Séance du
jeudi 13 février 2025 à
17h
3e
législature -
2e
année -
10e
session -
54e
séance
PL 13537-A
Premier débat
Le président. Mesdames et Messieurs, l'ordre du jour appelle le traitement du PL 13537-A. Nous sommes en catégorie II, trente minutes, et je cède la parole à M. Patrick Lussi.
M. Patrick Lussi (UDC), député suppléant et rapporteur de majorité ad interim. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, en tant que remplaçant, je ne vous ferai pas l'insulte de simplement résumer ce rapport très bien fait de mon collègue André Pfeffer, mais vous en rappellerai les points essentiels et exposerai pourquoi la majorité de la commission a conclu qu'il fallait repousser le présent projet de loi.
L'objectif est de modifier la LOIDP, soit la loi sur l'organisation des institutions de droit public, pour permettre une gouvernance pérenne de ces établissements en ajustant la durée du mandat présidentiel: celui-ci devrait être de quinze ans, qu'importe les activités qu'ont pu développer auparavant les membres des conseils d'administration. Le texte vise une continuité institutionnelle, c'est-à-dire à éviter les interruptions fréquentes de mandat pour garantir une gestion stable et cohérente ainsi qu'une stabilité stratégique, ce afin de permettre aux présidents de déployer et de mettre en oeuvre des stratégies à long terme.
A la lecture du rapport, on se rend compte que plusieurs arguments très forts sont ressortis contre l'adoption de ce projet de loi. En voici quelques-uns. Limitation de l'expérience: comme l'a évoqué Mme la présidente du Conseil d'Etat Fontanet lors de son audition, la limitation des mandats à quinze ans a été mise en place pour favoriser un renouvellement et assurer une bonne gestion des institutions. Supprimer cette échéance pourrait nuire à une gouvernance diversifiée en empêchant de nouvelles idées et perspectives d'émerger.
Professionnalisme et continuité: la nouvelle disposition pourrait mener à une professionnalisation excessive de la fonction en renforçant le pouvoir des présidents au détriment de la diversité d'opinion au sein des conseils. Une vision à long terme est importante, mais il ne faut pas oublier les voix des autres membres.
Cohérence avec d'autres lois: plusieurs commissaires ont souligné que le système actuel est satisfaisant. En effet, des réformes récentes, comme le fait que les magistrats peuvent désormais travailler jusqu'à 67 ans, doivent être prises en compte, tout en conservant une logique avec les limites appliquées aux conseils de fondation.
Absence de besoins tangibles: certains commissaires ont avancé que le projet de loi n'apporte pas de réponse à un besoin existant. Les justifications du premier signataire semblent floues, et la règle de quinze ans est considérée comme pertinente pour maintenir un équilibre.
Exemples de bonnes pratiques: de nombreux exemples dans d'autres cantons montrent que la tendance est à la limitation des mandats, ce qui prouve que le renouvellement est bénéfique et favorise une bonne gouvernance.
Bref, l'absence de problèmes significatifs couplée à des pratiques établies parle en défaveur de la modification de la loi. Ces arguments soulignent l'importance de trouver un équilibre entre le renouvellement des dirigeants et la nécessité de maintenir une gouvernance stable et efficace.
Il faut rappeler l'origine de la limitation des mandats: il s'agit de l'article 14, alinéa 5, de la LOIDP qui vise à favoriser un renouvellement dans la gestion des institutions décentralisées, essentiel pour une bonne gouvernance. La norme est stricte: si la limitation intervient en cours de mandat, le membre est réputé démissionnaire; cette règle s'applique également aux membres qui siégeaient déjà lors de l'entrée en vigueur de la loi.
En ce qui concerne le calcul, il a été conclu que c'est la durée totale des mandats qui doit être retenue (soit quinze ans), indépendamment du fractionnement des rôles ou de la fonction désignée. Le risque, avec ce texte, c'est qu'une même personne pourrait cumuler trente ans d'activité: quinze ans comme membre et quinze ans comme président, ce qui mènerait à une professionnalisation excessive. Quant aux critères pour écarter un administrateur, la LOIDP ne fixe pas de conditions spécifiques, sauf en cas d'échéance de la durée convenue.
Citons quelques exemples de limitations en Suisse: le canton de Fribourg impose des mandats de quinze ans maximum pour les activités accessoires, celui de Vaud des mandats de douze ans pour la Banque cantonale vaudoise, Neuchâtel des mandats de quatre ans renouvelables deux fois, le Valais des mandats de douze ans pour la Banque cantonale du Valais et Zurich des mandats de douze ans pour la Banque cantonale zurichoise. Conclusion: la tendance est vraiment à la limitation de la durée des mandats dans le but de favoriser le renouvellement.
