Séance du vendredi 24 janvier 2025 à 14h
3e législature - 2e année - 9e session - 51e séance

RD 1608
Rapport annuel de la commission des visiteurs officiels du Grand Conseil (1re année de la législature 2023-2028)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IX des 23 et 24 janvier 2025.
Rapport de Mme Masha Alimi (LJS)

Débat

Le président. J'ouvre la séance des extraits, Mesdames et Messieurs, avec le RD 1608 (catégorie III). Le rapport est de Mme Masha Alimi, que je prie de bien vouloir se présenter à la table des rapporteurs. Vous avez la parole, Madame.

Mme Masha Alimi (LJS), rapporteuse. Merci, Monsieur le président. Ce rapport est le résumé des activités de la commission des visiteurs officiels durant l'année 2023-2024. Durant cette première année de législature, la commission a tenu 28 séances plénières. Nous avons visité les établissements de détention de manière planifiée ou inopinée, visité tous les postes de police dotés de cellules, observé plusieurs renvois et auditionné un grand nombre de personnes détenues.

Dans la mesure où sa composition a été fortement renouvelée à la suite des élections du Grand Conseil en 2023, la commission a organisé plusieurs auditions pour former les commissaires à la façon d'examiner les conditions de détention, car le travail de la commission des visiteurs officiels diffère complètement de celui des autres commissions du Grand Conseil. En effet, la commission des visiteurs officiels examine les conditions de détention dans les lieux de privation de liberté en vertu du droit pénal et administratif notamment, et observe le renvoi des personnes afin de s'assurer du respect de leurs droits et de leur dignité.

Au terme de cette première année de législature, la commission a émis cinq recommandations. Elle recommande au Conseil d'Etat de cesser l'exécution des peines privatives de liberté de substitution au sein de la prison de Champ-Dollon et de trouver des alternatives. Elle encourage par ailleurs l'amélioration du processus de prise de rendez-vous pour les visiteurs à la prison de Champ-Dollon. La commission recommande également de mettre des vêtements à disposition des personnes détenues dans tous les établissements pénitentiaires, pour que leur dignité soit respectée. Elle recommande d'autre part qu'un suivi social de qualité et continu soit mis en place, de l'entrée en détention à la libération. Enfin, la commission dit sa préoccupation par rapport aux tentatives de suicide et aux suicides en détention, et invite les autorités à prendre un certain nombre de mesures dans ce domaine.

La commission a par ailleurs formulé des observations et recommandations spécifiques concernant les violons gérés par la BSA (brigade de sécurité et des audiences) au Vieil hôtel de police, et plus largement les violons de tous les postes de police. Il s'agit d'une problématique particulière que la commission a examinée à la suite du décès de deux personnes dans ces violons au début de l'année 2024. Il ne s'agissait pas pour la commission d'empiéter sur les procédures judiciaires ou administratives, mais de s'assurer de la bonne application des normes et directives en matière de privation de liberté. A l'issue de ses travaux, la commission a invité le département à examiner s'il est possible d'équiper tous les violons des postes de police de technologies permettant la détection de l'état de santé d'une personne détenue, étant entendu que la pose de caméras de surveillance et leur visionnement accessible en continu ne sauraient constituer à eux seuls une mesure suffisante pour assurer la protection de l'intégrité et de la vie des personnes détenues.

Ce rapport annuel a été accepté à l'unanimité des membres de la commission. Merci.

Le président. Merci, Madame la députée. Je voudrais préciser, puisque je ne l'ai pas fait avant, que nous traitons du rapport de la commission des visiteurs officiels du Grand Conseil pour la première année de la législature 2023-2028 et que c'est un rapport très important, Mesdames et Messieurs; je vous remercie donc de votre attention. La parole est à Mme Bobillier.

Mme Sophie Bobillier (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, comme indiqué par Mme Alimi, ce rapport, approuvé par l'unanimité des commissaires, traite de l'activité de la commission des visiteurs officiels durant la première année de la législature, activité qui s'est déroulée sous ma présidence. Je tiens à remercier les commissaires pour leur confiance et pour le travail accompli. Je tiens à remercier tout particulièrement Mme Masha Alimi, aujourd'hui présidente, et M. Jean-Luc Constant, collaborateur scientifique dont l'excellente expertise nous a permis de réaliser nos travaux dans les meilleures conditions possibles. La commission des visiteurs officiels, cela a été dit, visite les lieux de privation de liberté - les prisons, les postes de police, les pénitenciers - afin d'amener un éclairage sur des lieux où les choses se passent par définition dans l'ombre, à l'écart de la société. Durant cette première année de législature, un travail conséquent a été déployé.

