Séance du jeudi 30 octobre 2025 à 20h45
3e législature - 3e année - 5e session - 27e séance

R 1075
Proposition de résolution de Sylvain Thévoz, Grégoire Carasso, Jean-Charles Rielle, Leonard Ferati, Caroline Renold, Jean-Pierre Tombola, Nicole Valiquer Grecuccio, Sophie Demaurex, Diego Esteban, Thomas Bruchez, Julien Nicolet-dit-Félix, Laura Mach, Céline Bartolomucci, Philippe de Rougemont, Skender Salihi, Yves de Matteis, Dilara Bayrak : Palestine. Demande urgente de regroupement familial : Genève peut, la Suisse doit agir (Résolution du Grand Conseil genevois à l'Assemblée fédérale exerçant le droit d'initiative cantonale)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session V des 30 et 31 octobre 2025.

Débat

La présidente. Nous abordons notre dernière urgence: la R 1075, classée en catégorie II, trente minutes. (Brouhaha.) S'il vous plaît, un petit peu de silence ! Je passe la parole à M. Thévoz. (Brouhaha.) Un peu de silence, s'il vous plaît !

M. Sylvain Thévoz (S). Merci, Madame la présidente. En février 2024, Mesdames et Messieurs, quatre enfants palestiniens arrivaient à Genève, accompagnés de leurs mères représentant trois familles: Mme A., 24 ans, et ses deux fils âgés de 3 et 4 ans; Mme H., 30 ans, et sa fille de 2 ans; et Mme F., 47 ans, et son fils de 17 ans, arrivé à Genève avec une jambe amputée et pesant moins de 30 kilos - il a survécu ! Sans cette prise en charge, Mesdames et Messieurs, les chances de survie de ces enfants auraient probablement été quasi nulles.

La survie de ces enfants et de leurs mères, nous la devons à un homme et à une association: le Dr Raouf Salti, de l'association Children's Right to Healthcare, que les commissaires aux pétitions ont eu l'occasion de rencontrer lors de l'examen d'une pétition sur Gaza et qui devant nous, vous vous en souvenez sûrement, a pleuré - j'ai rarement vu un homme pleurer devant nous en commission - quand il racontait comment il est allé chercher ces enfants en Egypte, à la frontière avec Gaza. Il a dû se battre contre l'administration fédérale, il a dû réunir des fonds, il a dû verser une certaine somme en garantie pour pouvoir finalement partir. Et quand il est arrivé, des vingt enfants qu'il comptait ramener, il a pu en ramener quatre; ils sont aujourd'hui à Genève et leurs mères sont venues avec eux.

Mesdames et Messieurs, cette résolution vise aussi en partie à rendre hommage au travail fait par le Dr Raouf Salti, qui mérite toute notre estime. A Gaza, vous le savez, les enfants ont payé et continuent de payer un tribut très lourd: selon l'UNICEF, en moyenne 28 enfants ont été tués quotidiennement, et ce durant vingt-quatre mois, et plus de douze mille enfants souffrent de mutilations graves.

Où en est-on aujourd'hui ? Quelle est la situation de ces trois familles ? Mme A. est devenue veuve: peu après son arrivée en Suisse, son mari, resté à Gaza, a perdu la vie dans un bombardement. Mme H. a pu être rejointe par son mari qui avait quitté Gaza avant la fermeture des frontières. La situation de Mme F. - et c'est là l'objet de cette résolution - est très critique: elle a encore deux enfants mineurs et quatre enfants majeurs à Gaza, ainsi que son mari. Cet été, le 5 août, leur abri de fortune a été bombardé. Il n'existe plus aucune structure hospitalière à Gaza; vous avez vu que la trêve fragile est déjà en train de se fissurer, avec plus de cent personnes tuées les trois derniers jours.

Mesdames et Messieurs, aucune mère ne devrait être obligée, pour sauver un enfant, d'abandonner les autres. Nous sommes face à une famille séparée; à travers cette résolution, dans la ligne des motions que vous avez votées, il est demandé à l'Assemblée fédérale et au Conseil fédéral d'appuyer, de soutenir tout examen prioritaire favorable visant la réunification de cette famille établie en Suisse qui aujourd'hui reconstruit sa vie...

La présidente. Vous passez sur le temps de votre groupe.

