Séance du jeudi 14 janvier 1993 à 17h
52e législature - 4e année - 1re session - 2e séance

RD 174
8. a) Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil concernant la politique régionale. ( )RD174
M 841
b) Proposition de motion de Mmes et MM. Nicolas Brunschwig, Fabienne Bugnon, Liliane Johner, Philippe Joye, Alain Rouiller et Françoise Saudan concernant le vote sur l'Espace économique européen et la coopération transfrontalière. ( )M841

Débat

M. Claude Haegi, conseiller d'Etat. En ce qui concerne le rapport du Conseil d'Etat sur la politique régionale, nous avons procédé d'une façon un peu particulière dans la mesure où nous nous sommes rendus en commission pour l'étudier. C'est un rapport dont le contenu est bien connu des députés membres de la commission des affaires régionales. Ils ont reçu des informations sur un certain nombre de points et ont pu, depuis quelques mois, procéder à des auditions qui leur ont apporté des éclairages intéressants.

 Toutefois, depuis le dépôt de ce rapport, quelques faits nouveaux sont apparus. J'aimerais d'abord relever ceci: en ce qui concerne l'aménagement du territoire, il a été souvent dit, et à juste titre, qu'une politique transfrontalière n'était sérieuse que s'il y avait une véritable concertation au niveau de l'aménagement du territoire. Je crois que lors de la dernière réunion du comité régional franco-genevois, qui s'est tenue au mois de décembre dernier, nous avons, avec ce document intitulé «Plate-forme concertée franco-genevoise d'aménagement du territoire», franchi indiscutablement une étape qui nous conduit à une réflexion commune sur un territoire transfrontalier.

 Cela implique que nous acceptions que le voisin porte un jugement sur un ouvrage que nous pourrions réaliser mais qui pourrait avoir une influence sur son territoire. Cela implique surtout une évolution des mentalités qui constituent la frontière la plus importante, la plus spectaculaire et la moins franchissable. Cet aménagement du territoire concerté, voulu par les autorités tant préfectorales que départementales françaises, au niveau du Comité régional franco-genevois -- c'est-à-dire la Haute-Savoie, l'Ain et le canton de Genève -- est un principe qui a été retenu au niveau de la région lémanique. C'est la raison pour laquelle nous établissons aujourd'hui une cartographie de la charge sur le territoire de l'ensemble de la région lémanique. Sont ainsi impliqués les trois cantons suisses riverains et les deux départements français que je citais tout à l'heure. Indiscutablement, les choses changent.

 En effet, nous ne pouvons pas avoir des projets sérieux si nous n'examinons pas l'avenir de cette région de cette façon. Après le 15 juillet 1992, date du dépôt de ce rapport, il y a eu le refus par le peuple suisse de l'Espace économique européen. Dès lors, ne pouvant plus nous entendre avec toute l'Europe, nous nous sommes demandé comment renforcer nos accords avec nos voisins immédiats. C'est la raison pour laquelle -- je simplifie les choses volontairement et, à cet égard, M. Maitre pourra vous apporter quelques précisions puisque vous traitez du point 44 simultanément -- nous avons admis avec nos voisins français de travailler à une utopie que nous espérons momentanée et qui consiste à définir des principes de concertation entre la France et la Suisse qui correspondent à la volonté des populations demeurant de part et d'autre la frontière, c'est-à-dire que l'on puisse vivre en quelque sorte un espace économique régional transfrontalier.

 L'exercice n'est pas aisé. Nous avons des dispositions constitutionnelles qui nous offrent quelques possibilités, mais celles-ci sont restreintes. Nous avons aussi une convention du Conseil de l'Europe, signée par la France et la Suisse, qui nous encourage à aller dans le sens souhaité par ceux d'entre vous qui avez notamment rédigé motions et résolutions nous suggérant de travailler de cette manière.

 J'aimerais encore souligner ceci: bien avant le 6 décembre, dans la construction européenne, indiscutablement la dimension régionale a été traitée différemment. Ayant eu l'occasion d'entendre le président Jacques Delors à la fin du mois décembre, après que la Suisse se fut exprimée sur l'Espace économique européen, nous avons constaté que le principe de subsidiarité a évolué très sensiblement. Auparavant, ce mot n'était jamais utilisé et, quand il l'a été, il ne l'a été que dans le sens d'un principe de subsidiarité partant du haut pour aller vers le bas. Mais, progressivement, l'on comprend que l'on ne construira pas l'Europe si l'on n'y associe pas très largement les populations.

