Séance du vendredi 13 décembre 2024 à 14h
3e législature - 2e année - 8e session - 47e séance

PL 13389-A
Rapport de la commission fiscale chargée d'étudier le projet de loi de Thierry Cerutti, Philippe Morel, Skender Salihi, Christian Flury modifiant la loi générale sur les contributions publiques (LCP) (D 3 05) (Abolir l'impôt sur les chiens, une taxe de trop !)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VI des 31 octobre et 1er novembre 2024.
Rapport de majorité de M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve)
Rapport de minorité de M. Thierry Cerutti (MCG)

Premier débat

Le président. Nous traitons maintenant notre dernière urgence, soit le PL 13389-A, en catégorie II, trente minutes. La parole revient au rapporteur de majorité, M. Julien Nicolet-dit-Félix.

M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, chers collègues, vous vous en souvenez sans doute, il y a à peine quatre ans, le 9 février 2020, suite à une loi votée par ce Grand Conseil et à un référendum, la population genevoise refusait massivement l'abolition de l'impôt sur les chiens. S'il est vrai que, lorsqu'on se promène dans la nature avec son petit toutou ou son gros doberman et qu'on lance un objet avec vigueur le plus loin possible, il est habituel que notre animal de compagnie s'empresse de nous le ramener le plus rapidement possible, cette pratique est relativement peu usuelle en politique. Pour tout dire, la commission et votre serviteur ont été assez étonnés de voir un député revenir avec cet objet, alors qu'aucune condition-cadre n'avait véritablement changé durant les quatre dernières années.

Voilà pourquoi, quand l'auteur de ce projet a été auditionné, les questions ont essentiellement porté sur les conditions qui auraient pu évoluer dans la détention des chiens ou éventuellement dans le traitement que la collectivité réservait à ces sympathiques animaux de compagnie. Or, il s'est avéré que le premier signataire de ce texte était particulièrement mal documenté et que sa mauvaise documentation était à la hauteur de son acrimonie ou de sa volonté d'en découdre, avec une certaine agressivité envers ses adversaires politiques. Nous avons eu des comparaisons diverses avec les cyclistes, les skateurs, etc.; bref, c'était relativement décousu.

Tout ça pour dire que la commission a estimé avec sagacité et justesse qu'étant donné que les conditions n'avaient pas changé, que la population avait sans doute eu raison, vu que c'est le principe de la démocratie, de refuser l'abolition de cet impôt il y a quelques années, il n'y avait pas lieu d'aller plus avant dans les auditions. Elle a donc décidé séance tenante de ne pas entrer en matière sur ce projet de loi.

Avant de vous suggérer d'en faire de même, je vous indiquerai que les recettes de cet impôt sur les chiens équivalent à environ un dix-millième de ce que nous avons voté ce matin et que si l'on rapportait la durée du débat sur cet impôt à celle du débat que nous avons eu sur le budget, la discussion ne devrait pas excéder quatre secondes. Je vous invite à ne pas la prolonger plus avant. Je vous remercie.

M. Thierry Cerutti (MCG), rapporteur de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, quelle mauvaise foi crasse j'entends chez notre collègue Vert rapporteur de majorité ! Bien sûr que les choses ont changé, et vous jouez un jeu royal dans la désinformation, mais ça ne m'étonne pas, parce que vous êtes un Vert. Rien que la désinformation que vous venez de faire, c'est la preuve que vous êtes vraiment un Vert, un écologiste ! Vous n'avez même pas honte, vous ne rougissez même pas lorsque vous dites des «bonimensonges» !

Pour revenir à la réalité de cet impôt, pourquoi est-ce qu'il faut le supprimer ? Parce qu'il n'a pas lieu d'être. Il date de 1875, alors que la conjoncture sociétale était totalement différente de ce qu'on vit aujourd'hui. On parlait de chiens errants, de rage, de toutes sortes de maladies. Or, ce n'est plus le cas actuellement, puisque la rage a été éradiquée en 2002 et que des chiens errants, il n'y en a pas vraiment sur le territoire genevois. Ça, c'est un premier élément.