M. Sylvain Thévoz. ...et doit pouvoir être réunie avec ses proches ici même.

Par ailleurs, vous l'avez vu récemment, la Suisse va accueillir vingt enfants grièvement blessés en provenance de Gaza. Il y a différents positionnements parmi les cantons: les cantons romands, notamment le Conseil d'Etat genevois, mais aussi Vaud et le Valais, se sont immédiatement portés volontaires pour accueillir ces enfants et leurs familles. Par contre, du côté de la Suisse allemande, Berne, Argovie, Zoug, Thurgovie et Zurich ont refusé d'accueillir ces enfants. L'argument avancé est celui de Barbara Steinemann, de l'UDC Zurich. Ils disent: ok, on prend les enfants, «mais il y a une centaine de personnes supplémentaires qui les accompagnent et qui viennent de mondes totalement différents du nôtre» !

Mesdames et Messieurs, des enfants sont assassinés, des enfants sont violemment amputés et ici, en Suisse, en 2025, certains osent encore faire un tri en disant: oh, on prend les enfants, mais on ne prend pas les familles - voire on prend le moins de gens possible ! Ça nous rappelle les heures les plus sombres de notre histoire ! Sauf qu'on est en 2025 et qu'il n'y a plus aucune excuse pour ne pas accueillir ces familles, pour ne pas les sauver d'une mort certaine. Bravo au Conseil d'Etat pour le travail accompli.

Nous vous invitons à soutenir cette résolution qui permettra, nous l'espérons, avec deux angles d'approche, de discuter avec nos collègues suisses allemands et les conseillers nationaux pour faire entendre le point de vue des cantons romands - notre point de vue, celui de la Genève internationale, humanitaire, qui doit être à la hauteur des Conventions de Genève -, et puis de faire entendre également la nécessité de ne pas faire de distinction entre les enfants, quelle que soit leur identité, leur religion. Chaque enfant, chaque civil a droit à la sécurité et à la vie. Merci pour le bon accueil que vous ferez à cette résolution. (Applaudissements.) 

M. Jean-Marie Voumard (MCG). Je ne suis pas en direct sur «Léman Bleu», rassurez-moi ? J'ai l'impression d'être dans un débat avec M. Thévoz, comme il l'a fait dernièrement sur Gaza ! Je pense que c'est une attitude scandaleuse ! «Genève peut, Genève doit»: Genève le fait ! La Croix-Rouge le fait ! La Suisse le fait ! Il n'y a qu'à voir les journaux, les médias de cette semaine: il y a plus qu'assez ! Je pense qu'il faut arrêter ! Cette résolution, déposée par les socialistes et les Verts, peut se faire à Berne; vous avez des représentants à Berne ! On parle ici de politique genevoise, on parle de Genève ! Merci ! (Commentaires.) 

M. Léo Peterschmitt (Ve). La situation en Palestine ne permet pas de vivre dignement et de répondre aux besoins de la population de manière sûre. Les familles sont meurtries, déchirées par des frontières arbitrairement décidées. Le regroupement familial est garanti par l'article 8 de la CEDH, par la Constitution suisse et aussi par la loi sur les étrangers et l'intégration.

Les familles déjà endeuillées par la guerre et les atrocités commises doivent pouvoir a minima se reconstruire après cela, dans les maigres possibilités que l'horreur laisse. Genève doit renouveler son engagement pour le droit international en soutenant une mesure simple. Combien y a-t-il de parents dans cette salle ? Dans quel état seriez-vous si vous étiez séparés de vos enfants dans de telles circonstances ? Ou même simplement si vous étiez séparés de vos parents ? Bref, ce n'est pas humain !

Les Vertes et les Verts soutiennent pleinement cette résolution et vous invitent à l'accepter. J'ajouterai la chose suivante: la discussion de cette résolution intervient aussi dans une circonstance particulière: des cantons refusent des accueils humanitaires. Les cantons de Fribourg, Zurich, Berne, Argovie et Thurgovie, vous pouvez avoir honte de vous !

M. Marc Saudan (LJS). Le groupe LJS a soutenu l'ajout, l'urgence et la discussion immédiate de cette résolution, car nous ne sommes évidemment pas insensibles à cette problématique de regroupement familial. Mais, mon préopinant socialiste l'a déjà souligné, le canton fait énormément: il prend tous les frais médicaux de ces enfants à sa charge, nous les accueillons. Et vous aurez la gentillesse de transmettre à M. Thévoz, Madame la présidente, que le Conseil fédéral et la Confédération donnent les permis pour les familles de ces enfants; il n'y a donc pas de blocage à Berne. Je pense que c'est un faux débat et nous voterons contre pour ces raisons. Merci.

La présidente. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. de Rougemont pour une minute trente.

