EAUG a compté pour près de 25 millions de francs de travaux de recherches commandées et rémunérées. Ces mandats ont des retombées économiques non négligeables et fournissent du travail à nombre de jeunes architectes au sortir de l'école.

  La présidente. Madame Deuber-Pauli, vous avez dépassé votre temps de parole.

 Mme Erica Deuber-Pauli. Je termine, Madame la présidente. Le projet Vittoz-Weber, préparé en 1992, et qui devait entrer en vigueur à la rentrée 1994, a donc été frappé par un moratoire. Il n'appartient certes pas à la classe politique d'établir le cursus universitaire et les programmes. Mais il appartient à ce parlement de choisir de maintenir à Genève un enseignement, de choisir la mise en réseau romand des deux écoles, à parité d'intérêts, sans laisser, pour commencer, tomber ceux de l'EAUG. Il lui appartient également de favoriser le mouvement des enseignants plus que celui des étudiants. Pour cela, il faut renforcer le statut universitaire de l'EAUG, en faire, par exemple, une faculté d'architecture plutôt que de la rattacher à la faculté SES. Comme mon temps de parole est dépassé, j'en resterai là en demandant au Conseil d'Etat de se déterminer sur ces propositions et en soutenant le projet de résolution présenté par notre collègue Philippe Joye.

M. Philippe Joye (PDC). Permettez-moi de commenter en huit points ma résolution et le contexte dans lequel elle s'inscrit. De quoi s'agit-il? Les ressources de la Confédération diminuant, celle-ci doit impérativement faire des économies et éviter tout doublon dans la formation.

 Les écoles d'architecture romandes sont le point de mire confédéral, nonobstant la nuance tessinoise que Mme Deuber-Pauli a relevée et qui laisse songeur.

 Vous avez tous entendu la proposition de Berne visant à supprimer l'EAUG et à concentrer l'enseignement à l'EPFL. Dans ce cas de figure, l'idée d'une collaboration entre les deux écoles semble bien mince. On a plutôt l'impression de lire la chronique de la mort annoncée de l'EAUG.

 Comment le fédéral voit-il l'application? Il propose de recueillir, dès l'automne, les réfugiés de l'EAUG dans l'Alma mater de Dorigny. Il recommande, comme vous l'avez entendu, de ne plus accepter l'inscription de nouveaux élèves à l'EAUG. Le conseiller d'Etat Föllmi a répondu à cette proposition en réagissant vigoureusement. Il a déploré que des mois d'études d'une commission comprenant le recteur Weber et le président de l'EPFL, M. Vittoz, soient réduits à néant par une lettre ukase, au ton calme et enjoué,

venant de la capitale fédérale. En visant à supprimer une école sur deux, c'est-à-dire, grossièrement dit, à économiser 50% des montants affectés à l'étude de l'architecture en Suisse romande, les intentions réelles de Berne font que le travail de cette commission est complètement dépassé, parce que beaucoup trop lénifiant.

 J'en arrive au quatrième point. Y a-t-il une autre possibilité? Oui, à condition d'accepter le principe de base que nous ne pouvons plus maintenir deux activités parallèles en architecture à Lausanne et à Genève, c'est-à-dire à 60 km de distance. Le modèle que j'appelle les pôles d'excellence et que je vous montre ici (M. Joye montre un schéma à l'assemblée.) consiste à garder une seule école à Lausanne ou à Genève. Il correspond à la solution des pôles d'excellence appliquée en médecine qui se justifie pleinement en regard des gros investissements nécessités par les équipements, les machines et la technologie. La deuxième solution, que j'appelle le modèle du plateau commun, maintient une partie de l'enseignement à Genève et l'autre à Lausanne avec une administration centralisée. De l'avis de beaucoup, dans les milieux concernés, cette solution est la bonne. Elle permet d'adhérer au slogan bien connu «Genève gagne». Nous avons maintenant 58,4 postes d'enseignants et trois cent quatre-vingt étudiants. Le coût de l'école est de 9 millions de francs, les subventions qu'elle a reçues en quinze ans se montent à 25 millions de francs, dont la moitié en provenance du Fonds national de la recherche scientifique. Je pense que si l'on veut que Genève gagne, il serait judicieux de bien réfléchir avant d'expédier toute l'EAUG à Lausanne. La Confédération y gagnera aussi parce qu'une école moins quelque chose plus une école moins quelque chose donnera toujours une école et fera économiser ce que la Confédération entend économiser, tandis que deux écoles moins une école cela fait aussi une école, sauf qu'à Genève il n'y en aura plus.

 Cinquièmement. La formule suivante est facile à mettre en oeuvre en architecture: elle consiste à faire changer de tissu urbain aux élèves, en les faisant étudier deux ans à Genève et deux ans à Lausanne. C'est bénéfique pour eux, parce qu'ils travaillent sur la ville et dans la ville. Ladite formule est d'ailleurs appliquée par les écoles polytechniques fédérales qui encouragent très vivement la rocade entre Zurich et Lausanne, et ce pour toutes les disciplines étudiées. Ce qui est possible entre ces deux villes peut l'être sans inconvénient entre Genève et Lausanne. Les diplômes et les doctorats se passeraient à Genève ou à Lausanne, selon les professeurs, et sans qu'il y ait de doublon. On ne garderait pas deux instituts analogues et les instituts spécialisés seraient implantés à Genève et à Lausanne.

