Séance du
vendredi 15 janvier 1993 à
17h
52e
législature -
4e
année -
1re
session -
3e
séance
R 252
Débat
M. Gérard Ramseyer (R). Le président Mitterand utilise parfois une jolie expression: «Il faut laisser le temps au temps». Je crois que cette maxime s'applique parfaitement en l'espèce. Nous avons tous été déçus de la décision populaire funeste du 6 décembre, encore qu'il soit téméraire de qualifier de funeste une décision du peuple souverain. Apaisé le tumulte de cette votation, nous avons accueilli avec sympathie, par exemple, la manifestation des jeunes à Berne. Nous avons lu avec gratitude une presse quasi unanime pro-européenne et nous avons surtout enregistré le travail gigantesque accompli par deux conseillers fédéraux romands, MM. Delamuraz et Felber. Mais n'avez-vous pas le sentiment que le moment est venu de laisser le temps au temps?
Première remarque. Nombre d'hommes politiques éminents, Européens convaincus, ont jugé habile d'attacher d'emblée le wagon de la Communauté européenne à la locomotive de l'Espace économique européen. A mon sens, ils ont commis une faute politique, ou du moins ont-ils manqué de sens politique, et il serait préjudiciable à leur cause de recommencer. Je les invite à plus de doigté, à un sens des nuances mieux affiné pour le bien des objectifs qu'ensemble nous partageons.
Deuxième remarque. Le tumulte retombé, le temps de la réflexion est venu. Et surtout, que cesse cette attitude d'autoflagellation dans laquelle se complaît notre pays! Après tout, le score suisse est à un petit pourcentage près le score français ou le score danois. Si, par exemple, les Français avaient dû voter par départements, l'échec aurait été le même. Il me semble donc vraiment souhaitable que l'on cesse, à tous les niveaux de la politique de ce pays, de s'autoflageller de la sorte.
Troisième remarque au sujet de l'article 9 de la Constitution. Ne m'en veuillez pas de dire que cette référence a un côté quelque peu enfantin. Pour négocier, il faut être deux! Si je suis bien informé, jamais la France, par exemple, n'accepterait de négocier avec des cantons. Un pays négocie au minimum avec un autre pays, de sorte que la troisième invite me paraît vaine.
En conclusion de cette motion et de la résolution dont nous parlons...
La présidente. La motion n'est pas en discussion, Monsieur Ramseyer!
M. Gérard Ramseyer. La résolution a un côté positif: celui de démontrer notre volonté politique d'être européens. Mais je ne la soutiendrai pas parce qu'elle me donne l'impression d'un saut de cabri sans grande portée. Je m'abstiendrai simplement parce que le moment est venu de laisser le temps au temps. C'est une attitude qui ne s'accommode pas d'impulsions primesautières de parlementaires, aussi bien intentionnés soient-ils.
Mme Martine Brunschwig Graf (L). C'est bien parce que nous souhaitons laisser le temps au temps que cette résolution, qui au goût de certains était trop timorée, est une résolution qui finalement s'impose, particulièrement si vous songez que ce parlement, avant le vote du 6 décembre dernier, avait souhaité voter sur un rapport du Conseil d'Etat -- ce qui ne se fait pas d'habitude -- pour exprimer sa volonté par rapport à ce vote du 6 décembre.
Aujourd'hui, que fait-il? Ce même canton exprime, après le vote du 6 décembre, le soutien qu'il continue à apporter et au Conseil fédéral et aux parlementaires fédéraux qui doivent oeuvrer dans le domaine de la politique de coopération et d'intégration européenne. C'est l'intention de cette résolution. Elle n'est ni précipiter les événements, ni faire des sauts de cabris, Monsieur Ramseyer, j'en serais bien incapable pour ma part!
Une voix. Tu te sous-estimes!
