Séance du vendredi 22 novembre 2024 à 18h05
3e législature - 2e année - 7e session - 41e séance

PL 12624-A
Rapport de la commission judiciaire et de la police chargée d'étudier le projet de loi de Patrick Dimier, André Python, Thierry Cerutti, Daniel Sormanni, Christian Flury, Jean-Marie Voumard modifiant la loi sur l'organisation judiciaire (LOJ) (E 2 05) (Pour une mise en conformité de la structure judiciaire genevoise avec le reste de la Suisse)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IV des 29 et 30 août 2024.
Rapport de Mme Dilara Bayrak (Ve)

Premier débat

Le président. Nous passons aux objets relevant du département des institutions et du numérique, avec tout d'abord le PL 12624-A, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Madame Bayrak, vous avez la parole.

Mme Dilara Bayrak (Ve), rapporteuse. Merci, Monsieur le président. Trois ans de travaux, sous les présidences de MM. Esteban, Conne et Desfayes et de Mme Osmani, durant lesquels nous avons été assistés par le professeur Sträuli ainsi que par de nombreux procès-verbalistes, qui se sont amusés, disons, lors de nos travaux très très intéressants ! Et puis, nous avons eu le soutien très précieux de M. Jean-Luc Constant, notamment dans l'organisation du traitement de cet objet, puisque trois ans de travaux, c'est plus de la moitié d'une législature.

Petit rappel: de quoi traite ce texte et comment est organisée la structure du Pouvoir judiciaire ? Sa gouvernance est assurée par la commission de gestion du Pouvoir judiciaire, qui, selon la loi, organise et gère celui-ci. C'est elle qui le représente vis-à-vis de l'extérieur. De par la loi, elle est présidée par le procureur général. Toujours vis-à-vis de l'extérieur, le procureur général représente donc le Pouvoir judiciaire.

Que propose ce projet de loi, tel que sorti de commission ? Que le procureur général, qui occupe la fonction de président de la commission de gestion du Pouvoir judiciaire, puisse continuer à le faire, mais en alternance avec le président ou la présidente de la Cour de justice. Ce système-là est fortement inspiré de celui qui est en vigueur dans d'autres cantons, où ce n'est jamais le procureur général qui a la présidence de cette commission. Nous sommes le seul canton à lui avoir attribué cette tâche de représentation, car il occupe une place très importante dans notre canton, en raison de notre histoire.

Ce projet de loi introduit une alternance annuelle entre le procureur général et la présidence de la Cour de justice. Cette proposition est tout à fait intéressante, puisqu'elle permet à la présidence de la Cour de justice d'avoir aussi, de par la loi, une place au sein de la commission de gestion du Pouvoir judiciaire. C'est important puisque sans cette modification, le procureur général continuerait d'être le seul représentant du Pouvoir judiciaire vis-à-vis de l'extérieur. Une majorité de la commission a estimé que ce n'était pas une bonne chose.

Le procureur général est une partie à la procédure, et vis-à-vis des magistrats, des juges, etc., le fait que ce soit lui, à savoir une partie à la procédure, qui représente ensuite l'ensemble du Pouvoir judiciaire vis-à-vis de l'extérieur, ce n'est pas satisfaisant.

Le président. Vous passez sur le temps de votre groupe, Madame.

Mme Dilara Bayrak. Merci, Monsieur le président. Il y a énormément d'arguments en faveur de ce projet de loi - en à peine trois minutes, je n'arriverai pas à tous les citer. Certains diront qu'on ne va pas assez loin, qu'il faut changer toute la gouvernance du Pouvoir judiciaire; d'autres diront qu'on va trop loin et qu'on veut nuire au fonctionnement du Pouvoir judiciaire, qu'on veut absolument casser la baraque - ce n'est pas du tout le cas !

J'invite d'ailleurs toutes celles et tous ceux qui sont intéressés par le sujet à parcourir le rapport, qui dispose d'une table des matières et d'énormément d'annexes, notamment la restitution des travaux de la sous-commission.

