Séance du
vendredi 22 novembre 2024 à
18h05
3e
législature -
2e
année -
7e
session -
41e
séance
PL 12840-A
Premier débat
Le président. Pour le point suivant de notre ordre du jour, à savoir le PL 12840-A, nous sommes en catégorie II, trente minutes. La parole revient au rapporteur de majorité, M. Jean-Marie Voumard.
M. Jean-Marie Voumard (MCG), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. La commission des visiteurs officiels du Grand Conseil a entendu, pour l'examen de ce projet de loi, le professeur Fink, l'ordre des avocats, la commission de contrôle de gestion du Pouvoir judiciaire et Mme la conseillère d'Etat ici présente. Ce texte propose que deux juges assesseurs siègent lors des demandes de détention au TMC. Il a été refusé par la commission des visiteurs, ce que je vais d'ailleurs vous demander de faire.
Je parlerai d'abord de l'ordre des avocats. Pendant leur audition, ils ont estimé qu'il existe d'autres pistes plus pertinentes que celles proposées dans ce texte pour parvenir à une diminution de la criminalité, sans apporter plus de précisions - je souligne bien cela.
D'autre part, nous avons entendu M. Jornot, qui pensait qu'à la lecture de ce projet de loi, on pouvait considérer que les juges ne rendaient pas de bonnes décisions. Il était accompagné par une juge du Tribunal des mesures de contrainte qui a dit que même si les juges étaient accompagnés par deux assesseurs, le travail ne serait pas mieux réalisé. La conseillère d'Etat a d'ailleurs également souligné que si l'on met trois, quatre, cinq ou sept juges pour aider, les décisions ne changeront pas, et que recours il peut toujours y avoir.
Je me permets de lire un passage du rapport qui est clair et qui a ajouté un élément à la décision de la commission. La juge du Tribunal des mesures de contrainte a dit que «si le TMC devait fonctionner de manière collégiale et que deux assesseurs devaient être présents comme le propose le projet de loi, cela aurait beaucoup de conséquences au niveau de l'organisation. En effet, deux juges assesseurs devraient être présents 6 jours sur 7 et 365 jours par année pour les mises en détention, et il faudrait deux autres juges assesseurs 5 jours sur 7 pour les autres décisions en matière de détention. Cela signifie quatre juges assesseurs à mobiliser chaque jour, et deux pendant le week-end, en permanence, chaque jour de l'année. [...] L'inclusion d'assesseurs complexifierait passablement le travail fait en tant que juge, alors même que les délais du CPP (48 heures) n'évolueront pas.»
La commission des visiteurs a pris position et vous demande de rejeter ce projet de loi.
Mme Sophie Bobillier (Ve), rapporteuse de minorité. Ce projet de loi vise effectivement à renforcer le Tribunal des mesures de contrainte et avait été initialement déposé par les membres de la commission des visiteurs officiels; il a même été porté et signé, sous l'ancienne législature, par le rapporteur de majorité. La volonté est de porter à trois le nombre de juges qui statuent sur les questions de détention provisoire ou de détention pour des motifs de sûreté, alors qu'ils statuent actuellement seuls dans leur bureau à huis clos.
Concrètement, de quoi parle-t-on ? Qu'est-ce que le Tribunal des mesures de contrainte, le TMC dans le jargon ? Lorsqu'une procédure est ouverte à l'encontre d'une personne, le Ministère public, représenté par un ou une procureure, lui reproche une infraction. Lorsque cette personne est suffisamment soupçonnée d'avoir commis cette infraction, le ou la procureure peut - mais ne doit pas - demander au Tribunal des mesures de contrainte la détention de cette personne, si, théoriquement, c'est justifié par les besoins de l'enquête ou encore si sa détention permet d'assurer sa présence lors du jugement: il faut que sa liberté représente un risque de fuite, de collusion ou de réitération. Le cadre légal est extrêmement large, ce qui garantit à ce juge un pouvoir d'appréciation extrêmement important pour déterminer si ces risques sont ou non réalisés. La jurisprudence du Tribunal fédéral a légèrement restreint la marge de manoeuvre de ces juges en donnant quelques précisions, mais le pouvoir d'appréciation de ceux-ci reste extrêmement large. Aujourd'hui, la réalité à Genève est que le Tribunal des mesures de contrainte confirme quasiment la totalité des demandes faites par les procureurs.
Ces décisions sont prises par une seule personne, à l'issue d'une délibération solitaire entre le juge ou la juge et lui ou elle-même, à huis clos, dans un bureau. Et cette décision s'apparente aujourd'hui quasiment à une décision administrative, alors que l'on parle de l'emprisonnement d'une personne. Il est rappelé que la liberté reste normalement la règle dans une procédure pénale, et l'emprisonnement est une exception, en vertu de la présomption d'innocence, à savoir que tant que l'on n'a pas prouvé qu'une personne est coupable, elle est considérée comme innocente. Cette décision a des conséquences humaines et même économiques extrêmement importantes, puisque, on le sait, le prix de la détention est extrêmement élevé: on parle de plus de 400 francs par jour. Il serait utile que ces décisions, qui ont une portée extrêmement importante sur la vie d'une personne, soient prises à plusieurs.
Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe.
Mme Sophie Bobillier. Aujourd'hui, le groupe des Verts a déposé un amendement pour que ce projet de loi, qui a tout son intérêt, donne la possibilité de puiser dans le pool des assesseurs du Tribunal criminel. Il faut savoir que lorsqu'une infraction est extrêmement grave, à la fin, la personne sera jugée par un, trois ou sept juges selon la gravité de l'affaire. Le but est de puiser dans le pool de ces assesseurs, et ce seulement lorsqu'une audience est convoquée et que la procédure n'est pas uniquement écrite mais aussi orale. Le groupe des Verts vous demande d'accepter cet amendement pour que ce projet de loi aboutisse. Je vous remercie.
Mme Masha Alimi (LJS). Cet objet propose de renforcer le Tribunal des mesures de contrainte avec pour objectif de faire diminuer le nombre de détentions provisoires et, par voie de conséquence, de limiter la surpopulation carcérale à Champ-Dollon. Il y a quelques mois, le groupe Libertés et Justice sociale avait accepté le renvoi de ce texte à la commission des visiteurs officiels, non pas pour se déterminer à nouveau sur ce texte et refaire le travail de la commission judiciaire et de la police, mais bien pour solliciter un expert qui nous permettrait de trouver des pistes de réflexion dans le but de faire diminuer la surpopulation carcérale. Je n'ai malheureusement pas été entendue.
Ce n'est pas en renforçant le Tribunal des mesures de contrainte de deux juges assesseurs supplémentaires que nous y arriverons. Le tribunal siège actuellement dans la composition d'un juge unique. Or, ce projet de loi sous-entend qu'un juge n'est pas suffisamment courageux pour prendre des décisions seul et s'opposer à la décision du Ministère public, qu'il ne serait pas évident pour un seul juge de statuer sur des questions aussi essentielles et donc de dire non à un procureur qui vient avec un dossier demandant la privation de liberté pour des motifs de sûreté.
Pourtant, ce qu'il faut savoir, c'est que ce même juge prononce la mise en détention provisoire selon trois critères factuels: le risque de fuite, le risque de collusion et le risque de récidive. Les juges ne peuvent pas y déroger. Qu'il y ait un ou trois juges, les différences sont des coûts supplémentaires non négligeables et du temps additionnel pour traiter un dossier. Ce projet de loi ne permet donc pas de diminuer le nombre de mises en détention provisoire.
Si le but est de diminuer la surpopulation carcérale à Champ-Dollon, il conviendrait d'avoir d'autres pistes de réflexion, comme pour les personnes détenues pour des amendes à payer. Il conviendrait de prévoir des infrastructures de détention spécifiques à ce type d'infractions, puisque l'on considère ces personnes comme non dangereuses, de modifier les pratiques de l'Etat en matière de conversion des peines pécuniaires prononcées au seul motif de la violation de l'article 115 de la loi sur les étrangers ou de l'article 291 du code pénal, ce qui signifie qu'il faut procéder au renvoi de la personne étrangère présente illégalement en Suisse en renonçant à une quelconque sanction.
S'il vous plaît, Mesdames et Messieurs les députés, ne votez pas pour l'alourdissement des procédures, de surcroît coûteuses, par l'engagement de deux juges supplémentaires, alors que l'objectif est totalement illusoire et ne sera jamais atteint. Vous l'avez compris, notre groupe LJS refusera ce projet de loi. Merci, Monsieur le président.
Mme Celine van Till (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, tout projet visant à réduire la surpopulation carcérale doit retenir notre attention aujourd'hui, c'est un fait !
Je souhaite revenir sur un élément important: la surpopulation carcérale, bien entendu, parce qu'elle a un impact sur les conditions de détention. C'est une problématique importante que nul ne doit ignorer, car il est question de la dignité des personnes détenues, qui sont des êtres humains comme vous et moi. Cette préoccupation étant partagée par tous les acteurs concernés, nous avons étudié ce projet de loi avec attention, mais il ne s'agit pas pour autant d'intervenir à tout prix par n'importe quel moyen.
La proposition qui nous est faite vise à renforcer le Tribunal des mesures de contrainte en prévoyant deux juges assesseurs dans la composition du tribunal. Cette solution peut être intéressante au premier abord, mais ne permettra de diminuer ni le nombre ni la durée des incarcérations. Il convient d'ajouter que des voies de recours contre les placements en détention existent, et les personnes détenues qui souhaitent s'opposer à une décision de placement ou de prolongation de détention peuvent déposer leur demande à l'instance de recours, qui siège justement dans une composition de trois juges.
Dans les faits, la situation actuelle montre qu'il est possible de contester une décision de placement en détention. La proposition contenue dans le projet de loi ne changera donc rien à la surpopulation carcérale et ne ferait qu'alourdir un fonctionnement judiciaire déjà très complexe, comme l'a par ailleurs souligné le rapporteur de majorité.
Enfin, le coût de la mesure proposée s'avérerait très important et même disproportionné au regard du gain infime que l'application du projet de loi prétend viser.