 C'est dire que les différents niveaux politiques doivent être pris en compte, la commune et la région notamment. L'évolution est spectaculaire, la dimension régionale ayant été largement traitée lors de la dernière rencontre de la communauté à Edimbourg. Je puis vous dire que, dans les instances européennes, il y a une véritable mobilisation pour une construction européenne qui ne soit pas une construction européenne centralisée et administrative, car l'on veut réaliser quelque chose de différent. C'est ce quelque chose de différent auquel nous pouvons participer, signataires ou pas de la convention qui a été refusée par le peuple suisse.

 Au niveau des informations par rapport à la date du dépôt de ce rapport, il y a encore un autre événement. Si l'année dernière nous avons eu la satisfaction, par rapport aux demandes que nous formulions, d'assister à une prise de position des autorités françaises concernant Creys-Malville qui avaient décidé de ne pas envisager le redémarrage sans une procédure complète depuis quelques semaines, le dossier est à nouveau ouvert. Aussi, je vous signale que nous avons pris contact avec notre avocat français à ce sujet, et que nous suivons ce dossier pour intervenir, le cas échéant, en tenant compte des dispositions de la constitution genevoise.

 Je terminerai sur ce point en disant qu'il s'agit aujourd'hui de passer d'une démarche technocrate à une démarche démocrate en matière de

politique régionale. On a dit parfois que c'était une affaire d'experts, et, pour modifier les choses, on a imaginé un certain nombre d'institutions qui pourraient compenser ce déficit démocratique. Aujourd'hui, avec un certain nombre d'initiatives, nous tentons d'associer plus largement ceux qui s'intéressent à ce genre d'échanges.

 C'est dans cet esprit que nous rencontrons les différentes communes de notre canton. Nous avons créé trois zones et nous réunissons quinze communes à la fois pour établir un dialogue avec les autorités exécutives et les conseils municipaux de ces communes. Cela élargit la participation et va dans le sens de la démocratisation des rapports au niveau de notre région. Voilà ce que je pouvais ajouter par rapport à tout ce que vous saviez déjà.

M. Michel Jörimann (S). Dans la lettre qui accompagne le rapport sur la politique régionale dont nous discutons, datée du 4 septembre 1992 et distribuée à tous les députés, le chef du DIAR, M. Claude Haegi, précise bien:

«Ce rapport n'a rien d'un manifeste. Dans un premier temps, le gouvernement a essentiellement tenu à faire le point de la situation.»

 Nous voilà donc avertis. Il s'agit d'une sorte de radiographie. M. Haegi, dans sa lettre, parle de «photographie», et voilà justement où le bât nous blesse, nous, groupe socialiste. Une photographie, c'est un instant précis, figé pour l'éternité sur la pellicule. Notre groupe espère que la politique régionale du Conseil d'Etat n'est pas qu'un moment saisi dans son immobilité, mais qu'elle bouge, qu'elle évolue, qu'elle se transforme.

 Toujours dans la même lettre d'accompagnement du 4 septembre, M. Haegi souligne: «Ce document permet de regarder l'avenir avec réalisme». Il ne suffit pas, Monsieur le chef du département, d'être spectateur passif du futur, mais d'influer sur cet avenir. Toute proportion gardée, je qualifierai ce document, à l'instar du «discours sur l'Etat de l'Union des présidents des USA» de «Discours sur l'état de la politique régionale». En tant que tel, il répond exactement à la définition du mot «iscours» que nous donne les dictionnaires: «Manifestations écrites significatives d'un état des mentalités à une époque, concernant un domaine».

 En tant que tel -- et c'est notre seconde critique -- il nous semble manquer de prospective dans ses conclusions. Nouvelle citation, cette fois en page 139 du rapport: «Pour Genève, une politique active de relations interrégionales est nécessaire». C'est ce qu'on appelle un truisme. Même page: «Pour bâtir notre politique régionale, il faut adopter une certaine approche des problèmes». Vous avouerez que M. de La Palice n'aurait pas fait mieux... Mais aucune conclusion politique, comme on serait en droit d'en attendre d'un gouvernement faisant rapport au parlement sur un sujet aussi important...

 Monsieur Haegi, ce rapport contient des informations intéressantes, mais aussi des déclarations d'intention floues du style de: «Le Conseil d'Etat soutient l'idée que...», «Le Conseil d'Etat souligne que...», et comme j'ai lu les cent soixante et une pages du rapport en écoutant de la musique, la comparaison m'est tout naturellement venue à l'esprit: ce rapport est comme une partition qui exploite à fond toutes les ressources de l'écriture musicale, mais qui ignore les bémols, les dièses, voire les bécarres. La partition ne comporte pas de clef. Pourtant, une clef de sol pour l'aménagement du territoire paraissait évidente. L'aménagement du territoire n'est-elle pas la clef du sol?