Les tragiques décès de deux jeunes personnes en garde à vue, au Vieil hôtel de police (VHP), ont mis en exergue les lacunes importantes en matière de détection de la vulnérabilité et de la suicidalité des personnes détenues. L'absence d'information et d'uniformisation des pratiques dans les postes de police en cas de besoins médicaux est un problème. Il est essentiel de cesser de faire appel à des prestataires privés comme Genève Médecins ou SOS Médecins - ils sont surchargés et mettent fréquemment trois heures au minimum pour intervenir - et de s'adresser plutôt aux services d'urgences hospitalières au moment de prendre en charge une population vulnérabilisée par le choc carcéral. Nous invitons le département à mener une réelle réflexion pour pallier le manque actuel afin que l'Etat protège la vie des personnes placées sous sa responsabilité.

Nous avons également constaté que de nombreuses personnes incarcérées à Champ-Dollon l'étaient pour l'exécution d'amendes impayées et la commission recommande, la rapporteuse l'a dit, de cesser toutes exécutions d'amendes impayées dans cet établissement où les conditions sont à tout le moins inadéquates.

Nous demandons au Conseil d'Etat d'acquérir les moyens technologiques adaptés à notre époque pour la prise en charge des rendez-vous des familles, afin que celles-ci ne soient pas doublement touchées par la détention de proches. Nous demandons aussi au Conseil d'Etat de mettre à disposition des personnes détenues des habits adaptés aux saisons: les personnes incarcérées n'ont parfois aucun proche pouvant leur amener des habits de saison et passent de nombreux mois, parfois de nombreuses années, en raison de la surcharge des autorités pénales, sans avoir une veste, des chaussettes, des sous-vêtements de rechange hormis ceux avec lesquels ils ont été arrêtés. Nous demandons au Conseil d'Etat d'assurer un suivi social de qualité afin de préparer dès l'arrivée en prison la réinsertion à la sortie; trop de discontinuités ont été constatées.

Genève peut et Genève doit mieux faire, et nous comptons sur le Conseil d'Etat pour mettre rapidement en oeuvre nos recommandations. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Mme Celine van Till (PLR). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, je remercie tout d'abord l'auteure de ce rapport ô combien important, mais aussi les commissaires pour la bonne collaboration.

La commission des visiteurs officiels fête cette année son bicentenaire. Ce sont les deux cents ans d'une commission parlementaire singulière, avec des compétences particulières. Ce sont surtout les deux cents ans d'une commission nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie. C'est l'oeil de la cité qui entre dans les lieux les plus fermés de la république, à savoir les lieux de privation de liberté. Au nom du peuple, elle examine les conditions de détention et fait part de ses observations, en recommandant, si besoin, aux autorités concernées de prendre toutes les mesures utiles pour améliorer, modifier ou consolider la situation en vigueur. Aujourd'hui, deux cents ans après sa création, la commission des visiteurs officiels a sa place dans le domaine pénitentiaire; elle a prouvé à maintes reprises son utilité et son efficacité.

Durant l'année 2023-2024, elle a procédé à des visites d'établissements de détention et de postes de police. Elle a auditionné un grand nombre de personnes détenues. Elle s'est entretenue avec plusieurs acteurs du secteur de la détention. Elle s'est forgé une image très nette de la situation dans les lieux de privation de liberté de notre canton. Il ressort de ce travail conséquent plusieurs observations, constats et recommandations qui figurent dans le rapport annuel dont nous discutons. A travers ses recommandations, la commission des visiteurs officiels met en lumière cinq problématiques et appelle les autorités concernées à tout mettre en oeuvre pour trouver les solutions les plus adéquates possibles.

Mais il y a plus, dans ce rapport annuel. Il y a surtout un cri d'alarme: la prison de Champ-Dollon est à bout de souffle. Le bâtiment est vétuste, ses murs s'effritent, l'eau de pluie s'infiltre à l'intérieur, des moisissures apparaissent dans de nombreux locaux. Les conditions de détention dans cet établissement ne répondent plus aux normes en vigueur et les conditions de travail sont difficiles pour le personnel. Le canton de Genève est d'ailleurs régulièrement rappelé à l'ordre par la justice, notamment par le Tribunal fédéral. Cette situation est indigne de Genève, elle est indigne d'une cité qui se targue d'être la capitale des droits de l'homme. Le canton de Genève a urgemment besoin de concrétiser la planification pénitentiaire votée par le Grand Conseil au mois de mars 2023.

