Séance du jeudi 22 mai 2025 à 20h30
3e législature - 3e année - 1re session - 2e séance

PL 11715-A
Rapport de la commission de l'économie chargée d'étudier le projet de loi de Jacques Béné, Gabriel Barrillier, Edouard Cuendet, Jean-Marc Guinchard, Serge Hiltpold, Georges Vuillod, Patrick Lussi, François Baertschi, Jean-Marie Voumard, Stéphane Florey, Michel Amaudruz, Nathalie Fontanet, Lionel Halpérin, Jean Romain, Murat-Julian Alder, Christo Ivanov, Pascal Spuhler, Bénédicte Montant, Patrick Saudan, Danièle Magnin, Vincent Maitre, Francisco Valentin, Jean-Luc Forni, Simone de Montmollin, Jean Sanchez, Pierre Conne, Michel Ducret, Yvan Zweifel, Cyril Aellen, Christian Flury, Bernhard Riedweg modifiant la loi sur les heures d'ouverture des magasins (LHOM) (I 1 05) (Ouverture du dimanche)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session I des 22 et 23 mai 2025.
Rapport de majorité de M. Jacques Béné (PLR)
Rapport de première minorité de M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve)
Rapport de deuxième minorité de Mme Léna Strasser (S)

Premier débat

La présidente. Nous passons à l'urgence suivante, à savoir le PL 11715-A, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Monsieur Jacques Béné, vous avez la parole.

M. Jacques Béné (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente. Dix ans, ce projet de loi a dix ans ! Il a fait souffrir quatre conseillers d'Etat successifs, qui ont tous pensé, avec espoir, pouvoir enfin réunir les partenaires sociaux pour trouver un arrangement, il n'en a rien été. Je vais commencer par un constat, je pense que nous serons nombreux à le partager: le commerce genevois souffre, beaucoup et depuis longtemps.

Il a beaucoup souffert pendant la pandémie; suite au covid, la reprise a été très limitée. Il subit également la concurrence des commerces frontaliers, qui bénéficient d'une flexibilité horaire bien plus grande. Quand je dis frontaliers, ce n'est pas que la France voisine: si vous allez à Chavannes, il y a aussi beaucoup plus de flexibilité, notamment le vendredi soir, quand les Genevois partent en Valais ou dans d'autres contrées suisses. Et puis, il souffre aussi de l'essor de l'e-commerce, qui est, lui, ouvert 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Dans ce contexte, l'ouverture dominicale proposée par ce projet de loi, bien que très limitée... On parle de deux dimanches. On a déjà le 31 décembre, qui est officiellement ouvert. On propose d'ouvrir deux dimanches supplémentaires avec les mêmes conditions que celles qui s'appliquent le 31 décembre.

C'est une opportunité, une petite bouffée d'oxygène pour les commerces genevois, une chance de dynamiser un peu notre économie locale et de réduire en partie l'évasion commerciale, surtout juste avant Noël, puisque l'essentiel de ce projet de loi est de proposer une ouverture un dimanche avant Noël et une deuxième à une autre occasion dans l'année, en fonction des activités ou des événements qui peuvent se tenir dans le canton.

L'expérience menée en 2019 et 2020 a été très positive. Il n'y avait pas de convention collective de travail étendue imposée, et ce sont les usages qui s'appliquaient, comme pour le 31 décembre. On a vu des plaques d'immatriculation vaudoises et françaises; ces personnes venaient à Genève pour faire du shopping, ce qui prouve bien que les commerces genevois ont une certaine attractivité et qu'il y a bien un problème quant aux horaires.

Il est prévu que ces ouvertures soient très bien encadrées: elles se feront sur une base de volontariat, il n'y aura pas de dépassement de la durée légale de travail, contrairement à ce qu'on a pu entendre, et les compensations seront même supérieures aux exigences fédérales, puisqu'au niveau fédéral, c'est 50% de compensation, alors que 100% de compensation sont prévus dans ce texte. On voit donc bien qu'il y a aussi un intérêt pour les collaborateurs.

La présidente. Vous passez sur le temps de votre groupe.

M. Jacques Béné. Volontiers ! Malgré la volonté populaire, il n'y a pas d'avancée depuis dix ans, parce que la mise en oeuvre reste conditionnée à cette fameuse convention collective de travail étendue, que les syndicats se sont empressés de dénoncer après la votation de 2016, soit au début de l'année 2017, ce dans le but de bloquer toute ouverture dominicale. Ils se sont dit que cela entraînerait des négociations durant lesquelles ils pourraient obtenir plus, afin de bénéficier d'une nouvelle convention collective de travail.