Deuxièmement, vous dites qu'il n'existe pas de changements factuels depuis les votations de 2020. Bien sûr que des changements ont eu lieu: notamment, le coût de la vie a augmenté, et ce, de façon exponentielle; les impôts ont augmenté, les loyers ont augmenté. (Remarque.) Ils ont diminué, mais pas lorsque j'ai déposé le projet de loi. (Remarque.) Je disais que les coûts ont augmenté, tout a augmenté, et les propriétaires de chiens ne sont pas foncièrement riches. Je suis surpris que la gauche s'oppose à la suppression de cet impôt, sachant que 80 à 85% des détenteurs de chiens sont des gens seuls, défavorisés, socialement abandonnés et qui, grâce à leur chien, ont un semblant de vie sociale et de vie publique, des interactions avec d'autres propriétaires. Cela leur permet de sortir, d'avoir une présence... (Brouhaha.)

Le président. S'il vous plaît ! Mesdames et Messieurs les députés !

M. Thierry Cerutti. ...parce qu'aujourd'hui, on vit dans une société où les gens sont de plus en plus isolés et de plus en plus seuls. Le chien apporte cette plus-value que l'humain ne remplace malheureusement pas à l'heure actuelle.

Un autre élément qui justifie que l'on retire cet impôt concerne les coûts de la santé: une personne seule dépérit, alors que grâce à son chien elle commence à peut-être... Elle ne commence pas à peut-être, elle revit, elle sort, elle bouge, le chien lui amène une présence, une tendresse, lui fournit beaucoup d'éléments.

Bien sûr que c'est vain de comparer avec les poissons et les chevaux, etc., mais il s'agissait surtout de démontrer l'hypocrisie dans les discours et les débats qu'on a eus à la commission fiscale, où certains ont utilisé un argument fallacieux consistant à dire: «Tiens, pourquoi la collectivité devrait-elle mettre à disposition des propriétaires des parcs à chiens ?» Aujourd'hui, la collectivité met en place plein d'activités qui touchent aussi une certaine catégorie, une certaine minorité de gens. C'est comme ça: quand on vit dans une société, il y en a qui profitent de ci, d'autres de ça. Tout le monde ne mange pas dans la même assiette, y compris les chiens.

Pour ces raisons, oui, Mesdames et Messieurs les députés, il faut abolir cet impôt. Un impôt de trop, c'est un impôt qui ne sert pas à grand-chose, notamment en ce qui concerne les chiens. Donc supprimons cet impôt ! (Brouhaha.)

Le président. Merci bien. Mesdames et Messieurs, vu l'importance du sujet, est-ce que vous pouvez garder le silence ? Je donne le micro à M. Romain de Sainte Marie.

M. Romain de Sainte Marie (S). Merci, Monsieur le président. Je ne pensais pas réintervenir sur ce sujet, l'impôt sur les chiens, puisque en 2020, à trois, c'est-à-dire avec notre collègue Pascal Uehlinger et notre ancien collègue et magistrat communal François Lance, nous avions récolté les cinq cents signatures nécessaires à un référendum; une majorité du parlement avait accepté l'abolition de l'impôt sur les chiens. Ma foi, beaucoup aboyaient et nous disaient: «Mais vous êtes fous de lancer un référendum contre la suppression de l'impôt sur les chiens !» Mais nous avions du flair, à l'époque ! (Exclamations.) Une grande majorité de la population nous a donné raison: 67% a refusé d'abolir l'impôt sur les chiens.

Et pourquoi ? C'était très clair. Lorsque nous allions récolter les signatures dans la rue, des propriétaires de chiens ont signé ce référendum. Beaucoup l'ont fait. Ce n'est pas un impôt confiscatoire ou punitif, et ce référendum n'était pas contre les chiens, bien au contraire ! Vous savez, à titre personnel, j'ai fait signer tous les référendums et toutes les initiatives fiscaux: le bouclier fiscal, l'impôt sur la fortune, les forfaits fiscaux, tous. L'objet fiscal le mieux compris dans la population, c'est l'impôt sur les chiens, car il est très concret. C'est pour ça que même les détenteurs de chiens étaient d'accord de signer ce référendum.

Cet impôt - 50 francs par chien - permet aux communes de mettre à disposition des infrastructures assurant la bonne cohabitation entre les propriétaires de chiens et ceux qui n'en ont pas: des parcs, des caninettes, les services communaux qui doivent entretenir les rues. Cette bonne cohabitation est nécessaire. (Commentaires.) Si M. Florey pouvait arrêter d'aboyer, ça m'aiderait ! (Rires.)

Le président. Monsieur le député, s'il vous plaît ! Monsieur le député, c'est moi qui...

M. Romain de Sainte Marie. Merci ! C'est pourquoi je suis un peu surpris de revoir ce projet de loi, assez mal ficelé et peu documenté, seulement quatre ans après ce score - 67% quand même, ce qui ne laisse pas de place au doute: une majorité très nette de la population a souhaité maintenir cet impôt sur les chiens.