J'invite le département - vous transmettrez, Monsieur le président - à poursuivre le travail entrepris en la matière depuis 2023 et à déposer des projets de lois susceptibles de recueillir un large appui de ce Grand Conseil. J'invite ce parlement à réfléchir d'ores et déjà à ce qu'il entend faire lorsque ces projets de lois seront déposés, avec l'objectif notamment de démolir la prison de Champ-Dollon et de construire un nouvel établissement respectant les normes en vigueur et, surtout, respectant la dignité des personnes détenues. En attendant, Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, je vous invite à accepter le présent rapport annuel de la commission des visiteurs officiels. Je vous en remercie.

Mme Léna Strasser (S). Mesdames et Messieurs les députés, en tant que membre de la commission des visiteurs officiels, je souhaite en préambule remercier toutes les personnes des secteurs pénitentiaire, médical, social, administratif, qui facilitent la mission de notre commission par une collaboration en très bonne intelligence. Ça semble parfois aller de soi, mais je tiens ici à saluer le travail réalisé par toutes celles et ceux qui, chaque jour, contribuent à la dignité et à la sécurité des personnes privées de liberté: leur engagement au quotidien, dans des conditions, on l'a dit, qui sont souvent très difficiles, est absolument essentiel pour garantir des droits fondamentaux aux personnes détenues et pour aller vers une amélioration des conditions de détention dans notre canton.

Beaucoup de choses ont déjà été dites sur les constats du rapport; j'aimerais revenir sur deux points, et premièrement sur celui lié aux conditions de santé et de surveillance au Vieil hôtel de police. Je pense que les deux décès survenus durant l'année sous revue ont vraiment été un signal d'alarme tragique. Notre commission a été particulièrement touchée par ces événements; elle a été présente après leur survenue et elle restera extrêmement attentive à l'évolution des pratiques dans ce contexte-là. On a constaté qu'il est urgent de renforcer la détection des vulnérabilités, notamment via des contrôles réguliers pour les personnes qui pourraient être sous l'effet de stupéfiants ou qui présentent des risques suicidaires. Si des technologies comme les capteurs médicaux, les caméras intelligentes peuvent peut-être jouer un rôle, elles doivent impérativement être complétées par une vigilance humaine, avec des personnes formées qui soient attentives, et il faut surtout recourir systématiquement à du personnel médical lorsque la situation n'est pas totalement claire.

Le deuxième point qu'il me semble important de soulever, c'est l'incarcération dans le cadre des conversions d'amendes en peines privatives de liberté, principalement dans l'établissement de Champ-Dollon. Celle-ci s'avère non seulement complètement inadaptée sur le plan humain, mais également coûteuse. Nous devons penser des alternatives qui soient respectueuses des droits et des besoins des personnes concernées et qui permettent à ces dernières soit, en amont, d'avoir du soutien pour régler leur dû, soit, en aval, d'effectuer des peines alternatives organisées de manière qu'elles puissent garder par exemple leur emploi, leur revenu, peut-être aussi leur toit, et sortir de détention dans de meilleures conditions qu'elles n'y sont entrées - si cela est vraiment nécessaire.

Ce rapport, on l'a dit, a été voté à l'unanimité de notre commission. Le groupe socialiste se réjouit de pouvoir le soutenir, mais il se réjouit surtout de voir comment, au fil des années, ces recommandations peuvent être mises en oeuvre. Et je pense que la commission sera extrêmement attentive à la manière dont ses recommandations seront prises en compte. Merci beaucoup. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Madame la députée. Je tiens à vous faire une annonce assez importante: c'est l'anniversaire de notre cher collègue M. Pierre Conne. (Exclamations. Applaudissements.) Par ailleurs, je salue la présence à la tribune de notre conseiller national et ancien député M. Thomas Bläsi. (Applaudissements.) La parole va à M. Voumard.

M. Jean-Marie Voumard (MCG). Merci, Monsieur le président. Merci pour les mots qui ont été dits précédemment au sujet des prisons, des maisons de détention. En ce qui me concerne, je tiens aussi à remercier notre conseillère d'Etat chargée du département de justice et police, qui a fait un excellent travail avec nous - je vous remercie pour cela, ainsi que le directeur et tout votre personnel.

Mme Carole-Anne Kast, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je tenais d'abord à saluer également l'excellente collaboration que le département et ses collaborateurs ont pu développer avec la commission des visiteurs officiels. Nous avons amélioré, je crois, la communication s'agissant des constats de la commission; cela nous permet d'être beaucoup plus réactifs et de ne pas attendre le rapport annuel dont nous discutons aujourd'hui pour ajuster les mesures ou en prendre, ou pour nous renseigner sur les incidents et les constats qui en découlent. (Brouhaha.) C'est dans cet esprit que j'aimerais pouvoir continuer à travailler avec la commission des visiteurs officiels; je suis sûre que ce sera le cas.