Heureusement, ça n'a pas marché - c'est ce qu'on a déjà dit à l'époque. Pourquoi ? Parce que les petites entreprises ne peuvent pas régater avec ce qui est déjà proposé par les grandes entreprises - Migros, Coop, etc. -, notamment en ce qui concerne la cinquième semaine de vacances, pour ne citer que cet élément, qui est octroyée dans les conventions collectives de ces entreprises. Les patrons des petites boutiques de notre canton n'arrivent malheureusement pas à l'offrir, ayant souvent des revenus inférieurs à ceux de leurs collaborateurs.

A un moment donné, il faut bien essayer de trouver une issue. On avait dit que cette exigence était posée notamment pour pousser le patronat à trouver des solutions. Il veut bien le faire, mais il y a une autre partie, à savoir justement les petits commerces, qu'on souhaite défendre, qui ne veut pas d'une convention collective de travail et qui préfère effectivement conserver les usages.

Si on a mis les usages dans la loi, c'est parce qu'ils correspondent exactement à la convention collective de travail qui avait été dénoncée. Il ne s'agit donc pas de généraliser le travail dominical ou d'augmenter le temps de travail, mais d'autoriser une ouverture très mesurée durant deux dimanches sur l'année, en plus du 31 décembre - ça fait trois dimanches sur les quatre qui sont autorisés au niveau fédéral. Cela ferait notamment le bonheur des étudiants, qui ont de la peine à trouver des revenus complémentaires, ainsi que de tous ceux qui sont sur des listes d'attente pour pouvoir travailler le dimanche.

Je vous remercie d'accepter ce projet de loi. On a bien compris qu'il y aurait un référendum: pour éviter à tous les militants qui ne veulent justement pas de ces ouvertures le dimanche de devoir s'investir en dehors des heures de travail pour aller chercher des signatures, nous avons déposé un amendement prévoyant le référendum automatique, ce qui nous permettrait de régler définitivement, ou en tout cas pour un moment, cette problématique devant la population, que le résultat soit oui ou non. Je vous remercie.

M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve), rapporteur de première minorité. Madame la présidente, à mon tour, je me joins aux félicitations pour votre brillante élection.

Vous le savez, comme le sait cette assemblée et comme le sait notre population, le monde souffre. Il souffre incontestablement des excès du consumérisme. La période de Noël est une sorte d'image hypertrophiée de cette dérive consumériste débridée qui nuit tant à notre environnement et à notre société.

Cette fête, à la base, était une fête païenne qui visait à la renaissance, en créant une sorte de césure pour qu'on se retrouve avec les siens, dans une forme de quiétude. Elle a été transformée par les marchands - chacun le constate - en une espèce de frénésie d'achats contraints socialement, donc inutiles, et bien entendu extrêmement nuisibles, avant tout pour notre environnement.

Ces marchands, on l'a vu à l'instant, ont des entrées dans les parlements - c'est une partie de leur travail -, et ils reviennent avec des coups de boutoir récurrents pour essayer de faire croître cette frénésie consumériste, en particulier durant cette période du mois de décembre, à savoir les semaines qui précèdent les fêtes de Noël.

Le rapporteur de majorité l'a dit, la population a déjà eu l'occasion de se prononcer à trois reprises sur la question, et le projet qui arrive soudain en urgence devant ce parlement est en réalité vieux de dix ans ! On n'a pas très bien compris où était l'urgence vu que ce projet traîne dans les cartons depuis 3655 jours, mais il semble que pouvoir ouvrir deux dimanches de plus par année relève de l'urgence cantonale absolue !

Qu'a dit la population à trois reprises, en 2010, en 2016 et en 2021 ? Son message, Mesdames et Messieurs les députés, a été extrêmement clair, et nul doute qu'elle le réitérera lors du vote référendaire de cet automne ou de cet hiver: elle a dit non, nous ne voulons pas d'ouverture dominicale des commerces, nous ne voulons pas d'élargissement de la LHOM. Le seul vote nuancé a été ce fameux vote de 2016, où la concession a été d'autoriser sous forme de deal, d'arrangement cette ouverture dominicale, à condition qu'une convention collective de travail étendue protège les travailleurs et les travailleuses de ce secteur, qui sont particulièrement précaires.

