Séance du jeudi 13 février 2025 à 17h
3e législature - 2e année - 10e session - 54e séance

M 3004-A
Rapport de la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil chargée d'étudier la proposition de motion de Jean-Pierre Tombola, Diego Esteban, Jacques Jeannerat pour un renforcement des droits démocratiques des Suisses de l'étranger
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IX des 23 et 24 janvier 2025.
Rapport de majorité de M. Jean-Pierre Pasquier (PLR)
Rapport de minorité de M. Jean-Pierre Tombola (S)

Débat

Le président. Nous enchaînons avec la M 3004-A, dont le débat est classé en catégorie II, trente minutes. Monsieur Jean-Pierre Pasquier, c'est à vous.

M. Jean-Pierre Pasquier (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil a étudié avec intérêt cette proposition de motion qui vise à renforcer les droits démocratiques des Suisses de l'étranger. Bien que ses auteurs soient animés de bonnes intentions, le texte présente plusieurs écueils touchant à la logistique et à la faisabilité.

En effet, la mise en place d'une gratuité de l'envoi des bulletins de vote via les ambassades suisses pose des problèmes logistiques considérables. Le trajet des enveloppes du domicile à l'ambassade est complexe à organiser et entraînerait des frais élevés: par exemple, l'utilisation d'un service comme FedEx afin de garantir une livraison ponctuelle coûterait entre 100 et 120 francs par électeur, ce qui est jugé excessif. Faut-il le rappeler, Mesdames et Messieurs, le Conseil d'Etat ne dispose pas de la compétence nécessaire pour imposer des directives aux ambassades.

Genève serait le seul canton à procéder de la sorte; on imagine assez aisément la réaction des autres cantons suisses ! Par ailleurs, les votations peuvent porter simultanément sur différents sujets de droit communal, cantonal et fédéral, ce qui rend la mise en oeuvre de cette motion difficile. Les objets municipaux, cantonaux et fédéraux sont généralement regroupés dans une même enveloppe, ce qui complique encore la logistique.

Mesdames et Messieurs les députés, la réponse à ce texte est la remise en service du vote électronique. Comme vous le savez toutes et tous, notre parlement a voté, le 1er novembre dernier, la loi 13504 «ouvrant un crédit d'investissement de 3 130 000 francs pour l'intégration du système de vote électronique de La Poste Suisse pour le canton de Genève». La planification - c'est l'une des invites de la motion - est connue, l'objectif est un retour du dispositif électronique pour des votations en juin 2026.

En conclusion, Mesdames et Messieurs les députés, bien que nous reconnaissions l'importance de faciliter la participation des Suisses de l'étranger aux votations, les défis logistiques, les questions de compétence soulevées par cet objet, mais surtout la réintégration du vote électronique dans quelques mois conduisent la majorité de la commission des droits politiques à vous recommander le rejet de cette commission. (Rires.)

Une voix. De cette motion !

M. Jean-Pierre Pasquier. De cette motion, pardon ! Je vous remercie de votre attention.

M. Jean-Pierre Tombola (S), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, cette proposition de motion vise à corriger une inégalité de traitement entre l'électorat suisse résidant dans le pays et celui de l'étranger en demandant la gratuité du renvoi des bulletins de votation depuis les pays de résidence des Suisses de l'étranger.

Comme vous le savez, nos compatriotes vivant à l'étranger font face à de nombreux défis lorsqu'ils s'intéressent à la vie politique de notre pays. La distance ne permet pas toujours d'accéder aux informations utiles, notamment en ce qui concerne le matériel de vote, les candidats ou les programmes des partis politiques; plus spécifiquement, ils doivent payer eux-mêmes les frais de renvoi des bulletins de vote alors qu'en Suisse, le corps électoral reçoit des enveloppes préaffranchies.