Pour la majorité, les principaux désavantages du projet de loi 13537 sont les suivants. Tout d'abord, en permettant aux présidents de siéger pendant quinze ans à partir de leur nomination, on restreint le renouvellement des dirigeants, ce qui risque de limiter l'apport de nouvelles idées et perspectives.
Ensuite, la possibilité de cumuler des mandats jusqu'à trente ans - quinze ans en tant que membre et quinze ans en tant que président - pourrait conduire à une professionnalisation excessive des fonctions, ce qui va à l'encontre des principes de bonne gouvernance. Par ailleurs, des mandats prolongés sont susceptibles d'entraîner une perte de dynamisme et de réactivité au sein des conseils d'administration, les décideurs étant moins enclins à adopter de nécessaires changements.
D'autre part, la concentration des connaissances et de l'expertise entre les mains d'un seul président pendant une longue période pourrait réduire l'autonomie des autres membres et leur capacité à contribuer efficacement. Enfin, la comparaison avec d'autres cantons suisses qui privilégient des mandats courts afin d'encourager le renouvellement est défavorable: ce dispositif pourrait être perçu comme un recul en matière de pratiques de gouvernance.
La majorité de la commission législative a refusé ce texte, jugeant qu'il n'apportait pas de bénéfices significatifs par rapport à la législation actuelle. Nous vous demandons d'appuyer cette position et de rejeter l'entrée en matière sur le PL 13537. Merci, Monsieur le président.
M. Amar Madani (MCG), rapporteur de minorité. Mesdames les députées, Messieurs les députés, ce projet de loi, comme l'a noté le rapporteur de majorité, vise à harmoniser la durée du mandat présidentiel au sein des conseils d'administration des institutions de droit public.
Actuellement, la législation limite à quinze ans la durée de participation à un conseil d'administration, sans distinction entre le rôle de membre et la fonction de président. Cela entraîne une incohérence: si un membre devient président après plusieurs années d'activité, il ne peut pas accomplir un mandat présidentiel complet, ce qui peut nuire à la continuité et à l'efficacité de la gouvernance.
Les auteurs proposent ainsi que les quinze ans du mandat présidentiel commencent à compter de la nomination à la présidence, ce afin de garantir une stabilité accrue de même qu'une vision stratégique à long terme. Il ne s'agit en aucun cas de la possibilité d'une présidence à vie, mais d'un cadre clair permettant aux institutions de mieux remplir leurs missions.
Mesdames et Messieurs, ce texte est d'actualité pour trois raisons. D'abord, la stabilité institutionnelle: une présidence de quinze ans assure une continuité nécessaire à la bonne gestion de nos régies publiques. Ensuite, une vision stratégique renforcée: en disposant d'un certain temps, un président peut mieux structurer et mettre en oeuvre des stratégies efficaces. Enfin, moins d'instabilité: éviter les successions rapides permet de maintenir une ligne directrice cohérente.
En conclusion, les critiques exprimées en commission, notamment le risque de présidences trop longues et d'une perte de dynamisme, sont infondées. Ce dispositif ne prolonge pas indéfiniment les mandats, mais les organise de manière plus logique en privilégiant une gouvernance plus stable et efficace. C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, la minorité vous invite à accepter ce projet de loi.
M. Sandro Pistis (MCG). Bon, Mesdames et Messieurs, je constate une certaine hypocrisie, parce que je viens de consulter le site du Grand Conseil et j'ai le regret de vous annoncer que plusieurs élus du groupe PLR ont plus de trois mandats à leur actif, voire quatre. Au parti socialiste, il y a même un député qui siège depuis six mandats consécutifs. (Commentaires.) Si, si, c'est indiqué sur le site du Grand Conseil: six mandats. Mais j'entends que ça dérange... (Commentaires.) Je vous communiquerai le nom après, entre quatre yeux, avec grand plaisir !
Le but de ce projet de loi est de pérenniser une équipe qui gagne dans l'intérêt de notre canton et de nos institutions ainsi que de valoriser les compétences, voilà l'objectif des auteurs. Par ailleurs, il s'agit de garder la mémoire du travail réalisé.
Dans une entreprise, si le président du conseil d'administration convient, vous n'allez pas le licencier après deux mandats, après huit ou dix ans - je reprends les chiffres du rapporteur de majorité.
Mesdames et Messieurs les députés, le groupe MCG vous invite à soutenir ce projet de loi. Et vous qui nous regardez derrière votre écran, allez consulter le site du Grand Conseil: vous constaterez le nombre non négligeable de députés qui ont renouvelé leur mandat à plusieurs reprises. Merci.
M. Diego Esteban (S). Je remercie M. Pistis pour l'occasion donnée d'intéresser les téléspectatrices et téléspectateurs aux statistiques très intéressantes sur le fonctionnement de nos institutions et j'attirerai leur attention sur le fait que le MCG a l'insigne honneur d'avoir le député avec la plus grande longévité, puisqu'il siège depuis 2005 sans discontinuer !
Beaucoup de statistiques intéressantes à partager, mais ce n'est peut-être pas le lieu ici, parce que ce projet de loi ne concerne absolument pas la présence au sein des autorités politiques, mais dans les conseils d'administration des institutions soumises à la LOIDP, dont on a voulu à dessein que les présidences soient limitées à quinze ans. Cette règle est basée sur la conviction que les régies publiques doivent être plus pérennes que les personnes qui en font partie.
Nous vivons tout de même dans un pays qui se distingue avec des traditions tout à fait honorables, comme le fait d'avoir des présidences tournantes; c'est le cas pour les instances législatives, c'est le cas pour les organes exécutifs, et cela ne remet en rien en question la stabilité et le bon fonctionnement de nos institutions, parce que celles-ci s'accordent avec ce fonctionnement en ne dépendant pas de la seule personnalité de la personne qui occupe la présidence à un moment précis.
Si une entité publique s'alignait beaucoup trop sur l'identité de la personne siégeant à sa présidence à un moment T, alors effectivement, peut-être cela pourrait-il avoir un effet. Là encore, durant les travaux en commission, on ne nous a pas montré une seule institution dont le fonctionnement aurait été mis en danger par le fait que la présidence ne dure qu'un seul mandat. Suite au renouvellement intégral qu'on a connu, les changements de présidence n'ont pas mis en danger le fonctionnement des régies publiques.
Une manière de renforcer la continuité et la stabilité de ces établissements serait peut-être de mieux répartir la charge de travail afin de favoriser leur pérennité plutôt que de dépendre intégralement des membres à un moment donné. Ainsi, il n'y a non seulement pas péril en la demeure, mais vraiment aucun risque identifiable pour le fonctionnement de nos institutions, et pour toutes ces raisons, le groupe socialiste vous invite à refuser l'entrée en matière sur ce projet de loi.
Mme Alia Chaker Mangeat (LC). Mesdames et Messieurs les députés, pour Le Centre non plus, il n'y a pas de raison de déroger à la règle d'une durée de mandat maximale de quinze ans pour le président ou la présidente d'un conseil d'administration. Le système actuel - on l'a constaté lors des auditions - donne satisfaction en permettant un renouvellement régulier et nécessaire pour assurer une bonne gouvernance des régies publiques.
Certains prétendent que la limite imposée aux présidents n'est pas bénéfique en matière de continuité et de décisions stratégiques. Le Centre considère au contraire que c'est au conseil d'administration dans son ensemble qu'il incombe de porter et de défendre les choix stratégiques, et non au président seul. On m'a soufflé que ce n'est pas le cas dans certaines entités; eh bien, ma foi, voilà une raison supplémentaire de refuser ce projet de loi. Merci beaucoup.
Mme Dilara Bayrak (Ve). Mesdames et Messieurs, je vous avoue que je m'étonne toujours des textes qui proviennent du MCG et qui visent à modifier une situation, généralement en pire. Notre système fonctionne et on nous parle de continuité, d'éviter des changements successifs; mais quand il y a des changements successifs, c'est précisément parce que l'institution va mal et qu'on essaie de ramener une stabilité en nommant des personnes qui peuvent apporter de la paix au sein d'un conseil d'administration qui, en l'occurrence, dysfonctionne. Nous ne voyons vraiment pas de raisons pour lesquelles il faudrait accepter ce texte.
Comme nous l'avons établi en commission, la comparaison avec d'autres instances où il y a des élus n'est pas pertinente. Et quand bien même ce serait le cas, je défie quiconque de me citer une seule entité où il serait logique qu'une même personne siège pendant quinze ans sans être remise en cause. Quinze ans, c'est énorme ! Ce n'est peut-être pas une élection à vie, mais je ne vois pas dans quelle institution il serait légitime d'avoir une seule et même vision pendant quinze ans, voire trente ans si la personne était membre avant d'être présidente.
Si on devait opérer une comparaison, ce serait avec la présidence du Conseil d'Etat. Or, pour rappel, nous avons changé de dispositif en revenant au tournus qui avait cours initialement, un mécanisme de présidence qui change chaque année, comme au sein du Grand Conseil. Ce projet de loi est malvenu, ne sert à rien et nous le refuserons bien évidemment. Merci.
