Séance du jeudi 13 février 2025 à 17h
3e législature - 2e année - 10e session - 54e séance

M 2993-A
Rapport de la commission du logement chargée d'étudier la proposition de motion de Florian Dugerdil, Lionel Dugerdil, Stéphane Florey, Michael Andersen, Daniel Noël, Guy Mettan, Patrick Lussi, Christo Ivanov, Charles Poncet, Marc Falquet : Désaffectation d'abris PC ne répondant plus aux normes ou entravant la rénovation durable et énergétique des habitations
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VI des 31 octobre et 1er novembre 2024.
Rapport de M. Philippe de Rougemont (Ve)

Débat

Le président. L'ordre du jour appelle la M 2993-A, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Le rapport est de M. Philippe de Rougemont, à qui je cède la parole. (On entend toujours le bruit de la manifestation à l'extérieur.)

M. Philippe de Rougemont (Ve), rapporteur. Merci, Monsieur le président. Je vais essayer de garder ma concentration malgré le bruit qui vient de dehors. Cette proposition de motion comporte deux points: premièrement, alléger l'obligation de maintenir les abris PC individuels quand ils ont plus de 35 ans, ceux qui sont sous les villas, et ainsi, deuxièmement, créer des espaces supplémentaires pour y installer des pompes à chaleur. Pour ceux qui ne sont pas au fait des pompes à chaleur, ce sont ces machines qui remplacent les chaudières à mazout et à gaz et qui ont besoin d'un emplacement pour ensuite fournir de la chaleur ou même du froid.

La commission a été saisie de ce texte, et je vais parler de ces deux points, en commençant par les abris de la protection civile. La Cour des comptes a effectué un audit de performance qui pointe du doigt de nombreux dysfonctionnements dans le canton de Genève: on est censé arriver à une couverture de 100% de la population qui pourrait trouver une place dans un abri de la protection civile en cas de dangers, d'aléas, mais on est à 76%. Autre chose: il existe un souci (c'est un sujet connexe) au sujet de l'état d'accueil de ces abris, qu'ils soient privés ou collectifs. Dans ce contexte, aller encore plus loin et permettre de supprimer les abris qui ont plus de 35 ans reviendrait à réduire environ de moitié le nombre de places disponibles.

La motion dont il est question propose de permettre la désaffectation des abris construits avant 1987, ce qui correspond justement à 56%, pas à la moitié mais à 56%. Entre 3000 et 4000 places d'abris supplémentaires sont construites - ce qui est à relever, c'est une bonne chose - mais en comparaison avec les 5000 habitants supplémentaires dans le canton, dans cette situation on aggrave le déficit chaque année. Alors est-ce qu'on vit dans un monde où le risque a diminué ? C'est un peu le constat que fait le texte, mais il n'est pas partagé par la majorité de la commission: il n'y a qu'à voir le conflit en Ukraine. Malheureusement, la perte de culture de la neutralité à Berne ne met pas la Suisse hors de danger de conflit entre empires, qui augmente à nouveau. Nous constatons donc que nous ne pouvons nous permettre le luxe d'avoir moins d'abris de la protection civile.

Ensuite, concernant l'usage pour les pompes à chaleur, la commission a auditionné M. Messina, responsable des grands travaux et fondé de pouvoir chez Grange Immobilier, pour lui poser la question suivante: «Est-ce que pour vous, dans votre métier, c'est une bonne chose, un avantage que l'on puisse à l'avenir utiliser cet endroit, les abris PC sous les villas, pour y placer une pompe à chaleur ?» Eh bien, il nous a répondu que ce n'est pas le cas.

Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe.

M. Philippe de Rougemont. Merci. Il explique que les villas sont en général équipées de chaudières à mazout, donc d'un local-citerne qui peut être employé pour y installer la pompe à chaleur, qu'ils n'ont pas été confrontés à des cas où il serait réellement utile de convertir les abris PC, et que c'est souvent mieux de placer ces machines à l'extérieur, on les voit du reste fréquemment à l'extérieur des villas.

Est-ce qu'il y a un besoin ? Non. Est-ce qu'il y a un besoin de sécurité accru ? Oui. Cette motion a donc été largement retoquée. Pour conclure, l'objectif de ce texte - à savoir faciliter l'installation des pompes à chaleur pour se débarrasser de ces fichues chaudières qui brûlent du pétrole et du gaz venus de pays géostratégiquement douteux - est entièrement partagé par tous les partis du Grand Conseil. Par contre, la réflexion suivante a été faite: ce n'est pas en supprimant des abris PC sous des maisons que l'on va faciliter la transition énergétique. C'est pourquoi le parti des Verts et une large majorité de la commission vous invitent à rejeter cet objet. Merci de votre attention.

