Séance du
vendredi 23 mai 2025 à
14h
3e
législature -
3e
année -
1re
session -
3e
séance
PL 13578-A
Premier débat
La présidente. Ayant terminé le traitement des extraits, nous reprenons l'ordre du jour ordinaire avec le point suivant: le PL 13578-A, que nous examinons en catégorie II, trente minutes. La parole revient à M. Yves Nidegger, rapporteur de majorité. (Un instant s'écoule.)
Une voix. Il n'est pas là.
Une autre voix. Il va arriver.
La présidente. Il va arriver ? (Un instant s'écoule. Commentaires.) Bon, en attendant le retour de M. Nidegger, nous allons lancer la discussion en commençant exceptionnellement par la minorité. Monsieur Nicolet-dit-Félix, c'est à vous.
M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve), rapporteur de minorité. Merci, Madame la présidente. Pour cette première prise de parole, qui sera relativement brève, je vais rapidement contextualiser le projet de loi. Vous le savez, Mesdames et Messieurs, le système démocratique suisse (et genevois par extension) est basé sur l'écoute et le respect des minorités, qu'elles soient géographiques, culturelles, religieuses, linguistiques ou politiques. Ce sont les pères de notre Confédération qui, en 1848, lors de l'élaboration de notre première Constitution fédérale, ont institué ce système garantissant la stabilité de nos institutions. A ce titre, le canton de Genève est tout à fait respectueux des minorités et leur octroie un certain nombre de droits.
Cependant, une modeste faille subsiste dans cette architecture de droits, une faille qui se produit - vous vous en êtes aperçus - lorsqu'un référendum a lieu sans récolte de signatures. Ce cas de figure est susceptible de survenir dans deux situations: d'une part, le référendum est obligatoire quand nous, en tant que parlement, décidons de modifier la constitution; d'autre part, une clause spécifique - qui a failli être utilisée hier soir, une fois de plus - permet à notre Grand Conseil, à la majorité qualifiée, d'imposer le référendum automatique sans collecte de signatures.
Il se trouve que dans ces cas, les groupes minoritaires, qui ont voix au chapitre notamment par l'intermédiaire de la brochure de votation - ils disposent du droit de rédiger eux-mêmes leur texte, ce qui est la moindre des choses lorsqu'on défend un avis -, perdent leur capacité à écrire leur propre argumentaire, et on se retrouve dans la situation un peu absurde où c'est le Conseil d'Etat qui doit assumer l'exposé de la position de groupes qui, par nature, sont opposés à la politique du gouvernement.
Il s'agit d'une faille modeste, et ce projet de loi vise à la rectifier grâce à un dispositif tout simple sur lequel je reviendrais si d'aventure - mais j'espère que ce ne sera pas le cas - le renvoi en commission que je vais proposer était refusé. Pourquoi un renvoi en commission, Mesdames et Messieurs les députés ?
Pour la simple et bonne raison que le travail - si on ose employer ce terme - de la commission a été une sorte de mise en abyme de l'irrespect profond régnant à l'égard des minorités politiques dans ce cadre particulier. En effet, pour être bref, l'examen s'est révélé - précisément - extrêmement bref, étant donné qu'après audition de l'auteur du texte (moi-même), le président, qui se trouve maintenant en face de moi, a décidé de mettre aux voix l'entrée en matière sans même que nous puissions nous prononcer quant aux auditions qu'il aurait convenu de mener, et qu'à une courte majorité, cette entrée en matière a été refusée.
C'est un procédé certes légal, mais tout à fait cavalier, peu usuel dans le fonctionnement de notre parlement et ne rendant pas justice à un projet de loi qui posait une question assurément mineure, mais méritant d'être traitée; en tout cas, mes contacts à la DSOV m'ont confirmé qu'ils se réjouissaient d'être auditionnés sur le sujet.
Pour finir, les conjurés étaient tellement mal à l'aise dans cette situation que la seule personne à accepter de prendre le rapport de majorité a été le président lui-même - ce qui est tout à fait contraire à l'esprit de l'article 188 de la LRGC -, celui qui se trouve actuellement face à moi et qui a manigancé toute cette affaire.
Pour l'ensemble de ces raisons, il semble tout à fait normal, démocratique, opportun et juste de renvoyer cet objet en commission pour que celle-ci, sous une nouvelle présidence, puisse accomplir un travail de qualité. Je sollicite donc le renvoi à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil. Merci. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo.
La présidente. Je vous remercie. Monsieur Nidegger, je vous passe à présent la parole; merci de vous exprimer d'abord sur le projet de loi, puis, à la fin, sur la demande de renvoi en commission.
M. Yves Nidegger (UDC), rapporteur de majorité. Oui, Madame la présidente, je vous remercie. C'est donc moi qui aurais manigancé ce coup de la majorité... Nidegger qui devient majoritaire, ce n'est pas de la manigance, c'est du miracle ! (Rires. Commentaires.) Cela doit probablement tenir à autre chose qu'à de la manigance ! Cela tient surtout au fait que la majorité de la commission a été d'avis qu'il n'était pas nécessaire de conduire des auditions, ayant compris que ce projet de loi ne menait nulle part.
Alors je le confesse, il m'est arrivé à plusieurs occasions de proposer ce mode de faire au sein des commissions où je siège, pas seulement comme président, parce que venant de Berne, je trouve un peu bizarre que quand, de toute évidence, un sujet passera à la trappe, connaîtra un destin tragique et que tout le monde l'entrevoit ainsi, car personne ne s'y intéresse, il existe tout de même une sorte de droit constitutionnel, pour celui qui a déposé le papier coupable de poser la mauvaise question, de bénéficier d'auditions: on doit absolument entendre du monde pour se rendre compte, alors qu'on en est déjà convaincus, qu'il ne convient pas nécessairement d'entrer en matière.
