Séance du vendredi 1 novembre 2024 à 14h
3e législature - 2e année - 6e session - 34e séance

P 1954-C
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la pétition demandant aux autorités du canton de Genève de garantir aux habitants des communes riveraines de l'aéroport une interdiction de tout trafic aérien commercial entre 23 heures et 6 heures du matin
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VI des 31 octobre et 1er novembre 2024.

Débat

Le président. Nous traitons à présent la P 1954-C (catégorie III). Madame Meissner, vous avez la parole.

Mme Christina Meissner (LC). Merci, Monsieur le président. Vu le nombre d'habitants impactés par le bruit aéroportuaire et les milliers de personnes qui ont signé cette pétition, vous comprendrez que je prenne la parole ! Quoique je sois aussi impactée en tant qu'habitante de Vernier.

Cette pétition, qui date de 2015, a été renvoyée au Conseil d'Etat en 2016. La réponse du Conseil d'Etat n'ayant pas été satisfaisante, elle lui a été retournée, en 2016 également. Et voilà qu'il dépose un nouveau rapport en septembre 2024: il aura donc fallu huit ans pour que le Conseil d'Etat réponde !

Il a certes des excuses. Dans l'intervalle, la fiche PSIA a été élaborée et adoptée par le Conseil fédéral en novembre 2018. Sa mise en oeuvre a abouti à une demande de modification du règlement d'exploitation de l'AIG, que l'OFAC a approuvée le 17 novembre 2022. Entre-temps, il y a aussi eu l'initiative populaire «Pour un pilotage démocratique de l'aéroport de Genève», qui a été acceptée par la population le 24 novembre 2019. Sa traduction dans la loi a été faite. C'est dire si le processus est complexe ! Je remercie le Conseil d'Etat de l'avoir rappelé et surtout d'avoir réaffirmé dans sa réponse sa volonté de ne pas utiliser la tranche entre 5h et 6h du matin pour les décollages et les atterrissages.

Cependant, les décollages à l'horaire ne sont pas totalement exclus après 23h - trois vols hebdomadaires sont planifiés - et encore moins les atterrissages. Ce qui est prévu, c'est la réduction du nombre de créneaux pour les atterrissages de 9% entre 22h et 22h59 et de 55% entre 23h et minuit, ainsi qu'une étude des impacts de l'application d'un barème différent en matière de redevance pour les atterrissages et décollages se déroulant pendant les périodes sensibles pour la population riveraine, soit de 22h à 7h du matin. Le problème, c'est qu'on ne sait pas combien de temps va prendre cette étude, or c'est une information essentielle. Est-ce que le Conseil d'Etat va à nouveau mettre huit ans à nous répondre ? Je sais que je prends Mme la conseillère d'Etat un peu au dépourvu: elle n'est pas chargée de ce dossier et je ne suis pas sûre qu'elle puisse me répondre quant aux délais nécessaires à la réalisation de cette étude, mais ça éviterait quand même que l'on dépose une question urgente pour obtenir cette information. Par conséquent, je vous remercie beaucoup pour cette réponse.

Mme Caroline Marti (S). Mesdames et Messieurs les députés, sept heures de sommeil et de tranquillité, c'est tout ce que demandent les plus de 4000 personnes (quasiment 5000) qui ont signé cette pétition en 2015 et qui n'ont absolument pas vu leur situation s'améliorer depuis lors, bien au contraire, dans la mesure où le nombre de passagers et de mouvements à l'aéroport a augmenté et qu'il va encore croître à l'horizon 2030 - c'est ce qui est prévu dans les différentes planifications.

Or ce qui leur est répondu aujourd'hui non seulement au travers de ce rapport, mais également par le biais de la signature de la convention d'objectifs entre le Conseil d'Etat et l'aéroport, c'est en gros: «Circulez, y a rien à voir !», en dépit des mobilisations populaires et de l'acceptation de l'initiative de la CARPE «Pour un pilotage démocratique de l'aéroport» ! A tel point que les associations des communes riveraines de l'aéroport ont saisi la justice pour contester le contenu de cette convention d'objectifs, qui est à mille lieues de répondre aux préoccupations environnementales légitimes de la population ainsi qu'aux inquiétudes suscitées par les nuisances que subissent les riverains de toutes les communes situées autour de l'aéroport.