 Les musiciens qui devront l'exécuter auront beaucoup de peine. Est-ce une symphonie inachevée? Un poème symphonique à la gloire du terroir, style «Fête des vignerons»? On ne sait trop. En procédure parlementaire, le Grand Conseil prend acte d'un rapport ou renvoie la copie à ses auteurs. M. Haegi l'a rappelé tout à l'heure en préambule, à l'initiative de quelques députés de ce Grand Conseil dont j'étais, nous avons adopté une procédure un peu différente.

 Le rapport a été renvoyé en commission avant même d'être discuté devant cette assemblée. Il a fait l'objet de plusieurs séances, nous continuons à en discuter et je pense que c'est une bonne chose. Cette situation un peu particulière peut parfois nous rendre des services. Je pense que ce rapport qui était donc à l'ordre du jour il y a deux ou trois mois, qui a été renvoyé et que l'on retrouve aujourd'hui, pourrait faire, par analogie, l'objet de ce qui a été fait, sauf erreur, en 1989, c'est-à-dire qu'étant retourné en commission alors qu'il avait été discuté en plénum, il avait à nouveau fait l'objet d'un rapport au sein de la commission.

 Le groupe socialiste préconise que ce rapport, actuellement étudié en commission, puisse à nouveau faire l'objet de discussions et d'un nouveau rapport, cette fois-ci parlementaire, à l'intention du plénum.

  La présidente. Monsieur Jörimann, ce rapport n'a pas été renvoyé formellement en commission. Si nous voulons suivre la procédure que vous indiquez, il faudrait faire une demande de renvoi en commission de ce rapport.

M. Philippe Joye (PDC). C'est sur les deux autres motions que j'aimerais intervenir, pour dire trois choses. La première...

  La présidente. Mais nous ne parlons que de deux motions! On traite ensemble les points 17 et 44.

 M. Philippe Joye. Tout à fait. Cela me convient! Je pense qu'il est extrêmement important de garder cette motion parce qu'elle témoigne, vis-à-vis de l'étranger, de la vivacité de notre attachement à l'Europe. Deuxièmement, le risque est réel de voir des idées exprimées publiquement en Suisse allemande faire renoncer notre pays à toute collaboration avec l'EEE et ipso facto avec la coopération transfrontalière. Troisièmement, la motion nous aidera à trouver et à chercher des solutions régionales adéquates admises par nos amis français qui ne sont plus aussi enthousiastes qu'ils ne l'étaient avant le vote du 6 décembre.

M. Alain Rouiller (S). La motion 841 a été signée par six chefs de groupe de ce Grand Conseil. Ce choix a été fait volontairement car nous voulions montrer notre détermination.

 Quand on parle de région, on peut penser à la région genevoise, à la Romandie ou encore à la région Rhône-Alpes. Nous avons pu en discuter en commission. Lorsque nous débattions de l'Espace économique européen, nous avons eu tendance, à Genève -- peut-être trop -- à dire: «c'est Bruxelles ou rien». Nous disons aujourd'hui qu'il y a aussi des espaces intermédiaires, les régions, comme l'a expliqué le conseiller d'Etat Claude Haegi. Le groupe socialiste est prêt à soutenir le Conseil d'Etat.

 Lorsque M. Haegi s'est déplacé à Strasbourg, à Lyon ou à Paris, la presse n'a pas manqué de le critiquer. Je lui redis ici, comme je l'ai fait en commission, que nous sommes prêts à le soutenir. Nous pensons qu'il est utile que M. Haegi se déplace, qu'il aille à Strasbourg discuter des régions européennes, à Lyon parler avec nos voisins, ou à Paris s'entretenir avec l'Etat français. Nous soutiendrons le Conseil d'Etat lorsqu'il interviendra à

nouveau à propos de Creys-Malville. Nous l'incitons à le faire et nous avons été très heureux d'entendre que des démarches ont été entreprises à ce sujet.

 Après ces louanges, il y a quand même un «mais» à l'égard du Conseil d'Etat. Nous aimerions plus de concret, et je vous donne quelques exemples. Nous aimerions plus d'informations. Les anciens de ce parlement se souviendront peut-être qu'en 1988, nous avions discuté d'une motion déposée à l'époque par notre collègue Boillat qui demandait un rapport deux fois par an sur les questions régionales. Le Conseil d'Etat avait alors expliqué que deux rapports par an c'était trop. Toutefois, il s'engageait à faire un rapport annuel. Depuis 1988, c'est le premier rapport que nous avons. Nous demandons donc plus d'informations, c'est-à-dire un rapport régulier, une fois par an au minimum.

 Nous demandons également qu'il soit donné réponse au rapport Stroumza rédigé par notre ancienne collègue. La motion 606 contenait le travail de la commission des affaires régionales et contenait pratiquement tout l'état de la réflexion actuelle. Troisième exemple. J'ai lu pendant les vacances d'hiver une interview de Mme la consule générale Anne Gazeau-Secret, pour qui j'ai une certaine affection depuis le 30 septembre...