S'agissant des constats... (Brouhaha.)

Le président. Madame la conseillère d'Etat, un instant. Est-ce qu'on peut avoir un peu de silence dans la salle, s'il vous plaît ? Si vous voulez parler, vous pouvez sortir, Monsieur ! (Remarque.) Merci. Vous pouvez continuer, Madame la conseillère d'Etat.

Mme Carole-Anne Kast. Merci, Monsieur le président. S'agissant des constats et des recommandations qui figurent dans le rapport, j'ai le plaisir de vous dire qu'un certain nombre de mesures sont déjà prises.

Je pense par exemple au travail qui est fait pour trouver des alternatives aux peines privatives de liberté de substitution, puisque, vous le savez, le cadre légal ne nous offre pas énormément de marge de manoeuvre. J'ai eu l'occasion de présenter, tant à la commission judiciaire qui est amenée à traiter des motions se rapportant à cette problématique qu'à la commission des visiteurs officiels, les travaux menés par mon département pour anticiper ces cas et ne pas en arriver à la conversion des amendes en peines privatives lorsque cela est possible - il s'agit de travailler en amont de ces décisions. Lorsque c'est l'échec, s'agissant du travail en amont, Mesdames et Messieurs les députés, je suis malheureusement contrainte de vous dire que la loi ne nous laisse pas beaucoup de marge de manoeuvre et que les faits ne nous en laissent pas beaucoup plus: une courte peine de prison peut difficilement être exécutée ailleurs qu'à Champ-Dollon. Mais évidemment que, au vu de la surpopulation dans cet établissement - la situation s'est nettement améliorée, mais cela reste une réalité -, si nous pouvons éviter d'y mettre les personnes pour conversion d'amendes impayées, tout le monde en sortira très grandi, tant les personnes concernées que le personnel ou les finances de l'Etat de Genève !

Pour ce qui est du vestiaire social, j'ai le plaisir de vous informer qu'un atelier est en train d'être mis sur pied pour justement gérer la question des habits et de ce vestiaire social. Et c'est tout à fait dans cet esprit que je demande à mes équipes de travailler: le travail effectué en prison - c'est une obligation légale - doit pouvoir bénéficier aussi à la prison et aux détenus. Je crois que cette approche est à la fois «smart» et motivante pour les personnes qui pratiquent ces activités au sein des établissements.

Pour ce qui est de l'organisation des visites des personnes détenues, mettre en place des outils qui pourront faciliter les prises de rendez-vous grâce au numérique est une très bonne proposition. Nous avons lancé un projet pilote similaire auprès des postes de police pour les plaintes en ligne; je pense que la même technologie pourrait parfaitement être déployée pour les prises de rendez-vous des visites en prison.

S'agissant du suivi social des détenus, il postule un effort continu, et je prends cette recommandation comme une recommandation permanente. Nous sommes bien entendu fermement convaincus qu'il faut travailler cet aspect des choses, puisque c'est grâce à cela que le processus de désistance et la réintégration des détenus dans notre société seront un succès.

Enfin, quelques mots quand même sur la question des décès au VHP. Encore une fois, j'ai déjà eu l'occasion de le dire et notamment à la commission, les recommandations sont intéressantes et pertinentes, mais je vous invite à ne pas tirer de conclusions tant que les enquêtes ne sont pas bouclées. Je rappelle qu'une des deux personnes a été vue par un médecin; ce n'est donc pas là que réside le problème. Je vous rappelle par ailleurs que les visites continues sont considérées comme inadéquates pour la tranquillité des détenus, qu'il faut trouver d'autres solutions et que nous nous y attelons également. Mais votre parlement aura là aussi le dernier mot puisque cela nécessitera un crédit d'ouvrage: nous ne pourrons pas développer une meilleure protection des personnes dans les violons du VHP sans une réforme technologique significative, Mesdames et Messieurs les députés, qu'il faudra évidemment financer !

Je me réjouis que nous tirions tous à la même corde et que nous soyons tous convaincus que l'amélioration des conditions de détention est un droit pour les personnes détenues et un devoir pour les autorités et la collectivité. Et je me réjouis donc d'obtenir, dès qu'il sera possible de les réaliser, le soutien du parlement pour ces projets. Merci, Monsieur le président.

Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Nous allons, Mesdames et Messieurs, procéder au vote sur cet excellent rapport.

Mis aux voix, le rapport divers 1608 est approuvé et ses recommandations sont transmises au Conseil d'Etat par 85 oui (unanimité des votants).