C'est une inégalité de traitement qui mérite d'être corrigée, d'autant plus que de nombreuses personnes n'ont pas forcément beaucoup de moyens; il s'agit souvent de personnes retraitées, et quatre votations par année peuvent peser lourdement sur le budget de certaines familles. Le fait d'exiger le paiement des frais d'affranchissement est susceptible de freiner la volonté de contribuer à la vie démocratique et, de facto, de diminuer le taux de participation aux votations.

Il est évident qu'avec le système actuel, on pratique un traitement différencié entre deux catégories de citoyens - les Suisses vivant en Suisse et les Suisses de l'étranger -, ce qui nécessite une correction. C'est la raison d'être de la présente motion, qui vise à éliminer cette inégalité de traitement de façon à permettre à nos concitoyens de l'étranger d'exercer pleinement leurs droits politiques. Pour tous ces motifs, Mesdames et Messieurs les députés, la minorité vous recommande de renvoyer cet objet au Conseil d'Etat. Je vous remercie.

M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, cela a été indiqué, mais pas forcément chiffré: à Genève, la participation au vote des Suisses de l'étranger est sensiblement inférieure à celle des résidents du canton. Il est d'ailleurs intéressant d'observer une sorte d'étiage à 20%, mais qui n'évolue que peu en fonction des scrutins. Ainsi, il y a en gros un cinquième des gens qui votent systématiquement et quatre cinquièmes qui ne se prononcent jamais; on ignore s'il s'agit des mêmes personnes, mais toujours est-il qu'on se retrouve avec ce taux-là.

Bien entendu, celui-ci est trop bas et tend à délégitimer les votes, il est donc tout à fait opportun d'imaginer des solutions pour l'élever. A ce titre, j'invite toutes les passionnées et tous les passionnés de droits politiques à prendre connaissance du rapport de majorité, notamment l'excellente audition de la direction du support et des opérations de vote, qui explique l'intérêt du vote des citoyens genevois de l'étranger, les mesures prises par l'Etat pour le favoriser et qui a déjà analysé la situation de façon pointue sans toutefois réussir à augmenter significativement ce pourcentage.

En résumé, on se retrouve avec deux groupes de personnes assez distincts. Premièrement, une partie des Suisses de l'étranger résident à proximité immédiate de Genève, en France voisine. Pour eux, le problème ne se pose que marginalement: étant donné qu'ils conservent des liens très proches - quasi quotidiens, pour certains - avec notre canton, ils peuvent simplement déposer leur enveloppe dans une boîte aux lettres de la Poste suisse, donc la question ne se pose pas.

Mais dès lors que les gens sont installés un peu plus loin, il est vrai que la qualité des services postaux, le coût de l'affranchissement ainsi que d'autres considérations entrent en jeu. Il était intéressant de constater que ces aspects ont déjà été réfléchis au sein de la DSOV.

Il a été mentionné que le système de vote électronique devrait permettre de résoudre cette question, mais seulement partiellement; toute sorte de raisons opérationnelles font que ce dispositif ne constitue pas une panacée en matière de droits politiques.

C'est pour ces motifs, essentiellement au regard des deuxième et troisième invites - surtout de la troisième, pour tout dire -, que le groupe des Verts va soutenir la motion: il estime que ses buts sont pleinement louables, quand bien même la solution des ambassades proposée dans la première invite soulève des problèmes logistiques évidents; il n'empêche que les deux autres invites sont tout à fait pertinentes. Cela permettra au Conseil d'Etat de formaliser une réponse sans doute satisfaisante aux questions parfaitement légitimes que se posent les auteurs de ce texte. Nous vous remercions.

Mme Christine Jeanneret (LJS), députée suppléante. Chères et chers collègues, au vu de la complexité des procédures, du nombre de votations au niveau communal, cantonal et fédéral, et des coûts engendrés par électeur, LJS vous recommande de rejeter cette proposition de motion et d'attendre la mise en oeuvre du vote électronique, promise pour 2026. Merci.

Mme Alia Chaker Mangeat (LC). Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition de motion part certes d'une bonne intention - augmenter la participation citoyenne des Suisses de l'étranger -, mais également d'une hypothèse que rien ne permet de confirmer, à savoir que le fait que ces électeurs doivent affranchir leur enveloppe dissuade une partie d'entre eux de participer aux scrutins. On peut aussi raisonnablement supposer que ces personnes, ne résidant plus en Suisse, se sentent moins concernées par la politique de leur pays d'origine et se désintéressent des votations.

Cette question peut rester ouverte, car la motion pose de toute façon - le rapporteur de majorité l'a très bien expliqué - des problèmes de compétence et de logistique importants, notamment pour les ambassades qui devront, je vous le rappelle, différencier le traitement des bulletins à destination des Genevois de celui des autres Confédérés, y compris pour des votations strictement fédérales, sans parler de la difficulté de préaffranchir des enveloppes alors que, parfois, une seule ambassade couvre plusieurs juridictions.

Les motionnaires évoquent une inégalité de traitement entre les Suisses résidant ici et nos compatriotes de l'étranger; là encore, à tort. En effet, l'envoi du matériel de vote à l'étranger induit des coûts plus importants que l'acheminement local, donc un traitement différencié peut tout à fait se justifier.

Ainsi, la seule piste qui, à notre avis, est pertinente dans cette motion, c'est celle du vote électronique. Nous avons voté il y a quelques mois un crédit d'investissement pour la mise en place de ce dispositif, que nous souhaitons évidemment simple, efficace et sécurisé. Voilà plus de cinq ans que nous attendons, donc nous plaçons beaucoup d'espoir dans cette solution. A l'heure où un certain nombre de textes sont déposés afin que Genève devienne la capitale mondiale du numérique et de l'intelligence artificielle, que notre canton soit à la pointe en matière de cybercriminalité, je réponds que si, modestement, nous pouvions déjà juste voter par voie électronique, ce serait un pas en avant bienvenu. Merci beaucoup.

Une voix. Bravo !

M. Diego Esteban (S). Je divergerai de ma préopinante sur un point en particulier, à savoir le potentiel encourageant du préaffranchissement en matière de participation citoyenne. Je me souviens - je n'étais malheureusement pas encore membre de notre Grand Conseil - que ce parlement s'est prononcé à deux reprises sur la coupe du préaffranchissement dans le budget de fonctionnement du canton: le Conseil d'Etat, lors de la législature 2013-2018, l'avait sollicitée par deux fois, et par deux fois, cette proposition avait été refusée par une large majorité, qui intégrait une bonne partie de la droite de l'époque. A mon avis, si l'effet incitatif du préaffranchissement sur la participation ne constituait pas un fait avéré, nous n'aurions sans doute pas assisté à des positions aussi nettes.

Je pense que tout le monde ici partage l'intention d'augmenter le taux de participation. Le point positif, c'est que notre plénum s'est régulièrement prononcé en faveur de la réintroduction du vote électronique, qui, selon l'Organisation des Suisses de l'étranger, a un impact significatif sur l'engagement des électrices et électeurs; en tout cas, sa suppression a fait baisser, selon l'office cantonal de la statistique, la participation des Genevoises et des Genevois de l'étranger, qui est passée de 36% à 27%, ce qui est dramatique au regard des enjeux de légitimité.

Finalement, en effet, les Genevoises et Genevois de l'étranger sont des Genevoises et Genevois, et notre taux de participation global souffre si on ne permet pas aux électrices et électeurs expatriés - la plupart à proximité de Genève, je le concède - d'avoir réellement leur mot à dire quant à des décisions qui les concernent toutes et tous.

Je rappellerai que dans cette motion, il y a surtout la volonté de s'engager pour en faire davantage, pour ne pas se contenter de la situation actuelle. Bien sûr, c'est très bien que la chancellerie ait déployé des efforts - certains concluants, d'autres moins -, mais la question est la suivante: devons-nous nous contenter de ce taux de participation, n'y a-t-il pas d'autres pistes à creuser ?

Ce qui serait dommage, si le Grand Conseil émettait une décision négative sur cette motion aujourd'hui, c'est que nous nous contentions d'un taux de participation de 27% des Genevoises et Genevois de l'étranger. Il s'agit d'une position à laquelle le groupe socialiste ne peut en aucun cas adhérer, et c'est la raison pour laquelle nous vous recommandons d'accepter ce texte.

M. Yves Nidegger (UDC). Le grief formulé par notre collègue Tombola est tout à fait réel. L'Organisation des Suisses de l'étranger, qui fonctionne très bien et développe ses réseaux jusqu'à Berne, s'est élevée à plusieurs reprises en dénonçant: «Dans certaines régions de certains pays, on reçoit le matériel de vote après le vote.» C'est une doléance connue de longue date.

Le problème, c'est que les invites de la proposition de motion ne permettent pas de pallier ce défaut. S'il est possible, par la valise diplomatique, de faire parvenir très rapidement les enveloppes de vote aux ambassades des pays concernés, la pierre d'achoppement concerne la suite, soit l'acheminement depuis les ambassades jusqu'aux lieux précis et retour.

Ce n'est pas la gratuité du renvoi qui résoudra un écueil de temps quand, concrètement, l'inégalité de traitement dont on se plaint résulte de circonstances locales et que la solution pour y remédier ne se trouve pas entre les mains des Suisses résidant ici, et encore moins dans le canton de Genève, puisqu'il s'agit de rapports internationaux.

En conséquence de quoi, il ne reste plus qu'à espérer - cela a été relevé par le rapporteur de majorité - que l'on trouve une formule suffisamment sûre - on n'en est pas encore très proches - pour généraliser le système de vote électronique. Il se trouve que ce texte qui sollicite un calendrier arrive quelque peu comme la grêle après les vendanges: ce calendrier existe, tout ce qui peut s'opérer dans ce domaine s'effectue déjà. C'est la raison pour laquelle, à regret, il nous faut refuser cet objet.

Mme Nathalie Fontanet, présidente du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat est conscient que l'on peut toujours améliorer la participation citoyenne des Suisses de l'étranger. Toutefois, s'agissant de cette proposition de motion, il vous en recommande le refus pour plusieurs raisons. Tout d'abord, la première invite n'est pas du ressort du canton de Genève: on est véritablement dans le cadre d'une compétence fédérale, elle ne pourrait pas être appliquée.

Ensuite, la deuxième invite est d'ores et déjà caduque, le Conseil d'Etat ayant déposé le projet de loi 13504 pour la reprise du vote électronique, et ce crédit d'investissement a d'ailleurs été accepté à l'unanimité de votre Grand Conseil.

Enfin, la troisième invite n'est pas très claire. Pour rappel, le canton de Genève est déjà l'un des dix seuls cantons qui octroient les droits politiques au niveau cantonal aux Suisses de l'étranger; les Vaudois de l'étranger, par exemple, ne peuvent pas s'exprimer sur des objets cantonaux, mais uniquement sur les sujets fédéraux et l'élection du Conseil national.

Je rappelle par ailleurs que l'Etat de Genève fait déjà figure de bon élève, puisqu'il envoie le matériel de vote à destination de l'étranger systématiquement plus tôt.

La Confédération avait mené un essai d'envoi par valise diplomatique, mais cela n'a pas augmenté significativement - de loin pas - le nombre de Suisses de l'étranger qui votent, et les problèmes postaux sont restés extrêmement importants dans certains pays. Aussi, la piste qui doit véritablement être poursuivie est celle du vote électronique. Je vous remercie, Monsieur le président.

Le président. Merci, Madame la présidente du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs, c'est le moment de vous prononcer sur ce texte.

Mise aux voix, la proposition de motion 3004 est rejetée par 64 non contre 32 oui (vote nominal).

Vote nominal