Séance du vendredi 22 novembre 2024 à 18h05
3e législature - 2e année - 7e session - 41e séance

PL 13035-A
Rapport de la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne) chargée d'étudier le projet de loi de Stéphane Florey, Christo Ivanov, Eric Leyvraz, Patrick Lussi, Virna Conti, André Pfeffer, Thomas Bläsi, Eliane Michaud Ansermet modifiant la loi sur la laïcité de l'Etat (LLE) (A 2 75) (Pour une expression non ostentatoire des convictions religieuses)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VII des 14 et 15 décembre 2023.
Rapport de majorité de M. Yves de Matteis (Ve)
Rapport de minorité de Mme Christina Meissner (LC)

Premier débat

Le président. Nous passons au PL 13035-A, que nous traitons en catégorie II, quarante minutes. (Brouhaha.) S'il vous plaît, je prie les députés qui souhaitent discuter de sortir de la salle.

Une voix. Carton rouge !

Le président. Ce n'est pas une question de carton rouge, je veux simplement que les personnes qui souhaitent discuter le fassent à l'extérieur. Ici, c'est une salle de travail. Il y a d'autres salles à côté où vous pouvez parler. (Remarque.) Je vous le répète, à vous aussi, Monsieur le député. (Un instant s'écoule.) Je cède le micro au rapporteur de majorité.

M. Yves de Matteis (Ve), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames les députées, Messieurs les députés, je vais aller directement au but. En résumé, ce projet de loi demandait de modifier la loi sur la laïcité de l'Etat, ceci afin, premièrement, d'interdire aux membres du Grand Conseil et des Conseils municipaux de manifester leur appartenance religieuse par des signes ou des tenues ostentatoires, et deuxièmement, d'interdire le port ostensible de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les établissements scolaires de l'enseignement primaire et secondaire I et II.

Cette dernière proposition a rapidement été considérée comme non pertinente, car le personnel du DIP, comme tous les fonctionnaires en contact visuel avec la population, se voit d'ores et déjà interdire le port de tels signes ostentatoires, et parce que les élèves fréquentant ces établissements ne sont pas des agents de l'Etat et qu'ils ne sont donc pas concernés par une loi sur la laïcité de l'Etat.

Pour rappel, la loi sur la laïcité de l'Etat - et je souligne bien de l'Etat ! -, qui a occupé la commission des Droits de l'Homme durant deux ans, interdit le port de signes religieux aux magistrats (Conseil d'Etat, magistrats de la Cour des comptes, juges, etc.) ainsi qu'aux agents de l'Etat, à savoir les fonctionnaires. Elle concerne donc, comme son nom l'indique, le Conseil d'Etat et les personnes qui agissent pour et en représentation de l'Etat.

En d'autres termes, elle s'applique aux exécutifs et aux agents qui doivent exécuter et faire exécuter la loi. Elle ne s'applique pas aux députés, qui ne représentent pas l'Etat, ne sont pas des agents de l'Etat, mais siègent comme élus du peuple, et ne sont pas là pour dire la parole univoque de l'Etat ou faire respecter son droit, mais pour représenter la diversité des opinions qu'on retrouve dans une population aussi multiculturelle et variée que celle qu'on rencontre à Genève - certainement la plus diversifiée de Suisse; on peut d'ailleurs le constater en regardant notre parlement. Cela a été souligné à de nombreuses reprises par les spécialistes, et notamment par un constitutionnaliste reconnu, durant les travaux de la commission.

Une majorité de la commission s'est prononcée en défaveur de ce projet de loi, peut-être, pour certains, en raison du fait qu'une telle disposition serait immanquablement attaquée et qualifiée de non constitutionnelle par la Chambre constitutionnelle genevoise, comme cela a d'ailleurs déjà été le cas par le passé pour une disposition similaire.

En résumé, il y a deux raisons assez fondamentales de rejeter cette proposition, qui interdirait tout signe religieux aux membres du Grand Conseil et des Conseils municipaux. Premièrement, une telle disposition irait non seulement contre notre constitution - comme la Chambre constitutionnelle l'a déjà jugé -, mais également contre la laïcité de l'Etat à la genevoise, telle qu'elle a été pratiquée durant des dizaines d'années, et surtout telle qu'elle a été pensée par la Constituante, qui a été chargée de revoir notre constitution.

Durant toutes ces années, la laïcité de l'Etat, telle que définie aujourd'hui dans la loi, n'a posé aucun problème, et il n'y a pas de nécessité d'agir pour modifier ses modalités. Comme le disait M. Murat-Julian Alder il y a moins d'une heure, «if it's not broken, don't fix it !»

M. Murat-Julian Alder. Absolutely !

M. Yves de Matteis. A savoir que si quelque chose fonctionne, ne le réparez pas ! La disposition proposée par le projet de loi veut imiter, importer la laïcité à la française - ça, c'est en direction du MCG ! -, qui n'a rien à voir ni avec nos traditions ni avec l'histoire de notre canton ou de notre pays.

Deuxièmement, une telle disposition, si elle devait être incluse dans notre corpus législatif ou, pire, dans notre constitution, serait immanquablement attaquée comme constituant un non-respect flagrant de la liberté de conscience et d'opinion ou de la liberté de religion. A ce titre, elle pourrait être attaquée non seulement devant la Chambre constitutionnelle genevoise - ce qui a d'ailleurs déjà été le cas, comme je l'ai dit -, mais au-delà également par des recours au Tribunal fédéral, puis, le cas échéant, à la Cour européenne des droits de l'homme, qui ne manqueraient pas, à ce titre, d'invalider une telle disposition.

Pour toutes ces raisons, je vous demande de suivre la position de la majorité de la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne), qui s'est exprimée en défaveur du projet de loi initial.

Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe.

M. Yves de Matteis. Par ailleurs, le projet de loi constitutionnelle proposé sous forme d'amendement général doit aussi être refusé, sous peine d'être attaqué, comme je l'ai mentionné dans ce propos liminaire. Merci, Monsieur le président. (Applaudissements.)

Mme Christina Meissner (LC), rapporteuse de minorité. Effectivement, ce projet de loi revient sur deux articles de la loi sur la laïcité: l'article 3, alinéa 4, sur la neutralité religieuse de l'Etat et l'article 11, alinéa 4, concernant les établissements scolaires et l'enseignement primaire. Cela étant, je tiens à souligner que le présent rapport de minorité ne concerne que la première de ces deux dispositions. La modification proposée reprend à un mot près le texte de l'article 3, alinéa 4 de la loi sur la laïcité votée le 26 avril 2018 par le Grand Conseil et acceptée par le peuple le 10 février 2019, dont la teneur était la suivante: «Lorsqu'ils siègent en séance plénière, ou lors de représentations officielles, les membres du Grand Conseil et des Conseils municipaux s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des signes extérieurs.»

Cet alinéa de la loi votée par le peuple a été annulé suite à un recours des Verts. Alors vous avez raison, en date du 21 novembre 2019, la Chambre constitutionnelle de la Cour de justice a annulé cette disposition, et la loi est entrée en vigueur sans cet alinéa 4 de l'article 3. Il est vrai qu'en votant ce projet de loi dans sa teneur actuelle, même s'il ne change qu'un mot, eh bien on s'attend à ce que le résultat soit le même. D'où la proposition faite dans l'amendement déposé par la minorité d'inscrire cette interdiction dans la constitution, afin que ce soit l'Assemblée fédérale qui se prononce sur ce sujet, en examinant la compatibilité avec le droit fédéral supérieur.

C'est la raison pour laquelle la minorité vous propose cet amendement général. Et évidemment, on reprendrait alors l'article dans son ensemble. Mais il est vrai qu'il s'agit d'un amendement déposé dans le cadre d'un projet de loi qui, quant à lui, n'est pas de rang constitutionnel. Du point de vue juridique, cela a été jugé possible. Toutefois, pour préparer convenablement le travail, avec un véritable projet de loi constitutionnelle, cela vaudrait la peine de renvoyer cet objet en commission, et non pas simplement de le refuser. Pour cette raison, je demande le renvoi de ce projet de loi à la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne). Je vous remercie, Monsieur le président.

Le président. Merci. Monsieur le rapporteur de majorité, vous avez la parole sur cette demande de renvoi.

M. Yves de Matteis (Ve), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. En ce qui me concerne, et je crois qu'on l'a bien vu, j'estime qu'il s'agit avant tout de principes généraux. L'avis des commissaires me semble assez clair, en tout cas le mien l'est. Je crois que celui de ma préopinante, rapporteuse de minorité, est aussi très clair. Un examen devant la commission des Droits de l'Homme ne va absolument rien changer à ces positionnements ni à l'état de la loi actuelle.

Par conséquent, personnellement, je ne vois pas tellement l'intérêt de faire perdre son temps à la commission des Droits de l'Homme, qui a un certain nombre de sujets à aborder, avec un texte, qui, de toute manière, sera grevé de... Même si, à la limite, il pouvait éventuellement être accepté par l'Assemblée fédérale, ce texte serait de toute manière invalidé, en tout cas par la Cour européenne des droits de l'homme.

Le président. Merci, Monsieur le député. Nous passons au vote.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 13035 à la commission des Droits de l'Homme (droits de la personne) est adopté par 49 oui contre 36 non et 1 abstention. (Commentaires pendant la procédure de vote.)