Séance du
vendredi 14 février 2025 à
18h30
3e
législature -
2e
année -
10e
session -
58e
séance
M 3096
Débat
Le président. Nous passons à l'urgence suivante, à savoir la M 3096 de M. Leonard Ferati, classée en catégorie II, trente minutes. La parole est à l'auteur du texte.
M. Leonard Ferati (S). Mesdames et Messieurs les députés, il y a péril en la demeure ! Vous l'avez vu comme moi, plusieurs cas de harcèlement sexuel aux HUG ont été révélés dans les médias ces dernières semaines. Derrière ces témoignages, il y a des victimes, des vies brisées et un système où trop souvent on trouve plus confortable de se taire plutôt que d'agir. Je pense sincèrement que ces révélations devraient obligatoirement déboucher sur une enquête interne; malheureusement, ce n'est pas toujours le cas.
Le système de dénonciation interne des HUG n'a pas pu ou n'a pas su être efficace. Trop de victimes préfèrent se taire plutôt que de dénoncer, par peur de représailles. Nous sommes dans une situation où des hommes profitent de leur supériorité hiérarchique et symbolique pour adopter un comportement inacceptable vis-à-vis de celles qu'ils considèrent comme leurs subalternes, juste parce qu'elles sont des femmes.
De quoi parle-t-on concrètement ? On parle de propos déplacés, de pressions à connotation sexuelle, de chantage à caractère sexuel, d'attouchements et de baisers forcés. Mesdames et Messieurs les députés, je suis persuadé que vous partagez mon indignation. L'Etat est garant des institutions qu'il finance et ne peut rester spectateur. Il faut imposer une enquête et faire preuve de tolérance zéro à l'égard de ce genre de phénomène. Les responsables doivent être dénoncés, suspendus et poursuivis, que ce soit aux HUG ou ailleurs.
Il faut également renforcer le soutien aux victimes, car trop d'entre elles se retrouvent isolées face à leur agresseur, qui souvent est aussi leur supérieur hiérarchique ou leur maître de stage. Cette culture du silence ne peut plus durer, la peur doit changer de camp ! Les victimes ne doivent pas craindre de parler; ce sont les agresseurs qui doivent arrêter d'agresser ! Trop souvent, en plus de porter le fardeau physique de l'agression, ces femmes se retrouvent à porter également celui de la culpabilité et de la honte.
L'ampleur des faits impose une réponse forte ! Nous devons garantir un environnement sûr et respectueux pour toutes et tous; il en va de la confiance en nos institutions et de leur crédibilité. Montrons à ces femmes, au-delà de tout clivage politique, qu'elles ne sont pas seules. Une grande dame a dit un jour que le silence est un consentement. Puissent les paroles de Simone de Beauvoir résonner fort dans cette salle et résonner à l'intérieur de chacune et chacun d'entre vous lorsque vous voterez, au-delà de tout clivage politique. Merci beaucoup. (Applaudissements.)
M. Marc Saudan (LJS). Messieurs et Mesdames les députés, cette motion soulève évidemment un problème extrêmement grave. Le groupe LJS est soucieux du respect de l'intégrité physique. Cependant, étant chirurgien, je tiens à dire que nous ne sommes pas tous des prédateurs sexuels; l'émission de «Temps présent» a quand même jeté l'opprobre sur cette profession qui oeuvre pour le bien de la population. Il est clair que les cas décrits dans les institutions posent des problèmes en raison des liens hiérarchiques, la hiérarchie pouvant compromettre la carrière professionnelle des médecins qui débutent.
Dès son entrée en fonction, le nouveau directeur de l'hôpital a toutefois proclamé très clairement la tolérance zéro - et la tolérance zéro face à l'inaction ! Il a d'ailleurs déjà commandité un audit externe sur les mécanismes d'alerte (qui a été rendu: il liste tant les faiblesses que les bons côtés de l'Hôpital cantonal) et instauré un bouton d'alerte, violet, sur la page intranet, que n'importe quel employé peut utiliser pour faire une déclaration anonyme. Il est évident que cela s'accompagnera probablement d'autres mesures.
Le groupe LJS demande le renvoi à la commission de la santé afin que le directeur puisse déjà venir s'expliquer avant de lancer une commission d'enquête. Merci.
