Séance du
vendredi 1 novembre 2024 à
14h
3e
législature -
2e
année -
6e
session -
34e
séance
M 3007-A
Débat
Le président. J'ouvre le débat sur la M 3007-A (catégorie III) et passe la parole à M. Philippe de Rougemont.
M. Philippe de Rougemont (Ve). Merci, Monsieur le président. La réponse du Conseil d'Etat montre un soutien clair et net au projet du CERN. Ce soutien est extrêmement étonnant, et je vais vous donner des éléments appuyant cette position. Le Conseil d'Etat veut soutenir ce projet en arguant du prestige et du fait que le CERN est une grande organisation internationale; c'est vrai, elle a un budget équivalent à celui de la Ville de Genève, soit 1,2 milliard par an.
Ça rend tellement aveugle que le Conseil d'Etat ne voit pas trois éléments extrêmement graves. Le premier est que le CERN, s'il mène ce projet-là, qui est contesté même par les milieux scientifiques, consommerait autant d'énergie qu'une ville de 700 000 habitants au même niveau de vie de Genève, alors qu'on a créé une task force cantonale, alors que dans cette salle, on fait beaucoup de choses et on vote beaucoup d'argent public pour réduire notre consommation et réussir la transition énergétique. C'est le premier problème.
Le deuxième, c'est qu'on génère énormément de déchets de chantier, en plus des déchets de notre usine des Cheneviers, à savoir les imbrûlés, et qu'on a comme obligation fédérale de les traiter sur notre territoire. Pour l'instant, on n'en est pas capable, on a vu ça hier soir. On continue à exporter des déchets en France voisine et dans le Jura. Et là, les déblais générés par ce tunnel de 92 kilomètres de long et 6 mètres de large - ce qui équivaut à peu près à Genève-Neuchâtel, mais sans déplacer personne - généreraient l'équivalent de trois pyramides de Khéops. Cela aggraverait donc énormément nos problèmes de déchets.
Le troisième problème concerne les terres agricoles. On en supprimerait cinq hectares. Et dans le dernier rapport, on lit que ce serait en fait dix fois plus que cela. Le Conseil d'Etat en est conscient. Mais juste pour vous montrer à quel point la quête de prestige peut rendre aveugle: sachant cela et ayant ces problèmes en tête, le Conseil d'Etat dit quand même: «On va de l'avant.» J'espère que ce Conseil saura dire le contraire et renverra son rapport au gouvernement.
Je vais finir par citer une lettre extraordinaire, envoyée le 9 décembre 2020 par le Conseil d'Etat à M. Parmelin, conseiller fédéral. Je vous fais du verbatim, c'est du mot pour mot: «La perspective d'accueillir le Future Circular Collider du CERN, d'une emprise quatre fois supérieure à l'installation actuelle, requiert d'examiner à nouveau les conditions du développement territorial du CERN. Ceux-ci sont grevés d'une non-constructibilité en raison de leur caractère agricole et inscrit en surface d'assolement. Ce schéma directeur en cours de finalisation prévoit des besoins à hauteur de cinq hectares pour la partie suisse. Dès 2030, la construction possible du FCC pourrait multiplier cette emprise par dix sur des terrains privés actuellement situés en zone agricole.» Et là, accrochez-vous ! «Afin de permettre à l'organisation internationale d'envisager une croissance attendue, l'élaboration d'un plan sectoriel centré sur le développement du CERN permettrait d'ancrer cette stratégie au niveau fédéral»...
Le président. Merci, Monsieur le député.
M. Philippe de Rougemont. ...«de faciliter la coordination, et serait en outre de nature à diminuer les procédures de recours des Genevoises, des Genevois, des associations, du Grand Conseil.»
Le président. Merci.
M. Philippe de Rougemont. C'est grave ! (Applaudissements.)
M. Pascal Uehlinger (PLR). De quoi parle-t-on ? On parle d'un soutien et d'une information à la population au sujet d'un projet qui verra probablement le jour - s'il voit le jour ! - en 2045, soit dans plus de vingt ans. Pour ceux qui ont écouté les propos qu'ont tenus les représentants du CERN sur ces perspectives, ils sont assez clairs quant au fait d'essayer de trouver des solutions pour que le collisionneur de demain ne consomme pas plus que le LHC actuel avec l'évolution des technologies qui se pointe aujourd'hui au niveau des maintiens électriques, que ce soit via les anneaux inducteurs ou autres.
Qu'est-ce que c'est, le CERN ? Ce ne sont pas que des physiciens fous, ce sont des ingénieurs, des techniciens, mais aussi un lien très fort avec l'industrie locale. Alors l'énergie, oui, vous en avez parlé, le CERN en consomme. Mais est-ce qu'il consomme aujourd'hui de l'énergie suisse ? Pas du tout ! L'énergie du CERN est fournie par la France, à ma connaissance, et pas par la Suisse.
Quant aux déchets, évidemment, dans notre monde égoïste, aujourd'hui on signe des pétitions à tout-va sur ce qui se passe dans le monde entier. Mais si ce collisionneur se fait, que ce soit ici, en Chine, en Inde ou n'importe où, il produira des déchets. Mais évidemment, l'égoïsme d'ici consiste à dire: «Les déchets, on veut bien qu'il y en ait, mais pas chez nous.» Par contre, on veut protéger les populations à l'autre bout du monde !
La dernière information concerne les terrains agricoles. Oui, ils seront touchés, mais il faut juste vous rappeler que si l'on touche des terrains agricoles qui sont des SDA, des compensations doivent être trouvées. Elles le seront donc probablement d'ici 2045.