Aujourd'hui, les habitants qui résident près de l'aéroport en ont vraiment ras le bol d'être considérés comme de simples victimes collatérales du développement économique de notre canton. La réponse qui est formulée par les autorités est en tout point insatisfaisante, raison pour laquelle je vous demande et vous recommande d'accepter le renvoi de ce rapport au Conseil d'Etat. Je vous remercie.

M. Pierre Eckert (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, je remercie mes deux préopinantes d'avoir rappelé le contexte de cette pétition. Nous allons également demander le renvoi de cette réponse au Conseil d'Etat. Pour quelle raison ? Parce qu'elle continue à être insatisfaisante.

J'aimerais simplement souligner un ou deux éléments. On s'appuie sur des valeurs moyennes, alors qu'un seul décollage ou atterrissage à 23h40 sabotera avec certitude une nuit de sommeil qui avait commencé dans la quiétude et la volupté. En regardant les statistiques de 2023, on voit que la situation des vols après 23h est dramatique. On a en effet relevé 3108 mouvements entre 23h et minuit, soit huit à neuf par soir, et, tenez-vous bien à vos stylos, 240 mouvements entre minuit et minuit trente, ce qui signifie que deux soirs sur trois, des mouvements sont également enregistrés entre minuit et minuit et demi !

Le règlement et la convention d'objectifs nous promettent la mise en place d'un système de quotas, dont l'efficacité reste à démontrer. A la limite, nous pouvons croire à un effet de ce système de quotas pour la tranche 22h-23h. Mais en aucun cas la limitation molle telle que mise en place par le système de quotas ne doit être admise après 23h.

Ce qui est choquant dans la réponse du Conseil d'Etat, c'est qu'une fois de plus les impacts économiques de l'aéroport sont mis en avant. Nous ne les nions pas du tout, mais nous doutons sérieusement qu'un retour d'Ibiza retardé à 0h15 ou un décollage vers Gatwick retardé à 23h30 aient un gros impact sur l'économie du canton ! L'impact économique de l'aéroport ne doit pas être un prétexte pour faire n'importe quoi.

Les populations de Versoix, de Genthod, de Bellevue, de Chambésy, du Grand-Saconnex, de Ferney, de Vernier, de Meyrin, de Saint-Genis, de Satigny, et j'en passe (il y en a un tas d'autres), ne peuvent pas supporter ce tintamarre nocturne et vous seront reconnaissantes de renvoyer cette réponse au Conseil d'Etat afin qu'il mette en place une véritable interdiction nocturne, comme c'est le cas à Zurich ! (Applaudissements.)

M. Christian Steiner (MCG). Concernant le bruit aéronautique et les usages de nuit, je pense qu'il faut préciser deux ou trois points. Tout d'abord, le bruit diminue régulièrement, et ce malgré l'augmentation de trafic. Ensuite, ce plan sectoriel de l'infrastructure aéronautique est fédéral. Il a été négocié puis est entré en vigueur. Sur la base de mon expérience personnelle, j'aimerais encore rappeler un élément: les normes pour un pilote, c'est «safety, schedule, comfort, economy»; juste après la sécurité vient donc la ponctualité. Ce n'est dès lors pas de gaité de coeur ni sans faire attention qu'un pilote va atterrir beaucoup plus tard ou être dérouté, car le respect des horaires est bien la deuxième priorité dans ses consignes de travail.

Vous pouvez imaginer, du point de vue écologique (on ne parle même pas des désagréments des passagers, qui viennent en troisième position), ce que signifierait une fermeture pure et simple après 23h: un avion qui aurait pour n'importe quelle raison quelques minutes de retard devrait se détourner sur un autre aérodrome, consommer du carburant, provoquer un retard catastrophique et de toute façon finir par revenir à Genève.