Mme Uzma Khamis Vannini (Ve), députée suppléante. Je compléterai l'excellente intervention de ma préopinante en ajoutant que la solution actuelle favorise la collégialité: le groupe doit travailler ensemble, partager les informations, est plus transparent. Ce système de tournus nous permet d'être admirés au-delà des frontières de la Suisse, dans d'autres pays, quand il s'agit de notre système politique.
En effet, lorsque les gens découvrent que même le président de la Confédération n'est en poste que pour une année, je dois dire qu'ils sont toujours très agréablement surpris. Le même constat a été fait s'agissant de la présidence du Conseil d'Etat.
De toute façon, des membres vissés sur une chaise au sein d'un conseil d'administration qui ronronne, où les personnes ne sont plus tellement motivées, cela ne peut rien apporter de bon à l'institution concernée. Aussi, les Verts refuseront ce texte.
Mme Céline Zuber-Roy (PLR). Mesdames et Messieurs, le groupe PLR s'opposera également à ce projet de loi, mais, à la différence de ce que j'ai entendu, pas tant parce que le système actuel est satisfaisant. Bien sûr, le PLR ne va pas vous dire que les conseils d'administration fonctionnent bien ! Nous le dénonçons sans cesse: leur envergure est trop importante, leurs membres manquent de compétences, nous avons de nombreuses critiques à formuler sur ce sujet. Là-dessus, nous rejoignons M. Pistis et serions heureux que le MCG travaille avec nous sur notre projet de loi visant à améliorer les compétences au sein des institutions.
Malheureusement, ce texte visant à permettre à une personne de siéger non pas quinze ans, mais trente ans au sein d'un conseil d'administration ne résout d'aucune manière les problèmes de dimension ou d'incompétence des membres. Pour cette raison, nous le rejetterons. Je vous remercie.
M. Vincent Canonica (LJS). Mesdames et Messieurs, la prolongation de la durée du mandat de président au sein des établissements régis par la LOIDP rendra-t-elle la gouvernance de ceux-ci plus pérenne ? Voilà la question. Eh bien la réponse est non. Le véritable enjeu, comme cela a été relevé par mes préopinants, est de déterminer ce qui est essentiel pour la bonne gestion d'une institution de droit public.
C'est la notion de compétence qui constitue l'élément clé pour assurer une bonne gouvernance des régies publiques. Je pense qu'il faudrait se pencher davantage sur cet aspect que sur celui de la durée des mandats, qui ne résoudra pas la problématique. Pour ces motifs, le groupe LJS refusera ce projet de loi et vous invite à en faire de même.
M. Amar Madani (MCG), rapporteur de minorité. J'entends ce que les représentants de la majorité viennent d'indiquer. Cependant, j'aimerais évoquer deux problèmes dans le cadre du système actuel. D'une part, lorsqu'il y a un chevauchement entre deux mandatures, la question de reconduire ou non l'ancien président se pose, selon la nomination de son groupe parlementaire.
D'autre part, je citerai un cas actuel concret, celui du conseil d'administration des Hôpitaux universitaires de Genève: la présidence n'arrive pas aux quinze ans requis, et par voie de conséquence, le président serait invité à démissionner à mi-mandat, puis il faudrait nommer un nouveau président. Je vous remercie.
Mme Nathalie Fontanet, présidente du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat vous recommande de rejeter ce projet de loi. Il n'est clairement pas opportun, en ce qui concerne la gestion des institutions de droit public, qu'un président puisse rester en fonction pendant trente ans, cela ne répond pas aux critères d'une bonne gouvernance.
A cet égard, je me réfère à l'article 6, alinéa 3, de la loi-type fédérale concernant des établissements qui fournissent des prestations à caractère monopolistique, qui a été établie par l'Office fédéral de la justice et l'Administration fédérale des finances, et qui prévoit des mandats de maximum quatre ans, renouvelables une ou deux fois.
Sur le plan du droit, les comparaisons montrent qu'il y a aujourd'hui une tendance très claire à la limitation de la durée des mandats, généralement répartie sur deux ou trois mandats de quatre ou cinq ans. Ainsi, nous ne voyons pas d'un bon oeil l'idée de pouvoir siéger trente ans: cela correspond à une carrière professionnelle et conduirait à une professionnalisation du rôle de président d'un conseil d'administration, respectivement d'administrateur. Dès lors, nous vous proposons de refuser ce texte. Merci.
Le président. Je vous remercie, Madame la présidente du Conseil d'Etat. Nous procédons au vote d'entrée en matière sur ce projet de loi.
Mis aux voix, le projet de loi 13537 est rejeté en premier débat par 79 non contre 13 oui.