Je voulais juste encore vous donner des informations concernant ce qui se passe pour le CERN: est-ce que vous pensez que les conditions de travail, de recherche, notamment pour ce qui est des conditions de travail des enfants et autres, sont meilleures en Chine ou en Suisse ? Le collisionneur ne se fera de toute façon pas en Chine; ça, le CERN s'y est engagé. S'il doit se faire, ce sera probablement à l'endroit qui sera le plus propice à ce que l'information qui est donnée le soit à toute la population et ne reste pas circonscrite à un pays qui aurait peut-être des buts militaires dans le futur. J'en ai terminé, Monsieur le président. (Applaudissements.)
M. Marc Falquet (UDC). Je m'excuse, je ne vais pas aller tout à fait dans votre sens. Je vais revenir sur le prestige; je trouve que M. Philippe de Rougemont a bien noté ce point. J'ai lu le rapport et effectivement, on parle du prestige de Genève. Or le prestige doit être basé sur quoi ? Sur des victoires. Si vous prenez Napoléon, il a obtenu des victoires, et c'est pour ça qu'il est prestigieux. Les médailles sont prestigieuses parce que derrière, il y a des victoires.
Cet accélérateur, actuellement, quelles victoires amène-t-il ? Quelle amélioration crée-t-il dans la société actuelle ? Une politique prestigieuse serait par exemple de faire en sorte que chaque citoyen puisse avoir un travail. Il y a beaucoup de gens qui sont au chômage, beaucoup de gens qui sont à l'Hospice général. Ce n'est vraiment pas prestigieux de laisser tous ces gens dans cette situation. Il vaudrait mieux dépenser l'argent pour s'en occuper, plutôt que de mener une politique prestigieuse pour un appareil dont personne n'a encore vraiment compris à quoi il va servir. Peut-être que les scientifiques recherchent Dieu derrière tout ça, je ne sais pas ! Toujours est-il que personne n'a la réponse.
Au niveau de la consommation d'énergie de cet appareil, oui, effectivement, elle va être énorme, sans compter la perte de terres agricoles. Personne ne l'a dit, mais il faudra en tout cas plusieurs hectares de terrain; il va y avoir des sorties du tunnel tous les je ne sais pas combien, donc il faudra manger peut-être 10 hectares de terres agricoles, qu'il faudra bétonner et encercler pour des questions de sécurité. Personne n'a parlé de cela.
Je pense qu'il y a des priorités à Genève, notamment la précarité. On a parlé de la précarité des personnes âgées, il y a aussi le problème des addictions. Il y a de nombreux problèmes: la violence, la violence domestique, la criminalité. Tout ça, ce sont des priorités à gérer avant de s'occuper d'un prétendu prestige - qui n'en est pas un ! Simplement, voyez, il y a un agenda, on ne sait pas exactement qui se trouve derrière, mais ce n'est pas au Conseil d'Etat de suivre un agenda qui ne nous appartient pas ! Ça, c'est l'agenda des élites, qui veulent se la péter. C'est donc un projet de vanité et d'orgueil. Nous ne sommes pas d'accord. La priorité doit être la défense des citoyens et le bon sens ! Merci beaucoup.
M. Thierry Cerutti (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, le problème de ce projet, au-delà de son envergure, ça va être le financement. Aujourd'hui, on sait que le CERN est financé par différents pays européens. L'un des plus grands contribuables, enfin contributeurs, pas contribuables, excusez-moi, est l'Allemagne. On sait que l'Allemagne est foncièrement opposée à la réalisation de ce collisionneur.
Je pense donc qu'on anticipe. Finalement, c'est vrai que cette motion, elle ne mange pas de pain, et on pourrait la voter à l'unanimité, mais le MCG s'abstiendra parce qu'il y a encore beaucoup trop de zones d'ombre sur ce projet-là. Beaucoup de choses restent incertaines. Et puis, donner comme ça un blanc-seing au CERN en disant qu'on va le soutenir, allons-y, etc., c'est anticiper les problématiques qui pourraient se poser. Nous, on n'est pas d'accord avec ça, parce que l'information n'est pas suffisamment fraîche et concrète pour voter un tel projet.
Par conséquent, nous nous abstiendrons en attendant de recevoir des informations supplémentaires. Nous ne soutiendrons donc pas cette motion avec autant de ferveur que celles et ceux qui souhaiteraient que nous la votions. Merci. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Pascal Uehlinger.
M. Pascal Uehlinger (PLR). Merci, Monsieur le président. Je voulais juste rappeler deux ou trois choses pendant le temps qu'il me reste.
Le président. Monsieur le député, comme nous sommes aux extraits, vous ne pouvez pas vous exprimer une deuxième fois, je suis désolé.
M. Pascal Uehlinger. Ah, pardon !
Le président. Je vous prie de m'excuser. La parole est à M. François Erard.
M. François Erard (LC). Merci, Monsieur le président. Chers collègues, j'aimerais quand même amener une précision, peut-être pas sur le fond du dossier, mais sur ces histoires de surfaces d'assolement. On entend souvent qu'il n'y a pas de problème, que les surfaces d'assolement vont être compensées; c'est un leurre ! La terre n'est pas quelque chose de reproductible à l'envi. C'est un bien non renouvelable. Par conséquent, dire qu'on va compenser, c'est un miroir aux alouettes. Voilà ce que je voulais juste préciser. Je vous remercie. (Commentaires. Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. Je lance le vote sur le renvoi au Conseil d'Etat.
Mis aux voix, le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport sur la motion 3007 recueille 37 oui, 37 non et 9 abstentions.
Le président. Je tranche en faveur du renvoi au Conseil d'Etat de son rapport. (Commentaires. Brouhaha.)
Le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport sur la motion 3007 est donc adopté par 38 oui contre 37 non et 9 abstentions.
Le rapport du Conseil d'Etat sur la motion 3007 est donc rejeté.