L'apport social des chiens est certes extrêmement important pour des personnes qui sont seules, pour des personnes en difficulté, mais il faut savoir que, pour les propriétaires de chiens, l'Hospice général prend en charge un forfait qui finance les croquettes, les frais de vétérinaires. Ces éléments-là sont en effet socialement essentiels.

Enfin, il y aura un problème si le Grand Conseil vote l'abolition de cet impôt: il touche directement les communes, son abrogation entraînerait une baisse de recettes fiscales qui affecterait leurs charges, et l'Association des communes genevoises doit être consultée en vertu de la loi sur l'administration des communes. Ce serait donc un problème.

Pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs, je vous invite à confirmer, quatre ans après, le vote populaire très large et à ne pas supprimer l'impôt sur les chiens.

M. Stéphane Florey (UDC). Je vais essayer de rester poli à propos de ce que je viens d'entendre. Je suis juste scandalisé ! Je n'ai jamais vu un rapporteur de majorité traiter une partie de la population avec un tel mépris, et les propos qu'il a tenus ici sont juste scandaleux ! C'est une honte ! Et je suis honteux pour vous !

Quand on écoute M. de Sainte Marie - vous transmettrez, Monsieur le président - on constate qu'il ne connaît absolument pas le sujet. (Remarque.) Ce qu'il a raconté est à peu près faux ! (Remarque.) Ce n'est pas 50 francs par chien...

Le président. S'il vous plaît ! Adressez-vous au président, Monsieur le député !

M. Stéphane Florey. ...l'impôt est progressif, c'est 50 francs pour le premier, 70 francs pour le deuxième et 150 francs pour le troisième. (Remarque.) On voit qu'en matière de chiffres, vous ne connaissez absolument rien ! C'est facile de récolter cinq cents signatures, et encore ! On peut en douter, parce que récolter cinq cents signatures à trois personnes... A moi tout seul, j'en avais rapporté tout autant quand on avait voté sur les frais de déplacement: nous avions lancé un référendum et, en moins d'une semaine, nous avions récolté tout autant de signatures. (Remarque.)

Le président. Un instant, Monsieur le député. Un peu de silence quand même ! De silence et de respect ! Monsieur Florey, continuez, je vous prie.

M. Stéphane Florey. On peut donc s'étonner largement de votre efficacité. Récolter cinq cents signatures en avançant des arguments fallacieux comme vous l'avez fait, c'est votre droit, mais il faut quand même soulever cela ici. Reste que l'argumentation de M. Cerutti est entièrement juste, et c'est d'ailleurs celle que nous avions développée lorsque ce Grand Conseil avait adopté un projet de loi qui abolissait cet impôt. Celui-ci est discriminatoire, puisque nous ne taxons que les chiens, nous n'imposons que les chiens - ce n'est pas une taxe, c'est véritablement un impôt -, alors que nous ne le faisons pas pour tous les autres animaux de compagnie. Prenons l'exemple des chats: en comparaison avec ce que vous décriez des chiens, les chats sont d'autant plus nuisibles que, si l'on reprend le débat sur le mâchefer... Qu'est-ce qu'on trouve dans le mâchefer ? Essentiellement du sable pour chats, et nous voyons bien que ça pollue plus, mais les chats ne sont pas taxés. Alors le propos n'est pas d'opposer chiens et chats... (Commentaires.) ...mais c'est juste un exemple pour vous démontrer la différence.

En outre, on sous-estime l'importance sociale des chiens: certaines personnes propriétaires de chiens ne sortiraient tout simplement plus de chez elles - nous le savons, nous l'avions démontré lors de la campagne - si elles n'avaient pas de chien.

Le président. Merci, Monsieur le député.

M. Stéphane Florey. Ça leur permet de voir des gens et de sortir un peu de chez elles. Tout ça pour vous recommander de voter ce projet de loi. Je vous remercie.

M. Sébastien Desfayes (LC). D'abord, j'espère que je ne suis pas soumis à l'article 24: je suis moi-même propriétaire de deux chiens et je paie une taxe pour ces deux animaux fantastiques de 250 francs par année, soit une taxe supérieure aux chiffres...

Le président. Ecoutez, nous allons discuter au Bureau de...

