Séance du
vendredi 14 février 2025 à
18h30
3e
législature -
2e
année -
10e
session -
58e
séance
M 3092
Débat
Le président. Nous continuons à traiter les urgences et passons à la M 3092. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Je cède le micro à Mme Céline Bartolomucci, auteure de cette proposition de motion.
Mme Céline Bartolomucci (Ve), députée suppléante. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, l'association genevoise Face à Face, fondée en 2001, avait pour mission initiale de soutenir les femmes autrices de violences, notamment dans le cadre familial. En 2008, elle a lancé le programme Face à Face ADOS, destiné aux jeunes de 13 à 20 ans responsables de violences physiques ou psychologiques. Ce programme a été reconnu en 2011 par l'Office fédéral des assurances sociales comme un modèle dans le cadre du programme national «Jeunes et violence», permettant un remboursement par l'assurance de base. En 2015, un troisième programme a été créé pour les familles confrontées à des violences relationnelles.
Malgré tous ces succès, Face à Face a cessé ses activités le 31 décembre 2024, en raison du départ à la retraite de sa fondatrice et de l'absence de repreneurs qualifiés. En décembre 2024 déjà, avant la fermeture de l'association, la Cour des comptes avait souligné dans son rapport sur les violences domestiques que les dispositifs de prise en charge des auteurs de violences à Genève étaient insuffisants et saturés.
Avec la fermeture de Face à Face, Genève se retrouve aujourd'hui sans structure ni programme spécialisés pour le cas spécifique des mineurs auteurs de violences. Les autres structures existantes, comme VIRES et l'unité interdisciplinaire de médecine et de prévention de la violence des HUG, ne prennent pas en charge les jeunes de moins de 16 ans ou fonctionnent uniquement sur une base de volontariat.
Dans un contexte où les violences juvéniles ont augmenté de 41% en un an selon le Tribunal des mineurs, il est crucial d'agir rapidement. Les structures existantes ne répondent pas aux besoins des jeunes de moins de 16 ans, laissant nombre d'entre eux livrés à eux-mêmes, avec tous les risques que cela implique pour eux, leur futur et la société.
Chers collègues, le temps presse. Nous demandons le vote immédiat de cette motion et de son unique invite, qui demande simplement au Conseil d'Etat de prendre ses responsabilités et de faire renaître ce programme de prise en charge des mineurs autrices et auteurs de violences, soit en l'intégrant dans les dispositifs existants, soit en soutenant la création d'une nouvelle structure spécialisée.
Il est de notre responsabilité collective d'assurer un cadre structurant et efficace pour prévenir la récidive et favoriser l'insertion de ces mineurs. Chaque mois qui passe sans solution, ce sont des jeunes en détresse qui restent sans accompagnement, des familles qui se retrouvent démunies et des situations de violence qui se pérennisent. Nous devons agir vite et maintenant, et nous espérons, chers collègues, que vous nous rejoindrez en acceptant cette motion. Je vous remercie. (Applaudissements.)
M. Murat-Julian Alder (PLR). Le groupe libéral-radical remercie le groupe des Verts et l'auteure de cette proposition de motion pour son texte, dont nous avons pris connaissance avec intérêt. Toutefois, il n'a peut-être pas échappé à votre attention, Mesdames et Messieurs, que deux textes qui sont devant la commission judiciaire et de la police traitent déjà de la même problématique, à savoir la délinquance et la criminalité juvéniles. Il s'agit de deux propositions de motions du député PLR Thierry Oppikofer.
Pour cette raison et afin que ces objets soient traités ensemble, je demande le renvoi à la commission judiciaire et de la police. Cette demande de renvoi est purement pratique et a pour but d'éviter que des conclusions distinctes ne soient rendues dans des rapports de commissions différentes. Merci beaucoup, Monsieur le président.
Mme Patricia Bidaux (LC). Je pense qu'on s'éloigne du sujet, puisqu'il s'agit effectivement d'une urgence. Aujourd'hui, on ne débat pas de la question de savoir si tel ou tel article de loi peut plaider en faveur d'une situation ou d'une autre. Il s'agit d'une urgence: les jeunes violents doivent être accompagnés. C'est une urgence puisque, comme l'auteure de la motion l'a dit, nous sommes face à une augmentation de 40% des rixes et des agressions et de 9% des infractions violentes.
Le rapport de la Cour des comptes sur la question a été étudié par la commission de contrôle de gestion, qui a tiré la sonnette d'alarme. Il a été relevé que les dispositifs de prise en charge des auteurs de violences sont saturés, insuffisants et inadaptés aux mineurs.
Il n'existe plus aucune autre structure pour les jeunes de moins de 16 ans. VIRES ne prend pas en charge les mineurs, l'UIMPV des HUG ne les accueille qu'à partir de l'âge de 16 ans... (Brouhaha.)