Mme Martine Brunschwig Graf. On ne se refait pas! Elle vise simplement à fournir un appui parlementaire et une base politique pour ceux
qui doivent se battre au front. On nous a d'ailleurs laissé entendre que cette résolution était souhaitable, y compris pour le maintien de la demande d'ouverture de négociations, comme vous avez pu le lire dans la presse. Alors, je ne crois pas que nous soyons en péril en votant cette résolution, ni que nous soyons en retard, pas plus que nous révolutionnions quoi que ce soit. C'est un simple acte politique cohérent et semblable à celui que vous aviez fait avant la votation du 6 décembre. C'est la raison pour laquelle les six groupes qui étaient d'accord sur l'EEE, voté le 6 décembre, ont signé cette résolution par le biais de leur chef de groupe.
M. Philippe Joye (PDC). A propos de cabris, je vous informe que nous ferons à 19 heures un concours de sauts de cabris avec M. Ramseyer. Tous ceux qui s'estiment juvéniles et primesautiers dans ce Grand Conseil y sont invités! J'y serai évidemment! (Rires.)
Hier, j'ai donné les trois raisons pour lesquelles une motion de ce genre mérite d'être conservée. Premièrement, nous devons témoigner vis-à-vis de l'étranger de la vivacité de notre attachement à l'Europe. Deuxièmement, nous courons le risque de voir passer des idées exprimées publiquement en Suisse allemande et de faire ainsi renoncer notre pays à sa demande d'entrée dans la Communauté. Troisièmement, nous voulons trouver des solutions régionales adéquates.
J'en ajoute une quatrième. Avec mon collègue Torrent et le député Poncet, qui tel une étoile filante vient d'apparaître au firmament de ce Grand Conseil, j'ai déposé au mois de mars 1990 une motion: «Horizon 2000» proposant l'adoption à Genève de la directive concernant la reconnaissance des diplômes. Je pense que nous pourrions insérer cette proposition très concrète dans le deuxième volet de cette résolution. Je vous propose donc de voter cette résolution et, dans une séance ultérieure, de voter notre motion, ce qui nous permettrait d'aller de l'avant.
M. Philippe Fontaine (R). Mon collègue Ramseyer est libre de penser ce qu'il veut. Pour ma part, vous imaginez bien que je ne partage pas son avis.
Il nous paraît important, au contraire, de soutenir cette résolution, ne serait-ce que pour confirmer le résultat extraordinaire que les Genevois ont obtenu. Nous avons à Genève une vocation internationale certes, mais nous avons d'abord et avant tout une vocation européenne. Nos citoyens l'ont montré le 6 décembre dernier, raison pour laquelle je vous invite à voter résolument cette proposition.
M. Alain Rouiller (S). J'aimerais apporter le soutien du groupe socialiste à cette résolution. Il est important que les cantons favorables à l'EEE confirment clairement leur position. C'est un signal politique important de notre parlement pour permettre au Conseil d'Etat de soutenir le Conseil fédéral. C'est aussi une façon d'exprimer à la jeunesse, qui s'est mobilisée en faveur de l'EEE, que le parlement poursuit toujours le même objectif.
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Le Conseil d'Etat tient à dire brièvement ici qu'il adhère, dans la mesure où cela serait de sa compétence, à l'objectif de cette résolution, cela sans réserve aucune. Il faut être très clairs sur le contexte politique dans lequel nous nous trouvons aujourd'hui.
Lorsqu'au soir du 6 décembre le Conseil fédéral a dit que toutes les options demeuraient ouvertes, nombreux sont ceux qui ont compris que c'était une manière diplomatique d'affirmer qu'il ne voulait pas retirer sa demande d'ouverture de négociations en vue d'une adhésion. Vous aurez observé, en prenant connaissance du résultat de la conférence d'un parti pourtant gouvernemental sur le plan fédéral, qu'en réalité, parmi les options ouvertes, il en est d'aucuns qui continuent d'affirmer que «l'Alleingang» est une option ouverte. Il est donc politiquement indispensable de maintenir ce que j'appelle un état suffisant de tension pro-européenne.
Dans le débat politique de ce pays, si l'on veut véritablement achever de creuser plus profondément encore les fossés qui ont pu être révélés entre certaines régions, entre les villes et les campagnes, entre les générations, alors il faut baisser les bras et décevoir toutes celles et ceux qui se sont mobilisés dans cette fantastique opération du 6 décembre. Nous n'avons tout simplement pas le droit -- politiquement parlant, bien entendu -- de lâcher et de se désintéresser des jeunes. Après tout -- c'est être lucides que de le reconnaître -- il n'est pas si fréquent que cela de constater un tel degré d'unisson entre la jeunesse et la classe politique dans nos cantons romands sur un sujet politique aussi fondamental. C'est un terreau fertile que nous avons le devoir politique de faire fructifier, sans démagogie mais avec un grand sens des responsabilités.