M. Stéphane Florey (UDC). Le groupe UDC prend au sérieux les accusations portées par le biais de cette motion. Cependant, la manière d'agir aujourd'hui est totalement nulle, voire ridicule. Ce n'est pas à nous de prouver, de dire: oui, c'est absolument ce qui s'est passé ! C'est certainement le cas - on ne le remet pas en cause !
Je tiens à rappeler que certains partis ici présents, dont le parti signataire de cette motion, avaient fortement soutenu un groupe de confiance. Pourquoi est-ce que le groupe de confiance n'a pas été alerté ou n'a pas commencé à enquêter sur ces faits ? On peut se poser la question. L'UDC avait par ailleurs proposé que la Cour des comptes gère ces dénonciations en toute indépendance. Qui a refusé en premier cette proposition ? Comme par hasard, c'est le groupe signataire de ce texte !
Nous avons vraiment un problème de compétence dans ce parlement; ce n'est pas à nous de dire si oui ou non ces faits sont avérés ! Ni même au Conseil d'Etat, qui devra pourtant donner une réponse à la motion ! Pour cette raison, si on la lui renvoie, il ne pourra de toute façon pas prendre lui-même une décision: il devra soit lancer un audit, soit lancer une enquête administrative sur les faits reprochés aux personnes concernées. Non, ce travail aujourd'hui n'est pas sérieux; ce qu'il faut, c'est renvoyer cette motion en commission, mais pas à la santé. Nous avons une commission qui peut très bien gérer cette problématique dans un premier temps, à savoir la commission de contrôle de gestion. L'urgence sur ce texte n'aurait jamais dû être acceptée, il aurait dû être automatiquement renvoyé à la CCG et c'est ce que nous demandons: le renvoi à la commission de contrôle de gestion. Je vous remercie.
Mme Laura Mach (Ve). La motion qui nous est soumise aujourd'hui touche à un problème systémique qui dépasse largement le cas particulier des HUG, même si c'est dans ce contexte précis que nous devons agir. Le monde médical, et tout particulièrement le milieu chirurgical, présente une concentration unique de facteurs de risque en matière de harcèlement.
La structure pyramidale extrêmement marquée, héritée d'une tradition séculaire, crée des rapports de pouvoir démesurés entre les différents échelons de la hiérarchie. Prenons le cas concret d'un jeune interne en chirurgie. Son avenir professionnel dépend entièrement de ses superviseurs directs. Pour obtenir son FMH, il doit effectuer un nombre précis d'interventions chirurgicales spécifiques. Or, qui décide s'il peut opérer ? Ses supérieurs. Qui évalue sa performance ? Ses supérieurs. Qui rédige les lettres de recommandation, indispensables pour la suite de sa carrière ? Toujours ces mêmes supérieurs.
Dans un milieu aussi restreint que la chirurgie en Suisse romande, où chacun se connaît, où les postes permettant d'acquérir les compétences requises sont rares et la compétition féroce, s'opposer à sa hiérarchie revient souvent à compromettre définitivement sa carrière. Le silence devient alors une stratégie de survie professionnelle. Cette dépendance totale crée un terreau particulièrement fertile pour toutes les formes d'abus de pouvoir, y compris le harcèlement sexuel. Les victimes se retrouvent face à un choix impossible: subir en silence ou risquer de voir s'effondrer des années d'études et de sacrifices.
C'est pourquoi les mesures proposées dans cette motion sont essentielles. La création d'une cellule véritablement indépendante est indispensable pour que les victimes aient la garantie que leur témoignage n'aura pas de répercussions sur leur carrière. Mais, au-delà de ces mesures immédiates, c'est toute la culture hospitalière qu'il faudra repenser. Car tant que persistera ce déséquilibre structurel des pouvoirs, tant que la progression professionnelle dépendra du bon vouloir d'une poignée de personnes, le risque d'abus restera présent. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. Mesdames et Messieurs, je vais vous faire voter sur les demandes de renvoi en commission. Nous commençons par la commission de la santé et, si le renvoi est refusé, nous enchaînerons avec la commission de contrôle de gestion.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 3096 à la commission de la santé est rejeté par 64 non contre 9 oui.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 3096 à la commission de contrôle de gestion est adopté par 77 oui et 1 abstention.