 Pourquoi y a-t-il urgence? Parce que des décisions de restructuration des écoles polytechniques fédérales sont ordonnées, que M. Ursprung aurait dit à M. Badout: «Vous avez été nommé au conseil des écoles pour faire des économies et vite». Nous devons travailler ensemble tout de suite si nous voulons aboutir à une solution concertée qui puisse servir de modèle pour d'autres regroupements que je nommerai horizontaux plutôt que verticaux. Les délais devraient être exprimés en semaines, en mois, mais en tout cas pas en trimestres.

 Le septième point traite du mariage de l'EAUG avec l'EPFL. Il présente un très vif intérêt sur les plans architectural et urbanistique. Sans avoir étudié dans l'une ou l'autre des écoles -- j'étais à Zurich -- j'affirme que leur association ferait bénéficier les élèves d'une diversité d'enseignement bien plus grande que celle que leur apporte, maintenant, chaque école prise séparément. L'EAUG est plus urbanistique, elle a une approche souvent très socialisante, ce qui a pu agacer certains constructeurs romands. L'EPFL est peut-être plus centrée sur l'architecture; elle assure de solides assises techniques et un riche enseignement de l'histoire de l'art. Dans le cas de Genève, l'EAUG s'inscrit dans la suite logique des études d'un architecte ETS genevois qui a commencé son «tech» à seize ans. C'est le seul établissement de ce type en Suisse. Ailleurs, les étudiants entrent au technicum à vingt ans, une fois leur apprentissage réussi et terminé. Supprimer l'EAUG reviendrait à remettre en question l'organisation du technicum de Genève par rapport aux autres technicums suisses, en tout cas sur le plan architectural, parce qu'il est de notoriété publique qu'un jeune qui sort du technicum de Genève avec un diplôme d'architecte n'a pas la maturité d'une personne qui sort d'un établissement parallèle à vingt-cinq ans ou plus.

 Avec le huitième point, je vous explique pourquoi je souhaite le renvoi de cette résolution au Conseil d'Etat plutôt qu'en commission. C'est parce que le but de cette résolution est de démontrer l'intérêt du Grand Conseil à réaliser maintenant, avec Lausanne, les économies nécessaires en créant une école d'architecture romande répartie sur deux pôles, c'est-à-dire Lausanne et Genève. Vouloir traiter dans une commission parlementaire les modalités de cette restructuration, qui est une cure d'amaigrissement

extrêmement violente, me semble être un fort empiétement sur les responsabilités exécutives. De plus, cela ne me semble guère réaliste, vu les délais imposés. D'autres personnes ont proposé d'attendre une planification générale de l'ensemble des universités romandes dans tous les domaines où l'on pourrait créer, soit des pôles d'excellence, soit -- comme je les appelle - des plateaux communs. C'est sans doute juste sur le plan des idées, mais parfaitement irréaliste sur le plan pratique. C'est une opération à cinq ans. A force de planifier, sans démontrer concrètement que les universitaires sont capables de réduire et de restructurer efficacement ce qui est leur domaine, eux et nous raterons le train et la Confédération nous mettra devant le fait accompli.

 Je ne m'oppose pas au renvoi en commission, mais je pense qu'il est déjà assez difficile de réunir deux mammouths universitaires et polytechniques sans leur infliger quinze députés supplémentaires de ce Grand Conseil. Je vous remercie de votre attention.

M. Robert Cramer (Ve). Il y a quelques semaines, dans cette salle, se tenaient les débats sur le budget. Nous avions dit alors que des restructurations étaient indispensables aux yeux de notre groupe et qu'elles devaient notamment se fixer comme objectif de supprimer les doublons. Nous avions dit aussi que ces restructurations ne seraient possibles et conduites efficacement que pour autant qu'elles aient lieu dans un climat de concertation.

 Le projet de résolution qui nous est soumis et le problème posé par la localisation de ces deux instituts d'architecture, à Genève et à Lausanne, constituent un cas d'école sur la façon dont on doit aborder les restructurations indispensables et rechercher des économies. Il est certain que le fait d'avoir deux instituts universitaires de cette importance, à une distance aussi proche que celle séparant Genève de Lausanne, est certainement un luxe dont nous n'avons plus les moyens, étant donné la situation budgétaire actuelle. Il s'agit d'un doublon et ce doublon fait partie de ceux que nous devons chasser. A partir de là, comment faut-il s'y prendre? Si je parle de cas d'école, c'est parce qu'en l'occurrence nous avons été confrontés à deux méthodes.

 La première méthode est celle de la concertation. Elle consiste à voir avec les destinataires de la décision et avec les usagers comment l'on

peut mener à bien cette restructuration et cette chasse aux doublons. Cette méthode a été suivie avec persévérance et sérieux. Elle a abouti au résultat exposé par M. Joye. C'est la possibilité de séparer le plan d'études entre Genève et Lausanne, de faire en sorte qu'il reste dans ces villes un certain nombre d'instituts spécialisés en matière d'architecture, de donner un sens au concept de Romandie qui implique que l'on puisse se déplacer afin de poursuivre ses études et que l'on ne reste pas à tout jamais dans la région où l'on a commencé sa scolarité.

 Et si je continue à parler de cas d'école, c'est que la deuxième méthode mise en application est une méthode autoritaire qui, d'en haut de façon hiérarchique, volontariste et certainement inefficace, tente d'imposer une solution élaborée par un certain nombre de technocrates.

 Poser le problème en ces termes, c'est y répondre. Notre groupe soutient sans réserve la proposition de résolution déposée par M. Joye. Pour nous comme pour lui, il importe que cette proposition de résolution soit renvoyée immédiatement au Conseil d'Etat, parce que c'est la condition de l'efficacité à laquelle doit tendre ce débat.