Ceux-ci démontrent combien il est difficile de faire bouger les choses quand on touche à la gouvernance du Pouvoir judiciaire, à quel point les fronts sont figés. Et je le rappelle encore pour la bonne forme, ce projet ne vise pas à nuire à une quelconque personnalité, mais à améliorer la gouvernance du Pouvoir judiciaire, qui le soutient. Pour la boutade, certains députés avaient dit qu'il ne faudrait jamais s'occuper de l'organisation judiciaire en commission, qu'il faudrait même abroger la loi sur l'organisation judiciaire, parce que ça ne regarde pas le parlement de savoir comment est organisé le Pouvoir judiciaire. Je ne le citerai pas, mais il s'agit d'un collègue du PLR. (L'oratrice rit.)

M. Murat-Julian Alder. C'est moi ! (Commentaires. Rires.)

Mme Dilara Bayrak. J'aimerais maintenant insister sur l'importance de soutenir la volonté du Pouvoir judiciaire, qui s'est rallié à ce projet de loi. C'est une nouvelle ère et une nouvelle forme de gouvernance, et nous vous invitons à les soutenir, toutes et tous ensemble, pour que et le procureur général et la présidence de la Cour de justice puissent gouverner ensemble ce bateau qu'est le Pouvoir judiciaire.

Le président. Merci, Madame la députée. Juste une question, puisque vous être rapporteure: à la page 156 du rapport, il y a un amendement, mais il s'agit d'une proposition faite par la commission de gestion du Pouvoir judiciaire. Est-ce que vous reprenez cet amendement ?

Mme Dilara Bayrak. Je m'exprimerai là-dessus. Les travaux ayant pris énormément de temps, entre le moment où la commission a voté et celui où le rapport a été déposé, la commission de gestion du Pouvoir judiciaire nous a fait parvenir un amendement technique concernant la représentation qui pourrait être retenue au sein de la commission. La commission judiciaire et de la police m'a autorisée à reprendre cet amendement; je le présente donc à nouveau dans le cadre de ce rapport de commission.

Le président. Très bien, merci, Madame la députée. La parole est à Mme Alimi.

Mme Masha Alimi (LJS). Merci, Monsieur le président. Au risque de répéter ce qu'a dit ma préopinante, pour ma part, ce que j'ai retenu - même si je n'ai pas assisté aux débats, j'ai bien fait mes devoirs ! -, c'est que le procureur général dispose d'une place de droit au Conseil supérieur de la magistrature, qu'il préside la commission de gestion du Pouvoir judiciaire et le Ministère public et enfin qu'il dispose d'une place de droit également au sein de la conférence des présidents.

Ce projet de loi a pour but que la présidence de la commission de gestion du Pouvoir judiciaire soit assumée en alternance par le procureur général et par la présidence de la Cour de justice. D'ailleurs, pourquoi cette dernière n'est-elle pas présente au sein de la commission de gestion du Pouvoir judiciaire, alors qu'elle représente les trois filières du Pouvoir judiciaire, à savoir le pénal, le civil et l'administratif ?

Il s'agit donc de corriger cette incohérence. Vous l'avez compris, Libertés et Justice sociale votera en faveur de ce projet de loi, qui permettra plus de représentativité, de communication et de cohésion. Merci, Monsieur le président.

Mme Gabriela Sonderegger (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, le projet de loi 12624 vise à réaffirmer le sacro-saint principe de séparation des pouvoirs, en particulier au sein du Pouvoir judiciaire, qui se divise en trois volets: pénal, administratif et civil.

A cet égard, Genève fait un peu figure d'exception, en étant le seul et unique canton où le procureur général cumule également la fonction de président de droit de la commission de gestion du Pouvoir judiciaire.

En d'autres termes, cela signifie que le procureur général, en sa qualité d'accusateur public plaidant uniquement dans le cadre des affaires pénales, est susceptible de voir toutes ses décisions contestées par la Cour de justice, soit la plus haute juridiction du canton.

En présidant la commission de gestion du Pouvoir judiciaire, le procureur général a donc tout loisir d'imposer ses décisions à l'autorité chargée de le surveiller par ailleurs, ce qui pose un problème d'incohérence irréconciliable à notre organisation juridictionnelle.

