Séance du
vendredi 20 juin 2025 à
14h
3e
législature -
3e
année -
2e
session -
11e
séance
P 2231-A
Débat
La présidente. Nous passons au traitement des pétitions en catégorie II, trente minutes. J'appelle la P 2231-A. Monsieur Thévoz, la parole vous revient.
M. Sylvain Thévoz (S), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente. La pétition «Ne touchez pas à nos offices postaux de Meyrin-Village et de l'aéroport de Cointrin» a été traitée en trois séances. La commission a entendu les pétitionnaires, les représentants de la Poste et le maire de la commune de Meyrin. Le renvoi au Conseil d'Etat vous est recommandé par neuf oui contre six non.
Le directeur général de la Poste, Roberto Cirillo, le confirme, la Poste est à l'équilibre sur le plan financier et peut s'appuyer sur un bilan sain. Elle parvient en effet à assurer la fourniture du service universel sans l'aide de fonds publics. Le résultat d'exploitation réalisé est supérieur de 78 millions de francs à celui de l'exercice précédent. En 2024, le bénéfice consolidé s'inscrivait à 324 millions, soit 70 millions de plus qu'en 2023.
Toutefois, malgré ces bons résultats, la Poste a annoncé fin 2024 la fermeture d'offices en arguant du recul des volumes postaux, qui ne permettraient plus de gérer deux mille filiales en exploitation propre. La Poste veut donc miser sur des filiales en partenariat. Le hic, c'est que si elle a indiqué qu'elle voulait transformer son service, il n'y a aucune garantie de pérennité si elle passe par le biais d'un commerce en tant que partenaire.
Pour les pétitionnaires, l'annonce par la Poste de la fermeture prochaine de cinq offices postaux dans le canton de Genève, dont ceux de Meyrin-Village et de l'aéroport de Cointrin, est un électrochoc. Les pétitionnaires nous demandent instamment de tout mettre en oeuvre pour s'opposer à la fermeture de ces deux offices postaux. Le quartier artisanal de Meyrin est en phase d'extension et la fermeture de la poste de Meyrin-Village gênera l'ensemble des artisans et des commerçants voisins. Il n'y aura bientôt plus de poste à cet endroit, qui compte, de plus, de nombreuses personnes âgées. C'est particulièrement problématique.
La commune, auditionnée, s'oppose également aux fermetures annoncées et défend un service public de qualité. Elle a par ailleurs rejoint un collectif d'une quarantaine de communes romandes pour coordonner les réponses données à la Poste suite à l'annonce des fermetures d'offices postaux.
Mesdames et Messieurs, fermer une poste, c'est provoquer une perte d'identité, rayer des emplois, mettre à mal le secret postal et affaiblir un service public de qualité particulièrement important, surtout auprès des populations les plus vulnérables et fragilisées. Les pétitionnaires ont bien raison de s'opposer au démantèlement d'un service public. Il est inquiétant que la Poste, service public, ait pour obligation de faire des bénéfices et de les reverser à la Confédération. Pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs, nous vous invitons évidemment à soutenir cette pétition et à la renvoyer au Conseil d'Etat.
M. Geoffray Sirolli (PLR), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, en tant que représentant de la minorité, je tiens à rappeler la responsabilité qui est la nôtre: celle de porter une vision claire, réaliste et moderne du service public. La Poste, comme tout service public, doit se réinventer pour répondre aux nouvelles attentes et aux évolutions profondes de notre société.
Je vais vous parler des chiffres, des chiffres qu'on ne peut pas interpréter et qui parlent d'eux-mêmes. De 2010 à 2023, les opérations effectuées aux guichets postaux ont chuté de près de 50% - 50% d'opérations en moins effectuées aux guichets postaux. Les versements ont chuté de 68%, c'est-à-dire qu'on a perdu plus d'un client sur deux dans les offices postaux.
Nous ne pouvons pas ignorer ces données. Elles témoignent d'un changement profond des habitudes de nos concitoyens. La réalité économique et technologique impose des adaptations. Elles ne sont pas une option mais une obligation. Certes, ces évolutions suscitent parfois des résistances. Par exemple, dans ma commune de Corsier, il y a une quinzaine d'années, nous avons fermé notre bureau de poste, ce qui avait vraiment provoqué une inquiétude initialement, comme Meyrin le vit maintenant. Mais aujourd'hui, grâce à une solution innovante impliquant un commerce local, personne ne regrette cette transition. Concrètement, qu'est-ce qui s'est passé ? Une épicerie de proximité a repris le flambeau de la poste en intégrant de nombreux services postaux à son offre commerciale. Résultat: ce commerce local a vu sa fréquentation augmenter significativement, renforçant ainsi sa vitalité économique et le lien social local. Aujourd'hui, on peut aller prendre un café le dimanche tout en effectuant ses opérations postales. Aujourd'hui, notre communauté bénéficie d'un service accessible sept jours sur sept, plus proche et mieux adapté à ses besoins.
Cet exemple concret nous montre que l'innovation dans le service public ne doit pas être vue comme une perte mais comme une formidable opportunité. C'est précisément cette vision pragmatique et innovante que nous devons défendre en tant qu'élus responsables. La Poste ne démantèle pas ses services, elle les transforme, elle les modernise et les adapte au réel, tout en restant fidèle à sa mission universelle. C'est cette voie-là que nous devons encourager, car elle incarne le service public de demain et d'après-demain. Mesdames et Messieurs, prenons nos responsabilités et déposons cette pétition sur le bureau du Grand Conseil; appuyons fermement ces initiatives positives, modernes et proches des réalités de nos communes. (Applaudissements.)
Mme Christina Meissner (LC). Effectivement, le sujet des offices postaux est éminemment communal, et dans ce sens, Le Centre votera le dépôt de cette pétition, parce que le Conseil d'Etat aura peut-être un peu de peine à répondre s'agissant d'une affaire où les communes peuvent s'investir.
M. Sirolli a développé l'exemple de Corsier. Je pourrais développer celui d'Anières, qui a également, à un moment donné, transformé et pris en charge son service postal avec succès. La commune de Meyrin, dont le maire est venu témoigner en commission, a aussi dit qu'elle s'intéressait à évaluer l'opportunité que représentent les commerces locaux et à voir comment devenir partenaire de la Poste: comme l'a dit M. Sirolli, rapporteur, lorsque ces commerces deviennent des lieux publics un peu hybrides dans lesquels on peut trouver les prestations postales et d'autres services, ils bénéficient d'un regain de fréquentation et d'un rôle accru dans le quartier. Cette dynamique de proximité peut même créer de nouvelles centralités, cela n'est pas à négliger. A noter également, en ce qui concerne ce cas précis, qu'il y a une poste au centre commercial, à proximité de Meyrin-Village, qui, elle, n'est pas vouée à disparaître. Il faut quand même le souligner.
Il faut aussi bien se rendre compte - je terminerai par là - qu'avec nos habitudes, nous sommes en fait les premiers coupables de ces décisions de la Poste: on a largement arrêté d'envoyer des lettres - on envoie des courriels aujourd'hui - et il ne faut donc pas s'étonner si, à un moment donné, la Poste, à qui on demande une certaine efficience, essaie elle aussi de trouver de nouvelles solutions pour ses offices postaux. C'est la raison pour laquelle le Centre votera le dépôt de cette pétition. Je vous remercie.
M. Patrick Dimier (MCG). C'est le lieu de rappeler qu'une des raisons de l'installation de nombreux grands groupes internationaux en Suisse est la qualité du service postal. Il est unique, si vous considérez les choses, peut-être pas d'un point de vue libéral, mais en tout cas de manière pertinente. La qualité du service postal suisse est très importante pour de grands groupes, ne faisons donc rien qui puisse l'altérer. Merci.
M. Jean-Pierre Tombola (S). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, la Poste, c'est un service universel. Les pétitionnaires demandent très clairement que les offices de Meyrin et de Cointrin répondent aux besoins de la population. Ils s'inquiètent de la délocalisation - d'une certaine manière - de la poste de Meyrin vers le centre commercial, ce qui ne représente pas le même bassin de population et oblige de très nombreuses personnes âgées à se déplacer. Le phénomène va d'ailleurs aussi concerner des personnes qui fréquentent la Coop, puisqu'il est également annoncé que la poste de la Coop de Meyrin sera déplacée. Cela veut dire, en réalité, que Meyrin-Village sera vidé de sa vie, cela implique la mort du village, ce qui a été relevé plusieurs fois.
Ces préoccupations exprimées par les pétitionnaires l'ont aussi été par les autorités municipales, qui ont entrepris des démarches auprès du Conseil d'Etat et d'un collectif de communes concernées par la délocalisation et la fermeture des postes pour trouver des solutions. Cet office de poste répond aux besoins de la population, il est nécessaire et, si vous le voulez bien, il devrait rester et continuer à assumer sa fonction de service public.
La Poste n'est pas en faillite, ses représentants au niveau national l'ont vraiment confirmé, et je ne vois pas pourquoi on doit toujours chercher à privatiser un service public alors que rien ne le justifie.
Mesdames et Messieurs les députés, pour toutes ces raisons, le groupe socialiste vous invite à renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat afin qu'il prenne une position formelle en faveur du maintien des offices de poste qui ne sont pas encore fermés à Genève. Je vous remercie.
M. Murat-Julian Alder (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, qui est le président du conseil d'administration de la Poste ? (Commentaires.)
Des voix. Aaaah !
M. Murat-Julian Alder. Il ne s'agit de personne d'autre que d'un certain Christian Levrat... (L'orateur imite M. Christian Levrat.) ...ancien président du parti socialiste suisse et ancien conseiller aux Etats du canton de Fribourg pour le parti socialiste suisse. Merci beaucoup de votre attention. (Rires.)
M. Sylvain Thévoz (S), rapporteur de majorité. On s'attendait à la remarque sur M. Levrat, qui a été faite tout au long de l'audition. Mais qui vote les lois, notamment sur l'administration de la Poste ? C'est le Conseil national, d'une manière écrasante PLR-UDC - surtout PLR d'ailleurs -, avec cette petite musique libérale de délocalisation et de fragmentation, finalement, de ce qui fait le service public.
Alors on nous dit: plus besoin d'offices postaux, les gens iront au magasin, au kiosque du coin, ouvert probablement 24 heures sur 24. On vous vendra des chewing-gums, des légumes qui viennent de je ne sais où... (Commentaires.)
Une voix. De Genève !
M. Sylvain Thévoz. ...vous y trouverez votre compte. Mais ensuite, ce commerce fermera et vous n'aurez plus de poste - et peut-être plus de maraîcher de proximité comme M. Sirolli, parce qu'il n'y aura plus de marchés. Ce «tout marché», nous le refusons, avec la majorité, et pour cela nous résistons à la fermeture d'un service public de qualité.
M. Geoffray Sirolli (PLR), rapporteur de minorité. Je remercie tout d'abord M. Thévoz de m'expliquer et d'expliquer à l'ensemble des commerçants susceptibles de fermer comment fonctionnent nos entreprises !
Je rappelle les chiffres: 50% de versements en moins aux guichets postaux et 68% d'opérations effectuées en moins. Ces deux chiffres, à eux seuls, résument la situation. Je veux bien qu'on maintienne des bureaux de poste avec des personnes à l'intérieur, mais s'ils n'ont rien à faire la moitié du temps, ça ne sert à rien. Aujourd'hui, si on veut faire vivre notre village, notre communauté, il faut intégrer ces services postaux, qui peuvent tout à fait être réalisés par d'autres acteurs. Intégrons-les dans les commerces locaux - épicerie, café - pour que les gens puissent y faire un versement, retirer un recommandé sept jours sur sept et peut-être en même temps croiser leurs voisins et voisines ou la personne âgée du coin et prendre un café avec eux. C'est vivre avec son temps que de moderniser cette situation, et c'est pour cela que nous comprenons totalement la vision de la Poste, qui est à la fois réaliste et concrète. Nous suivrons M. Levrat, comme l'ensemble de la Poste suisse, dans cette transformation. Merci beaucoup. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo !
La présidente. Merci, Monsieur le député. Monsieur Genecand, je ne peux pas vous donner la parole après les rapporteurs, malheureusement. Monsieur Thévoz, c'est à vous.
M. Sylvain Thévoz (S), rapporteur de majorité. Oui, brièvement, parce qu'on entend des énormités. Nous avons reçu le directeur de la Poste. Plus de 70 millions de bénéfices en 2023, net. Oui, il y a un ralentissement du courrier postal, mais les autres secteurs de la Poste surperforment et créent du bénéfice. Hier, on a entendu M. Lussi qui disait: «Pensez aux personnes âgées.» Pensez à ceux qui doivent se déplacer, dans une société qui vieillit: oui, aller trois ou quatre kilomètres plus loin, vers un service postal qui n'en sera plus un, c'est une perte de repères et d'identité. La Poste fait des bénéfices, il faut que cela profite à toutes et tous, particulièrement aux personnes les plus vulnérables et aux seniors. Nous vous invitons donc encore une fois à renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. Merci beaucoup.
La présidente. Merci. Non, Monsieur Genecand, je ne vous passerai pas la parole ! (Remarque.) Je cède le micro à M. Maudet.
M. Pierre Maudet, conseiller d'Etat. Merci, Madame la présidente. Je me fais ici le porte-parole de Mme Bachmann, qui est chargée de ce dossier au titre du département de l'économie et qui me prie de vous rappeler que le Conseil d'Etat est très attentif à la position des communes, ce qui fait écho à ce que disait Mme Meissner tout à l'heure. Nous nous battons systématiquement et nous relayons les positions des communes. Elle avait raison de souligner que la loi fédérale institue les communes comme parties prenantes. Vous savez qu'il y a également une commission au niveau fédéral qui analyse les recours que peuvent faire les communes lorsqu'il s'agit de fermer des bureaux de poste ou de les transformer.
Nous devons vous dire honnêtement que le Conseil d'Etat n'est pas très satisfait, ni du processus, qui aboutit à des fermetures en grand nombre, ni des prémices. D'aucuns ont évoqué ici les champs d'activité variés de la Poste, plutôt bénéficiaires. Pour notre part, au Conseil d'Etat, nous devons constater que sur certains segments - on pense par exemple au dossier électronique du patient - non seulement la Poste est déficitaire mais, de surcroît, elle ne donne pas satisfaction quant à la qualité de ses prestations. De manière générale, le Conseil d'Etat est assez critique avec l'institution postale. Il se bat pour que les offices de poste puissent être maintenus en soutenant les communes, car il ne peut pas agir de manière directe. Il constate aussi qu'il faut tempérer, car Genève est moins touché que d'autres cantons: dans des cantons plus ruraux, l'hécatombe des bureaux de poste est généralisée.
Je finirai sur un constat partagé par mes collègues, et je fais écho à ce qui a été dit tout à l'heure: il est vrai que nous sommes les premiers responsables de la diminution du volume d'activité dans les bureaux de poste. Le constat est établi: il y a moins de courrier, moins de versements au guichet, et ces éléments-là doivent quand même aussi être pris en compte. Si certaines années la Poste ne pouvait pas présenter un budget équilibré, il s'est agi de compenser, et c'est l'impôt qui finance cette compensation. Alors oui à un réseau postal solide et durable, mais pas à n'importe quel prix.
Le Conseil d'Etat est plutôt enclin à soutenir les pétitionnaires et il fera ce que vous lui direz de faire en fonction du renvoi ou non. Il confirme ici son soutien aux communes qui souhaitent conserver leur bureau de poste.
La présidente. Je vous remercie. Nous passons au vote sur les conclusions de la majorité, à savoir le renvoi de la pétition au Conseil d'Etat.
Mises aux voix, les conclusions de la majorité de la commission des pétitions (renvoi de la pétition 2231 au Conseil d'Etat) sont adoptées par 47 oui contre 38 non (vote nominal).