M. Thierry Du Pasquier (L). La position du groupe libéral sur cette question est nuancée. Nous sommes conscients des problèmes posés par l'autorité fédérale. D'autre part, avoir, à 60 km de distance, deux écoles d'architecture d'une importance, somme toute, pas très considérable à l'échelon européen ou mondial est une aberration ou en tout cas un luxe datant d'une époque révolue.

 Tout nationalisme genevois mis à part, il faut reconnaître que les deux écoles ne jouissent pas d'une réputation équivalente. Je crois que, sur le plan national, l'EPFL est d'un niveau légèrement supérieur. Encore que je ne nie pas la complémentarité des deux institutions.

 Dans cette situation, l'idée de supprimer l'une des écoles, de supprimer les doublons, ne peut être écartée sans autre. Cependant, nous ne sommes pas insensibles aux arguments soulevés par M. Joye, notamment à sa proposition de trouver une solution mixte qui évite les doublons et permette de conserver l'établissement genevois.

 Dans cette perspective, le groupe libéral souhaiterait que la proposition ressortant de ce projet soit l'objet d'une étude qui ne peut être faite qu'en commission. C'est la raison pour laquelle le groupe libéral soutiendra cette proposition dans la mesure où elle sera renvoyée en commission et s'y opposera si elle ne l'est pas.

M. Alain Sauvin (S). C'est la quadrature du cercle, en quelque sorte! M. Joye, vous nous avez posé quelques problèmes. Vous défendez une excellente cause que, finalement, nous allons majoritairement soutenir. Cependant, aux yeux de certains d'entre nous, vous l'avez, à certains égards, défendue d'une manière discutable sur la forme, pas sur le fond. Mais, comme il y a un rapport entre les deux, je vais essayer de m'expliquer.

 Nous sommes perplexes, car nous avons discerné dans votre proposition quelques contradictions et rigidités qui répondaient, dialectiquement très probablement, au rigorisme fédéral. C'est là ma première explication. Et vos humeurs bien connues ont fait le reste. Vous avez une certaine propension au manichéisme: c'est l'un ou l'autre, on ferme ou on maintient, mais le plus grave -- peut-être avez-vous été sur ce point mal conseillé, je n'en sais rien -- est que vous défendiez une certaine tendance au corporatisme. Cela ressort très nettement de votre exposé des motifs et c'est inacceptable.

 Les contradictions? Comment conjuguer les ouvertures à l'Europe, à la créativité, à l'adaptation, aux évolutions sociales et le maintien ferme, indiscutable d'une école ou d'une institution dans un lieu donné? Cela mérite d'être discuté. Le manichéisme? M. Cotti est un méchant, M. Föllmi est un gentil! Que M. Föllmi soit un gentil, je n'en doute pas! Que M. Cotti, issu du même sérail, soit a contrario un méchant, c'est un peu caricatural. La réalité doit être un peu différente.

 Le corporatisme? Vous nous parlez d'une profession enviée, critiquée, sur la défensive, comme si la ville appartenait exclusivement aux architectes et aux urbanistes. Cela n'est pas vrai. Le parti socialiste a toujours été convaincu qu'il fallait coordonner les universités romandes. Le PEG, comme l'a rappelé M. Cramer, a signé avec le PDT et notre parti une motion qui va arriver sous peu sur le bureau de la commission de l'université et qui pousse, notamment, à entrer en discussion avec les autres cantons romands pour coordonner les universités et tout ce qui peut l'être dans le domaine de l'information. Sur ce point, il est donc clair qu'il faut réfléchir, qu'il faut travailler en termes de coordination, en termes de doublons, en termes d'universités ou de centres de formation «à géométrie variable», et ce peut-être au-delà de la Romandie.

 Le PS et le groupe socialiste sont tout aussi convaincus que vous, Madame Deuber et Monsieur Cramer, qu'il faut absolument préserver l'essentiel de notre école d'architecture, sa spécificité. L'histoire propre des deux lieux doit être utilisée de façon constructive et dynamique. C'est une force, une énergie à conserver.

 L'on a dit, d'une façon quasiment simpliste: «L'architecture à Lausanne, l'urbanisme à Genève». C'est plus compliqué que cela, c'est d'ailleurs faire injure à l'une et l'autre des écoles que de les confiner dans l'étroitesse d'attributions ainsi définies. Le phénomène urbain, car il s'agit d'une des caractéristiques développées à Genève, est beaucoup trop complexe et éminemment universel pour que quiconque puisse en faire le tour. Il touche à tous les domaines de la vie en société. Il touche aussi bien aux relations humaines, à l'interaction des groupes sociaux qu'à l'évolution des modes de vie que nous subissons ou construisons, à l'influence de l'urbain sur la modification des valeurs qui nous guident, la famille, l'argent, le travail, par exemple. Il intègre des phénomènes aussi concrets et matérialisables que les séquences disparates de la vie quotidienne si prégnantes pour les gens demeurant dans les centres urbains, morcelant l'homme dans sa vie et ses relations. Il doit répondre aux questions telles que le vieillissement de la population ou l'extension dans les zones rurales, puisque l'urbain éclate, nous le savons maintenant, à cause de ce pouvoir qui était centralisé d'une façon exorbitante. L'urbanisme relève aussi bien du problème des transports et des rapports à l'espace qui se modifient aussi, que de la consommation, de la destruction des lieux symboliques à travers lesquels nous nous approprions nos propres lieux de vie.