Ce projet de loi permet en partie de remédier à cette situation, en prévoyant de manière plus démocratique une présidence tournante de la commission de gestion du Pouvoir judiciaire, celle-ci incluant obligatoirement le président de la Cour de justice, qui, contrairement au procureur général, dispose d'une vue d'ensemble sur toutes les juridictions.

Ce texte permet également la mise en conformité de la structure judiciaire genevoise avec le reste de la Suisse. C'est pourquoi le MCG le votera, comme l'a fait la majorité de la commission, en remerciant chaleureusement son auteur, qui est issu de nos rangs. Merci de votre attention.

M. Murat-Julian Alder (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, le groupe PLR refusera ce projet de loi, pour toutes sortes de motifs, et pas seulement l'excellente raison qui a été citée par la rapporteure de commission. Tout d'abord, le titre: on parle de mise en conformité avec le reste de l'organisation judiciaire dans notre pays. L'organisation judiciaire fait encore partie des domaines dans lesquels les cantons demeurent autonomes. Alors certes, les codes de procédure civile et pénale ont été unifiés, ce qui a eu des conséquences sur l'organisation judiciaire des cantons, mais le fait est que malgré tout, l'organisation judiciaire reste particulière à chaque canton.

Alors oui, c'est vrai, à Genève, il y a cette spécificité très ancienne - elle remonte à plusieurs siècles - qui veut que ce soit la personne du procureur général qui préside la commission de gestion du Pouvoir judiciaire. Mais qu'est-ce que ce projet de loi nous propose en définitive ? Une alternance entre le procureur général et le président de la Cour de justice. On remplace donc une genevoiserie par une autre genevoiserie ! On remplace une genevoiserie qui fonctionne par une autre genevoiserie qui promet de dysfonctionner ! Mesdames et Messieurs, il n'y a absolument aucun dysfonctionnement au niveau de la commission de gestion du Pouvoir judiciaire qui justifie que l'on change les règles du jeu.

En revanche, qu'est-ce qui va se passer si ce projet de loi est voté en l'état ? C'est que la première année... Le procureur général est à la tête du Pouvoir judiciaire pour six ans, soit la durée du mandat pour lequel il est élu. Le président de la Cour de justice est, lui, élu pour trois ans. Donc qu'est-ce qui va se passer ? Durant la première moitié de la législature judiciaire, vous aurez le procureur général qui va présider la commission de gestion durant les années une et trois, et pendant l'année deux, la commission sera présidée par le président de la Cour de justice. Et durant la deuxième moitié de la législature judiciaire, ce sera l'inverse. Comme président de la Cour de justice, selon que vous serez en fonction durant la première ou la deuxième moitié de la législature judiciaire, vous serez désavantagé.

Il y a un adage en anglais qui dit: «If it's not broken, don't fix it», si ce n'est pas cassé, vous n'avez pas besoin de réparer. Or, c'est exactement cet adage que ce projet de loi viole, puisqu'il n'y a pas de besoin de changer les règles du jeu en la matière. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Mais surtout, il faut relever une chose quant à la crainte de celles et ceux qui disent que le procureur général a, entre guillemets, «trop de pouvoir» aujourd'hui, c'est qu'ils ne voient pas arriver un autre problème: si dorénavant le président de la Cour de justice préside la commission de gestion du Pouvoir judiciaire et en plus le Conseil supérieur de la magistrature, vous aurez une seule et même personne qui présidera trois instances, ce que, à l'heure actuelle, le procureur général ne fait pas. (Remarque.) Mesdames et Messieurs, ce projet de loi n'a pas été rédigé de manière sereine...

Le président. Merci, Monsieur le député.

M. Murat-Julian Alder. ...et c'est pour cette raison, Monsieur le président, que j'en demande le renvoi à la commission judiciaire et de la police, afin de corriger les effets que je viens de vous décrire. Si ce renvoi en commission est refusé, le groupe PLR vous invite à rejeter ce projet de loi.

