Séance du vendredi 21 mars 2025 à 16h15
3e législature - 2e année - 11e session - 62e séance

PL 13269-A
Rapport de la commission sur le personnel de l'Etat chargée d'étudier le projet de loi de Stéphane Florey, Christo Ivanov, Virna Conti, Patrick Lussi, Gilbert Catelain, Marc Falquet, Thomas Bläsi, André Pfeffer, Sandro Pistis, François Baertschi, Daniel Sormanni, Thierry Cerutti, Danièle Magnin, Florian Gander, Ana Roch, Gabriela Sonderegger, Christian Flury, Francisco Valentin pour la défense de l'emploi indigène (Oui à l'emploi : moratoire à l'embauche de frontaliers à l'Etat et dans les collectivités publiques)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session X des 21 et 22 mars 2024.
Rapport de majorité de M. Thierry Oppikofer (PLR)
Rapport de première minorité de M. Lionel Dugerdil (UDC)
Rapport de deuxième minorité de M. François Baertschi (MCG)

Premier débat

Le président. Mesdames et Messieurs, nous avons terminé nos urgences et reprenons à présent l'ordre du jour ordinaire avec le PL 13269-A, dont le débat est classé en catégorie II, trente minutes. La parole échoit à M. Oppikofer. (Un instant s'écoule.)

M. Thierry Oppikofer (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Excusez-moi, je devais reconquérir une place briguée par mon collègue. (L'orateur rit.) Voilà ! Ce projet de loi, Mesdames et Messieurs les députés, entend accorder une priorité de l'emploi aux résidents genevois au sein de l'administration cantonale, des communes, du Pouvoir judiciaire, des institutions de droit public et des entités subventionnées.

Son article 4 dispose: «Si aucun candidat parmi les personnes accessibles à l'engagement» - suisses et résidentes, donc - «ne correspond au profil recherché, l'employeur forme le candidat le plus apte à réussir la formation nécessaire pour occuper le poste.» Un moratoire de dix ans à l'embauche de personnel frontalier est proposé.

Les débats au sein de la commission sur le personnel de l'Etat se sont étendus sur cinq séances. Pour l'auteur du texte, alors que le taux de chômage à Genève ne diminue pas et que le nombre de bénéficiaires de l'aide sociale augmente, le volume de frontaliers - environ 110 000, selon lui - ne cesse de croître. Ce moratoire de dix ans donnerait une priorité aux résidents genevois et viserait, le cas échéant, à former les candidats le temps nécessaire pour les mettre au niveau exigé. A ses yeux, mieux vaut former les quelque 30 000 chômeurs genevois - ce sont les chiffres avancés par M. Florey, ceux de l'OCE sont légèrement inférieurs - plutôt que d'engager des personnes frontalières ou étrangères.

Au cours des discussions, plusieurs points problématiques ont été soulevés, par exemple celui des infirmières et infirmiers qui ne peuvent pas être formés sur le tas - nous l'espérons à tout le moins - et dont le nombre est chroniquement insuffisant sur le territoire genevois.

La directive du Conseil d'Etat favorisant l'engagement de personnel local, dite directive Longchamp, puis Poggia, ne satisfait pas les partisans du PL 13269, car elle n'impose pas de moratoire. D'après eux et bien que les courbes respectivement du chômage et des frontaliers ne suivent absolument pas d'évolutions parallèles, il y aurait, pour résumer, 30 000 chômeurs parce qu'il y a 30 000 frontaliers de trop.

Autre problème relevé notamment par le directeur de l'OCE lors de son audition: le présent objet porte atteinte aux accords bilatéraux dans la mesure où il ne prévoit aucune exception. Le fait que l'on doive dans tous les cas former les gens si on ne trouve pas le profil souhaité est contraire au principe de la libre circulation ainsi qu'au droit fédéral. Il serait délicat de ne pas recruter une personne qualifiée et de préférer en former une autre au seul motif que cette dernière vit sur le territoire cantonal.

Dans les secteurs étatiques et para-étatiques, la quasi-totalité des collaborateurs engagés sont issus de l'ORP, les seules exceptions étant des gens venant de l'ORP du canton de Vaud. La politique en la matière est donc claire. Mme la conseillère d'Etat Fontanet et la direction de l'OPE nous ont informés que 16% d'étrangers non résidents sont employés au sein du grand Etat contre 26,9% dans l'ensemble du canton - ce sont les chiffres de 2018.

On constate que c'est dans les professions techniques et scientifiques que le recours à des travailleurs non indigènes est le plus important, celles-ci étant touchées par une pénurie de main-d'oeuvre; ce sont par exemple des cadres supérieurs avec fonctions de management, des métiers techniques dans l'ingénierie, l'informatique, la médecine du travail, etc.

Sous sa forme actuelle, le projet de loi fait peser sur les employeurs la responsabilité de la formation, y compris pour les cursus de base. Or logiquement, les individus sans qualifications sont surreprésentés parmi la population au chômage. Ainsi, les processus d'embauche prendraient beaucoup plus de temps, plusieurs publications seraient nécessaires, le bassin de recrutement serait rétréci et le temps de vacance des postes s'allongerait.

Par ailleurs, la formulation «le plus apte» contenue dans l'article 4 que je vous ai cité est floue. Combien de temps doit durer la formation pour qu'un candidat réponde aux critères recherchés ? Sans passer par une nouvelle loi, il serait plus judicieux de se concentrer sur l'enjeu de la formation en collaborant avec les hautes écoles, les centres de formation et les universités afin de garantir une relève de personnel local compétent; ce serait plus valorisant pour les heureux élus que d'être engagés sur la base de documents d'identité ou d'attestations de domicile - on sait que celles-ci sont parfois contestées - et ensuite formés durant des années.

La majorité de la commission note qu'il existe une pénurie de main-d'oeuvre dans certains secteurs, y compris à l'Etat, et que les postulants locaux sont parfois rares, voire inexistants. Il est légitime d'offrir une priorité aux résidents, mais ne franchissons pas l'autre frontière qui consisterait à graver dans notre législation les dispositions prévues dans ce texte. Son entrée en matière a été refusée en commission, sauf par le MCG et l'UDC; la majorité vous invite donc à la rejeter également.

Enfin, Monsieur le président, si vous me permettez une petite remarque, nous avons toutes et tous reçu hier, en dernière minute - comme souvent, trop souvent ! -, deux amendements. Le premier provient de l'un des signataires qui n'est pas très loin de moi et qui semble s'être aperçu, après plusieurs mois, que l'alinéa 2 de l'article 1 était juridiquement contestable.

Le second, déposé par nos estimés camarades du Centre, consiste en un amendement général qui modifie profondément la teneur de l'objet. On peut dès lors se demander pourquoi il arrive maintenant alors que ce parti est représenté à la commission et a participé aux séances pendant près de deux ans; peut-être le printemps a-t-il inspiré nos collègues ? Merci, Monsieur le président.

M. Lionel Dugerdil (UDC), rapporteur de première minorité. Tout d'abord, je prie mon préopinant de bien vouloir m'excuser d'avoir voulu lui subtiliser sa place. (L'orateur rit.)

Une voix. Ça arrive en politique !

M. Lionel Dugerdil. Eh oui, ça arrive, effectivement ! L'économie genevoise, Mesdames et Messieurs, chers collègues, est dynamique et emploie de nombreux travailleurs frontaliers. Le PL 13269 n'est pas dirigé contre des personnes qui contribuent à la faire fonctionner, mais a pour but d'éviter la substitution de personnel suisse et étranger domicilié sur le territoire cantonal par une main-d'oeuvre au bénéfice d'un traité international. Si les entreprises doivent pouvoir recruter les collaborateurs dont elles ont besoin, ces facilités d'embauche ne devraient pas être détournées de leur objectif initial et conduire à l'exclusion de catégories entières de travailleurs de notre marché du travail.

Malgré la solidité de notre économie, chacun connaît dans son entourage des individus rencontrant des difficultés à réintégrer le marché de l'emploi, car, dit-on, ils seraient trop âgés. De l'autre côté de la pyramide des âges, de nombreux jeunes peinent à décrocher un premier poste, faute d'expérience pratique.

Le dynamisme de l'économie genevoise ne doit pas faire oublier que notre taux de chômage demeure important: d'après la méthode de calcul OIT-BIT largement utilisée dans d'autres pays, il dépasse celui des régions de France voisine. Cette triste réalité pousse des personnes vers l'aide sociale alors qu'elles seraient tout à fait aptes à travailler si quelqu'un leur en donnait l'opportunité. Rappelons que le canton de Genève connaît le deuxième taux d'aide sociale le plus élevé du pays.

En tant que grand employeur, l'Etat a un rôle de modèle à jouer vis-à-vis des autres acteurs du tissu économique. La population attend du grand Etat qu'il contrebalance leur recours souvent excessif à des personnes venant de l'extérieur, car de nombreux talents se trouvent à portée de main parmi les habitants du canton.

L'aspect novateur et positif de ce projet de loi, contrairement à ce qu'a indiqué mon préopinant, réside dans le dispositif de formation. En effet, plutôt que d'opter pour la solution de facilité consistant à engager un professionnel non résident sous prétexte qu'il peut occuper un poste vacant immédiatement, nous misons sur la formation par l'employeur du candidat le plus apte à la réussir. Parfois, une petite mise à niveau ou une réactualisation des connaissances permet à quelqu'un de prendre rapidement ses fonctions.

Au final, voter ce texte constitue un acte solidaire envers de nombreuses personnes domiciliées à Genève et à la recherche d'un emploi. Pour la collectivité dans son ensemble, il se traduira par une diminution des dépenses sociales et évitera que Genève occupe, dans les statistiques fédérales notamment, les dernières ou avant-dernières places. Pour toutes ces raisons, la première minorité vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à revoir vos positions et à soutenir le présent objet.

M. François Baertschi (MCG), rapporteur de deuxième minorité. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, à plusieurs reprises depuis 2005, le MCG a proposé des moratoires à l'embauche de travailleurs frontaliers; c'est donc tout naturellement que nous avons cosigné et soutenu ce projet de loi. La pression de la main-d'oeuvre frontalière devient insupportable et l'Etat doit montrer l'exemple. C'est la raison pour laquelle nous intervenons à tous les niveaux possibles afin de protéger les habitants de notre canton qui subissent une concurrence excessive.

Cependant, le groupe MCG a identifié des faiblesses dans ce texte et, partant, déposé un amendement. Mais par-dessus tout, nous estimons qu'il ne s'agit pas seulement de décréter un moratoire, nous devons également formuler des propositions d'améliorations fermes.

En début d'année, le MCG a lancé une initiative cantonale exigeant que les permis G n'aient plus accès aux postes clés de l'Etat de Genève. Nous avons obtenu le soutien de brillants juristes qui nous ont aidés à formuler ce texte conformément aux accords internationaux et à la jurisprudence. Pour des questions de souveraineté et de gouvernance, il est essentiel que les principaux décideurs de l'Etat entretiennent un rapport privilégié avec le canton de Genève, soit par la nationalité, soit par la domiciliation; les hauts postes à l'Etat ne peuvent pas être occupés par des frontaliers.

Nous constatons avec grande satisfaction que des députés ont fidèlement repris le texte de l'initiative MCG sous la forme d'un amendement général au présent projet de loi. Le MCG applaudit la démarche de ces collègues; c'est une forme de reconnaissance à l'égard des talentueux juristes qui ont rédigé notre initiative.

Toutefois, rien n'est encore gagné. Nous avons jusqu'à fin mai 2025 pour récolter les paraphes nécessaires. D'ailleurs, je vous conseille d'aller signer cette initiative, qui est disponible sur notre site internet www.mcge.ch... (Exclamations.) Cela vous permettra en outre de comparer...

Le président. Monsieur le député, vous n'avez pas le droit de promouvoir votre initiative ici, d'accord ?

M. François Baertschi. Je suis désolé, mais l'amendement général reprenant littéralement le texte de l'initiative, il est utile pour la compréhension des citoyens...

Le président. Peut-être, mais peu importe, les députés sont très intelligents dans ce parlement, Monsieur, très intelligents !

M. François Baertschi. Oui, mais il n'y a pas seulement les députés, Monsieur le président, il y a également...

Le président. Le niveau ici dépasse la moyenne !

M. François Baertschi. ...les citoyens. Même s'ils sont très intelligents, il est important d'observer que le texte de nos excellents collègues est identique à celui de l'initiative, ils en ont repris intégralement la teneur. Je les remercie d'ailleurs très sincèrement d'avoir réalisé ce travail législatif qui, somme toute, n'était pas très compliqué, il fallait simplement faire preuve...

Le président. Pouvons-nous nous concentrer sur le projet de loi ?

M. François Baertschi. Il y a un amendement, Monsieur le président ! Je n'en suis pas responsable et je dois quand même l'expliquer...

Le président. Mais on ne traite pas encore l'amendement, Monsieur, on discute du texte de loi.

M. François Baertschi. Auquel est lié l'amendement, tout comme notre propre amendement ! Tous deux sont liés au projet de loi ! Merci de votre compréhension et merci de m'avoir laissé parler.

Concernant le présent objet, qui n'a pas trouvé de majorité en commission, Mesdames et Messieurs, nous vous conseillons de le renvoyer à la commission sur le personnel de l'Etat. Ainsi, nous pourrons examiner cette proposition attentivement et de manière exhaustive, puis la comparer avec le contenu de l'initiative, comme je vous l'ai indiqué précédemment. Je formulerai cette demande à l'issue des débats, Monsieur le président. Merci de votre attention.

Le président. Vous sollicitez un renvoi en commission, Monsieur le député ?

M. François Baertschi. A la fin des travaux. (Remarque.)

Le président. Il faut l'exprimer au moment où vous souhaitez qu'il soit mis aux voix.

M. François Baertschi. Je le ferai plus tard, je me réserve de réclamer un renvoi en commission, mais à l'issue des discussions, donc je vous soumettrai la proposition ultérieurement.

Le président. Exactement, merci beaucoup. Madame Trottet, c'est votre tour.

Mme Louise Trottet (Ve). Oui, merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, sur le fond, ce projet de loi ambitionne de résoudre une problématique bien réelle à Genève, celle du taux de chômage. Cependant, la réponse apportée est totalement inadéquate.

En effet, la directive de préférence cantonale visant à favoriser le réemploi des personnes au chômage est déjà appliquée. Lors de l'audition des représentants du département en commission, nous avons appris d'une part que tout poste vacant doit faire l'objet d'une annonce à l'office cantonal de l'emploi par le recruteur dix jours ouvrables avant sa publication. A compétences équivalentes, le dossier d'un candidat présenté par l'OCE est privilégié.

D'autre part, dans certains domaines sous tension où la mesure s'avère pertinente, des postulants ne disposant pas exactement des compétences nécessaires sont tout de même embauchés, et une formation complémentaire leur est offerte. Ces dispositifs sont déjà mis en oeuvre au sein de l'Etat.

Au-delà du problème de non-conformité au droit supérieur mentionné par le rapporteur de majorité, les auteurs prennent le parti d'une prise de risque concernant les effectifs dont les collectivités de notre canton ont besoin pour accomplir leurs tâches régaliennes. Là encore, le département a démontré en commission qu'il existe une flopée de métiers pour lesquels Genève manque cruellement de résidents formés, à commencer par les secteurs de la santé, mais aussi de l'informatique, de la détention ou de la protection de l'adulte, ce qui fait que nous refuserons non seulement le projet de loi, mais également l'amendement général déposé par Le Centre.

Notre canton génère beaucoup plus de postes que sa population ne peut en occuper. Dès lors, l'économie a recours en permanence à une main-d'oeuvre extérieure, ce qui est du reste conforme aux accords que nous avons conclus avec l'Union européenne.

Malheureusement, cela ne nous prémunit pas contre un problème de chômage devenu structurel à Genève, ce que nous regrettons, y compris parmi les personnes âgées de plus de 50 ans. Toutefois, les causes de ce phénomène sont complexes; en faire porter la responsabilité aux seuls frontaliers en les désignant comme boucs émissaires est tout simplement malvenu et contraire à notre cohésion sociale.

La solution réside plutôt dans une meilleure adaptation de la formation des Genevois au marché du travail, surtout aux niveaux secondaire et tertiaire. Il s'agit d'intervenir de manière préventive en prenant de l'avance et de favoriser les reconversions professionnelles. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)

Mme Masha Alimi (LJS). Mesdames et Messieurs, l'objectif de ce projet de loi est de favoriser l'embauche de personnes vivant en Suisse plutôt que de travailleurs frontaliers, mais pas uniquement. En effet, il est stipulé que si aucun candidat non étranger ne correspond au profil recherché, l'employeur forme le postulant le plus apte à réussir la formation nécessaire pour occuper le poste.

Cette mesure est-elle applicable ? Voilà la première question que nous devons nous poser. Que signifie la formulation «le plus apte» ? Où place-t-on le curseur ? Si aucun résident ne répond aux critères, le recruteur doit dispenser une formation. Laquelle ? Et pour combien de temps ? Six mois, un an ? Est-il supportable pour une entreprise de se passer d'un collaborateur le temps de sa formation, notamment du point de vue financier ?

Le MCG croit que les 30 000 demandeurs d'emploi actuels ne seraient plus au chômage avec 30 000 frontaliers en moins, ce qui relève de l'aberration et ne résoudra pas le problème. Il n'existe pas de corrélation directe entre le taux de chômage et le nombre de permis G.

L'employeur (donc l'Etat) ne peut pas former les gens à des métiers nécessitant des qualifications déterminées, cela relève de la compétence des universités, hautes écoles et centres professionnels. Il serait plus judicieux de se concentrer sur l'enjeu de la formation en collaborant avec ces établissements pour s'assurer de trouver in fine du personnel formé plutôt que l'inverse. Enfin, se baser uniquement sur le critère du lieu de domicile n'est absolument pas adéquat. Ce projet de loi n'étant tout simplement pas applicable, LJS le refusera ainsi que les amendements. Merci, Monsieur le président.

Mme Xhevrie Osmani (S). Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi ne nous convient pas. Ses auteurs proposent un moratoire à l'embauche de frontaliers, mais la réelle solution - et on tourne un peu autour dans ce débat -, c'est la préférence cantonale. Un tel texte n'est pas nécessaire, car chaque fois que c'est possible aujourd'hui, on recrute déjà des postulants locaux au lieu de candidats venant d'ailleurs. Il serait peu judicieux de se lier les mains avec un moratoire quand on sait qu'une pénurie sévit dans plusieurs secteurs - cela a été souligné par mes préopinants - comme l'informatique, les sciences et les professions techniques.

Les signataires soulèvent certes de vrais problèmes: comment favoriser la réinsertion professionnelle des demandeurs d'emploi indigènes, pallier le manque de formation, notamment en cas de reconversion ou de perfectionnement de candidature ? Néanmoins, la solution qu'ils préconisent n'est pas la bonne.

Pourquoi ? Parce qu'il y a beaucoup plus de travail que de personnes actives dans ce canton. Nous ne pouvons pas nous permettre d'introduire un moratoire alors même qu'il faudra remplacer les baby-boomers prochainement. Une telle démarche nous conduirait à ne pas être en mesure de repourvoir des postes qui resteraient alors vacants, comme c'est le cas au Tessin. Mesdames et Messieurs, ne tapons pas à tout bout de champ sur les accords de libre circulation et sur les frontaliers qui viennent exercer une activité à Genève.

La formation constitue un levier incontestable et sera de plus en plus déterminante à l'avenir. Aborder cette problématique est essentiel: des mutations s'opèrent qu'il nous faudra accompagner. Cela étant, il ne s'agit pas de penser la formation uniquement en ayant en vue le recrutement, mais également sur le long terme, ainsi que l'a fait la Norvège, qui forme ses travailleurs tout au long de leur vie.

Il a été indiqué en commission que nous devions travailler plus sérieusement à une projection sur le long terme des besoins, compétences et qualifications en fonction des pénuries de personnel identifiées. Par ailleurs, il est déroutant qu'on n'ait toujours pas reçu de statistiques précises quant au nombre de candidats embauchés issus de l'ORP; nous resterons attentifs à cette question. Concernant l'amendement général déposé par Le Centre, nous le refuserons, Monsieur Sayegh, car au parti socialiste, nous n'aimons pas le copier-coller.

M. Souheil Sayegh (LC). Chers collègues, aucun copier-coller dans cette histoire, je me permettrai de vous expliquer pourquoi maintenant. Au moment des délibérations en commission, Le Centre a refusé ce projet de loi. Pour quelle raison ? Parce qu'il est de portée générale, et nous n'avons pas été convaincus que cette mesure serait utile à la population: le dispositif proposé est trop rigide et ne répond pas aux enjeux du marché de l'emploi, qu'il rend moins flexible. S'il était accepté, il nous priverait de compétences en interne et en externe dans le canton, compétences dont nous avons cruellement besoin - inutile d'insister là-dessus, de nombreux exemples ont été cités ici.

Dans ce texte, aucune distinction n'est opérée entre les différentes missions régaliennes et les postes au sein de l'Etat. Le moratoire risquerait même de créer un problème supplémentaire en générant un appel d'air: les gens viendraient se loger à Genève pour pouvoir y travailler, renforçant ainsi la pénurie de logement.

C'est le hasard de l'ordre du jour qui nous a conduits à déposer notre amendement, pas le printemps - et il s'agit encore moins d'une tentative de copier-coller. Curieusement y figuraient tout au début le projet de loi relatif au CV anonyme et, quelques points plus loin, le présent objet déposé par nos camarades UDC; un aléa qui a fait s'affronter un système - le premier - permettant à tout un chacun d'être engagé et un autre fondé sur une discrimination positive où l'Etat pourrait sélectionner les candidats qu'il souhaiterait embaucher.