 Tout cela fait partie de ce qu'on appelle ce phénomène urbain qui est tellement vaste et complexe qu'il est insaisissable et qu'il n'appartient, en réalité, à personne, pas plus aux urbanistes -- terme présomptueux s'il en est -- qu'à tous les autres. Les acteurs sont multiples, les grilles d'analyse, de compréhension et d'appropriation sont nombreuses et complémentaires. Les architectes, c'est évident, ont leur place mais ni plus ni moins que les historiens, même les historiens de l'art que vous semblez fustiger dans votre proposition, les économistes...

 Des voix. Mais non...

 M. Alain Sauvin. Selon votre rapport, ce sont des gens qui réglementent et briment les anthropologues, les artistes, les sociologues, les géographes que vous n'aimez pas non plus apparemment, etc. Et d'ailleurs, nous parlons d'anthropologie urbaine, de géographie urbaine, de sociologie urbaine et, en tant que telles, il n'y a pas que l'architecture lorsque nous traitons d'urbanisme.

 La question est de savoir quel est votre projet et à quoi nous allons

nous atteler. Vous l'évoquez, c'est positif, et vous devez être soutenus pour cela, mais quelle architecture, quel urbanisme pour demain et, par conséquent, quelle formation générale et technique donner aux étudiants aujourd'hui? Cette conception globale, humaniste, interdisciplinaire et technique, mais pas exclusivement technique, a depuis longtemps été voulue, travaillée, développée de façon remarquable dans notre école d'architecture de Genève. C'est cela la spécificité de Genève qu'il faut à tout prix sauvegarder. C'est cela l'essentiel -- plus que des problèmes, au premier degré, de structures -- dans la construction d'une école régionale en liaison étroite avec les diverses disciplines universitaires. Un argument puissant qui va dans le sens du maintien de l'école de Genève sont les relations que celle-ci a établies depuis très longtemps avec les diverses disciplines universitaires.

 Il y a aussi les faits matériels. Il n'est pas sûr qu'il soit bon de déplacer des centaines d'étudiants d'une ville à une autre. Peut-être le corps enseignant se déplacerait-il à moindres frais? Mais là, nous abordons un sujet qui dépasse un peu les députés puisqu'il concerne la gestion et l'intendance.

 Il n'est pas sûr -- et, à ce propos, j'aimerais bien entendre M. Föllmi tout à l'heure -- que les positions apparemment catégoriques, rigides et définitives de MM. Cotti et Ursprung ne donnent pas, malgré tout, une certaine ouverture à des positions intermédiaires entre leurs propositions et le maintien de ce qui est en place. S'il s'agit effectivement d'une centralisation fédérale avec les aspects pervers que l'on imagine, nous ne sommes, effectivement, pas d'accord. En revanche, s'il s'agit de partager les compétences, les énergies et les moyens, nous allons tout à fait dans cette direction. Il faut jouer sur le rapprochement évoqué tout à l'heure et qui a été entamé, ces dernières années, entre les deux écoles, mais évidemment pas par le biais d'une solution simpliste qui consisterait à biffer l'une ou l'autre des deux écoles. Pour ma part, j'ai entendu, il y a une dizaine de jours, le nouveau directeur de l'EPUL donner une interview à la radio romande et dire que, face à la situation et aux contraintes actuelles, il y avait, en réalité, plusieurs solutions. Il y avait, effectivement, celle de «barrer» l'une des écoles, celle de supprimer l'autre école, mais il y avait une troisième voie, et j'ai cru comprendre qu'il y était très favorable, qui va dans le sens, peut-être, de ce que vous proposez, mais dans une collaboration étroite.

  La présidente. Monsieur Sauvin, vous arrivez au bout de votre temps de parole.

 M. Alain Sauvin. Je termine, Madame la présidente. Maintenir nos compétences, mais sans lutte de territoire acharnée autant que stérile. Avec les réserves que je viens d'émettre sur le contexte dans lequel vous nous présentez l'affaire, notre groupe, dans sa majorité, vous soutiendra et certains d'entre nous s'abstiendront.

M. Hervé Dessimoz (R). Je ne renoncerai pas, car si les discours tenus jusqu'à maintenant ont fait preuve de beaucoup de sensibilité à l'égard de l'EAUG, et en cela je les respecte, ils omettent de postuler à l'ambition que nous devons porter à l'enseignement de l'architecture, à moyen terme, sur le plan de notre région.

 Il est piquant d'entendre cette plaidoirie en faveur de la décentralisation alors que Genève, il y a quelques semaines encore, appelait de ses voeux l'installation d'une maison de l'environnement sur son territoire, affirmant les vertus de la centralisation, du regroupement des compétences ou encore de la diminution des coûts de fonctionnement. Monsieur Joye, votre motion a le mérite de poser le débat sur l'avenir des structures académiques de notre canton ou de notre région, mais elle suscite, en ce qui me concerne, les remarques suivantes.

 Est-il crédible de créer un groupe de travail, puisque vous avez fait appel à Zurich, Lyon et Grenoble, pour aboutir à la mise sur pied d'un programme d'enseignement dont les activités se dérouleraient pour 50% à Genève et pour 50% à Lausanne? Est-il crédible de demander à plus de mille étudiants de séjourner deux ans à Lausanne, deux ans à Genève, puis de choisir leur lieu de diplôme? Est-il crédible de penser que les branches techniques pourraient altérer la créativité architecturale, les idéaux sociaux, urbanistiques et esthétiques propres, selon vos propres termes, à l'EAUG? Est-il crédible encore de penser que l'on renforcera la profession de l'architecte, face aux agressions répétées des entreprises générales ou intégrales, en morcelant de manière si peu nuancée le parcours académique? Je ne le crois pas et je ne voudrais pas que la lettre malheureuse adressée par M. Cotti à l'Etat de Genève donne prise à des réactions épidermiques et empêche de débattre des véritables enjeux d'un regroupement des deux facultés à Ecublens ou ailleurs. Je suis convaincu de la justesse, à moyen terme, de ce regroupement pour les raisons suivantes.

 Les équipement de l'EPFL sont encore à construire pour le département d'architecture, ce qui ne donnera pas préséance à la faculté de Lausanne. Ces équipements seront en tous points conformes aux ambitions d'une profession, dont les exigences techniques progressent de plus en plus rapidement. L'apprentissage d'une plus grande collaboration avec les professions techniques suscitera le rapprochement de l'architecte et de l'ingénieur qui doivent s'unir pour s'imposer comme des partenaires indispensables des entrepreneurs généraux. La richesse des activités présentes sur un site tel celui d'Ecublens -- je cite : «les juniors d'entreprises, les pépinières d'entreprises, les centres de nouvelles technologies» -- sera porteuse d'une saine émulation pour les étudiants. Enfin, la mise en relation du savoir technique des architectes de l'EPFL avec le savoir plus culturel des architectes de Genève pourrait susciter une nouvelle génération de professionnels dont les compétences ne seraient, désormais, plus contestées. Je pense, Madame la présidente, que notre préoccupation, dans ce processus de redéfinition des compétences entre Genève et Lausanne, doit essentiellement garantir que les qualités reconnues des écoles de Lausanne et de Genève, tels le centre de recherche sur la rénovation et les trois autres centres évoqués dans la résolution de M. Joye soient maintenues et valorisées et non pas atténuées, comme le disait M. Sauvin, par un pouvoir centralisateur et fédéral.

 Sans conteste, les professeurs de Genève peuvent se déplacer à Ecublens sans perdre leur dignité et leur respectabilité. Notre préoccupation doit être de créer une structure d'enseignement qui dépasse les intérêts des uns et des autres, qui dépasse les intérêts régionaux et qui ait, pour seul postulat, l'excellence des futurs architectes romands. C'est la raison pour laquelle il apparaît important au parti radical que cette résolution soit renvoyée en commission d'université pour que nous en fixions l'ambition

réelle et qu'elle serve vraiment de ligne de conduite dans un débat sur la définition d'un programme commun, d'une base commune, de l'enseignement donné par les écoles de Lausanne et de Genève.

M. Philippe Joye (PDC). Je n'ai aucune attitude négative à l'égard ni des ethnologues, ni des urbanistes, ni des historiens d'art qui pourront vous confirmer que notre politique est une politique ouverte. Je prétends que la ville n'appartient à personne, ou plutôt qu'elle appartient à tous ceux qui la font, à tous ceux qui l'habitent. J'ai fait simplement un relevé de certaines tendances se manifestant et je les ai décrites. Je dois vous dire que M. Ursprung a écrit des textes sur les architectes qui laissent rêveur, puisqu'il propose, purement et simplement, de changer complètement l'orientation de la profession de la construction en la centrant sur les ingénieurs plutôt que sur les architectes. Il s'agit là d'une tendance fortement marquée.

 Je passe à la lettre de M. Cotti. Celui-ci n'est pas du tout un méchant, mais je pense qu'il a écrit une lettre extrêmement violente, courte et apparemment très libre. La rigueur financière de cette lettre a toutefois eu le mérite d'exposer aux universitaires la façon dont on peut faire des économies. Et, par rapport à ces dernières, la lettre de M. Cotti place la barre très haut. Cela signifie qu'elle empêche les universitaires de venir avec des plans de travail dans lesquels on ferait des petites diminutions, dans lesquels on transférerait des éléments de certaines facultés dans d'autres facultés, cela pour tout arranger et se retrouver finalement à 50,5 au lieu de 50,4 professeurs. M. Cotti a dit très clairement qu'il faut «couper» drastiquement et, en ce sens, sa lettre est intéressante. Enfin, je voudrais dire que je n'ai jamais déclaré, Monsieur Dessimoz, qu'il fallait faire des groupes de travail entre Genève, Lyon, Ouagadougou et n'importe où. J'ai dit qu'il serait intéressant de promouvoir une collaboration accrue entre différentes cités, car -- et il ne faut pas prendre ma résolution à la lettre à ce sujet -- la distribution des rôles ne doit pas être faite par des gens qui ne connaissent pas le problème et qui ne sont pas des universitaires.

 Vous dites, Monsieur Dessimoz, qu'il est difficile d'étudier deux ans à Genève et deux ans à Lausanne. Je pense que le futur professionnel vous démontrera que nos enfants iront probablement deux ans à Hong-Kong, six mois à Nairobi, trois ans à Zurich et deux ans à Genève.

 Je termine en disant que pour la première fois nous sommes placés devant un cas de figure intéressant: la fusion de facultés à équipements légers. Jusqu'à maintenant, nous avons parlé de l'école de pharmacie -- le flop a été patent -- de centres d'excellence du foie implantés à Genève en collaboration avec le CHUV, et c'est normal que l'on procède, en l'occurrence, à une séparation verticale. Mais, dans le domaine qui nous préoccupe, nous devrions, sur le plan romand, promouvoir une collaboration horizontale qui se répétera dans toutes les facultés. Ce type de collaboration sera plus proche de la structure de notre pays et permettra aux petites unités de survivre.

Mme Françoise Saudan (R). Je partage la dernière préoccupation de mon collègue Philippe Joye. Malheureusement, cet exercice, nous aurions dû le faire il y a dix ans et non pas sous les pressions financières actuelles.