 L'assemblée. Ah!

 Une voix. C'est réciproque?

 M. Alain Rouiller. Je ne sais pas si c'est réciproque, mais j'ai une certaine affection pour cette dame qui semble prêter une attention toute particulière à ce qui se passe et à ce que je fais!

 Des voix. Ah, bon!

 M. Alain Rouiller. Si, si elle est intéressante... Elle nous dit qu'il faudrait inclure dans les discussions de nos commissions franco-genevoises la région Rhône-Alpes, puisqu'une partie des décisions qui doivent être prises au niveau régional français ne sont pas de la compétence du Conseil général, mais du Conseil régional. M. Haegi nous l'a d'ailleurs dit en commission. Mme Gazeau-Secret proposait également -- peut-être est-ce trop audacieux de sa part -- de fusionner le Conseil du Léman et la

Commission franco-genevoise. Je ne sais si c'est ce qu'il faut faire, toujours est-il que nos voisins et néanmoins amis français ont des propositions à faire. Il faudrait aller dans ce sens.

 Le rapport est -- comme l'a d'ailleurs indiqué notre collègue M. Jörimann -- une bonne photographie, mais si je peux donner une note, je dirais: «Bien, mais pourrait faire mieux». Effectivement, notre collègue Nissim, qui nous rejoindra peut-être dans quelque temps sur ces bancs, aurait peut-être aimé cette sortie où l'on donne des notes au Conseil d'Etat.

 En ce qui concerne la motion, ce Grand Conseil ne veut pas aller contre le Conseil d'Etat, mais encourager celui-ci dans ses démarches. En particulier, nous souhaitons que le Conseil d'Etat intervienne de concert avec les autres cantons frontaliers. Lors du résultat du vote sur l'EEE nous avons bien vu le résultat! Les cantons frontaliers les plus touchés -- faisons exception du canton du Tessin qui a d'autres problèmes -- sont les cantons avec qui il faut prendre contact pour voir comment exploiter l'article 9 de la Constitution fédérale, augmenter les compétences et créer des espaces transfrontaliers. La motion 841, dans ce sens, encourage le Conseil d'Etat à aller de l'avant.

M. André November (Ve). J'interviens allegro non troppo à propos du rapport du Conseil d'Etat. Il a fallu patienter trois ans pour obtenir ce rapport sur la politique régionale. On peut dire que le résultat est à la hauteur de cette attente. Ce rapport est un très bon document, un catalogue des problèmes, un inventaire des organisations régionales. Nous disposons ainsi d'un véritable livre blanc sur la région et je félicite les collaborateurs du Conseil d'Etat qui l'ont rédigé. Je pourrais m'arrêter ici, mais comme le débat intervient après la votation du 6 décembre, j'aimerais vous faire part de mes réflexions.

 Ma première remarque concerne la politique régionale proprement dite. Bien que très descriptif, le rapport ne fournit que des informations succinctes sur la politique que le Conseil d'Etat entend suivre. M. Haegi a choisi la politique des petits pas. Mais quelle est la vision, quel est l'axe d'action du Conseil d'Etat? Quelle orientation prendra-t-il pour bâtir une région franco-valdo-genevoise?

 J'aimerais savoir aussi comment vous entendez utiliser la dynamique née de l'échec de la votation du 6 décembre. Cela paraît

paradoxal, mais le refus suisse à l'adhésion à l'EEE augmente la chance de créer une région transfrontalière, car ce vote nous a rapprochés de nos voisins. Il faut saisir cette chance pour resserrer ces liens et avancer résolument vers la création d'une région dans l'esprit européen cher à Denis de Rougemont.

 L'idée régionale qui, il y a quelque temps encore, était absente de la construction européenne revient en force, et nous devons nous mettre au diapason. Genève pourrait jouer un rôle de pionnier dans ce domaine et nous serions heureux si le Conseil d'Etat pouvait prendre l'engagement d'accélérer le mouvement vers l'intégration régionale avec nos partenaires transfrontaliers.

 Ma deuxième remarque concerne les relations du Conseil d'Etat avec les organisations, dont l'AGEDRI, qui s'occupent des problèmes régionaux. Elles m'ont paru tendues lors de l'audition de la commission des affaires régionales. Je ne cherche pas à savoir qui a raison et qui a tort. Je constate que l'incompréhension est réciproque. Cette tension est malsaine parce qu'elle dessert la cause régionale. Il ne faut pas oublier que les membres de ces organisations travaillent avec conviction et enthousiasme. Il ne faut pas les décourager. Dès lors, je vous suggère d'organiser avec ces associations une réunion de discussion et de coordination pour que l'information circule à tous les niveaux. Il faut que ces organisations connaissent les activités et les intentions du gouvernement et qu'elles-mêmes échangent leurs informations pour éviter les doubles emplois et les malentendus.