Le président. Merci. Madame la rapporteure, vous avez la parole sur cette demande de renvoi.

Mme Dilara Bayrak (Ve), rapporteuse. Merci beaucoup, Monsieur le président. Eh bien vous voyez les difficultés auxquelles nous avons été confrontés pendant ces trois ans en commission. Nous avons déjà traité ces sujets, Monsieur Alder. Vous les avez déjà soulevés en commission et vous avez été minorisé. Le fait de dire qu'il n'y a pas de dysfonctionnement...

Une voix. Adressez-vous au président, Madame la rapporteure !

Une autre voix. Ce n'est pas à toi de le dire !

Mme Dilara Bayrak. C'est sur mon temps de groupe ou sur le renvoi ? (Commentaires.) J'aimerais récupérer mon temps de parole tout à l'heure, Monsieur le président.

Le président. Allez-y, Madame.

Mme Dilara Bayrak. Le projet a été traité en long, en large et en travers. Nous avons notamment entendu M. Bernard Rolli, qui est juge administratif dans le canton de Berne, où il y a aussi un tournus parmi les plus hauts magistrats du canton. Le fait de dire que nous sommes en train d'instaurer une genevoiserie, c'est tout simplement faux !

Affirmer qu'il n'y a rien de cassé au sein de la gouvernance du Pouvoir judiciaire, c'est faux également, puisque nous avons fait un véritable travail d'investigation qui montre qu'une grande minorité n'est pas satisfaite du fonctionnement du Pouvoir judiciaire - vous le retrouverez dans les comptes rendus des travaux de la sous-commission, l'annexe 8, qui est en réalité un second rapport en lien avec ce projet de loi.

Le travail a été accompli. Ce sont des arguments tout bonnement fallacieux. Et puis, Monsieur Alder, puisque vous vous êtes dénoncé tout à l'heure, nous n'abrogerons ni la loi sur l'organisation judiciaire...

Le président. Adressez-vous à moi, Madame la députée.

Mme Dilara Bayrak. Oui, Monsieur le président, vous transmettrez gentiment à M. Alder que nous ne souhaitons pas abroger la loi sur l'organisation judiciaire, mais que nous souhaitons par contre suivre le fait que le Pouvoir judiciaire s'est rallié à ce projet de loi, qu'il a même qualifié d'intéressant et d'audacieux. J'invite donc le PLR - vous transmettrez, Monsieur le président - à suivre ses propres arguments et à appuyer la volonté du Pouvoir judiciaire. Par conséquent, je vous invite à refuser le renvoi en commission.

Le président. Merci, Madame la députée. Je lance le vote.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12624 à la commission judiciaire et de la police est rejeté par 57 non contre 30 oui.

Le président. Nous poursuivons donc notre débat. Je cède le micro à M. Yves Magnin.

M. Yves Magnin (LC), député suppléant. Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, j'ai entendu les critiques de mon préopinant du PLR. J'ai un petit avantage sur lui, c'est que pendant une vingtaine d'années, j'ai siégé comme juge suppléant - la fonction de suppléant, je la connais bien !

Une voix. Article 24 ! (Rires.)

M. Yves Magnin. Au fond, c'est un pouvoir qui n'aime pas trop le bruit, qui n'aime pas trop le mouvement et qui ne va pas venir ici se plaindre pour vous dire tout le mal ou tout le bien qu'il peut penser des projets que nous votons. Et pourtant, cette fois-ci, il l'a fait !

Mesdames et Messieurs, rien que pour cela, on doit écouter notre Pouvoir judiciaire, parce que c'est lui, finalement, qui connaît son quotidien, nos magistrats, qui sont là pour régler la vie de notre société, et je pense qu'on ne doit pas exercer trop d'ingérence dans ce domaine-là. Sur la base de ce principe, du moment que le Pouvoir judiciaire s'est accommodé de cette réforme et l'a même voulue, il faut l'accepter.

Je reviendrai très rapidement sur l'aspect passéiste de la situation: aujourd'hui, nous avons un groupe qui nous dit qu'il ne faut pas changer parce qu'il ne faut pas changer ! Et nous, nous vous disons exactement le contraire: il faut s'adapter, il faut évoluer, et c'est pour ça qu'il faut accepter ce projet.