J'ai un autre souci qui est celui des problèmes qui vont se poser au canton de Genève. Chaque fois que nous serons confrontés aux mêmes choix, chaque fois, nous aurons d'excellentes raisons de maintenir telle ou telle activité. Chaque fois, Genève dira tout à moi, rien aux autres ou, éventuellement, partageons avec les autres. Il n'y a pas que Genève et Lausanne, il y a Genève, Lausanne, Neuchâtel et Fribourg.

 D'ores et déjà, la formation des journalistes est assurée à Neuchâtel. Les professeurs, les étudiants se déplacent à Neuchâtel. Cet exercice, nous devrons le faire dans bien des domaines si nous voulons véritablement mener une politique régionale. Reste à savoir si nous aurons le courage de le faire et le choix nous en est donné ce soir.

Mme Erica Deuber-Pauli (T). A la suite de ce que vient de dire notre collègue Françoise Saudan, je voudrais rappeler qu'il ne s'agit pas de créer une école d'architecture à Genève. Il s'agit de prendre acte de ce que représente pour nous cette école d'architecture qui existe, du rôle qu'elle joue depuis sa création, irriguant le tissu social de la réflexion et de la compétence nécessaires, et de savoir, en définitive, si on veut brader ce patrimoine.

 Nous n'avons jamais eu d'école de journalistes et le fait que cette école ait été créée hors nos murs est une très bonne chose. En revanche, nous avons une école d'architecture. Cette école a fait depuis dix ans, Madame Saudan, un chemin très important vers la coopération. Elle n'a pas attendu

ce débat pour y réfléchir. Aujourd'hui, nous devons faire un pas de plus. Ce pas, les universitaires sont prêts à le faire pour déboucher sur des économies substantielles. Mais de grâce ne bradons pas un héritage qui est là et dont la disparition ferait perdre à Genève une quantité non négligeable de possibilités d'interventions, de productions et de travail.

 Il ne s'agit pas de s'opposer à une coordination et à une fusion partielles, mais d'éviter de perdre un patrimoine. C'est tout à fait différent et vous le savez parfaitement. L'idée de la concentration en matière scolaire ne marche pas. Pour avoir exercé dans l'université française, je puis vous dire qu'il est particulièrement dur d'enseigner à six cents étudiants dans une salle de cours. Si c'est ce que vous voulez, dites-le franchement, et sachez que c'est une attitude extrêmement antimoderne.

M. Maurice Giromini (R). Je ne partage pas l'avis des deux intervenants de mon parti. On ne peut pas raisonner simplement de façon technique. Le problème de l'école d'architecture à Genève et à Lausanne n'a rien à voir avec l'école de pharmacie. Cette dernière est une école technique qui peut être suivie dans les mêmes conditions aussi bien à Genève qu'à Lausanne.

 A Genève, l'école d'architecture a fait naître une culture qui n'a cessé d'évoluer. On parle de cette école comme si on était encore en 1968. Vingt-cinq ans ont passé depuis et beaucoup de choses ont changé. Ces dix dernières années, l'EAUG a fait de gros efforts, elle a considérablement évolué. D'autre part, la vocation de l'école de Lausanne est essentiellement technique, technologique et, à mon avis, l'architecture est un ensemble. Elle nécessite des ingénieurs et des techniciens à la base, mais également le développement d'un côté purement artistique que Genève a parfaitement su faire évoluer.

 Nous parlons beaucoup de collaboration entre Genève et Lausanne, en particulier, et la Romandie, en général. Nous avons ici l'opportunité d'une collaboration et pas seulement celle d'une séparation. Pourquoi brader tout ce qui a été fait à Genève de positif pour le transférer dans une école essentiellement technique? Je sais qu'à Lausanne beaucoup d'étudiants en architecture sont rebutés par la technicité de l'EPFL et que d'autres, qui possèdent une sensibilité artistique et souhaitent une plus grande ouverture, vont à Genève tout en sachant qu'il manquera certains éléments à leur formation.

 Nous avons maintenant une occasion d'entreprendre une collaboration, d'améliorer ce qui se passe sur le plan romand et, par conséquent, j'appuie fermement la résolution de M. Joye et vous demande de la suivre.

  La présidente. Nous débattons du sujet depuis une heure. Je vous informe que nous avons décidé de finir l'ordre du jour. Je vous demande donc de modérer la longueur de vos interventions.

M. Bernard Annen (L). Ce soir, les choix seront difficiles! Il est évident que nous devrons les opérer, Mme Saudan l'a rappelé, mais ce dans tous les secteurs de l'économie et de la formation. Bien que partageant certaines de vos préoccupations, je dis, Monsieur Joye, que ce serait faire injure à d'autres secteurs, qui risquent la même concentration, que de ne pas étudier au moins votre résolution en commission. Sinon, il ne nous restera plus qu'à demander le non-renvoi en commission d'une prochaine motion de même nature pour ne pas donner l'impression que nous privilégions un secteur par rapport à d'autres.

 Il est de notre responsabilité que ces choix soient pondérés et bien étudiés. Dans certains domaines, nous sommes d'accord avec vous. Dans d'autres, il faudra procéder à des choix souvent difficiles et ils devront être faits en commission. C'est l'avenir de ce souci de principe qui est en jeu. Je vous suggère d'être raisonnables et de renvoyer cette résolution en commission.