 En troisième lieu, Madame la présidente, je m'exprimerai sur les problèmes de l'environnement et je salue au passage votre rapport à ce sujet. L'écologie est un problème transfrontalier par excellence, et la coordination en matière d'environnement pourrait être le premier pas vers une intégration transfrontalière. Au lieu de déposer une motion de plus, je vous demande de bien vouloir considérer la proposition de l'Association pour la sauvegarde du Léman concernant la création d'une agence de l'eau du bassin du Léman chargée à la fois de l'eau potable, des eaux usées et de l'hydrologie du bassin en général. Par définition, une telle agence doit être transfrontalière. Bien que la percevant comme typiquement régionale, je pense que cette agence pourrait adopter les statuts français en la matière, car la plupart des rivières irriguant notre territoire prennent leur source en France.

 J'espère qu'il ne faudra pas attendre trois ans pour connaître la prochaine étape en matière de politique régionale. Je souhaite donc que le Conseil d'Etat accélère le mouvement et nous annonce une série de mesures novatrices dans ce domaine.

Mme Hélène Braun-Roth (PDC). Il y a trois ans, nous votions avec enthousiasme le rapport sur la motion 606 auquel vous faites allusion. Simultanément, nous votions la création de la commission des affaires régionales. Pour nous, c'était le début d'une période d'émulation. Malheureusement, durant ces trois années nous sommes restés sur notre faim. Certes, la commission a travaillé. Personnellement, je dirai qu'elle a «bricolé». On nous a donné des os à ronger. Finalement, il a fallu l'électrochoc du 6 décembre pour que l'on parle de l'avant 6 décembre, de l'après 6 décembre et des espoirs qu'il a suscités.

 Le rapport du Conseil d'Etat s'inscrit dans l'esprit de l'avant 6 décembre: on s'adonne à des études, à des rapports. En revanche, la réponse à la motion nous a laissés sur notre faim, car ladite motion contenait des propositions concrètes, notamment en ce qui concerne les organismes transfrontaliers. Ce rapport dresse le constat des problèmes législatifs, des compétences, mais ne reflète pas une réelle volonté politique. Je rappelle que la motion suggérait la création d'un conseil consultatif transfrontalier. M. November a fait allusion à l'AGEDRI qui, elle, propose la création d'un forum.

 Après le 6 décembre, on s'est rendu compte que les partenaires avaient besoin de se rencontrer. Monsieur Haegi, vous avez dit qu'il fallait associer la population, que la notion de complémentarité devait se renforcer. Je me réjouis de vous entendre, car il me semble que tous ceux qui agissent au sein de l'AGEDRI sont représentatifs de la population et qu'ils doivent être des partenaires. Je proposerai donc formellement que notre commission auditionne des représentants de l'AGEDRI. Je ne dis pas que nous serons forcément d'accord avec l'ensemble de leurs propositions, mais au moins, nous en aurons discuté. Au moment où s'impose la revalorisation des relations transrégionales, on se rend compte qu'il est urgent d'agir, mais de manière concertée. On ne peut plus le faire en estimant que le travail de certains ne vaut pas celui du département ou d'autres associations.

 Une volonté politique manifeste doit être exprimée par les uns et les autres. Nous voulons de l'action. Nous voulons que la commission des affaires régionales ne soit pas un alibi. Nous voulons véritablement être

associés, être partenaires, dans une réelle politique transrégionale.

M. Charles Bosson (R). Nous voulons également remercier le Conseil d'Etat de son rapport inventoriant les problèmes affrontés par nos autorités et les divers comités franco-genevois.

 Cet inventaire des problèmes en suspens nécessitera un suivi très important pour que soient proposées des solutions réalistes. Ces problèmes concernent les eaux, l'environnement, l'aménagement de notre région. Il y a le problème de la main-d'oeuvre qui se pose avec acuité en cette période de crise, avec le chômage installé à Genève et maintenant répercuté de l'autre côté de la frontière. Il y a aussi les problèmes de la formation, des transports, auxquels nous pouvons ajouter ceux du logement et de la culture. Ces problèmes, tous évoqués, méritent que le Conseil d'Etat et les commissions concernées s'y attellent réellement pour présenter quelques propositions de réalisation.