Mme Caroline Marti (S). Mesdames et Messieurs les députés, difficile de passer après le rapporteur, qui a rappelé l'essentiel des points évoqués en commission avec beaucoup de pertinence ! Je relève toutefois que ces abris de protection civile, qu'ils soient privés ou publics, ne sont pas là pour faire joli ni pour créer une sorte de réserve de surface d'habitation pour les propriétaires. Ils sont là pour protéger la population en cas de catastrophe, et la loi prévoit que 100% des besoins de la population doivent être couverts. Or, aujourd'hui, Genève occupe la pire place du classement des cantons, puisqu'à peine plus de 80% des besoins de la population sont couverts par des places offertes à la population en cas de catastrophe. Pire, si nous appliquions ce texte et désaffections l'ensemble des abris privés qui pourraient l'être si ce qui est proposé par cette motion était mis en oeuvre, près de 50% des abris actuels - qui, encore une fois, sont en sous-nombre - pourraient être désaffectés. Où est-ce qu'ils seraient remplacés ? Par qui ? Avec quels moyens ? Evidemment, c'est toute la problématique. Nous n'avons ni l'espace ni les moyens financiers pour construire des abris afin de protéger la population et de compenser ceux qui seraient désaffectés à la suite de l'application de ce texte.

En outre, le rapporteur de commission l'a très justement rappelé, est-il vraiment nécessaire de permettre la désaffectation de ces abris privés ? La motion prévoit de rendre possible la désaffectation des abris privés, premièrement si la remise en état d'un abri est trop coûteuse - or, on nous a expliqué en commission que de telles dérogations existent déjà -, deuxièmement si on a besoin de cet abri pour installer un système énergétique durable - il n'existe, semble-t-il, aucun cas où la mise en place d'un système énergétique durable aurait été entravée par l'existence d'un abri qui ne pourrait être désaffecté - et troisièmement si des places sont nécessaires pour maintenir le confort et l'harmonie de l'habitat: absolument personne ne sait ce que ça veut dire, mais on peut imaginer que ce serait pour agrandir sa surface habitable et y construire un home cinéma ou que sais-je. Or, l'évaluation de la proportionnalité de la mesure, soit la proportionnalité entre la possibilité de désaffecter ces abris, le risque que cela fait courir à la population et l'ambition qui doit être la nôtre de protéger la population par le maintien de ces abris de protection civile, exige que nous refusions ce texte. Je vous remercie.

M. Lionel Dugerdil (UDC). Pour revenir brièvement sur le rapport encensé par ma préopinante, Mme Marti, je relève quelques petites erreurs. La commission qui a traité cette motion n'est pas la commission des transports, mais bien celle du logement. Ensuite, le motionnaire n'est pas Lionel Dugerdil, mais Florian Dugerdil. Je remercie toutefois le rapporteur de reconnaître le besoin de sécurité accru, et j'espère que son parti s'en souviendra lorsqu'on votera les budgets de la sécurité et de l'armée.

Cet objet n'a pas pour but que l'on utilise des abris privés pour y installer des home cinémas, mais pour que l'on produise de l'énergie durable dans un logement privé. Il relève surtout que si la loi oblige effectivement à avoir des abris, elle permet également leur désaffectation. Dans les faits, malheureusement, on autorise la désaffectation d'abris qui sont employés et aux normes dans des collectivités publiques et qui sont utilisés notamment lors de camps pour les jeunes. A contrario, on n'autorise pas les privés à désaffecter des abris qui ne serviraient quasiment à rien si l'on en avait réellement besoin. Pour ces raisons, l'UDC votera ce texte.

M. Sébastien Desfayes (LC). Je me dois d'encenser le rapporteur, quitte à déplaire à Florian et Lionel Dugerdil... (Rires.) ...car je le trouve exceptionnel, je trouve qu'il a absolument tout dit. Je vais donc résumer les éléments concernant les besoins invoqués par les motionnaires, c'est-à-dire la création de pompes à chaleur en lieu et place d'abris. Or, les professionnels de l'immobilier nous ont répondu que ce besoin était nul, tout simplement parce que l'immense majorité des pompes à chaleur, on les construit à l'extérieur ou, quand tel n'est pas le cas, à la place des chaudières à mazout dans un endroit destiné à cet effet.

Ce qui nous a en revanche été dit, le rapporteur l'a aussi évoqué, c'est que cette motion est contraire au droit fédéral et aux directives émises par la Confédération, qui, je le répète, visent à assurer une couverture de la population de 100%. Pourtant, avec cette motion, on arriverait à 40%. On ne serait alors plus le pire élève de la classe, on deviendrait le champion du monde des cancres. On saisit mal l'utilité, mais on voit le risque, risque géostratégique que le rapporteur a également relevé. Ce n'est donc même pas une fausse bonne idée, c'est une vraie mauvaise idée ! Voilà pourquoi Le Centre refusera cette motion. Merci.