M. Sébastien Desfayes. J'aimerais revenir sur les propos de Romain de Sainte Marie. Ce qui m'a choqué, c'est qu'il n'a pas utilisé le langage épicène, il n'a pas parlé des chiennes et des chiens, ou des chiens et des chiennes, ou des chattes et des chats. (Commentaires.) J'ai trouvé ça un peu limite, mais voilà ! (Rires.)

Alors c'est vrai qu'il y a eu un référendum il y a quatre ans, durant lequel les référendaires - je dois dire que mon parti ou du moins certains membres l'avaient malheureusement soutenu - avaient fait miroiter à la population des prestations futures extraordinaires pour les détenteurs de chiens et avaient laissé entendre que les infrastructures allaient s'améliorer. Or, en tant que propriétaire de chiens, donc expert en la matière, je peux vous assurer que les infrastructures n'ont absolument pas augmenté, en tout cas pas sur la rive gauche du canton, où les espaces pour chiens ont au contraire tendance à diminuer du fait de la densification. Il y a par conséquent un problème et il est nécessaire de le traiter.

Est-ce qu'il faut pour autant supprimer la taxe sur les chiennes et les chiens ? Je n'en suis pas totalement persuadé et je pense que la volonté populaire, même si elle a été en partie trompée, doit être respectée. Il se trouve qu'un socialiste avait eu une idée assez fantastique en commission, qui n'a pas été poussée jusqu'au bout: le principe du pollueur-payeur. (Commentaires.) Je ne vais pas entrer dans les détails, mais je considère que cela mérite un renvoi en commission. Merci, Monsieur le président.

Une voix. Bravo !

Le président. Merci, Monsieur le député. Mesdames et Messieurs, nous allons faire intervenir les rapporteurs sur le renvoi en commission. Tout d'abord, M. Cerutti.

M. Thierry Cerutti (MCG), rapporteur de minorité. Merci, Monsieur le président. Ecoutez, naturellement, je suis en faveur du renvoi en commission, tout simplement pour auditionner l'ACG. Ce qui est pertinent, c'est que dans le débat que l'on vient d'avoir avec le rapporteur de majorité et M. Romain de Sainte Marie, on dit qu'il s'agit d'un impôt communal, et on parle toujours de la commune, la commune, la commune, la commune. Mais quid du canton ? Le canton perçoit un impôt, alors qu'il ne le devrait pas, puisqu'il ne produit rien pour les animaux. Donc oui, renvoyons cet objet en commission pour avoir un vrai débat sur la raison pour laquelle le canton prélève aussi une taxe sur cet impôt-là.

Le président. Merci beaucoup. Monsieur le rapporteur de majorité, vous avez la parole sur le renvoi en commission.

M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Comme j'ai été assez clairement mis en cause tout à l'heure par un de nos collègues députés, je me permets une petite incise à ce propos. Une des hypothèses qui justifiait ou qui permettait d'expliquer le dépôt de ce projet aussi peu de temps après un refus si massif par la population était que les auteurs aient voulu se créer une sorte de tribune politique et ce, par hasard, à quelques mois des élections municipales. C'était une hypothèse que nous ne négligions pas. (Commentaires.) Or, il s'avère que vu la persistance de l'agressivité de ces personnages et la vacuité de leurs propos, cette hypothèse tend à être de plus en plus vraisemblable, dirons-nous.

Je l'ai relevé tout à l'heure, la messe est dite: ce texte s'est pris une pâtée, et une pâtée mémorable ! (Remarque.) Merci, oui ! C'était un jeu de mots ! (L'orateur rit.) Il faut évidemment le renvoyer à la niche, car il n'y a pas de raisons d'aller plus avant. Le seul élément dont la commission souhaitait disposer, c'était l'évolution de la population canine; le premier signataire de ce texte nous a dit qu'elle était en diminution, mais nous avons pu vérifier que c'était un élément factuellement faux: elle est en légère augmentation. (Commentaires.)

S'agissant du reste, comme l'a dit le député Desfayes, les infrastructures à disposition des détenteurs de chiens pourraient être améliorées; il n'empêche que l'impôt préexistait, il a été maintenu; il n'y avait pas de raisons naturelles à ce que ces infrastructures fussent améliorées, elles ont été à ma connaissance maintenues. Il n'y a pas lieu d'aller plus avant et de donner à ces auteurs plus de place dans le débat politique pour un objet d'une importance particulièrement mineure. Il faut donc voter aujourd'hui et refuser ce texte. Je vous remercie.

Le président. Merci, Monsieur le député. Chers collègues, je lance le vote sur le renvoi en commission.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 13389 à la commission fiscale est adopté par 52 oui contre 27 non.