 Je partage beaucoup d'avis exprimés, et ce en relation avec le rapport qui nous a été présenté. Je regrette cependant de n'y avoir trouvé aucune ligne sur l'agriculture. C'est oublier que les zones franches et le développement de la région ont été, au départ, motivés par les besoins alimentaires de notre population et par ses besoins agricoles. Signe des temps, peut-être, exit donc dans ce rapport des différents problèmes importants qui se posent aux producteurs de lait et aux maraîchers.

 Je crains qu'à l'avenir on ne fasse pas plus de cas de ces problèmes qu'il n'en a été fait dans ce rapport. Cependant, je cultive l'espoir qu'une projection pour le futur sera plus étoffée dans un prochain rapport, vu le renforcement des structures en personnes dont s'est doté le DIAR ces derniers temps.

 Je ne mésestime pas la difficulté d'établir un tel document par rapport à nos partenaires. En effet, les voeux et les positions du Conseil d'Etat ne peuvent, sans doute, être tous affirmés sous peine de froisser la susceptibilité de nos partenaires et voisins français.

 Voilà ce que je voulais dire, tout en me demandant s'il était d'un intérêt primordial de consacrer tant de temps à ce genre de rapport, comme à celui des questions fédérales importantes.

 Nous désirons relever l'importance que revêt la motion 841 pour l'appui que ce parlement entend apporter au Conseil d'Etat et pour manifester notre solidarité à la très forte majorité du peuple genevois qui s'est exprimée lors de la votation du 6 décembre. Cette motion est importante, non seulement pour nos autorités helvétiques, mais pour les autorités des régions françaises voisines qui attendent peut-être du parlement genevois qu'il poursuive la politique d'ouverture pratiquée jusqu'à ce jour. Elle appuie aussi les autres cantons suisses qui ont largement accepté l'EEE et qui attendent une certaine solidarité pour démontrer au Parlement fédéral et à notre Conseil fédéral que nous ne voulons pas baisser les bras après un échec très relatif, puisqu'il ne s'agit que de quelques dixièmes de pour-cent. Nous voulons que Genève continue à s'ouvrir sur l'étranger, comme elle le fait depuis longtemps, pour son avenir et celui de notre pays.

M. Hermann Jenni (MPG). Mon intervention portera plus spécialement sur la motion 841, ainsi que sur la résolution 252, ce qui permettra de gagner du temps car je n'aurai pas à y revenir.

  La présidente. Non, Monsieur Jenni, la résolution 252 n'est pas à l'ordre du jour.

 M. Hermann Jenni. Madame la présidente, cela m'évitera d'y revenir au moment où nous débattrons. (Brouhaha.) Vous attendez sans doute de notre part une intervention énergique tant contre cette motion que contre la résolution. Pour une fois, vous serez déçus. Contrairement aux perpétuels procès d'intention que l'on nous fait, nous ne sommes pas opposés à l'idée d'une meilleure coordination, d'un peu plus d'harmonie dans le concert des nations européennes. C'est même pour cela que, lecture attentive de la partition faite, nous n'avons pas voulu de la musique un peu trop prussienne, à notre goût, qu'on voulait nous faire jouer. Nous appelons de nos voeux un morceau dans lequel les divers instruments puissent se faire entendre au mieux de leurs qualités propres et nous pensons que le refus par notre peuple de cette cacophonie est une bonne occasion de faire réécrire la partition par de meilleurs compositeurs.

 L'espoir que nous exprimons là n'est pas utopique. D'autres instrumentistes se sont exprimés dans ce sens. L'un de ceux qui participe déjà au deuxième mouvement, le Danemark, a reçu la promesse de voir

gommées quelques fausses notes. D'autre part, à l'étranger, bon nombre d'esprits distingués sont loin de céder aux réflexes d'intolérance qui se sont manifestés chez nous à l'égard d'une décision démocratiquement exprimée par la double majorité du peuple et des cantons. A ce propos, je vous engage à lire l'éditorial de M. Louis Pauwels, dans «Le Figaro Magazine» du 19 décembre dernier. J'en mets des copies à la disposition de ceux que cela intéresse.

 En conclusion, et bien que nous appréciions le ton plutôt modéré tant de cette motion que de la résolution, nous pensons qu'il serait sage de nous accorder un temps de réflexion avant de nous lancer dans des démarches dont la précipitation pourrait être contre-productive de deux manière au moins: d'une part, le peuple pourrait, à bon droit, considérer que cette insistance vise à lui forcer la main et, cas d'un nouveau vote, confirmer plus nettement encore son premier verdict. D'autre part, comme nous le pensons et comme l'expérience danoise le démontre, la symphonie, que nous appelons de nos voeux, peut être améliorée. Il convient donc de laisser un peu de temps au temps.