M. Thierry Oppikofer (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, utiliser les abris PC vieillissants pour y mettre des pompes à chaleur, quelle idée originale ! Il y aurait enfin un peu de temps libre pour les personnes astreintes ou employées de la protection civile. D'ailleurs tous ces abris antiatomiques ont toujours servi de sujet de rigolade à ceux qui ont des amis étrangers lorsque ceux-ci apprenaient qu'on avait un abri antinucléaire dans notre cave. Ça a toujours donné l'impression de coûter cher et de ne pas servir à grand-chose.

Quand la guerre a commencé en Ukraine - on l'a rappelé -, les mêmes amis étrangers ont commencé à moins rigoler et à trouver ces abris un peu moins risibles, surtout lorsqu'on a appris que de nouveaux missiles à portée nettement plus longue seraient utilisés par les uns ou les autres. D'ailleurs, l'Ukraine n'est pas la seule crise, comme vous le savez: les mitraillettes sont de sortie un peu partout dans le monde. Alors pourquoi ne pas garder nos abris et éviter de les désaffecter, même s'ils sont vieux ? Je ne pense pas que les éventuelles bombes ou les éventuels missiles feraient la différence entre des abris ISO 9001 ou des abris vieillissants. Je pense aussi que si l'on doit absolument y aller, ce qu'à Dieu ne plaise, on est mieux dans un abri chez soi, dans sa cave, que dans les grands collectifs du type des parkings de la gare Cornavin et d'autres abris de grands ensembles.

On l'a évoqué bien plus brièvement que moi, les auditions ont permis de constater que l'endroit le moins indiqué pour installer des pompes à chaleur ou d'autres dispositifs écologiques, c'est justement l'abri antiatomique. Cette idée, en plus, toucherait plus de la moitié des abris actuels, 56%. Nous ne sommes pas d'accord sur les chiffres, j'avais retenu que, selon les auditions, le taux de protection de la population est à 81%. Donc la priorité, à vrai dire, serait plutôt de construire des abris que d'en désaffecter.

La commission a refusé ce texte à l'unanimité, à l'exception de deux commissaires UDC. Le groupe PLR fera de même et vous invite à le faire également. Merci.

M. Amar Madani (MCG). Mesdames les députées, Messieurs les députés, tout a été dit ou presque. Comme il l'a fait en commission, le MCG va voter contre ce texte pour deux raisons principales, qui ont été évoquées par la totalité des personnes auditionnées. La première est la non-applicabilité de cette motion, qui va à l'encontre des directives fédérales. La deuxième est que Genève est le mauvais élève, comme on vient de le souligner. Si cette motion venait à être adoptée, plus de la moitié, soit 53% des abris privés actuels pourraient être désaffectés. C'est pourquoi le MCG refusera cet objet. Je vous remercie.

Le président. Merci, Monsieur le député. Je passe la parole à M. de Rougemont, qui dispose d'une minute cinquante.

M. Philippe de Rougemont (Ve), rapporteur. Merci, Monsieur le président. Je profite du fait que nous parlions de ce sujet, qui pourrait être vital pour toute la population, pour répondre à un point. Dans les considérants de la motion, il est dit que de toute façon, c'est bien connu, ces abris ne sont pas praticables: il n'y a pas d'arrivée d'eau, il n'y a pas de toilettes, on ne peut pas y rester plus de quelques heures. En fait, dans les scénarios de la Confédération, en cas de conflit ou d'accident nucléaire - on ne parle pas de la chimie, mais ça pourrait être le cas -, la phase «nuage», pendant laquelle le nuage radioactif survole le territoire de Genève (on le sait quelques heures à l'avance en cas d'accident), dure quelques heures voire une journée. Or, des seaux avec des couvercles et des réserves d'eau permettent de tenir, d'utiliser les WC, de se nettoyer, de boire et de manger pendant une journée, pendant le passage de ce nuage; c'est prévu pour cette situation. Je tenais à battre en brèche ce qui est dit et ce qu'on entend souvent, à savoir que ces abris ne servent à rien. Disons qu'ils sont inutiles si nous n'en prenons pas bien soin, ce qui est malheureusement le cas - nous n'en prenons pas bien soin ! -, mais dans le meilleur des cas, ils sont utiles et sauvent une grande quantité de vies. Merci.

Le président. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs les députés, je lance la procédure de vote.

Mise aux voix, la proposition de motion 2993 est rejetée par 79 non contre 11 oui (vote nominal).

Vote nominal