Quant au titre, je vais être tout à fait franc, je trouve qu'il n'est pas très heureux, mais voilà, c'est ainsi.

Une voix. Renvoi en commission ! (Rires.)

M. Yves Magnin. Mais nous n'allons pas demander le renvoi en commission, je vous rassure ! Pour toutes ces raisons, le groupe du Centre va soutenir ce projet. Merci, Monsieur le président. (Applaudissements.)

Des voix. Bravo !

M. Yves Nidegger (UDC). Mon coeur a initialement bondi de joie à la lecture du sous-titre de ce projet, selon lequel le but de ce texte est de faire en sorte que la structure judiciaire genevoise ressemble plus à ce qui se fait ordinairement en Suisse. Si vous vouliez me séduire, c'était le bon moyen d'y parvenir.

De tous les cantons, Genève est celui dans lequel la trace de l'occupation napoléonienne a laissé le plus d'impacts institutionnels, et le procureur général, patron du Palais de justice, est une de ces caractéristiques héritées de l'occupation française dont les Genevois sont apparemment restés nostalgiques, chose que personnellement, je ne trouve pas particulièrement favorable à notre canton.

On nous propose ici une espèce de défi de la statue du commandeur, une sorte de Don Juan à moitié. C'est-à-dire qu'on ne va pas véritablement défier la statue du commandeur, qui fait peur à tout le monde et qui règne sur le Palais de justice, et à travers lui sur la société, certes de manière discrète, mais puissante; on le défie à demi en lui disant que ce sera un an sur deux.

Alors soit on veut une réforme, et dans ce cas, il faut vraiment la faire; soit on veut une «réformette», qui va enterrer la possibilité de reconsidérer les choses sous un autre angle. Et si on veut vraiment repenser le fonctionnement de manière substantielle, alors on ne peut pas adopter cela aujourd'hui, parce qu'on ne va pas ensuite recommencer: ce rapport est aussi épais et lourd qu'il est peu significatif quant à un changement; on ne va pas en refaire un demain, de la même taille et de la même épaisseur, avec un travail aussi phénoménal. Il faut bien avoir conscience que si on adopte ça, ce sera en vigueur pendant passablement de temps, et ce n'est pas forcément très sain d'en rester là.

Le Ministère public, cela a été dit, est une partie devant les tribunaux, qui vient plaider sa cause. Et ce n'est pas n'importe laquelle, vu que c'est celle qui représente l'Etat en droit pénal. Le procureur général ne représente même pas la tête de la filière pénale, vu qu'il vient devant les juges de la Cour de justice pour plaider sa cause, comme le fait une partie. La partie qu'il représente, c'est l'Etat: c'est le «Staatsanwalt» en allemand, le «State attorney» en anglais, soit celui qui, au nom de l'Etat - «USA versus such and such» - représente le droit de l'Etat à voir sa loi pénale observée sur son territoire et qui réclame une peine contre quiconque aura violé l'ordre public qu'il est chargé de faire respecter. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) J'ai déjà épuisé mon temps de parole, Monsieur le président ?

Une voix. Il te reste trente secondes.

M. Yves Nidegger. Alors il me reste trente secondes pour vous dire que les choses ont déjà évolué. Il y avait un département de justice et police - il existe d'ailleurs encore -, et le budget du Ministère public était une des lignes du budget du département. Ce sont mes souvenirs d'il y a quinze ans, quand je siégeais à la commission des finances. Puis, on a dit non...

Le président. Merci, Monsieur le député.

M. Yves Nidegger. ...on va donner au Palais de justice son propre budget. Ici, on est en train...

Le président. Je vous remercie, Monsieur.

M. Yves Nidegger. Je m'arrête là et je demande le renvoi en commission, parce que je pense vraiment qu'on peut faire beaucoup mieux qu'accepter ce projet.

Le président. Merci. Nous sommes saisis d'une nouvelle demande de renvoi en commission. Je passe donc la parole à la rapporteure.