Le président. Madame la députée, un instant, s'il vous plaît. Il y a un caucus là-bas au fond. Je demande à ces personnes d'arrêter leurs discussions. Vous pouvez reprendre, Madame.
Mme Patricia Bidaux. ...mais uniquement de manière volontaire. Les conséquences directes de la disparition de Face à Face, ce sont des parents, des écoles, des tribunaux qui n'ont pas de solutions d'accueil face à des situations qui nécessitent pourtant une intervention rapide et efficace.
En l'absence de prise en charge adaptée, le risque, Mesdames et Messieurs, c'est que la récidive augmente et que la violence s'enracine. Il y avait une alternative, à savoir le programme Face à Face ADOS, reconnu par l'Office fédéral des assurances sociales et pris en charge par la LAMal. Il affichait un taux de non-récidive de 75% à 89%. Ce programme a prouvé son efficacité durant quinze ans, mais a dû disparaître faute de relève. Le Tessin l'a même repris avec succès dans sa stratégie cantonale de prévention de la violence. Alors pourquoi ne reprendrait-on pas à Genève ce modèle qui a déjà fait ses preuves ?
Cette motion ne demande qu'une chose simple et pragmatique: qu'en collaboration avec les institutions, on se base sur l'existant et, si nécessaire, qu'on redonne de la vie à cette association Face à Face, afin qu'il y ait à nouveau une structure à même de prendre en charge ces jeunes de manière pérenne. L'urgence est évidente !
J'ajouterai encore une petite chose avant d'avoir épuisé mon temps de parole: au travers de cette motion, nous pouvons donner un message politique en appuyant les conclusions apportées par le rapport 194 de la Cour des comptes. Le signal que nous envoyons via ce texte est très clair: face à l'urgence que représentent ces jeunes auteurs de violences, nous ne pouvons pas attendre qu'un travail soit mené en commission.
Je rappelle que la commission des affaires sociales a mené tout un travail sur les violences domestiques. J'espère bien que les députés qui y siègent en tant que commissaires ont soutenu ce texte auprès de leur groupe. En tout cas, Le Centre acceptera l'adoption sur le siège de cette proposition de motion. Je vous remercie.
Mme Sophie Demaurex (S). Mesdames et Messieurs les députés, pour illustrer l'urgence mentionnée par ma préopinante, il y a lieu de parler de cette problématique. Il suffit d'un moment de tension, d'une altercation dans une situation émotionnelle ou alcoolisée pour que ça dégénère. En Suisse, le nombre absolu de mineurs concernés reste bas, mais les conséquences sont parfois tragiques, avec un risque d'escalade des conflits.
A Genève, cela est aussi constaté sur le terrain, même s'il est important d'éviter une stigmatisation des jeunes, car il ne s'agit que d'une poignée d'individus. Ce qui inquiète, c'est le passage à l'acte et l'usage d'armes, d'abord pour intimider, puis utilisées sans prendre en compte les issues dramatiques et les conséquences potentielles.
Ce phénomène a pris de l'ampleur, comme le relève la Fondation genevoise pour l'animation socioculturelle, qui dresse un tableau des jeunes de 12 à 15 ans. Certains d'entre eux sont marqués par le covid et une certaine absence de collectivité. Aussi, ils ont de très grandes difficultés à comprendre la gravité de leurs actes et d'en imaginer ou même d'en entrevoir les conséquences.
Il est également constaté par la FASe que les jeunes rejoignent davantage des bandes et que cela fait partie du jeu que de s'armer quand on est face à des groupes rivaux ou quand on veut commettre un crime. Il y a aussi lieu d'insister sur la corrélation entre les contextes de souffrance et de grande précarité, qui accentuent ce phénomène. Il convient par ailleurs de redire combien sont démunis les parents, les écoles et les lieux sociaux face à l'absence de prise en charge - comme cela a été rappelé par ma préopinante.
Cette tendance ne serait donc que la pointe de l'iceberg d'une augmentation générale de la violence chez les jeunes. Selon les experts, les réponses les plus pertinentes restent la prévention et l'accompagnement à la résolution de conflits de manière non violente.
Une prise en charge rapide et adaptée des auteurs permet de réduire le risque de récidive. C'est face à cette urgence que nous devons voter très rapidement le déploiement de solutions qui puissent prendre le relais, pour un public qu'on ne prend pas en charge de la même façon que le public adulte. Aussi, le groupe socialiste vous demande de soutenir cette motion, afin que la prise en charge de mineurs auteurs de violences soit suffisamment développée et rapide. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Madame la députée. Mesdames et Messieurs les députés, je mets tout d'abord aux voix la demande de renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 3092 à la commission judiciaire et de la police est rejeté par 45 non contre 36 oui.
Mise aux voix, la motion 3092 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 55 oui contre 21 non et 4 abstentions (vote nominal).