M. René Koechlin (L). Je serai extrêmement bref. L'on peut faire le choix d'un manichéisme de bon ton et autoritaire, tel que le préconisent Mme Saudan et M. Ursprung, c'est-à-dire la suppression pure et simple d'une école au profit d'une autre. Il y a une autre solution, beaucoup plus nuancée, qui constitue l'autre terme de l'alternative. Elle est plus conforme à la tradition éminemment helvétique de l'art du compromis. Le mouvement est déjà en route, les autorités universitaires s'étant depuis longtemps consultées pour rechercher ce compromis qui va dans le sens des économies voulues.

 Je suis donc très surpris qu'autant de personnes se soient exprimées pour la solution manichéenne et autoritaire, parce que c'est vraiment contraire à l'esprit de leurs discours habituels. Par ailleurs, je pense qu'il est

inutile de discuter de cette résolution en commission, car tout s'est dit au cours de cette séance. C'est la raison pour laquelle je vous propose de voter pour ou contre à cette résolution, mais de voter tout de suite.

M. Dominique Föllmi, conseiller d'Etat. Il est vrai que vous êtes en train de consacrer du temps au sujet de la formation, mais les enjeux, permettez-moi de vous le dire, sont majeurs. Pourquoi? Parce que nous sommes maintenant devant le premier cas concret concernant la stratégie qu'il convient de mener sur le plan de la formation supérieure en Suisse. Le canton de Genève est un élément important de ce réseau relatif à la formation supérieure en Suisse. La réputation de notre université n'est plus à faire. Elle est reconnue, ancienne, historique et, par conséquent, il importe de savoir où vous voulez aller, vous, Mesdames et Messieurs les députés, représentants de Genève. Deux thèses sont en présence.

 D'abord, la thèse de la Confédération soutenue par le secrétaire d'Etat, M. Ursprung, appuyé par le Conseil fédéral et par notre ministre des tutelles, M. Flavio Cotti, chargé du Département de l'intérieur. Quelle est cette thèse? C'est la concentration en Suisse de la formation supérieure par centres d'excellence. Cela veut dire que l'on reprend les cartes déjà existantes en matière de formation supérieure et qu'on les redistribue par centres d'excellence, c'est-à-dire de manière centralisée. Berne dira où placer tel ou tel centre d'excellence, parce que c'est la Confédération qui déterminera ce qu'est un centre d'excellence et quel est son emplacement. Nos universités sont des universités cantonales. Elles ont un rôle historique, elles sont implantées dans un tissu social, et l'on ne peut pas, sans autre, redistribuer les cartes dans le système fédéral qui est le nôtre.

 Cette première thèse sous-entend une pression. Comment fait-on pour exercer une pression? En jouant de l'aspect financier qui vous permet de mener une politique, et la Confédération s'y emploie.

 La deuxième thèse est celle que je défends. C'est la thèse du réseau des compétences; c'est une démarche qui permet de tenir compte de l'implantation d'une formation supérieure dans son tissu historique et, par la même occasion, de regrouper un certain nombre de secteurs, de supprimer les doublons et de faciliter le déplacement des étudiants et des professeurs. Cette structure permet de créer des diplômes uniques, des formations

uniques, mais en tenant compte des compétences et sans nécessairement déplacer tout le réseau. Quel est l'avantage de cette démarche? Elle évite d'abord des bouleversements qui, dans notre pays, déclenchent des blocages immédiats parce que notre système démocratique permet à tous les milieux de s'exprimer, tels le corps enseignant, les étudiants, les lobbies professionnels.

 Nous ne sommes pas en France dont le système jacobin centralisateur permet de donner des ordres depuis Paris et de déplacer ainsi des secteurs entiers, quitte à envoyer les étudiants se former dans un département autre que le leur. Nous n'avons pas cette tradition et ne pouvons pas appliquer ce système à la Suisse. C'est impossible! Cela provoquerait des oppositions, des manifestations, et nous empêcherait d'avancer. M. Cramer a parfaitement raison, il a bien illustré la situation. Les restructurations se font «avec» dans notre système politique suisse! Avec les étudiants et le personnel, et pas contre eux, sous peine de subir tous les blocages. Il faut en tenir compte. Le système du réseau permet d'avancer étape par étape, de résoudre de nombreux problèmes tout en maintenant les compétences respectives dans leur tissu naturel. Je citerai un projet exemplaire que vous avez approuvé à l'unanimité. C'est le projet «CIM»organisé sur le plan romand et dont Genève est une des composantes importantes, grâce à ses compétences.

 Venons-en maintenant à ce premier cas de figure qu'est l'école d'architecture. J'ai demandé au rectorat d'analyser l'ensemble des situations, afin que l'on puisse, effectivement, reprendre des études, procéder à des estimations -- un système d'évaluation est en cours dans toutes les facultés à l'heure actuelle -- et voir comment mettre en oeuvre des réseaux avec les autres universités romandes pour supprimer les doublons et réaliser des économies. L'école d'architecture est un bel exemple et j'aimerais rappeler la situation actuelle qui a été analysée par le rectorat et l'EPFL. Des doublons ont été constatés, de même que des lacunes dans l'organisation de l'enseignement, les sciences humaines étant plus développées à Genève et les sciences techniques plus à Lausanne. La même analyse a démontré que dans chaque école l'environnement scientifique, technique, social ou culturel était par trop restreint et qu'il s'agissait d'unir les forces; que deux formations en architecture étaient de trop et qu'il fallait, par conséquent, trouver des solutions.