 C'est pourquoi nous ne voterons aujourd'hui ni la motion 841, ni la résolution 252. En revanche, et j'ai déjà eu l'occasion de le dire à M. Haegi lors de notre débat à TV-8 Mont-Blanc à Annecy, nous souscrivons et sommes prêts à apporter notre contribution positive à la coopération régionale pour autant qu'il s'agisse d'un travail réalisé à une échelle maîtrisable, entre partenaires égaux en droits, collaborant dans le respect mutuel de leurs différences et développant ce qui leur est commun et ce qui les rassemble.

Mme Vesca Olsommer (Ve). Je souhaite intervenir brièvement à propos du chapitre «Les rivières du bassin genevois» de la communication «Environnement et frontière» de M. le conseiller d'Etat que nous avons reçue annexée au rapport.

 Vous êtes un peu déçu, Monsieur le président, parce que «Coordination rivières» parle du laxisme des autorités administratives. Je crois savoir qu'il s'agit en premier lieu du laxisme des autorités françaises. Est-ce à dire que les autorités genevoises ont fait le maximum pour la santé des cours d'eau genevois? Vous connaissez le document «Coordination rivières» selon lequel, depuis le rapport qui a suivi la motion 231 en 1984, l'état biologique et sanitaire des rivières ne s'est non seulement pas amélioré,

mais que malheureusement il s'est même considérablement dégradé. Je n'y reviendrai pas puisque nous avons un rapport de M. Grobet à étudier en commission.

 En revanche, il serait intéressant pour les associations de protection de l'environnement s'occupant plus particulièrement des cours d'eau du bassin genevois, que soit publié, deux ou trois fois l'an, un relevé hydrologique avec les résultats des analyses physico-chimiques, bactériologiques et biologiques que, paraît-il, elles ne parviennent pas à obtenir. Pouvez-vous faire procéder à la publication de ces résultats, Monsieur le président?

M. Michel Jörimann (S). Tout à l'heure, j'avais une proposition à faire dont vous m'avez signalé l'inopportunité. Aussi ai-je consulté le règlement. Effectivement, la proposition que j'ai formulée n'était pas possible en l'état. Dès lors, je me rallie volontiers à ce que propose Alain Rouiller, à savoir considérer ce rapport comme le premier et qu'il soit fait sur la motion Stroumza de 1989.

M. Claude Haegi, conseiller d'Etat. D'aimables propos ont été tenus et des regrets ont été exprimés de manières diverses. L'un de vous a dit: «C'est bien, mais peut faire mieux». Tout est perfectible, certes, mais nous ne sommes pas seuls et nos initiatives ne sont pas toujours bien perçues en terres vaudoise, valaisanne, gessienne et savoyarde. Ce ne sont pas les Genevois qui construiront seuls la région. De l'autre côté des frontières, certains sont quelque peu exaspérés par nos initiatives, et M. Bosson a eu raison de dire, l'ayant compris lui-même, qu'il s'agissait en quelque sorte d'une diplomatie de terrain et que nous pouvions exposer, dans ce rapport, tous les sentiments de notre gouvernement.

 En effet, il faut convaincre et nous nous engageons à fond, mais cela dans des limites relativement restreintes, car encore faut-il que les autres soient d'accord. Lorsque nous nous montons des associations et partons, fanfare en tête, pour dire: «Voilà ce que nous avons l'intention de créer», il ne faut pas s'étonner de la fraîcheur de l'accueil.

 Ainsi avons-nous vu certains projets ne pas aboutir, notamment celui que j'ai soutenu, qui était une réunion au niveau lémanique des conseils généraux avec une quinzaine de conseillers généraux de l'Ain et de la

Haute-Savoie, une quinzaine de députés par canton. La raison de cet échec? Parce que, Madame Roth, l'idée du fameux conseil de l'AGEDRI a profondément indisposé les autorités françaises. On peut en penser ce que l'on veut, mais elles ont été contrariées au point qu'elles se sont finalement opposées au principe de cette réunion lémanique. Il faut donc évaluer le succès des propositions que l'on présente.

 Il faut avoir des audaces, Monsieur November, vous y avez fait allusion, je crois. Je pense en avoir un certain nombre lorsque je fais un discours à titre un peu personnel, comme membre du gouvernement. En l'occurrence, il s'agit d'un rapport du Conseil d'Etat et il est normal que nous nous tenions un peu en retrait.

 Madame Braun, vous avez dit que nous n'avions pas fait grand-chose en commission. Vous avez pourtant reçu une somme considérable d'informations et vous l'avez d'ailleurs reconnu. Quant à vous, Monsieur November, vous avez dit que les rapports avec les commissions n'étaient pas ce qu'ils devraient être, mais pourquoi cela? Parce que le dialogue est horriblement difficile. J'affirme une fois encore ici la disponibilité de mon département et celle de tous les départements concernés. Nous sommes disponibles, mais souvent l'on ne vient pas chercher l'information là où elle se trouve.