Il se trouve que les milieux mercantiles, les milieux des marchands n'ont simplement pas rempli la condition qui leur avait été posée par la population. Ils reviennent à réitérées reprises pour dire: «Voilà, il y avait un deal pour cette convention collective de travail, ok, mais on ne peut pas, donc on ne va pas la faire.» Ils réimposent le même texte, sauf qu'ils ôtent tout ce qui en faisait l'intérêt, notamment pour le monde des travailleuses et des travailleurs. Ça ne s'appelle pas de la politique, ça s'appelle du chantage, même du caprice, lorsqu'on parle en termes éducatifs.

La présidente. Vous passez sur le temps de votre groupe.

M. Julien Nicolet-dit-Félix. Je ne vais pas m'éterniser sur les questions syndicales - mes collègues Léna Strasser et Pierre Eckert mettront en évidence ces points -, mais je vous rends attentifs au fait que ces coups de boutoir se passent à Genève, mais également à Berne, où l'autorisation qui était faite dans la loi fédérale pour quatre dimanches vient de passer à douze. On voit que c'est le mouvement que la droite est en train de suivre, téléguidée par ces marchands.

Nous le disons très clairement: des dimanches d'ouverture, nous n'en voulons pas douze, nous n'en voulons pas quatre, ni deux, ni un; nous irons au référendum et refuserons la clause de référendum obligatoire, parce que nous estimons qu'il est de notre devoir de faire cette campagne de récolte et de défendre notre position, en particulier dans la brochure de votations. Evidemment, nous refuserons ce texte. Merci. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

Mme Léna Strasser (S), rapporteuse de deuxième minorité. Mesdames les députées, Messieurs les députés, ce projet de modification abroge l'article qui conditionne l'ouverture des magasins certains dimanches dans l'année à l'existence d'une convention collective de travail étendue dans la branche du commerce de détail à Genève.

La question de l'extension des horaires d'ouverture des magasins est régulièrement présentée par la droite de notre parlement comme la recette magique pour sauver un commerce de détail genevois en difficulté - c'est vrai qu'il l'est ! Mais cette rhétorique fumeuse masque très mal une réalité en fait bien plus complexe.

Ce ne sont pas les horaires qui poussent les consommateurs à se détourner des commerces locaux, mais la montée en puissance du commerce en ligne et, surtout, l'écart entre les prix genevois et ceux pratiqués en France voisine. Le véritable enjeu réside dans le pouvoir d'achat des ménages et non dans une flexibilisation des horaires des magasins.

Pour la minorité, il faut cesser de s'acharner à imposer des solutions qui ne sont pas efficaces et ne font que précariser davantage les conditions de travail dans ce secteur. Parce que le coeur du problème est bien là: comment est-ce que l'on concilie le travail du dimanche avec une vie de famille, des responsabilités éducatives ou simplement le droit au repos ? Pour nous, cette fuite en avant est inefficace économiquement, mais surtout injuste socialement.

On nous rétorque, comme l'a fait mon préopinant, que ceux qui travailleront le dimanche ne seront que des volontaires qui seront intéressés par ces horaires, parce que, oui, c'est mieux payé que les autres jours, et que ce seront majoritairement des étudiantes et des étudiants. Mais qui sera là pour ouvrir le matin, pour fermer la caisse, pour gérer les équipes ? Et puis comment les professionnelles employées - je parle au féminin ! - pourraient-elles dire non à une sollicitation pour travailler le dimanche alors qu'elles souhaitent avant tout garder leur emploi et ne pas se mettre en porte-à-faux avec leurs employeurs ?

Et si c'est pour mettre du beurre dans les épinards, alors autant améliorer leurs conditions de travail tout le reste de l'année ! Or, le partenariat social dans le commerce de détail est rendu difficile par la fragmentation du tissu patronal, par l'absence d'adhésion à des organisations représentatives et par le refus d'ouvrir la liste des membres de certaines associations, ce qui empêche de vérifier l'application d'une éventuelle convention.

La minorité considère donc que la suppression de la clause de la CCT étendue sans garantie réelle pour les travailleurs et travailleuses est juste inacceptable. On ne peut pas soutenir ce projet de loi, qui affaiblit vraiment le partenariat social, au lieu de le renforcer.

Et puis, refuser l'élargissement des horaires d'ouverture, c'est rejeter une société où le profit passe avant la qualité de vie, c'est affirmer que le commerce local ne se sauvera ni en sacrifiant ses salariés ni en ouvrant deux dimanches de plus par an - mon collègue l'a dit, ce sera ensuite trois, puis quatre, puis cinq, puis six, puis sept, puis huit, puis neuf, puis dix, puis douze ! -, mais en renforçant la compétitivité, par un service de proximité de qualité et des conditions de travail décentes.

Voilà, au fond, c'est une prise de position en faveur d'un modèle de société plus humaine et c'est pour cela que nous vous appelons à rejeter clairement ce projet de loi. Merci. (Applaudissements.)

M. Romain de Sainte Marie (S). Mesdames et Messieurs les députés, c'est vrai que pour M. Béné et moi, ça doit être la cinquième ou sixième votation sur la loi sur les heures d'ouverture des magasins. C'est un peu cyclique finalement, ça revient environ tous les deux ans, à croire qu'il n'y a pas de solution véritable concernant la vitalité du commerce de détail qui résiderait dans les horaires d'ouverture des magasins.

En effet, la loi actuelle accompagne le partenariat social, le met en avant. Si les magasins souhaitent ouvrir trois dimanches par année et le 31 décembre, elle exige que le partenariat social soit mis en oeuvre via une convention collective de travail étendue dans ce secteur.

Il faut nommer les choses telles qu'elles sont: ce texte est un passage en force de la part de la droite du parlement et du Conseil d'Etat. Passage en force sur le partenariat social, passage en force sur le dialogue entre syndicats et milieux patronaux. Il est vrai qu'avec les conditions actuelles, qui nécessitent une double majorité des employeurs et des employés, les milieux patronaux n'arrivent pas à réunir suffisamment de représentants pour pouvoir négocier cette convention collective de travail étendue.

Le vote qu'on s'apprête à vivre ce soir a prétendument pour but de favoriser le secteur du commerce de détail et d'améliorer sa vitalité. Mais le problème actuel du commerce de détail genevois, la raison de sa souffrance, ce ne sont pas les horaires d'ouverture des magasins, c'est le pouvoir d'achat ! Les Genevoises et les Genevois n'arrêteront pas d'aller faire leurs courses en France parce qu'on ouvre deux dimanches de plus par année ou même un peu plus. Ils le font parce que c'est moins cher ! Ce n'est pas une question d'horaire d'ouverture.

Si des Genevoises et des Genevois souhaitent faire leurs courses à toute heure, ils les font en ligne. Or on ne va pas ouvrir les magasins 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour lutter contre le tourisme d'achat sur internet ! Non, en effet, Mesdames et Messieurs, beaucoup d'études ont montré qu'il ne servait à rien d'ouvrir deux ou trois dimanches en plus par année.

La position du parti socialiste n'est pas tant d'être opposé à l'ouverture des magasins le dimanche, elle consiste surtout à souligner que le secteur du commerce du détail souffre de cas de sous-enchère salariale répétés - c'est l'OCIRT qui le relève. (La présidente agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Si tout allait bien dans ce secteur, alors nous serions ouverts aux négociations, mais, en l'occurrence, les conditions de travail y sont mauvaises.

Par conséquent, le parti socialiste n'est pas en faveur d'élargir davantage les horaires d'ouverture des magasins sans compensation majeure, sans garantie claire et avancée pour les conditions de travail des salariés dans le secteur du commerce de détail. Ce sont les raisons pour lesquelles, Mesdames et Messieurs, nous refuserons ce projet de loi et rejetterons également l'amendement prévoyant un référendum obligatoire...

La présidente. Merci, Monsieur le député.

M. Romain de Sainte Marie. ...afin que nous puissions mobiliser davantage lors de la récolte de signatures, puis voter non une énième fois à cette extension des horaires d'ouverture des magasins ! (Applaudissements.)

M. Jean-Marc Guinchard (LC). Madame la présidente, toutes mes félicitations pour votre brillante élection !

Les aspects légaux et techniques ayant été très bien exposés par les rapporteurs de majorité et de minorité, je n'y reviendrai pas, mais j'aimerais souligner deux choses. Lorsque vous allez le dimanche à l'aéroport ou à la gare Cornavin, devant les grandes surfaces, il y a la queue, réglée par des Securitas, ce qui démontre bien que cela répond au besoin d'une certaine population qui ne peut pas toujours faire ses courses la semaine.

Deuxième élément: Genève est une ville de tourisme et de congrès, dit-on. Il nous arrive assez fréquemment de croiser des congressistes, qu'on reconnaît aisément à leur badge, et certains d'entre eux prolongent leur séjour à Genève, après les travaux du congrès, jusqu'au dimanche soir. Je me demande toujours ce qu'ils font le dimanche, à part prendre des selfies devant l'horloge fleurie ou le jet d'eau; il n'y a rien, aucune activité, de nombreux restaurants sont fermés et les Rues Basses sont totalement désertes, complètement inanimées.

J'ai compris quelles sont les solutions trouvées par les organisateurs de congrès pour ces parties culturelles (pour ainsi dire): ils affrètent des cars, transportent les congressistes et leurs conjoints et conjointes en France voisine et se rendent avec eux sur les marchés qui existent là-bas. Ensuite, ils vont manger à midi au restaurant panoramique du Salève. Tout ça, ce sont des sous qui partent de l'autre côté de la frontière et qui ne reviennent pas à nos commerçants.

Il a été rappelé à juste titre que c'est un serpent de mer: dix ans de travaux, l'usure de quelques conseillers d'Etat, mais également de quatre ou cinq présidents de commission, si mes souvenirs sont bons, dont Mme Strasser d'ailleurs à l'époque. Tout ça pour arriver à un projet de loi qui, finalement, est un texte non consensuel - je suis d'accord, on le constate -, mais qui selon nous est pragmatique, pratique, et qui fournit des solutions avantageuses, tant aux employeurs qu'aux employés. Le Centre soutiendra donc ce projet, et je vous invite également à accepter l'excellent amendement de notre collègue Jacques Béné. Je vous remercie.

Une voix. Bravo !

La présidente. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. Eckert pour deux minutes.

M. Pierre Eckert (Ve). Comme je n'ai pas beaucoup de temps, j'accélère un peu; Madame la présidente, je ne vous féliciterai pas, parce que je n'ai plus le temps ! (Rires.)

Le PLR est spécialiste de cette pratique consistant à changer le titre d'un certain nombre de lois de façon un peu fallacieuse. J'ai donc moi-même hésité à changer le titre de cette loi en le remplaçant par: «Concurrencer la messe du dimanche», «Pour une consommation effrénée» ou «Précariser les plus précaires». C'est sur ce dernier point que j'aimerais mettre l'accent.

En plus de l'ouverture des dimanches, le projet de loi qui nous est soumis est très problématique, car il ôte tout espoir au personnel de vente, qui ne dispose actuellement pas d'une convention collective de travail (CCT), de pouvoir un jour en bénéficier. En effet, une grande partie de ce personnel, essentiellement féminin, est concernée par cette situation. La loi votée en 2016 subordonnait l'ouverture des dimanches à l'existence d'une CCT, qui aurait concerné l'ensemble de la branche et pas seulement quelques chaînes de grands magasins.

Sans CCT, le personnel se trouve quasiment à poil, si l'on ose dire, couvert seulement par le mince filet de la loi fédérale sur le travail et par les usages genevois. Ces derniers couvrent bien la rémunération, très proche du salaire minimum, la rétribution du dimanche et la maladie, mais rien de plus. Dans une CCT, on pourrait placer bien plus d'éléments pour protéger le personnel, comme le paiement des heures supplémentaires, le traitement des jours fériés ou du travail de nuit, des restrictions pour les heures de travail coupées ou pour le travail sur appel, entre autres.

Avec la loi que vous vous apprêtez à voter, toutes ces possibilités seront perdues pendant un bon bout de temps pour une part importante du personnel, en grande partie féminin, je le répète. C'est la raison supplémentaire pour laquelle les Vertes et les Verts refuseront fermement cette loi qui met en danger le personnel le plus précaire, et pas seulement le dimanche, mais aussi le lundi, le mardi, le mercredi, le jeudi, le vendredi et le samedi, soit tous les jours de la semaine ! Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Vincent Canonica (LJS). Madame la présidente, permettez-moi tout d'abord de vous adresser toutes mes félicitations pour votre brillante élection, en ma qualité, encore pour quelques jours, de vice-président de la commission de l'économie.

Mesdames et Messieurs les députés, soyons pragmatiques; je vais encore le marteler: le commerce genevois souffre, il souffre, et il souffre ! Les enseignes ferment les unes après les autres. Il est devenu courant de se déplacer en France voisine pour faire ses courses le dimanche, parce que tout est fermé à Genève.

Dans d'autres cantons, notamment à Bâle et à Zurich, les commerces peuvent ouvrir le dimanche avant Noël. L'ouverture du dimanche 22 décembre 2024, bien qu'autorisée tardivement, a été saluée par les commerçants. Il est dans l'intérêt de l'ensemble de la population de trouver des solutions pragmatiques.

La gauche essaie de nous faire croire qu'une ouverture supplémentaire de seulement trois dimanches par an pousserait à la consommation de façon excessive et porterait atteinte à la sauvegarde de l'économie circulaire. Mettre en balance un risque de surconsommation avec une autorisation d'ouvrir les commerces trois jours supplémentaires par an, c'est excessif, réducteur et trompeur.

Le consommateur doit rester libre de ses choix, le bon sens et le respect de la dignité humaine doivent l'emporter. L'argumentation de la gauche selon laquelle cela ne bénéficierait qu'aux grandes surfaces ne saurait davantage convaincre. Il s'agit d'une conviction partisane que la réalité du terrain ne confirme pas.

Enfin, la gauche ne saurait pas non plus nous convaincre par la tactique du salami. Ils tombent dans l'absurdité crasse lorsqu'ils reprochent au Conseil d'Etat l'ouverture de ce fameux dimanche 22 décembre 2024, avant les fêtes de Noël, alors que le Tribunal fédéral a refusé que s'applique l'effet suspensif au recours qui avait été déposé contre cette décision sous le prétexte qu'il s'agirait d'une libéralisation massive des horaires d'ouverture.

J'en appelle à la sagesse confédérale helvétique, qui prône l'usage du compromis là où les intérêts des uns et des autres peuvent et doivent être préservés. Ouvrir trois dimanches par an contre une indemnité compensatoire de 100% selon les usages pour ces jours travaillés, dans la limite de la durée hebdomadaire de travail, est une mesure nécessaire pour préserver nos commerces et donner un coup de pouce aux petites entreprises.

Il est grand temps de redonner vie à notre centre-ville, de permettre à notre ville de vivre par elle-même et pour elle-même, de diminuer le commerce transfrontalier et de donner ainsi un signal positif au commerce local. LJS soutiendra ce projet de loi ainsi que l'amendement du PLR prévoyant le référendum obligatoire.

M. François Baertschi (MCG). Ainsi donc, nous avons un rapporteur qui part en croisade contre le consumérisme, tel un fier chevalier; encore devrait-il aller écumer la France voisine, où l'ouverture les dimanches est systématique et a lieu non pas un, deux ou trois dimanches par année ou le nombre que l'on veut, mais toutes les semaines, c'est-à-dire une cinquantaine de dimanches par année. Plusieurs chaînes de supermarchés font cela - je ne leur ferai pas de publicité, ils n'en ont pas besoin et ne le méritent pas.

La véritable croisade qu'il faudrait mener, c'est celle contre les achats de l'autre côté de la frontière; c'est une croisade pour les résidents genevois, dans le but de leur permettre d'exercer un travail de qualité à Genève. Il faudrait également garantir aux entreprises une activité équilibrée et un bon fonctionnement.

Lors des travaux en commission, on s'est rendu compte que le véritable enjeu est d'avoir une ouverture par année. En fait, la loi prévoit deux dimanches par année, afin de laisser une certaine marge s'il y a un événement, mais on parle bien d'un dimanche par année ! Et on fait une histoire gigantesque autour de ça !

On avance maintenant les conventions collectives de travail étendues; il faut savoir qu'elles sont complètement impossibles à réaliser du fait qu'on n'arrive pas à trouver suffisamment d'employés syndiqués et suffisamment d'entreprises représentatives pour remplir les conditions imposées par la loi actuelle.

Il faut donc que nous soyons pragmatiques et que nous nous concentrions sur une loi qui nous permettra de décoincer cette affaire, parce qu'on finit par en avoir assez de ce débat. Il faut voter ce texte et l'amendement, qui permettra qu'un vote ait lieu très prochainement. Nous devons trancher cette question, raison pour laquelle le MCG soutient pleinement ce projet de loi et s'inquiète sérieusement de... (Brouhaha.) ...la France voisine - mon voisin est un peu bruyant !

Une voix. Il a raison, j'allais le dire, Monsieur le président... Pardon, Madame la présidente ! (Rires.)

M. François Baertschi. Remettez-le à l'ordre, Madame la présidente ! Non, je plaisante. Je le répète, nous soutiendrons ce projet de loi, je crois qu'il faut le dire trente-six mille fois parce que beaucoup de gens dans cette république ne comprennent pas l'enjeu de cette loi.

M. Florian Dugerdil (UDC). Chers collègues, en 2019 et en 2020, certains dimanches ont été ouverts à titre expérimental. Le bilan de cette initiative s'est révélé plus que positif. Les données montrent qu'il ne s'agissait pas simplement d'un report de la fréquentation des autres jours, mais bien d'une fréquentation additionnelle dans les commerces.

D'ailleurs, les documents fournis lors des différentes auditions nous ont également présenté la situation des autres cantons, où certaines zones touristiques permettent des ouvertures dominicales, malgré l'absence de base légale.

A Genève, le tourisme d'achat reste un enjeu majeur pour le commerce de détail, tout comme la montée de l'e-commerce, ainsi que cela a déjà été souligné par mes préopinants, sans oublier l'effet lié à la mobilité et aux manifestations, que subit particulièrement le canton de Genève.

Je contredis ce que raconte M. Romain de Sainte Marie - vous transmettrez, Madame la présidente -, et je l'invite à venir constater de ses propres yeux la saturation du trafic le dimanche d'avant Noël sur les routes qui mènent aux commerces français.

L'organisation Genève Commerces se positionne... (Brouhaha.) Vous me dites si je vous dérange ! Parce que je n'arrive même plus à me relire tellement vous parlez fort !

La présidente. Continuez, Monsieur le député.

M. Florian Dugerdil. Je disais... Excusez-moi, il faut que je m'y retrouve ! (Rires. Remarque.) L'organisation Genève Commerces se positionne avec ténacité en faveur de l'ouverture les dimanches, et particulièrement durant la période précédant les fêtes de Noël. Cet organisme souligne toutefois un point crucial, la suppression du lien avec la convention collective de travail, actuellement impossible à étendre.

Mesdames et Messieurs les députés, les différentes auditions et les arguments qui en ressortent démontrent non seulement le bien-fondé de ce projet de loi, mais illustrent également l'importance de son impact économique pour la Genève commerciale ainsi que pour le tourisme de commerce.

Forts de ces éléments solides, une large majorité des membres de la commission de l'économie, c'est-à-dire tous sauf ceux issus de la gauche, vous invitent à accepter ce projet de loi tel qu'amendé. Merci.

La présidente. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. Julien Nicolet-dit-Félix pour neuf secondes.

M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve), rapporteur de première minorité. Très rapidement, je prends la parole pour tordre le cou à cette comparaison avec la France voisine sur la répartition des bénéfices entre les petits et les grands commerces, qui ne tient pas. Passez la frontière, une fois n'est pas coutume, je ne saurais vous donner ce conseil de manière récurrente, mais faites-le une fois pour voir: le dimanche, seules les grandes surfaces dans ces épouvantables zones artisanales...

La présidente. Votre temps est écoulé, il vous faut conclure, Monsieur.

M. Julien Nicolet-dit-Félix. Si vous allez au centre de Ferney ou de Saint-Julien, les petits commerces sont fermés, et ils le sont même le lundi matin ! Faites l'expérience et vous en tirerez les conclusions qui s'imposent; refusez ce projet de loi ! (Applaudissements.)

La présidente. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Béné pour vingt secondes.

M. Jacques Béné (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Madame la présidente. Je serai très rapide. Effectivement, on n'arrivera pas à se mettre d'accord, mais il faudrait peut-être aller au bout du raisonnement à gauche: le dimanche, fermons les fleuristes, fermons les boulangeries, arrêtons les TPG, fermons les musées, l'hôpital, l'IMAD ou tous les commerces de l'aéroport !

La présidente. Il vous faut conclure.

M. Jacques Béné. C'est évident qu'avec le raisonnement qu'une ancienne présidente du parti socialiste avait eu au moment du dépôt de ce projet de loi...

La présidente. C'est fini.

M. Jacques Béné. Je termine avec ça: elle avait simplement dit qu'on avait trop favorisé le travail par rapport à l'aide sociale ces dernières années. Je crois qu'avec ça, tout est dit !

Une voix. Bravo !

Mme Delphine Bachmann, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, c'est un débat qui a une longue l'histoire et qui se poursuit ! Je tiens à rappeler une première chose au sujet de la convention collective de travail. Pour conclure une CCT, il faut que les deux parties atteignent le quorum. Il est vrai que les patrons ne l'atteignent pas, mais du côté des employés, il n'y a pas non plus de quorum. Je pense qu'il faut juste recadrer le débat, il n'y a pas une partie volontaire et une autre qui ne l'est pas: force est de constater que cette solution de passer par une CCT ne marche pas.

Cela fait dix ans qu'on donne du temps au dialogue. Quand je suis entrée en fonction, j'ai aussi donné du temps au dialogue et j'ai tenté de réunir les deux parties, qui étaient sensibles à l'argument consistant à dire que le commerce de détail souffrait et qu'il fallait pouvoir lui donner un coup de pouce.

Mais, Mesdames et Messieurs, le constat est clair: on n'a pas réussi à se mettre d'accord sur un dimanche d'ouverture avant Noël, et ce malgré le fait que la partie patronale était prête à rémunérer à 200% les heures effectuées ce dimanche-là. Par conséquent, ce temps du dialogue, force est de constater qu'il n'a pas marché. La partie syndicale a refusé, et effectivement, il faudra aller trancher cette question devant le peuple.

J'aimerais quand même rappeler un ou deux chiffres. Les commerçants font 40% de leur chiffre d'affaires au mois de décembre. Et ne me dites pas que si les magasins sont fermés le dimanche, vous n'allez pas acheter de Playmobil à vos enfants; vous irez de l'autre côté de la frontière ou en ligne, mais vous les achèterez quand même !

J'aimerais aussi rappeler qu'une étude sur les habitudes de consommation du Grand Genève a démontré que ces 13% d'augmentation des dépenses effectuées en France voisine représentent un demi-milliard sur l'année 2024. Les dépenses liées au commerce en ligne ont quant à elles triplé depuis 2018. Donc oui, les commerçants subissent la concurrence du commerce en ligne, la concurrence transfrontalière, des hausses de charges, des travaux toute l'année et des manifestations au centre-ville.

Si on partage tous le constat que la situation est difficile, je pense qu'il faut arrêter d'exagérer. Ce projet de loi prévoit d'ouvrir deux dimanches par année, avec des compensations entérinées par la partie patronale et qui ont d'ailleurs déjà été données sans obligation lors de l'ouverture dominicale du 22 décembre 2024 - c'est donc quand même faire preuve d'une bonne foi. L'OCIRT a surveillé de près cette ouverture dominicale, aucun abus n'a été constaté dans les commerces.

Je pense que l'expérience positive qui a été menée devrait plutôt nous donner envie d'avoir confiance et nous pousser à nous dire que ces deux dimanches d'ouverture au mois de décembre ne constituent pas une libéralisation exagérée des horaires de travail. On ne parle pas d'étendre les horaires, on ne parle pas d'ouverture dominicale toute l'année, mais de donner aux commerçants genevois une petite bouffée d'air lors d'une période cruciale, à savoir le mois de décembre, durant lequel ils font, je le répète, 40% de leur chiffre d'affaires.

Le Conseil d'Etat soutiendra évidemment ce projet de loi, qu'il a eu l'occasion d'amender en commission, et vous invite également à voter l'amendement déposé par le PLR, parce que je pense que si le débat doit se jouer devant le peuple - et le Conseil d'Etat n'a aucun problème avec ça -, il conviendra de reconnaître de manière consensuelle dans cet hémicycle que les commerçantes et les commerçants méritent de savoir avant le 20 décembre s'ils peuvent ouvrir avant Noël. Merci de votre attention et du soutien que vous apporterez à ce projet de loi. (Applaudissements.)

Des voix. Bravo !

La présidente. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous passons au vote.

Mis aux voix, le projet de loi 11715 est adopté en premier débat par 64 oui contre 33 non.

Deuxième débat

Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que les art. 18 (nouvelle teneur avec modification de la note) et 18A (abrogé).

Mis aux voix, l'art. 1 (souligné) est adopté, de même que l'art. 2 (souligné).

La présidente. Nous sommes saisis d'un amendement qui propose l'ajout d'un article 3 souligné concernant le référendum obligatoire. La majorité qualifiée des deux tiers est requise pour que cet amendement soit accepté. L'amendement se présente comme suit:

«Art. 3 (souligné) Référendum

En application de l'article 67, alinéa 3, de la constitution de la République et canton de Genève, du 14 octobre 2012, la présente loi est soumise au corps électoral.»

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 64 oui contre 33 non (majorité des deux tiers non atteinte).

Troisième débat

Mise aux voix, la loi 11715 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 63 oui contre 33 non (vote nominal).

Loi 11715 Vote nominal