 L'école de Genève et le département d'architecture de Lausanne se sont mis au travail, avec la participation du corps enseignant et des autorités universitaires respectives. Ils ont émis deux hypothèses. La première consistait à imaginer une fusion des deux formations soit à Genève, soit à Lausanne. Genève ne disposant pas du potentiel voulu pour accueillir les étudiants de Lausanne -- ils sont sept cents contre trois cent quatre-vingt chez nous -- la fusion devait nécessairement avoir lieu à Lausanne.

 La deuxième hypothèse portait sur la mise en réseau de nos moyens, de nos ressources, et la suppression des doublons. La fusion présentant des inconvénients majeurs, elle a été écartée et c'est la mise en commun des ressources qui a prévalu. Un projet a été rapidement mis sur pied. Pour atteindre l'objectif recherché, il vise à créer une seule formation d'architecte en Suisse romande, un seul plan d'études entre Lausanne et Genève, une seule section d'architecture, un seul diplôme «Ecole polytechnique et université de Genève» et le partage de la formation entre les deux écoles. Les deux premières années se dérouleraient à Lausanne, avec la collaboration de professeurs de l'université de Genève, et les deux dernières années d'études se répartiraient, selon les choix, entre Lausanne et Genève. Ce projet prévoit le déplacement des étudiants, du corps professoral et des collaborateurs de l'enseignement entre les deux villes. Ainsi serait créé un campus Genève-Lausanne.

 Voilà la proposition qui a été faite. Elle est intelligente, réalisable; elle ne provoquera pas d'oppositions majeures et cumule tous les avantages: la suppression des doublons et la mise en valeur des compétences des deux écoles. Grâce aux ressources ainsi dégagées, Genève pourra promouvoir une formation allant jusqu'au doctorat et, par conséquent, acquérir une qualité supplémentaire avec le label «Ecole polytechnique-université de Genève». C'est le rêve, Mesdames et Messieurs les députés.

 Ce projet a convaincu le département d'architecture de Lausanne et le président de l'EPFL, le professeur Vittoz, également. Mais au mois de juillet 1992, le président du conseil des deux écoles polytechniques, le professeur Crottaz et moi-même avons été invités à nous rendre à ce propos chez le secrétaire d'Etat, M. Ursprung. Nous avons exposé nos thèses et les avons défendues ensemble. Le professeur Crottaz était particulièrement satisfait de cette solution. M. Ursprung nous a dit: «Ce projet ne correspond

pas à ma thèse. Il faut tout concentrer, soit à Lausanne, soit à Genève. Il faut supprimer l'une des deux écoles». Actuellement, les deux thèses se confrontent bel et bien et l'école d'architecture illustre le premier cas de figure.

 Au mois de septembre, le conseil des écoles polytechniques s'est réuni et j'ai reçu une lettre du professeur Crottaz m'informant qu'il ne pouvait pas suivre, finalement, la proposition de Lausanne et de Genève, désavouant, en quelque sorte, le responsable de l'EPFL. J'ai immédiatement pris contact avec le président du conseil des écoles, le professeur Crottaz, et nous avons tenu une séance à Genève avec le recteur de l'université. Nous renversons la situation, un procès-verbal est rédigé et, finalement, M. Crottaz suit nos propositions, revenant sur la teneur de sa lettre. Alors que nous nous apprêtions à passer au stade de la mise en oeuvre du projet, je reçois la lettre de M. Cotti qui me suggère de fermer l'école de Genève pour tout regrouper à Lausanne.

 Contrairement à ce que vous pensez, il ne s'agit pas d'un simple transfert. (Protestations de M. Lombard.) Non, Monsieur Lombard, ce n'est pas un transfert entre Genève et Lausanne. C'est un transfert des étudiants et le licenciement du personnel. Ce n'est pas de cette façon que l'on conçoit l'organisation universitaire en Suisse en général et en Suisse romande en particulier. Le projet est bon. Je le défendrai, car il répond à vos préoccupations, il répond à vos invites réclamant, sur le plan romand, une meilleure coordination, la suppression des doublons, l'utilisation des compétences respectives. Avec le rectorat de l'université de Genève, j'ai strictement respecté vos invites. A aucun moment vous nous avez demandé de supprimer des formations à Genève et de licencier le personnel.

 Voilà le contexte dans lequel nous nous trouvons. Nous devions mettre ce projet en oeuvre pour la prochaine rentrée universitaire et nous ne le pouvons pas, parce que bloqué par la Confédération. Aujourd'hui encore, j'ai eu un téléphone avec M. Cotti. Je lui ai demandé un entretien qui me sera accordé. Ainsi, le combat continue. Nous sommes au coeur du problème et c'est la raison pour laquelle il importe, aujourd'hui, de savoir si vous soutenez nos efforts et ceux de l'université de Genève. Sans reprendre tout le développement du projet tel que l'avez parfaitement décrit. Je crois, Madame Deuber-Pauli, avoir répondu à votre interpellation.

 Il faut que nous ayons votre appui dans cette confrontation avec la Confédération qui a l'intention de diminuer son aide à la formation et à la recherche universitaires. En Suisse, il n'y a pas de lobbies pour les hautes écoles et les chercheurs universitaires. Par conséquent, c'est un secteur «à risques» face aux restrictions et économies budgétaires. Tels sont les enjeux ce soir.

 Quant à la résolution de M. Joye, je la soutiens. Si vous le désirez, vous pouvez, bien sûr, la renvoyer à la commission de l'université. Je donnerai alors toutes les explications souhaitées. Vous aurez peut-être plus confiance dans le projet tel qu'il a été défini par l'EPFL et l'université de Genève, et je vous remercie de votre appui.

I 1848

L'interpellation est close.

R 251

Cette résolution est renvoyée à la commission de l'université.