Mme Dilara Bayrak (Ve), rapporteuse. Merci, Monsieur le président. Sur le renvoi en commission, ce que souligne M. Nidegger est intéressant, il dit qu'il faudrait aller encore plus loin. Mais, Monsieur Nidegger - vous transmettrez, Monsieur le président -, si ce rapport est aussi long et complet, c'est justement parce qu'on a essayé d'aller plus loin et qu'on s'est confrontés à l'attitude que vous avez vue tout à l'heure chez certains députés, qui ne souhaitent pas que les choses bougent d'un iota.

Il y a des commissaires qui se sont finalement ralliés au projet de loi parce qu'il permettait de changer un peu les choses sans que ce soit trop. Si on veut trop changer, Monsieur Nidegger, on n'arrivera pas à réformer le Pouvoir judiciaire, notamment en raison du fait que c'est une institution qui est, disons, extrêmement ancrée dans les traditions et qu'il y a beaucoup de députés qui ne souhaitent pas tout chambouler, ce que je peux entendre.

Mais je trouve que rejeter ce projet de loi parce qu'il ne témoigne pas d'une volonté d'aller plus loin, c'est invoquer une raison fausse, puisque même si la paternité du texte appartient au MCG, il a été retravaillé de fond en comble avec les Verts...

Le président. Sur le renvoi en commission, Madame !

Mme Dilara Bayrak. ...et c'est pour cette raison que nous vous proposons de refuser ce renvoi en commission et de vous contenter, pour l'instant, de cette mini-réforme, que vous n'appréciez pas, mais qui est déjà une bonne avancée.

Le président. Merci, Madame la députée. Je lance la procédure de vote sur le renvoi en commission.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12624 à la commission judiciaire et de la police est rejeté par 55 non contre 31 oui.

Le président. Nous continuons donc notre débat. La parole est à M. Esteban.

M. Diego Esteban (S). Merci, Monsieur le président. Le groupe socialiste soutiendra ce projet de loi issu de longs travaux, comme cela a déjà été mentionné, mais il a quand dû se faire convaincre sur un certain nombre d'aspects; on ne peut qu'être sensible à la prudence exprimée quant aux velléités de réformer les institutions démocratiques dès que quelque chose semble dysfonctionner. Effectivement, il faut prendre garde à ce que la solution apportée à un problème n'en crée pas davantage.

Ces trois ans de travaux ont vraiment permis d'étudier le sujet en long et en large. En l'occurrence, nous avons été convaincus, en particulier par la problématique liée à la concentration actuelle des pouvoirs dans une seule et même personne, qui est, parmi d'autres éléments, impropre à renforcer la confiance dans les institutions démocratiques, à l'heure où c'est le principal enjeu pour faire évoluer celles-ci.

Le sous-titre du projet de loi a été mentionné; est-ce qu'on a vraiment besoin de mettre le système genevois en conformité avec ce qui se passe au niveau suisse ? Eh bien pas vraiment ! L'organisation judiciaire est une compétence purement cantonale. Les cantons sont libres d'avoir des traditions, des historiques, des fonctionnements qui diffèrent, et ça m'étonne assez peu de voir notre ambassadeur de l'UDC zurichoise demander à supprimer toutes les spécificités de l'organisation judiciaire genevoise - c'est assez regrettable, car ces particularités ne créent finalement pas tant de problèmes que ça. De la même manière, les solutions proposées par les opposants à ce projet de loi vont peut-être aussi un peu trop loin dans l'autre direction. Si parmi les opposants il y en a qui estiment que ça va trop loin et d'autres que ça ne va pas assez loin, eh bien, comme on dit, c'est peut-être qu'on a trouvé le juste milieu ! Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste vous enjoint d'accepter ce projet de loi. (Applaudissements.)

M. Patrick Dimier (MCG). Vous savez, c'est un peu comme vouloir faire voter un Français du Sud-Ouest et un Français de Lille de la même manière, alors qu'ils ne pensent pas du tout de la même façon - et on voit bien ce que ça amène dans ce pays !

Nous, on a une chance extraordinaire, c'est qu'on a des systèmes judiciaires, des fonctionnements de la justice... (L'orateur insiste sur le mot: «fonctionnements».) ...qui, sur un droit de fond qui est le même pour tout le monde, sont adaptés aux habitudes, aux moeurs et aux velléités de chacun des peuples, des Etats qui forment ce fantastique pays qu'est le nôtre.

Mme Dilara Bayrak (Ve), rapporteuse. Je souhaite remercier une dernière fois le professeur Sträuli, M. Constant ainsi que la multitude de procès-verbalistes qui nous ont accompagnés durant le traitement de ce projet de loi. Je remercie aussi toutes les personnes qui ont suivi ces travaux: ce n'était pas forcément évident avec les séances plénières et celles de la sous-commission.

Et puis, j'invite quand même les groupes qui seraient insatisfaits parce que ça ne va pas assez loin, et même les personnes qui nous écoutent, à bien comprendre que ce n'est pas la fin des réformes du Pouvoir judiciaire, que le parlement va continuer à traiter ces sujets, et que s'il y a une quelconque systématique à améliorer, eh bien, il faudra nous le communiquer et nous le traiterons. A l'instar de tous les autres sujets que nous abordons dans ce parlement, le fonctionnement du Pouvoir judiciaire est important pour nous.

Le président. Merci.

Mme Dilara Bayrak. Voilà, votons une nouvelle ère pour la gouvernance du Pouvoir judiciaire ! Je vous remercie.

Mme Carole-Anne Kast, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, trois ans de travaux ! Trois ans et un compromis, qui n'est pas un compromis entre les partis, mais mieux encore, entre les trois pouvoirs ! Alors oui, Mesdames et Messieurs les députés, et pour répondre à la critique napoléonienne d'un des préopinants, à titre personnel, je trouve ce projet de loi très suisse. Il consacre un compromis, une évolution faite de petits pas, une présidente tournante, comme dans tous les exécutifs communaux du canton - en tout cas, dès le 1er juin 2025 -, comme au Conseil fédéral, comme dans de nombreux exécutifs cantonaux.

Il faut se rappeler que l'ADN suisse, c'est celui du collège exécutif, du collège... (L'oratrice insiste sur le mot: «collège».) ...et non pas de la personne, et celui de la présidence de représentation. Bien que les apparences aient pu être trompeuses, ce principe était déjà en place au sein du Pouvoir judiciaire. Et avec ce projet de loi, la symbolique rejoint la réalité du fonctionnement. Pour toutes ces raisons, je vous invite à l'accepter. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs, nous passons au vote d'entrée en matière.

Mis aux voix, le projet de loi 12624 est adopté en premier débat par 59 oui contre 33 non. (Commentaires à l'annonce du résultat.)

Deuxième débat

Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés.

Le président. A l'article 38, nous sommes saisis d'un amendement, qui figure à la page 156 du rapport et qui est repris par Mme Bayrak. C'est bien juste ? (Remarque.) Parfait ! Il se présente comme suit:

«Art. 38, al. 1, lettre c (nouvelle teneur)

1 La commission de gestion du pouvoir judiciaire (ci-après: la commission de gestion) se compose:

c) de deux autres magistrats, dont l'un au plus peut appartenir à la Cour de justice;»

Mis aux voix, cet amendement est adopté par 58 oui contre 33 non.

Mis aux voix, l'art. 38, al. 1, lettres b et c (nouvelle teneur), lettre d (abrogée, la lettre e ancienne devenant la lettre d), ainsi amendé est adopté.

Mis aux voix, l'art. 39 (nouvelle teneur avec modification de la note) est adopté, de même que les art. 39A (nouveau) à 145, al. 8 et 9 (nouveaux).

Mis aux voix, l'art. 1 (souligné) est adopté, de même que les art. 2 et 3 (soulignés).

Troisième débat

Mise aux voix, la loi 12624 (nouvel intitulé) est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 57 oui contre 32 non et 1 abstention (vote nominal).

Loi 12624 Vote nominal