 En matière d'aménagement du territoire, nous avons indiscutablement progressé, mais nous continuons à entendre des discours comme si rien ne s'était passé. Tout à l'heure, et je ne critique personne, on m'a conseillé d'étudier l'article 9 de notre constitution, alors que je venais juste d'en parler! On est encore en train de nous demander un avis de droit pour travailler dans ce sens. Le fait est que nous ne nous écoutons pas suffisamment les uns les autres.

 Nous tenterons d'améliorer notre politique d'information, mais sachez que, dans ce contexte, nous sommes le partenaire le plus actif et le plus déterminé à une construction régionale transfrontalière. Ceux qui, dans cette enceinte, sont sensibles aux problèmes de l'environnement savent comment nous étions accueillis quand nous les abordions sur d'autres territoires, et à quel point l'on considérait cela comme une immixtion dans des affaires qui ne nous regardaient pas.

 Or il fallait obtenir des résultats. Lorsqu'on parle, par exemple, de problèmes d'eau, que l'on veut convaincre les autorités du Pays de Gex d'investir dans des stations d'épuration, on ne peut pas simplement leur dire:

«Vous allez construire telle ou telle usine, c'est inadmissible». Non! Il faut que nous les rencontrions et leur décrivions les situations délicates devant lesquelles nous sommes placés, pour les convaincre à investir.

 C'est parce que nous pratiquons cette politique que le département de l'Ain, par exemple, consacre 50% des moyens dont il dispose pour la gestion de l'eau au seul Pays de Gex, alors que celui-ci ne représente de loin pas 50% de la population. C'est cela, une diplomatie de terrain, où chaque jour il faut convaincre d'autres interlocuteurs.

 Il y a trois ans, dans le cadre du Conseil du Léman, j'avais proposé la création d'un observatoire du milieu lémanique. Ce fut la révolution! Pendant une journée entière, nous nous sommes battus au sujet de cet observatoire qui aurait pu centraliser toute une série d'informations, être un outil de travail précieux pour gérer la région. Mais qui détient de l'information détient du pouvoir, et cela on le craint d'un côté comme de l'autre.

 Sommes-nous prêts, nous-mêmes, à informer? Quels sont les dossiers que nous transmettons spontanément à nos voisins pour qu'ils nous disent ce qu'il en pensent pour leur région? Nous n'avons pas ce réflexe et nos propres mentalités doivent évoluer. Nous sommes quelque peu nombrilistes et nous imaginons une politique régionale avec Genève comme capitale. En plus - et que de fois l'ai-je entendu! -- il faudrait que nous nous réservions les activités nobles. Il est même arrivé qu'on se laisse aller à les définir en déclarant que Genève était destinée à accueillir tel type d'activité économique, non polluante, non ceci, non cela, tel type de population triée sur le volet et que, pour le reste, on devait se répandre sur un territoire plus étendu.

 Non, Mesdames et Messieurs, la région ce n'est pas cela. Denis de Rougemont a été cité tout à l'heure. La région est un espace de solidarité, un espace de paix. Elle exige une certaine mentalité, un certain état d'esprit. Sur ce point, nous pourrons nous retrouver.

 En tout cas, je retiens de vos interventions de ce soir que vous entendez soutenir le Conseil d'Etat dans ce qu'il engage. Sachez cependant qu'il n'obtient pas toujours ce qu'il souhaite. Sachez aussi qu'il doit absolument convaincre et qu'il est, par conséquent, tenu à une certaine réserve, d'ailleurs momentanée. Notre motivation et notre conviction sont

profondes. Je suis convaincu que, durant les trois ans écoulés, nous avons avancé du fait de notre détermination et parce que nous avions affaire à des gens réceptifs à nos messages.

 Indiscutablement, s'il est un domaine dans lequel on peut faire une politique transfrontalière et d'intégration, c'est bien celui de l'environnement. Aujourd'hui, il est clair que les résultats ne sont pas totalement satisfaisants, mais il est clair aussi que le dialogue est totalement différent. Tout cela est à géométrie variable. M. Rouiller, citant Mme Gazeau-Secret, parlait de Rhône-Alpes. Lorsque Mme Gazeau s'exprime, elle n'engage ni les autorités préfectorales, ni les autorités régionales et départementales. La politique française est complexe, la nôtre n'est pas «triste» non plus. Chacune a sa spécificité. Il y a parfois des problèmes helvetico-suisses comme il y a des problèmes franco-français. Elle est bien là la réalité! Une fois encore, je confirme notre détermination qui se renforcera avec votre appui. (Applaudissements.)

RD 174

Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.

M 841

Mise aux voix, cette motion est adoptée.

Elle est ainsi conçue: