Séance du vendredi 14 février 2025 à 14h
3e législature - 2e année - 10e session - 56e séance

P 2222-A
Rapport de la commission des pétitions chargée d'étudier la pétition pour que l'Etat et la Ville préservent des logements locatifs accessibles et bon marché
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IX des 23 et 24 janvier 2025.
Rapport de majorité de M. Sylvain Thévoz (S)
Rapport de minorité de M. Sandro Pistis (MCG)

Débat

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous passons à l'objet suivant, soit la P 2222-A. Le débat est classé en catégorie II, trente minutes. (Brouhaha.) Je vous demande, Mesdames et Messieurs, un peu de silence, s'il vous plaît. Si vous désirez continuer à discuter, vous pouvez toujours aller dans les salles d'à côté ou en face. Merci. (Un instant s'écoule.) Monsieur Thévoz, vous avez la parole.

M. Sylvain Thévoz (S), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, la commission des pétitions a étudié pendant deux séances la pétition intitulée «pour que l'Etat et la Ville préservent des logements locatifs accessibles et bon marché». Le titre est très séducteur, la réalité tout autre. La commission ou en tout cas la majorité a pu s'en rendre compte grâce à deux auditions, celle de la pétitionnaire et celle de l'Hospice général.

De quoi parle-t-on ? D'une volonté émise par la pétitionnaire que nous achetions des blocs d'immeuble (250 appartements) pour une somme évaluée à 260 millions, achat que la pétitionnaire souhaite effectué conjointement par la Ville et le canton, afin de loger les personnes en difficulté. Pour rappel, ce bloc d'immeubles appartenait à la société Genprop, qui louait ces appartements meublés. Il s'agissait de studios de 30 mètres carrés, loués 2500 francs ou 2900 francs avec un canapé-lit, soit bien au-dessus des prix du marché; le journal «Bilan» a d'ailleurs rédigé un article titré: «Qui voudra des immeubles maudits de l'ancien roi de la location meublée ?» Depuis dix ans environ, ces immeubles sont à la vente. La vente aux enchères, organisée par l'office cantonal des poursuites, aura lieu le 14 mars 2025.

Pour la pétitionnaire, c'est assez simple, elle a vu sur un site internet que ces immeubles étaient en vente et elle s'est dit: «En voilà une bonne idée, une opportunité ! La Ville et le canton pourraient les acheter, et on résoudrait ainsi un problème.» Cependant, en auditionnant les professionnels de l'Hospice général, on s'est très vite rendu compte qu'il n'en était rien: ils ont connaissance du dossier, ils les ont évalués et ont pris la décision de ne pas entrer en matière en raison du budget d'investissement trop important et du standing de ces immeubles, qui n'est pas en adéquation, notamment sous l'angle des loyers, avec les personnes que l'Hospice doit loger. Le budget à prévoir pour ces biens ne correspond absolument pas aux réalités du marché. Trouver plus de 260 millions pour acquérir des biens qui ne correspondent pas aux besoins n'est pas réaliste. En plus, ces immeubles ont été évalués comme spéculatifs: l'analyse des loyers a montré que leur prix se monte au double, voire au triple des loyers habituels.

L'Hospice a pu montrer également que la politique qu'il mène depuis 2019 a réduit de 780 à 400 le nombre de bénéficiaires qu'il loge à l'hôtel. Donc, la politique actuelle, qui consiste à acquérir des biens ciblés et adéquats ou à convertir des espaces de bureau en hébergement collectif, fonctionne, et l'Hospice nous a confirmé que la stratégie...

Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe.

M. Sylvain Thévoz. Merci. Je termine très rapidement. ...d'acquérir des immeubles dans le cadre du PAV, peut-être conjointement avec la Ville, était moins coûteuse, plus ciblée et plus adaptée aux besoins.

La demande d'auditionner des fondations immobilières de droit public et celle d'auditionner la CPEG ont été écartées par la commission. Au final, par 12 oui et 3 non, la majorité vous invite à déposer cette pétition: partie d'une bonne intention, d'une bonne idée, elle s'écrase sur le mur de la réalité économique et des véritables besoins de l'Hospice général et des personnes qui cherchent à être logées à Genève, mais pas à des prix complètement ahurissants. Je vous remercie.

M. Sandro Pistis (MCG), rapporteur de minorité. C'est vrai que cette pétition a l'avantage d'apporter une solution: mettre sur le marché 250 logements. On parle de 250 logements pour Genève ! Je n'entrerai pas dans le détail du prix des logements, mais on sait qu'à Genève, le prix des immeubles, des appartements est nettement plus élevé que dans d'autres cantons. Voilà la réalité de ce que coûte un immeuble, de ce que coûtent des appartements.

Le but de cette pétition est de répondre à la question du logement. Actuellement, notre canton connaît une pénurie et ne trouve pas de quoi loger les gens de manière convenable, et c'est dans ce contexte que la pétition a été déposée. On est quand même un peu surpris qu'un représentant du groupe socialiste, qui milite pour que tout le monde puisse avoir un logement, n'accepte pas ce type de proposition.

Quant au prix, il y en a pour tout le monde, il faut le relever. Aujourd'hui, certaines fondations procèdent à des rénovations de biens immobiliers dont le coût est nettement plus élevé que celui des biens eux-mêmes. Il faut savoir que des investissements sont effectués pour les mettre aux normes écologiques Minergie, afin que l'on ait des logements répondant aux standards, notamment ceux des lois votées. Sur ce point, la question de savoir si ça coûte cher ou non ne se pose pas.

Cette pétition doit être renvoyée au Conseil d'Etat pour que l'on réponde à la question de la mise sur le marché de logements, qui sont en pénurie à Genève. Le but est également d'éviter d'exporter ces gens dans d'autres cantons, voire de l'autre côté de la frontière; vous le savez, Monsieur le rapporteur de majorité, un certain nombre de personnes ne trouvent plus d'endroit où loger et se voient délocalisées en France, ce qui crée des Suisses de l'étranger, voire des frontaliers. La minorité que je représente invite ce Grand Conseil à renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat pour que des solutions puissent être trouvées. Je rappelle que ces biens immobiliers sont vendus aux enchères et qu'il est encore possible de négocier le prix.

Mme Marjorie de Chastonay (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, la position des Vertes et des Verts sur cette pétition est partagée, comme le démontrent les votes en commission. D'un côté, nous sommes d'accord avec la position d'une majorité de la commission: elle comprend la bonne intention, mais affirme que la proposition d'acquérir ces logements n'est pas réaliste étant donné qu'ils ont été clairement identifiés comme spéculatifs notamment par l'Hospice général. De l'autre, les Vertes et les Verts souhaitent rappeler que des investissements immobiliers sont aussi réalisés pour que l'on dispose de biens de rendement et mène une politique verte et sociale.

La maîtrise du sol fait partie intégrante d'une telle politique. Alors que d'autres auditions auraient pu permettre d'envisager la problématique sous divers angles, alors que des sommes considérables sont dépensées pour loger des personnes dans des hôtels, alors qu'il y a une crise du logement, un partenariat entre le canton et la Ville, à l'occasion d'une vente aux enchères, pour mettre à disposition quelques appartements à des personnes qui n'en ont pas pourrait représenter une opportunité. Cela pourrait aussi favoriser la mixité sociale, notamment dans le quartier de Champel. Mesdames et Messieurs les députés, vous l'aurez compris, les Vertes et les Verts sont partagés et nous avons donc choisi la liberté de vote. Merci.

Mme Christina Meissner (LC). Mesdames et Messieurs, cette pétition est partie d'une bonne intention, mais n'est pas réaliste au regard du coût et des besoins. C'est surtout une fausse bonne affaire. L'Hospice a identifié ce bien, mais il a décidé qu'il ne l'achèterait pas: ce bien ne répond en effet pas aux besoins de l'institution, à savoir, pour toutes les personnes que l'Hospice doit héberger, des appartements de qualité, mais en aucun cas d'un haut standing.

L'Hospice est un établissement autonome, qui gère son parc immobilier de manière indépendante, avec sa propre planification de valorisation, et le budget de rendement est indépendant du budget de prestations. Son service immobilier nous a bien informés sur ses stratégies d'acquisition, qui font sens. Certes, l'Hospice possède des biens de standing, mais ils proviennent de legs: dans ces conditions, quand les frais d'achat sont nuls et les loyers élevés, le bien ne peut être que rentable. Ces immeubles de rendement sont donc bienvenus pour les finances de l'Hospice. Or, l'immeuble dont on parle et qui a été très bien décrit par le rapporteur de majorité serait très cher à l'acquisition, et cela n'aurait pas de sens de l'acquérir si c'était pour ensuite appliquer des loyers bon marché, comme le demande la pétition.

Quant à la demande de la pétition que l'Hospice travaille de concert avec le canton et la Ville de Genève en ce qui concerne l'acquisition de logements, sachez que c'est déjà le cas ! Pour ces raisons, Le Centre votera le dépôt sur le bureau du Grand Conseil. Merci.

Le président. Je vous remercie. Je cède le micro à M. Tombola, qui dispose de deux minutes treize.

M. Jean-Pierre Tombola (S). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, Genève connaît une crise du logement depuis plusieurs années. En outre, la spéculation immobilière y est endémique, ce qui entraîne l'augmentation des loyers au détriment des familles, qui doivent attendre parfois trop longtemps. Le logement est un droit constitutionnel, prévu par l'article 38 de notre constitution, mais il est davantage garanti aux personnes qui sont plus riches et qui peuvent se permettre de payer un loyer plus cher. Les familles doivent attendre trop longtemps.

Mesdames et Messieurs les députés, un logement, ce n'est pas seulement quatre murs et un toit: c'est un lieu de vie, un centre de vie affective et familiale ainsi que, si l'on tient compte du développement du télétravail, un lieu de vie professionnelle. Tout le monde a droit à un logement abordable, et les socialistes continuent à soutenir une politique ambitieuse de construction de logements abordables, accessibles à toutes et à tous.

Cette pétition part d'une bonne intention, ce qui a été relevé par le rapporteur de majorité, mais le bien est spéculatif et l'Hospice ne peut pas acquérir ces logements, malgré la bonne intention derrière le texte. Mesdames et Messieurs les députés, le groupe socialiste soutient la politique d'offrir plus de logements abordables, accessibles à toutes et tous. Malheureusement, le bien visé n'est pas abordable et l'Hospice ne peut pas l'acheter, car cela ne rentre pas dans sa philosophie d'acquisition de logements, qui consiste plutôt à convertir les bureaux vides en logements qu'à spéculer sur un immeuble. Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste votera le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil. Je vous remercie.

M. Amar Madani (MCG). Mesdames les députées, Messieurs les députés, à situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle ! Aujourd'hui, la crise du logement en ville bat tous les records, et c'est pourquoi toutes les mesures sont les bienvenues. Parmi elles: la pétition dont on discute ! Comme vous le savez, la Ville ne dispose pas de beaucoup d'outils en la matière. Elle dispose de la GIM, avec ses 5000 logements, ainsi que de la Fondation de la Ville de Genève pour le logement social, avec plus ou moins un millier de logements, mais sa marge de manoeuvre est limitée. Une coopération entre la Ville et le canton est par conséquent judicieuse, à l'instar de ce qui se fait dans d'autres secteurs tels que la culture, le sport et le social. Pourquoi pas en matière de logement ? Mesdames et Messieurs, au-delà de ces détails techniques, il faut donner une chance à cette pétition en la renvoyant au Conseil d'Etat, à qui il appartient de trouver une solution à ce sujet. Je vous remercie, Mesdames et Messieurs.

M. Stéphane Florey (UDC). J'ai entendu évoquer à plusieurs reprises la crise du logement, mais l'argument ne tient absolument pas la route: il n'y aura ni plus ni moins de logements. On propose simplement une vente aux enchères d'un bâtiment pour qu'il y ait un potentiel nouvel acquéreur. En quoi ça va réduire la crise du logement ? On l'a dit, ces immeubles ont un certain prix, et l'Hospice général n'a pas trouvé d'intérêt à les acquérir. Laissez simplement agir le marché comme il doit agir, et ces immeubles trouveront très probablement un acquéreur, ça, on n'en doute pas. Pour ces raisons, le groupe UDC également vous recommande le dépôt de cette pétition. Je vous remercie.

Mme Uzma Khamis Vannini (Ve), députée suppléante. Comme ils vous l'ont annoncé, les Verts laissent la liberté de vote. Toutefois, j'aimerais attirer votre attention sur quelques éléments et sur quelques prises de parole.

Par exemple, on dit: «Ce n'est pas le public de l'Hospice général !» Aujourd'hui, le public de l'Hospice général va du fondé de pouvoir à la boulangère, voire à des agriculteurs ou des personnes qui sont dans la restauration et en difficulté. Donc non, il n'existe pas à proprement parler de public cible qui se retrouve dans une situation financière difficile.

Deuxièmement, avoir un toit, c'est avoir la sécurité de se faire un café le matin, d'ouvrir son armoire, de prendre ses habits, d'aller au travail ou à l'extérieur sans se poser la question si l'on peut à nouveau insérer une clé dans la porte le soir et mettre de l'eau sur la cuisinière pour se nourrir. Vous le voyez, c'est tout à fait différent que d'utiliser des infrastructures comme l'hôtel pour y loger des gens.

En ce qui concerne l'acquisition, le prix n'est pas définitif, puisque les enchères ont encore cours. Je regrette simplement que nous n'ayons pas auditionné davantage de personnes à la commission des pétitions. Je vous remercie.

Le président. Merci, Madame la députée. La parole est à M. Steiner pour une minute et cinquante secondes.

M. Christian Steiner (MCG). Merci, Monsieur le président. Tout d'abord, j'aimerais relever une contradiction. On parle d'immeubles spéculatifs, mais, d'un autre côté, ils sont en vente depuis dix ans et finissent par être cédés dans le cadre d'une faillite. Donc le caractère spéculatif et le prix final... Je pense qu'il vaudrait la peine que nous nous penchions un peu sur ces immeubles.

Surtout, comme ma préopinante l'a souligné, cette pétition n'a pas été traitée dans les règles de l'art: on aurait pu auditionner les fondations immobilières de droit public et la CPEG. Je relève également qu'elle a été déposée en Ville de Genève et que son traitement a été rapide et bâclé. Les services immobiliers se sont en effet arrêtés sur les 250 millions sans aller plus loin, sans évaluer en détail la possibilité que nous achetions. Pour ces raisons, je propose de renvoyer ce texte au Conseil d'Etat. Merci.

M. Alexis Barbey (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, que la vie serait simple s'il suffisait de parcourir les petites annonces immobilières pour trouver des logements sociaux et résoudre ainsi un problème lancinant dans la république ! Mesdames et Messieurs, ce n'est pas très sérieux, ce qui a été déposé là; c'est une espèce de cri lancé qui ne se rapporte ni à la réalité ni à la manière dont est traité ce genre d'affaire.

Il y a des professionnels dans le milieu de l'immobilier; l'évaluation des objets est un art extrêmement subtil auquel on ne peut se livrer simplement en lisant une petite annonce. De même, l'évaluation des besoins (a-t-on besoin de studios, de trois-pièces, d'appartements plus grands ?) n'est pas l'affaire de n'importe qui, mais de services comme l'Hospice général, qui connaît les besoins et est capable de diriger les ressources, trop rares, vers les besoins existants.

Mesdames et Messieurs, la vie serait belle si elle était plus simple. Je crois qu'il faut prendre au sérieux ce genre de demande et les mettre face à la vie réelle. Pour ces raisons, on ne peut pas accepter cette pétition, et le groupe PLR vous propose de la déposer sur le bureau du Grand Conseil. Je vous remercie.

M. Sandro Pistis (MCG), rapporteur de minorité. Je rappelle que la Ville de Genève ne s'est pas posé de questions sur le coût lorsqu'il a fallu voter une délibération concernant l'achat de la maison de Zep. Je vous rappelle un certain montant non négligeable: de mémoire, plus de 20 millions - corrigez-moi, est-ce que c'est correct ? (Remarque.) Plus de 20 millions pour une... (Remarque.) ...pour un parc, effectivement. A ce sujet, personne ne se pose de questions. Pourtant, quand il s'agit de loger des gens dans le besoin et d'investir plus de 200 millions (comme on l'a relevé, c'est une vente aux enchères, on ne connaît donc pas le prix définitif), la moindre des choses serait de se rendre à cette vente aux enchères et de procéder à des achats dans le but de fournir des logements.

C'est contradictoire: en ce qui concerne la maison de Zep, tout le monde est d'accord pour l'achat - pas tout le monde, un référendum a été lancé et on verra le résultat, mais en tout cas, le conseil administratif de la Ville de Genève ne s'est pas demandé si c'est trop cher. Par contre, lorsqu'il faut investir dans un but d'utilité publique, investir dans des logements pour ceux qui en cherchent, les prix deviennent subitement excessifs. Mesdames et Messieurs, cette pétition n'est pas farfelue, elle répond à un besoin de logements, et le groupe MCG vous invite à la renvoyer au Conseil d'Etat.

Le président. Merci bien. Mesdames et Messieurs les députés, je vous invite à voter sur le dépôt de cette pétition.

Mises aux voix, les conclusions de la majorité de la commission des pétitions (dépôt de la pétition 2222 sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées par 56 oui contre 17 non (vote nominal).

Vote nominal