J'estime que c'est du gaspillage de l'argent public, nos jetons coûtent tout de même pas mal d'argent. Lorsqu'une majorité de la commission, d'entrée de cause, considère un texte comme médiocre, il me paraît tout à fait justifié démocratiquement de procéder ainsi, et c'est d'ailleurs le cas à Berne - grande démocratie, la Suisse, Monsieur Nicolet ! Usuellement, on entre en matière sur un texte d'abord parce qu'il y a un intérêt, un besoin d'agir, puis, étant entré en matière, on convoque des auditions pour parfaire notre opinion, pour se renseigner, pour aller au fond des choses; ensuite, on commence à exprimer des avis, pour autant que ce soit nécessaire.
Si toutefois, d'entrée de jeu, on pense que c'est une «Schnapsidee», eh bien on ne le fait pas ! En l'occurrence, pourquoi s'agit-il d'une «Schnapsidee» ? Eh bien parce que... Bon, on vit une époque quelque peu particulière. Quand vous prononcez la formule «égalité de traitement», même si celle-ci concerne des textes parlementaires entre eux, il en résulte immédiatement une espèce de distorsion de l'espace-temps et un blocage des cerveaux: le libellé «égalité de traitement» stoppe toute réflexion.
Ici, on voudrait traiter de la même façon les cas où des membres d'un comité référendaire ont lancé un texte et savent pourquoi ils l'ont fait, se sont postés devant les Migros pour récolter des signatures et, de fait, étant les auteurs d'une proposition, bénéficient du droit de défendre cette même proposition ainsi que de contribuer, au moment de la campagne, à l'élaboration des différentes opinions publiées à propos de la votation, et ceux où il n'y a pas de comité référendaire, estime M. Nicolet: on devrait avoir exactement le même dispositif.
On va dès lors opérer de manière égale qu'il y ait un comité référendaire ou une absence de comité référendaire, ce dernier cas survenant soit lorsque le référendum est obligatoire et qu'il n'est donc pas nécessaire d'en lancer un - c'est la loi qui le prévoit ainsi -, soit quand le Grand Conseil décide de soumettre un certain objet au référendum obligatoire.
Partant, que propose M. Nicolet - qu'il faut remercier pour sa créativité, parce que la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil avait un petit peu nettoyé son agenda et, abstraction faite des examens de compatibilité en cas de démission et de renouvellement, en était arrivée à ne plus avoir d'objets en attente ? M. Nicolet, qui se fait sans doute du souci pour nos rentrées financières, j'imagine, puisque nous avons besoin d'accumuler des jetons de présence... (Exclamations.) Oui, tout à fait ! ...a en effet présenté plusieurs textes, cherchant dans les interstices du possible ce qu'on pourrait bien ajouter à la loi actuelle, jusqu'à vouloir, dans le cas d'espèce qui est celui de l'absence de comité référendaire, conserver le droit d'acteurs qui n'existent pas pour l'accorder à d'autres personnes. Et qui seraient ces autres personnes ? Les députés qui, à propos de la loi faisant l'objet d'un référendum, auraient voté contre celle-ci !
Mesdames et Messieurs, la démocratie directe sert à ce que les partis seuls ne fassent pas tout, à ce que le peuple, lui aussi, puisse parfois participer au débat - c'est ainsi que fonctionne le système suisse de démocratie directe, c'est de là que découle le droit de référendum -, à ce que des non-partis, des associations de citoyens, voire un administré seul, aient la possibilité d'intervenir dans le processus et, au fond, d'entrer en compétition avec un parlement qui a adopté une loi s'ils la jugent mauvaise.
Or que fait-on ici ? On déclare: «Comme il n'y a pas de comité référendaire pour cet objet soumis au vote» - dans le cas où, par hypothèse, le référendum serait obligatoire - «nous allons redonner la parole» - une fois de plus ! - «aux partis politiques qui s'y sont opposés, nous allons chercher les députés dans l'hémicycle qui ont voté non.» Mais enfin, c'est extrêmement dangereux ! Moi, par exemple, je refuse à peu près tout; si vous acceptez le projet de loi de M. Nicolet, vous allez m'entendre dans tous les débats ! Puisque je dis non à tout, je posséderai une espèce de droit, comme si je lançais chaque fois un référendum moi-même, de m'exprimer lors de l'ensemble des votations où un comité référendaire n'est pas requis parce que le référendum est soit obligatoire, soit a été décidé par le Grand Conseil !
Voilà, c'était juste pour vous donner une idée de l'oxymore démocratique dont il est question ici. Et comme cet écueil est apparu très vite lors des discussions, une majorité de six membres de la commission a décidé de ne pas entrer en matière; quatre commissaires (issus des partis qui ont lancé le projet) auraient souhaité entrer en matière tandis que les trois restants se sont abstenus. Je vous recommande de ne pas renvoyer ce texte en commission, car pour une fois, nous avons travaillé correctement, c'est-à-dire qu'à mauvaise question, pas de réponse. Merci donc de refuser la demande de renvoi.
La présidente. Merci. Mesdames et Messieurs, nous procédons au vote sur la demande de renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 13578 à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil est adopté par 41 oui contre 39 non.