M. Philippe de Rougemont (Ve). Merci, Madame la présidente. Je souhaite répondre à l'intervention de notre collègue MCG tout à l'heure - vous lui transmettrez. Il faut se rappeler qu'il y a cent soixante ans, un étage en dessous de celui que nous occupons ici, est né un accord à l'initiative de personnes comme le général Dufour, M. Moynier et M. Dunant, pour donner des limites à ce qui se passe en temps de guerre et instituer entre autres l'inviolabilité des populations civiles, des enfants. Les enfants, on ne peut pas penser qu'ils font partie d'un conflit. Cette résolution, c'est donc la moindre des choses. C'est le message d'un canton pas comme les autres, d'une ville pas comme les autres, Genève, sur un sujet mondial comme celui-ci, et je vous invite par conséquent, en hommage à nos ancêtres, à très, très, très largement voter cette résolution, qui est vraiment la moindre des choses. Je vous remercie pour votre attention. (Applaudissements.) 

La présidente. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Thévoz pour une minute dix.

M. Sylvain Thévoz (S). Oui, je reprends brièvement la parole parce que l'intervention du groupe LJS m'a littéralement soufflé. Je ne m'explique pas le revirement entre l'ajout et le vote en urgence, puis la prise de position du député Saudan, sachant que oui, il y a un blocage ! Les enfants qui arrivent aujourd'hui viennent accompagnés d'un certain nombre de personnes au maximum - pas plus. Et puis pour ceux qui sont déjà arrivés, il n'y a pas de regroupement ! Donc oui, Monsieur Saudan, il y a un blocage. La personne qui aujourd'hui vit à Genève avec son fils ne peut pas faire venir son mari, ses enfants mineurs et ses autres enfants ! Et la résolution vise à y remédier, à donner un appui politique, à aller discuter à Berne afin de faire évoluer la situation. Nous vous invitons vraiment de tout coeur et au nom de la dignité humaine à soutenir cette résolution afin de pouvoir donner ce signal politique. Merci. (Applaudissements.) 

La présidente. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs, il n'y a plus de demande de parole. Nous sommes saisis d'un amendement général de M. Thévoz. (Remarque.) Madame Fontanet, vous souhaitez prendre la parole ?

Mme Nathalie Fontanet. J'aurais bien aimé, mais ce n'est pas... Je la prendrai un peu plus tard: je ne veux pas vous couper.

La présidente. Très bien. Monsieur Thévoz, sur l'amendement ? (Remarque.) Vous avez quinze secondes.

M. Sylvain Thévoz (S). Merci. L'amendement a simplement pour but de renoncer à la référence à la loi sur les étrangers pour que le texte soit plus général; il invite seulement, sur la base de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, à soutenir un examen prioritaire favorable visant la réunification de cette famille en Suisse. La formulation est très large et permet ainsi d'éviter...

La présidente. Merci, Monsieur le député.

M. Sylvain Thévoz. ...un potentiel écueil juridique. Merci.

La présidente. Madame Fontanet, je peux vous passer la parole maintenant.

Mme Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat. Merci, Madame la présidente. Je ne souhaitais pas intervenir, au nom du Conseil d'Etat, sur l'amendement mais bien sur la proposition de résolution. Cela a été dit, la situation de cette personne, de cette mère et de ses enfants est terrible.

Il n'en demeure pas moins que la situation est en mains du SEM, que seul le SEM est en mesure de prendre des décisions, que le Conseil d'Etat n'est de loin pas persuadé que la meilleure façon de procéder pour régler une situation unique... (L'oratrice insiste sur les mots «une situation unique».) ...soit de passer par une résolution. On a des contacts avec les conseillers fédéraux; la voie diplomatique est à favoriser dans ce type de situation pour sensibiliser le Conseil fédéral, l'administration fédérale sur la situation. 

Le Conseil d'Etat, faute de compétence totale en la matière et faute également d'avoir connaissance du détail du dossier, ne se prononcera pas sur cette résolution et laissera donc le Grand Conseil prendre sa décision. Merci beaucoup.

La présidente. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous passons au vote de l'amendement général, que voici:

«Invite (nouvelle teneur)

demande à l'Assemblée fédérale et au Conseil fédéral

sur la base de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), de soutenir un examen prioritaire et favorable à toute demande visant la réunification de cette famille en Suisse,

invite le Conseil d'Etat

à soutenir cette initiative cantonale.»

Mis aux voix, cet amendement général est adopté par 41 oui contre 38 non et 4 abstentions.

Mise aux voix, la résolution 1075 ainsi amendée est adoptée et renvoyée à l'Assemblée fédérale, au Conseil fédéral et au Conseil d'Etat par 40 oui contre 38 non et 6 abstentions (vote nominal). (Applaudissements à l'annonce du résultat.)

Résolution 1075 Vote nominal