Séance du
vendredi 23 mai 2025 à
14h
3e
législature -
3e
année -
1re
session -
3e
séance
M 3007-B
Débat
La présidente. Nous traitons à présent la M 3007-B (catégorie III). La parole échoit à M. de Rougemont.
M. Philippe de Rougemont (Ve). Merci, Madame la présidente. Je vais vous proposer un exercice: nous placer avant l'arrivée de ce projet d'accélérateur géant du CERN. Le Conseil d'Etat et le Grand Conseil votent plusieurs résolutions et projets de lois dans le but de réduire notre consommation d'énergie et d'augmenter la part d'énergie renouvelable dans notre mix énergétique. En outre, on mène une politique de protection des surfaces d'assolement pour un approvisionnement suffisant autant que possible, aujourd'hui et à l'avenir, ainsi qu'une politique visant à réduire la masse de déblais générés par nos multiples travaux, notamment en réduisant le nombre de places de parking souterraines, en réduisant la surface de fondations quand on construit un immeuble, en augmentant la pleine terre, etc.
Vient ensuite le projet de méga-accélérateur du CERN. Qu'est-ce qui se passe ? Avec les chiffres fournis par le CERN lui-même sur l'impact de ce projet, on constate que s'il devait se réaliser, on ferait littéralement exploser les politiques cantonales relatives à la consommation d'énergie, au volume de déblais provenant des chantiers et à la protection des terres agricoles. Comment l'expliquer ? Analysons un peu.
On peut penser que le Conseil d'Etat, qui souhaite répondre favorablement à la motion et qui indique faire tout ce qui est en son pouvoir pour favoriser la réalisation du projet du CERN, est obnubilé par une notion déplacée du prestige technologique - or, la recherche scientifique peut aller dans un autre sens que celui de la «Big Science», qui a d'immenses impacts. On peut supposer que le gouvernement est fasciné par les dizaines de milliards d'euros d'investissement direct dans le canton de Genève. Pour le canton le plus riche du pays le plus riche au monde, je ne sais pas s'il est nécessaire d'aller au-delà des 12 ou 13 milliards de rentrées fiscales que l'on a. Alors qu'est-ce qui reste ? La fascination de se voir associé à un prestige qui, à mon avis, est très dépassé quand on regarde les impacts.
Arrive ensuite, fin mars, le rapport du CERN intitulé «Rapport de faisabilité». Quand on se penche sur ces centaines de pages, ce que l'association Noé 21 a fait, on lit une myriade de constats établis par le CERN lui-même conduisant à la conclusion de la non-faisabilité. Il faut des supraconducteurs: oui, on parviendra à les trouver. Il est nécessaire de parvenir à une température de -273 degrés sur 92 kilomètres: on fera des découvertes, on y arrivera. L'équivalent de trois pyramides de Khéops de déblais sera généré: on trouvera une solution. La consommation d'énergie explosera: oui, mais on va trouver des énergies renouvelables - ce qui veut dire que l'on accaparera la production en énergies renouvelables de la grande région de Genève, voire bien au-delà, pour nourrir ce monstre.
Tout cela m'amène à vous demander de renvoyer au Conseil d'Etat sa réponse, car elle n'est pas responsable et va à l'encontre de nos politiques principales. Je vous remercie de votre attention.
M. Marc Falquet (UDC). Le PLR a déposé ce texte; il est en faveur de cet objet, car il voit de l'argent, mais on peut discuter d'autres éléments liés à cette motion que l'argent.
Compte tenu des invites, je me demande si on a le droit de donner son avis. Une invite contient en effet la formulation suivante: «[...] dissiper les craintes diffusées par certains milieux dont l'objectivité est loin d'être la principale qualité». Ça signifie que si l'on s'oppose à ce projet - notre collègue en a expliqué à juste titre tous les désavantages -, on n'est pas objectif. Alors soyons objectifs !
Est-ce qu'il s'agit d'un projet démocratique ? Non, on n'a rien à dire à ce sujet, on veut nous imposer ce projet - un mégaprojet ! - dont même les scientifiques doutent: ils ne savent pas vraiment à quoi il va servir. Je pense qu'aujourd'hui, la population a d'autres besoins, d'autres demandes, et d'autres nécessités se font sentir, il y a des défis dans tous les sens dans la société, et selon moi, ce n'est pas le moment de chercher l'infiniment petit avec des milliards provenant du contribuable en détruisant les terres agricoles, en bafouant la société à 2000 watts - il faudrait parler d'une société à 2 millions de watts à Genève, si l'on réalise ce projet.
On doit s'y opposer fermement. C'est un projet dépassé, de la technologie de l'ancien siècle ! C'est totalement dépassé ! Des physiciens m'en ont parlé. Je ne vais pas vous redire l'histoire de l'avion qui entre en collision, mais un physicien me l'a expliqué: on fait décoller deux avions pour qu'ils entrent en collision et lorsque les débris sont tombés au sol, on les analyse pour essayer de comprendre comment l'avion était construit. C'est dire la stupidité du système ! Et c'est un éminent physicien qui m'a dit ça !
Même les physiciens vont renoncer à ce projet. Il ne faut pas avoir peur de le critiquer. On dirait qu'on est enfermés: ne surtout pas critiquer, tout le monde est d'accord. Non ! Il y a beaucoup de critiques, ce projet est dépassé, il va contre tous les objectifs en matière d'écologie, d'énergie, dans tous les domaines. En matière d'énergie, il nous bouffe la consommation d'électricité de toute la région, soit de 700 000 habitants. Est-ce que c'est un projet innovant, ça ? Non ! C'est un projet dépassé ! Il faut donc s'y opposer fermement. Tant pis, l'argent se fera ailleurs, pour le bien de la population, il existe des besoins en matière de santé, d'innovation, en matière de technologies propres. Des ruptures technologiques doivent être effectuées, mais pas ce projet. De grâce, renvoyons ce rapport au Conseil d'Etat. Merci beaucoup.
M. Thierry Cerutti (MCG). Ce projet FCC pose problème aussi pour le groupe MCG. Il est ultra complexe, et la logistique d'évacuation des matériaux excavés est incomplète, de même que la consommation d'énergie et la manière de réduire la consommation. Cela reste des problèmes d'«engineering», et finalement, à grand renfort de moyens financiers, on pourrait y arriver.
Néanmoins, est-ce que de tels investissements sont justifiables ? En d'autres termes, est-ce que les résultats scientifiques espérés avec la construction d'une telle machine sont si fondamentaux pour notre société ? Comme la découverte du boson de Higgs, avec la construction du LHC. En l'occurrence, la communauté scientifique ne peut en aucun cas garantir que l'on fera une formidable découverte, car aucune prédiction théorique ne nous indique le chemin à emprunter.
L'argument de la direction générale est que si nous ne le construisons pas, ce seront les Chinois. L'argument est peut-être un peu léger lorsqu'on parle d'un investissement de 25 milliards et plus. En outre, on ne sait pas construire les aimants supraconducteurs; on a atteint la limite avec le NbTi, et la recherche n'est pas assez avancée pour établir un échéancier des solutions. Enfin, même si on ne devait pas apporter le financement et qu'on se convainquait que c'est nécessaire de construire une telle machine, le CERN n'a pas le personnel pour la construire: il manque des milliers de personnes ultra-qualifiées pour réaliser un tel projet, mais aucune instance ne les a, pas même la Chine. Il faudra que les experts actuels, incluant les retraités, forment au CERN un nombre très important de personnes. C'est possible avec le temps, mais on ne parle alors plus de 25 milliards, mais probablement du double du budget indiqué, soit près de 3 milliards pendant vingt ans, en plus des 25 milliards indiqués. Ces montants sont complètement inacceptables. Pour ces raisons, le MCG propose, de même que Marc Falquet, de ne pas soutenir ce projet et de renvoyer ce rapport au Conseil d'Etat.
M. Alexis Barbey (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, laissez-nous nous extasier devant de grands projets que l'humanité ne conçoit pas souvent. Comme l'a fait le plus petit collisionneur, actuellement en service, le grand collisionneur du CERN montrera comment trouver les origines du monde. Ce n'est pas une découverte anodine, mais tout à fait majeure.
On nous a dit que si la Chine reprenait le projet, ce ne serait pas grave. Pour ma part, je pense que ça le serait, car ça voudrait dire que nous avons abandonné ce projet, que Genève a abandonné ainsi deux mille physiciens du CERN et que, par conséquent, la Genève internationale a reçu un méchant coup.
Trouver l'origine du monde est un défi auquel nous essayons de faire face depuis de nombreuses décennies; de grands pas ont été faits et on a montré que la technologie utilisée, à savoir celle du collisionneur, peut encore déboucher sur de grandes découvertes physiques.
Il y a en outre le fait que mener à bien un grand projet comme celui-là a un côté enthousiasmant pour tous ceux qui croient dans le monde, qui croient dans la science et feront en sorte que celle-ci puisse répondre aux grandes questions qui nous animent maintenant. Je vous remercie.
Mme Christina Meissner (LC). Madame la présidente, félicitations pour votre élection - c'est la première fois que je prends la parole après celle-ci.
Je ne peux pas m'empêcher de réagir à la réponse du Conseil d'Etat. Vous transmettrez à M. Barbey que l'extase viendra non pas de la découverte de l'origine du monde, mais de la sauvegarde de notre planète, parce qu'aujourd'hui, c'est bien notre futur qui est en jeu - je ne répéterai pas les arguments déjà avancés. Nous sommes face à une urgence, et nous avons les moyens technologiques et scientifiques et l'argent pour sauver notre planète et notre humanité. Voilà la priorité aujourd'hui. Le boson de Higgs attendra ! Il attendra des temps meilleurs, qui viendront si nous faisons ce qu'il faut aujourd'hui, sinon ils ne viendront pas.
Aux arguments avancés, j'aimerais en ajouter un dernier, l'argument démocratique. Comment se fait-il que le gouvernement nous prive, nous, le parlement, mais aussi les citoyens de Genève, de notre capacité de décider dans le cadre de la planification directrice cantonale en demandant à la Confédération de faire de ce projet ce qu'on appelle un plan sectoriel, c'est-à-dire ce qui existe pour l'aéroport - les décisions sont prises au niveau de la Confédération et non pas du canton ? Comme ce sujet ne figurait pas dans cette motion, je me suis permis de déposer une question écrite urgente qui va dans ce sens. J'espère bien avoir les réponses à cette question qui est quand même fondamentale dans un pays et un canton démocratiques. Il faut bien sûr renvoyer au Conseil d'Etat sa réponse: la prochaine sera peut-être meilleure. Je vous remercie.
La présidente. Merci, Madame la députée. J'ouvre la procédure de vote.
Mis aux voix, le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport sur la motion 3007 est adopté par 43 oui contre 24 non et 11 abstentions.
Le rapport du Conseil d'Etat sur la motion 3007 est donc rejeté.