Ce projet de loi rate donc sa cible ! Cela étant, je rappelle que nous ne devons surtout pas relâcher nos efforts. Il convient avant tout de soutenir la planification pénitentiaire et d'encourager sa mise en oeuvre rapide: c'est le seul moyen d'avoir un impact sur la surpopulation carcérale. Vous l'avez donc compris, le groupe PLR refusera ce projet de loi et je vous invite à faire de même. Je vous en remercie.
M. André Pfeffer (UDC). Chers collègues, ce texte a été déposé par l'ensemble des commissaires de la commission des visiteurs officiels il y a quatre ans; il propose d'augmenter le nombre de juges au Tribunal des mesures de contrainte en le faisant passer d'un à trois lorsque ce tribunal traite de mesures de détention provisoire ou de mesures de détention pour des motifs de sécurité. L'objectif était que l'augmentation du nombre de juges puisse diminuer le nombre de détentions à Genève. Cet objectif n'est visiblement pas atteint, et de loin pas.
Les travaux que nous avons effectués et les auditions montrent très clairement que cette augmentation de juges n'apporterait strictement rien, et ni le Ministère public ni le département ne souhaitent ce changement. Je me permets de citer la conseillère d'Etat, qui dit que «les juges appliquent le droit tel qu'il est, et que, en ce sens, cela ne change rien que ce soit un, trois ou cinq juges [...]».
Il y a un deuxième point: ce texte serait irréalisable. On nous demande d'augmenter le nombre de juges assesseurs supplémentaires en le faisant passer à vingt. Il faut savoir que ce tribunal rend en moyenne douze décisions par jour. Ces vingt postes supplémentaires seraient totalement insuffisants, et donc absolument inutiles.
Enfin, voici la raison pour laquelle cette augmentation de juges est inutile et n'apporterait quasiment rien: toutes ces décisions, tous ces jugements peuvent être soumis à un recours. Pour ces raisons, je propose de refuser ce texte. Merci de votre attention.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je peux me tromper, mais dans le rapport, on parle de deux juges assesseurs, pas de vingt.
Une voix. Non, c'est écrit un à trois.
Le président. Un juge et deux assesseurs ! Je répète: un juge et deux assesseurs. C'est ce que prévoit l'article 93. C'est juste pour corriger: ce n'est pas vingt. Vingt, ce serait vraiment énorme ! (Commentaires.)
M. André Pfeffer. Mille excuses pour ce malentendu ! Il est question, lors de jugements, d'un juge et deux juges assesseurs, mais le projet propose également de passer à vingt juges assesseurs pour remplir ces missions. Mille excuses pour ce malentendu.
Mme Ana Roch (MCG). Compte tenu de ce qu'on a entendu, de la lecture du courrier qu'ont reçu les commissaires, de l'ordre des avocats qui soutient ce projet de loi et des amendements de la députée Bobillier, nous souhaitons un renvoi à la commission judiciaire et de la police. Merci.
Le président. Merci, Madame la députée. Concernant cette demande, je passe la parole à la rapporteure de minorité.
Mme Sophie Bobillier (Ve), rapporteuse de minorité. Merci, Monsieur le président. Compte tenu de ce qu'on a entendu, je rappelle que le but n'est pas uniquement de parler de la surpopulation carcérale, mais aussi de tout ce qui entoure les apparences et le devoir de ces juges qui prennent une décision extrêmement importante. Etant donné cet amendement qui n'a pas été débattu, travaillé à la commission judiciaire et de la police, je suis tout à fait favorable à ce renvoi, surtout dans la mesure où, durant l'examen de ce texte, les chiffres n'ont été fournis ni par le Ministère public ni par le Tribunal des mesures de contrainte. Les seuls chiffres que nous ayons eus, c'est un «carnet du lait» transmis par la Chambre pénale de recours... (Brouhaha.)
Le président. Un instant, Madame !
Une voix. Chut !
Le président. Est-ce que les débats intergroupes peuvent cesser, s'il vous plaît ? (Commentaires.) Vous pouvez continuer, Madame la députée.
Mme Sophie Bobillier. Merci, Monsieur le président. Les seuls chiffres que la commission des visiteurs a pu consulter, ce sont ceux de 2019, une seule année donc, pris à la main; ils mettaient en exergue le fait que seuls 2% à 4% des décisions font l'objet d'un recours. Il faut savoir que les personnes restent en détention pendant le recours (il vaut donc très souvent mieux aller négocier avec les procureurs que déposer un recours), alors que les taux d'admission sont quand même assez importants: entre 10% et 20% d'admission des recours par la Chambre pénale de recours. Aussi, je suis favorable au renvoi en commission.
Le président. Merci, Madame la députée. Est-ce que le rapporteur de majorité veut s'exprimer sur la demande de renvoi en commission ?
M. Jean-Marie Voumard (MCG), rapporteur de majorité. Oui, merci, Monsieur le président. Je remercie ma préopinante, qui va dans le même sens que moi. Je crois qu'elle a tout dit. Je vous remercie.
Le président. Merci bien. Mesdames et Messieurs les députés, je lance la procédure de vote.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12840 à la commission judiciaire et de la police est adopté par 46 oui contre 43 non.