A cet égard, notre amendement apporte une précision quant aux postes critiques pour l'Etat et la population genevoise dans son ensemble. Cette proposition - assurément perfectible, je le concède - vise toujours à défendre l'emploi indigène, mais en limitant le champ d'application à l'administration cantonale, au Pouvoir judiciaire et aux établissements de droit public.

Pour les personnes qui suivent nos travaux en cette veille de week-end, il s'agit par exemple de la mise en application et du contrôle d'actes juridiques, du maintien de l'ordre public, de l'administration, de la collecte et de la gestion des finances publiques, de l'accès à des informations sensibles ou confidentielles concernant l'Etat, de l'administration du système judiciaire ainsi que de l'exécution des peines et mesures.

Une telle précision est importante, car la population est sensible à ce sujet, il ne faut pas se le cacher. L'amendement ne concerne pas l'entier des postes à l'Etat comme le moratoire dont il est question; nous sommes conscients qu'il pourrait être amélioré grâce à la contribution des autres membres de ce parlement, et c'est la raison pour laquelle Le Centre vous propose de renvoyer le projet de loi à la commission sur le personnel de l'Etat, nous pourrons ainsi l'étudier. Je vous remercie.

Une voix. Bravo !

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole va à M. Florey.

Une voix. Il faut d'abord mettre aux voix le renvoi, non ?

Le président. Ah oui, nous sommes saisis d'une demande de renvoi en commission. La parole retourne aux rapporteurs. Allez-y, Monsieur Baertschi.

M. François Baertschi (MCG), rapporteur de deuxième minorité. Merci, Monsieur le président. Le MCG va tout à fait dans le sens du renvoi en commission. Nous aurions souhaité que la proposition soit formulée à l'issue des débats pour permettre à tous les députés de s'exprimer, mais enfin, comme les choses se font de manière quelque peu brutale... (Commentaires.) ...nous soutenons cette demande. (Commentaires.) Je ne sais pas, ce n'était peut-être pas la volonté de l'auteur de la requête ! Il n'en demeure pas moins qu'il est effectivement utile d'examiner cet amendement intéressant.

Pour les raisons que j'ai déjà expliquées, nous le trouvons bien conçu. (L'orateur rit. Rires.) En tout cas, nos amis du Centre sont de fins observateurs - vous transmettrez, Monsieur le président - qui ont pensé à consulter notre site web dont je ne citerai plus l'adresse, mais factuellement, je suis obligé de communiquer cette information afin que les citoyens du canton de Genève puissent comprendre le processus d'élaboration de cet amendement.

C'est important, il s'agit d'un enjeu très sérieux pour Genève où sont employés plus de 120 000 frontaliers, ce qui représente une pression gigantesque. Il faut à tout prix protéger l'Etat et les travailleurs du canton contre cet afflux massif de personnes venant de l'extérieur, c'est un objectif prioritaire. Un maximum de députés ici devraient étudier cette affaire de façon attentive, car quelque chose a changé...

Le président. Sur le renvoi en commission, Monsieur.

M. François Baertschi. Pardon ?

Le président. Exprimez-vous sur le renvoi en commission.

M. François Baertschi. Oui, oui, le renvoi en commission nous permettra précisément de traiter l'amendement sur le fond et, par conséquent, d'appréhender le projet de loi d'un autre point de vue. Mesdames et Messieurs, je vous recommande d'accepter cette proposition.

M. Lionel Dugerdil (UDC), rapporteur de première minorité. Bien que le site internet de l'UDC soit, lui aussi, extrêmement intéressant, je n'enjoindrai pas aux gens qui nous regardent d'aller le visiter. La minorité que je représente estime que l'amendement affaiblit un poil le texte. Néanmoins, nous reconnaissons qu'il est tout à fait intéressant de l'étudier en commission, donc nous serons favorables au renvoi.

M. Thierry Oppikofer (PLR), rapporteur de majorité. Le groupe PLR est également partisan d'un renvoi en commission qui nous permettra de comparer toutes sortes de textes - nous possédons aussi un site internet, mais il ne contient pas d'initiative ! -, nous pourrons mettre les versions en parallèle et en discuter. A mon sens, on ne peut pas adopter un objet muni d'un amendement général reçu la veille, donc cette suggestion nous semble très sage.

Le président. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs, c'est le moment de vous prononcer sur le renvoi en commission.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 13269 à la commission sur le personnel de l'Etat est adopté par 46 oui contre 30 non.