Voilà les raisons pour lesquelles il est nécessaire d'engager et d'encourager des initiatives de ce type de façon à ce que le Parlement fédéral qui sera le destinataire de cette résolution soit bien conscient qu'un certain nombre de cantons ne veulent pas baisser les bras.
A cet égard, Monsieur Ramseyer, permettez-moi de vous dire que je ne partage pas votre avis à propos de l'une de vos observations. Heureusement, le Conseil fédéral -- et c'est ce que nous souhaitions -- a déposé avant le 6 décembre, au mois de mai l'année dernière, une demande d'ouverture de négociations en vue d'une adhésion. S'il ne l'avait pas fait, il ne pourrait plus le faire maintenant, politiquement parlant. Or c'est aujourd'hui le seul point qui nous relie à la Communauté, même si, évidemment, il n'est pas utilisable à court terme. Sur ce plan, vous avez raison, il faut donner du temps au temps pour que la diplomatie helvétique pro-européenne atteigne ses objectifs.
En effet, la Commission de Bruxelles, la Communauté en tant que telle, sait que le Conseil fédéral -- il a eu raison de l'affirmer et il l'a confirmé mercredi dernier -- veut maintenir cette demande d'adhésion, même si des négociations ne peuvent de toute évidence pas s'ouvrir dans l'immédiat. Si le Conseil fédéral n'avait pas eu le courage de le faire, nous nous trouverions aujourd'hui dans un isolement encore plus fatal que celui que nous connaissons, car au moins il nous reste un lien psychologique, et ce lien a une signification politique extrêmement importante.
M. Hermann Jenni (MPG). Je pense que M. Ramseyer a parfaitement raison. (Aahh général.)
Ayons la modestie de remettre quelquefois en question ce sentiment de supériorité et cette certitude d'avoir toujours raison qui nous caractérisent nous autres Romands et plus particulièrement nous les Genevois. Quelle est la chose la plus importante pour nous, Suisses? Notre cohésion interne ou l'entrée précipitée dans un organisme européen auquel nous serons certainement intégrés un jour, mais qui doit corriger ses structures?
En donnant du temps au temps et en faisant un peu attendre le pactole helvétique qu'attendent ouvertement les partenaires avec lesquels nous négocions cette entrée dans l'Europe, nous pourrons favoriser et peut-être même accélérer ces réformes nécessaires de cette organisation européenne excessivement centralisatrice et bureaucratique. Mais, de grâce, ne prêtons pas la main à des manoeuvres qui pourraient conduire à des ligues séparatistes parce que certains cantons sont en désaccord avec la majorité. Ne créons pas un nouveau «Sonderbund»! Laissons du temps au temps!
M. Jean-Philippe Maitre, conseiller d'Etat. Monsieur Jenni, je crois que vous avez apparemment oublié, s'agissant du seul contexte genevois, que 78% de nos concitoyennes et concitoyens ont soutenu la thèse de l'adhésion à l'Espace économique européen. Il y a dès lors une certaine arrogance à gloser sur ceux qui prétendraient avoir raison. Le peuple nous a donné un mandat extrêmement clair et il est évident que les liens très profonds et sincères qui nous attachent à la Confédération nous conduisent à rechercher les formes de cohésion les meilleures possibles.
Dans ce sens, nous apprécions que la résolution ait été rédigée de manière très modérée parce qu'elle permet ainsi d'aller de l'avant avec cohérence. Je vous dis, Monsieur Jenni, que nous pourrons maintenir la cohésion à la seule condition de ne pas lâcher les personnes qui se sont mobilisées pour cette cause, qui est une belle cause. Je pense particulièrement aux jeunes auxquels nous devons rester attentifs. (Applaudissements.)
Mise aux voix, cette résolution est adoptée.
Elle est ainsi conçue: