Séance du
vendredi 23 mai 2025 à
16h15
3e
législature -
3e
année -
1re
session -
4e
séance
PL 13403-A
Premier débat
La présidente. Nous passons au PL 13403-A, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Le rapport de majorité, rédigé par mes soins, est repris par... Je ne sais pas ! (La présidente rit. Un instant s'écoule.) C'est M. François Baertschi qui le reprend, je lui cède la parole.
M. François Baertschi (MCG), rapporteur de majorité ad interim. Tout d'abord, je tiens à féliciter notre présidente pour son excellent rapport, que je reprends un peu au pied levé; je vous prie de m'excuser si malheureusement mon intervention n'égale pas celle qu'aurait pu offrir la titulaire de cette fonction de rapporteure sur cet objet.
Nous sommes face à un projet de loi qui demande que les directeurs d'école ne fassent pas seulement des tâches administratives et qu'ils ne soient pas déconnectés du travail des enseignants - si j'ai bien compris l'avis des auteurs. J'aimerais revenir sur les propos que tenait lors d'un précédent débat mon vis-à-vis, qui était rapporteur de majorité et qui maintenant se retrouve rapporteur de minorité. Je peux lui rendre la politesse en lui disant que ce projet de loi est une fausse bonne idée. (Remarque.) Oui, chacun son tour !
Effectivement, il est faux de penser que cette proposition pourrait améliorer la qualité du travail mené par les directeurs; par ailleurs, cela perturberait un peu l'organisation de la structure scolaire, raisons pour lesquelles la majorité de la commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport a refusé ce projet de loi. Je reviendrai sur le sujet ultérieurement et laisse à mes chers collègues le soin de défendre cette position mieux que moi ! Merci, Madame la présidente.
M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, j'ai vu que la rapporteure de majorité refilait la patate chaude à ses petits camarades ! En tant que rapporteur de minorité, je souligne que ce projet de loi vise à rétablir un article de loi qui avait été adopté par amendement en 2015, à savoir l'article 59 LIP tel qu'il était en vigueur durant la période 2015-2020. A l'époque, j'avais déposé l'amendement en question, qui avait été accepté en deuxième débat.
Cette disposition, introduite lors de la révision complète de la LIP, faisait suite à la M 2100, qui proposait déjà d'intégrer cette mesure. La motion en question demandait que les directeurs d'établissement consacrent une partie de leur temps de travail à l'enseignement. Elle avait été largement acceptée par le Grand Conseil. Le 27 février 2020, le parlement adoptait le PL 12315, déposé par le parti socialiste notamment, qui actait la fin de l'obligation pour les directeurs des établissements primaires de consacrer une partie de leur temps à l'enseignement.
Le but de ce projet de loi est de permettre aux directeurs de rester connectés avec leurs classes et d'assurer des remplacements, souvent au pied levé, lorsqu'on ne trouve personne pour donner les cours. Cela ne représenterait que quelques heures par semaine, voire par mois. Ce n'est pas du tout une usine à gaz, mais une proposition qui correspond à la réalité du terrain. Cette mesure est déjà en vigueur dans plusieurs cantons, notamment Berne, Fribourg, le Valais et Neuchâtel.
Pour toutes ces raisons, la minorité de la commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport vous demande d'accepter l'entrée en matière sur ce projet de loi. Je vous remercie.
M. Jean-Charles Rielle (S). Madame la présidente, félicitations pour votre brillante élection ! Je vous souhaite une très belle année comme première citoyenne de notre canton !
Chères et chers collègues, plus que des réflexions théoriques, j'aimerais insister sur un point essentiel: la disponibilité ! Et je veux l'illustrer par un seul exemple, que je pourrais multiplier par des dizaines d'autres, vécus pendant plus de vingt-cinq ans comme médecin responsable de région du service de santé de l'enfance et de la jeunesse, chargé notamment de plus de cinquante écoles primaires.
Un enfant arrive un matin à l'école en refusant d'enlever son bonnet. En dessous, il porte une coupe de cheveux infligée par sa famille pour le punir. Une telle situation relève d'une atteinte à l'intégrité corporelle et doit être immédiatement signalée. Si le directeur est en train d'enseigner, il ne peut pas intervenir immédiatement. Cette disponibilité est donc cruciale !
Le faux problème de la proximité, parlons-en ! Il faut dénoncer un mépris sous-jacent pour les tâches administratives et une vision réductrice du rôle des directrices et directeurs, comme si celui-ci se limitait à diriger une équipe. La proximité est partout, dans les couloirs, avec les enseignants, avec les parents dans la gestion des différentes problématiques familiales - les familles recomposées en sont l'illustration -, avec les mairies des communes où se situent les écoles, avec les autres entités comme l'OMP, etc.
Il faut souligner également la problématique des établissements multisites: en cas d'urgence dans une autre école, le directeur doit pouvoir se déplacer sans délai. Enfin, le nombre croissant d'élèves et la complexité des responsabilités administratives justifient pleinement le besoin de directeurs qui se consacrent entièrement à leurs missions, et nécessiteraient plutôt que l'on consolide le rôle de la direction.
Dans l'enseignement primaire, il y a près de 40 000 élèves, répartis dans plusieurs établissements. Si l'on rapporte ce total au nombre de directeurs, on obtient 670 élèves par directeur d'établissement, ces derniers gérant en moyenne 2,8 écoles chacun.
Le cahier des charges des directeurs s'articule autour de six grands piliers: le pilotage pédagogique, l'encadrement, la sécurité et le suivi de la scolarité des élèves, l'école inclusive, la gestion des ressources humaines et la gestion administrative et financière.
Les directeurs, notamment ceux qui travaillent avec plusieurs communes, doivent gérer des enveloppes budgétaires parfois complexes, certaines prestations étant subventionnées de manière différente selon les communes. Ils doivent ainsi respecter les règles imposées par le DIP tout en rendant compte aux communes concernées, ce qui implique la gestion d'importants flux financiers.
Le dernier pilier concerne les relations avec les partenaires extérieurs, qui incluent non seulement les communes et le DIP, mais aussi le tissu associatif et institutionnel local: police municipale, maisons de quartier, travailleurs sociaux hors murs, etc.
Différents éléments permettent aux directeurs de garder cette proximité: les visites en classe, la présence de l'équipe de direction - qui comprend des coordinateurs pédagogiques et des maîtres adjoints -, les relations quotidiennes avec les élèves, les enseignants, les familles et les partenaires institutionnels tels que les communes, le parascolaire ou encore le GIAP. Cette proximité leur permet d'avoir une compréhension fine du terrain et des situations individuelles des élèves. La proximité avec les élèves et le terrain est donc bien réelle, sans qu'il soit nécessaire de confier au directeur un rôle d'enseignant à proprement parler.
Vous l'aurez compris, le groupe socialiste vous invite à rejeter ce projet de loi qui va à l'encontre de l'intérêt de nos enfants, de leurs parents, des enseignantes et enseignants et de l'insertion de nos écoles dans les communes genevoises. Je vous remercie, Madame la présidente. (Applaudissements.)
M. Thierry Arn (LC). Comme cela a été dit, le but de ce projet de loi était de redonner du temps d'enseignement aux directeurs d'école, comme c'était le cas durant la période 2015-2020. Selon les auteurs du texte, cela leur permet de garder un contact avec la réalité du terrain. Or, comme l'a relevé mon préopinant, la réalité du terrain, c'est une moyenne de 670 élèves par directeur à Genève. Je précise au passage que ça ne fait pas moins de 1340 parents d'élèves par directeur ! Rien qu'avec ça, la tâche est déjà énorme !
La réalité du terrain, cela a également été mentionné, ce sont des établissements multisites, avec pour certains pas moins de cinq écoles; pour ceux que je connais, ils peuvent s'étendre de Soral jusqu'à Compesières. Dès lors, je vois mal comment un directeur pourrait enseigner et se déplacer sur les différents sites. La réalité du terrain, ce sont les responsabilités multiples des directeurs; elles ont toutes été listées par mon préopinant, je n'y reviendrai pas.
Pour toutes ces raisons, Le Centre est convaincu que ce cahier des charges est largement suffisant pour les femmes et les hommes qui dirigent les établissements scolaires. Nous sommes certains que les directions maintiennent le contact avec la réalité du terrain au travers de toutes leurs missions et responsabilités. Il nous paraît souhaitable que les directions puissent garder la tête hors de l'eau afin d'être en mesure de prendre soin de leur personnel, qui doit pouvoir dispenser un enseignement de qualité aux élèves. Mon groupe vous demande donc de refuser ce projet de loi.
Mme Francine de Planta (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, les directions d'établissement ont été mises en place par le DIP en 2008 avec l'introduction de 93 directeurs et directrices, afin d'assurer une gestion de proximité, de renforcer le lien avec les familles et les communes et de garantir la mise en oeuvre des réformes HarmoS ainsi que du plan d'études romand.
On peut le reconnaître, les débuts ont été un peu difficiles, mais depuis 2008, cette fonction a été clarifiée. Le rôle des directeurs et des directrices a sensiblement évolué; aujourd'hui, la fonction a pleinement trouvé sa place, elle est reconnue et indispensable, raison pour laquelle ils doivent être soutenus.
Mes préopinants l'ont rappelé, l'enseignement primaire ne représente pas moins de 40 000 élèves, avec une moyenne de 600 élèves par directeur d'établissement. Ces derniers ont un cahier des charges extrêmement dense. Je me permets de le répéter, on leur demande d'assurer de nombreuses tâches: un pilotage pédagogique, c'est-à-dire vérifier la qualité de l'enseignement, un encadrement, à savoir veiller à la sécurité et au suivi de la scolarité des élèves, la mise en place de l'école inclusive, la gestion des ressources humaines, puisque ce sont eux qui suivent et évaluent leurs collaborateurs, la gestion administrative et financière, sans oublier les relations avec tous les partenaires extérieurs.
Il faut aussi rappeler que les directeurs et les directrices sont généralement issus du sérail puisque pour la plupart, ils ont été enseignants ou enseignantes. Par conséquent, le terrain, ils le connaissent. Ils ont toutefois choisi d'évoluer vers une autre fonction. Ce maintien du contact avec le terrain, ils l'effectuent également par des visites en classe régulières, comme cela a été relevé. Je crois enfin qu'il est important de souligner que pour les élèves, un directeur ou une directrice est une figure d'autorité dans leur établissement.
Mesdames et Messieurs les députés, l'école d'aujourd'hui est plus complexe que celle que nous connaissions auparavant. Les missions confiées aux directeurs et directrices d'établissement sont lourdes, mais elles sont remplies par des hommes et des femmes motivés et engagés, qu'il y a lieu de soutenir. C'est pourquoi le PLR vous invite, comme la majorité de la commission, à refuser ce projet de loi. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Mme Laura Mach (Ve). Madame la présidente, je crois que je dois moi aussi vous adresser mes félicitations pour votre élection !
Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, ce projet de loi soulève une question importante à nos yeux, à savoir le lien que peut garder une direction avec le terrain; c'est vraiment une préoccupation que notre groupe partage. Nous reconnaissons qu'au vu du nombre d'élèves et d'écoles différentes sous la responsabilité d'une même direction, il est légitime de se poser la question du lien à la réalité du terrain et de l'incarnation d'un rôle d'autorité.
Cependant, la méthode proposée, qui veut amener la direction au contact direct des classes, ne semble pas correspondre à la volonté des professionnels, déjà débordés par leurs multiples tâches. Pour répondre à la question de la proximité avec le terrain, le département a proposé la création de nouveaux postes de maîtres adjoints, qui ont été acceptés dans le cadre du budget 2025 - leur effet ne peut donc pas encore être mesuré.
Les auditions ont permis d'entendre les directeurs, mais notre groupe regrette qu'elles n'aient pas été plus larges, notamment en incluant la voix des enseignants. Compte tenu de ces réserves, et tout en restant dans l'attente des effets sur la dynamique scolaire obtenus par la présence de davantage de maîtres adjoints, nous refuserons ce projet de loi, qui ne semble pas rencontrer l'adhésion des principaux intéressés. Je vous remercie de votre attention.
M. Djawed Sangdel (LJS). Chers collègues, ce projet de loi pose une bonne question, en lien avec l'aspect de qualité. Il faut que les directeurs des écoles soient connectés avec l'ensemble des parties prenantes: les enfants, les parents, les enseignants ainsi que tout autre partenaire. Dans le cas contraire, si les directeurs restent enfermés dans les classes, bien évidemment, ce contact est perdu. Le groupe LJS vous invite donc à refuser ce projet de loi, comme dix commissaires l'ont fait.
M. Marc Falquet (UDC). Mesdames et Messieurs, la minorité entend les arguments de la majorité, mais il y a quand même un point à relever, c'est que lors de l'étude de cet objet, une commissaire remplaçante qui est enseignante a exprimé un avis tout à fait contraire à celui défendu par la majorité. Elle nous a dit que les directeurs qui enseignaient avaient une vision différente, plus favorable et même plus enrichissante par rapport à ceux qui n'enseignaient pas.
Il y a donc la théorie d'un côté et de l'autre ce témoignage issu de la pratique que nous avons reçu de la part de cette enseignante, qui est venue nous expliquer que les directeurs qui enseignaient apportaient quelque chose de plus aux enseignants ainsi qu'aux enfants grâce à cette réalité du terrain. Selon les avis des uns et des autres, tout diverge. Je voulais juste ajouter l'avis de cette enseignante entendu en commission. Merci.
M. Christo Ivanov (UDC), rapporteur de minorité. J'aimerais rebondir sur ce qu'a dit ma préopinante Mme Mach - vous transmettrez, Madame la présidente. Il faut rappeler que lorsque le système a démarré en 2008, il y avait 93 directeurs d'école. Aujourd'hui, ce nombre est de 59, et, il est vrai, certains d'entre eux gèrent entre trois et cinq écoles.
Toutefois, il faut reconnaître que des maîtres adjoints ont été introduits, les fameux MA, afin d'apporter un soutien aux directeurs. Je pense que cette évolution va certainement se poursuivre dans le futur, pour épauler les directeurs d'écoles primaires.
La présidente. Vous passez sur le temps de votre groupe.
M. Christo Ivanov. Merci, Madame la présidente. Voilà, Mesdames et Messieurs, une raison de plus pour soutenir ce projet de loi, qui, à ce qu'il semble, ne vous a malheureusement pas convaincus, mais qui correspond à une réalité du terrain.
Aujourd'hui, le poste de maître adjoint représente un demi ETP par directeur. Je pense que dans le futur, cela va augmenter. Aussi, le projet de loi trouve bien sa cible. La preuve, c'est qu'on développe en parallèle le rôle des maîtres adjoints, justement pour combler le travail de la direction. Le fait qu'il y ait de tels maîtres est une raison de plus pour garantir que les directeurs soient connectés avec leurs élèves.
Pour toutes ces raisons, la minorité de la commission de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et du sport vous demande d'accepter l'entrée en matière sur le PL 13403. J'ai dit ! Merci.
M. François Baertschi (MCG), rapporteur de majorité ad interim. Il est certain que le flou et le côté un peu indéterminé de ce projet de loi font qu'il a de graves défauts, qui sont d'une certaine manière rédhibitoires. De plus, il convient de souligner deux éléments importants, qui plaident contre ce texte: le cahier des charges très dense des directeurs d'école et la multiplicité des tâches qu'ils ont à effectuer. Sans revenir sur le détail des débats, qui ont été relativement fournis, je vous demande, au nom de la majorité, de refuser le présent projet de loi.
Mme Anne Hiltpold, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, vous avez énoncé un certain nombre de choses, et je ne veux pas revenir sur tout ce qui a été dit et qui est tout à fait juste pour la quasi-unanimité des interventions des différents groupes. J'aimerais juste préciser qu'à ma connaissance, le cas d'un directeur qui enseignait, relevé par une députée en commission, ne concernait pas une école primaire, ce qui change un peu la donne.
J'aimerais également revenir sur les éléments suivants: le nombre d'élèves ne fait qu'augmenter, le nombre d'établissements n'a pas changé depuis des années - nous sommes à 59 établissements pour 168 écoles, disséminées dans tout le canton - et la situation n'a fait que se complexifier, cela a été relevé, notamment via l'évolution du cahier des charges. Aujourd'hui, être directeur d'école, c'est aussi gérer beaucoup de parents et des situations de plus en plus difficiles - ce point a également été évoqué.
J'aimerais aussi vous dire que le Conseil d'Etat considère que le rôle d'un directeur n'est pas d'enseigner, mais de piloter un établissement, de faire en sorte qu'il fonctionne et de prendre soin de son personnel: il a donc également un rôle en matière de ressources humaines, puisque les enseignants qui travaillent dans les écoles lui sont rattachés hiérarchiquement. Ce rôle, ainsi que toutes les autres tâches qui incombent à un directeur, ne lui permettent pas d'enseigner - ce n'est d'ailleurs pas sa mission !
Par conséquent, le Conseil d'Etat est opposé à ce projet de loi, estimant que celui-ci va à l'encontre du mouvement actuel, qui, compte tenu de l'évolution de la situation, vise plutôt à renforcer les directions et à leur apporter un soutien à travers la création de postes de maîtres adjoints. Dans certaines écoles où le directeur n'est pas présent sur place, le maître adjoint peut effectuer un certain nombre de tâches. Vous l'avez dit, il y a des établissements dont les écoles se situent dans cinq communes différentes, et le directeur ne peut pas se dédoubler. On considère dès lors qu'il faut plutôt renforcer la dotation des maîtres adjoints.
Comme indiqué précédemment, nous demanderons aussi un renforcement de la dotation des coordinateurs pédagogiques. Mais aujourd'hui, le rôle des directeurs au sein de nos 59 établissements n'est plus d'enseigner, raison pour laquelle nous vous recommandons, Mesdames et Messieurs les députés, de refuser ce projet de loi. Merci.
La présidente. Je vous remercie, Madame la conseillère d'Etat. Nous passons au vote.
Mis aux voix, le projet de loi 13403 est rejeté en premier débat par 69 non contre 10 oui.