Je pense donc que la fiche PSIA est le résultat d'une pesée d'intérêts. De plus, il existe déjà des tarifs dissuasifs en cas de retard de vol. Par conséquent, j'estime que la réponse du Conseil d'Etat est adéquate. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Zweifel. Je ne sais pas si j'ai bien prononcé son nom !

M. Yvan Zweifel (PLR). Ah, c'était beau ! (Exclamations.) Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs, une fois de plus, on se retrouve face à un débat qui est quelque peu biaisé. Tout le monde, y compris les personnes présentes ici, est évidemment d'accord de faire en sorte que les riverains puissent avoir leurs sept ou huit heures de sommeil, et si possible de sommeil efficace !

Mais ici on voit le vrai visage de la gauche: elle utilise en réalité une pétition, qui vise effectivement à améliorer la condition de vie des riverains, pour taper sur tout à fait autre chose. Mme Marti l'a exprimé extrêmement clairement: elle a dit que les gens en avaient ras le bol de la croissance économique de ce canton. Non, Madame Marti, c'est vous qui en avez ras le bol ! L'immense majorité de la population de ce canton est au contraire extrêmement contente de cette croissance économique, celle-là même qui permet d'avoir, Mesdames et Messieurs, un budget de 11 milliards pour 520 000 habitants. Aucun autre endroit sur cette planète n'a un tel budget ! C'est ce qui permet d'avoir les moyens d'offrir des prestations de qualité et en quantité dans le domaine social, culturel, de l'urbanisme et de la mobilité, comme on en voit nulle part ailleurs.

En conséquence de quoi la réponse du Conseil d'Etat est juste, puisqu'elle tend à dire que nous devons garder l'aéroport pour sa vitalité économique, mais qu'il faut effectivement trouver des moyens - et c'est tout à fait correct - pour que les résidents ne soient pas importunés par les externalités négatives, notamment à cause d'avions qui décollent ou atterrissent à des heures indues. A ce titre, les représentants de l'aéroport que nous avons reçus en commission nous ont dit et démontré que cela tendait à diminuer systématiquement (M. Steiner l'a relevé précédemment) et que l'aéroport faisait tout pour aller dans ce sens. Alors, Mesdames et Messieurs, par pitié, faisons en sorte non pas d'opposer l'économie et les riverains, mais de permettre à l'aéroport de rester un poumon vital pour notre économie, de manière que nous gardions ici des conditions-cadres efficaces pour tous ceux que vous prétendez à longueur de journée défendre, mais qu'en réalité vous ne défendez évidemment pas, tout en cherchant des moyens pour que les riverains se trouvent dans une situation où ils n'aient pas à subir ces externalités. Voilà ce que l'on souhaite. Par conséquent, nous accepterons la réponse du Conseil d'Etat, et je vous invite à faire de même. (Applaudissements.)

M. Vincent Canonica (LJS). Je vais partager une expérience personnelle. L'aéroport propose des subventions pour isoler les demeures dans les communes limitrophes, et dans mon cas (j'habite à Chambésy), je peux vous assurer que lorsque mes fenêtres sont fermées, je dors très bien et toute ma famille également. Je ne suis pas du tout incommodé par le bruit. Il est donc possible en tout cas d'utiliser les subventions, d'isoler son domicile et de ne pas être gêné par ces nuisances. Merci, Monsieur le président. (Commentaires.)

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. Nidegger.

Une voix. Ah, enfin la vérité ! (Exclamations.)

M. Yves Nidegger (UDC). Merci, Monsieur le président. Je m'inscris dans la roue de mon pré-préopinant, M. Zweifel. C'est comme ça qu'on prononce votre nom, c'est juste ?

Une voix. On voit que vous êtes allé à Berne !

M. Yves Nidegger. Voilà ! Avec néanmoins un bémol: si effectivement le budget pléthorique que l'Etat peut se permettre d'avoir grâce à notre économie florissante, à laquelle l'aéroport contribue pour une large part, donne lieu à des prestations importantes, comme nulle part ailleurs sur la planète, en quantité, eh bien pas en qualité... Cela étant, ce débat est mené à l'intérieur de l'aéroport, les communes sont représentées au conseil d'administration et la fiche PSIA a été validée.

J'ai un peu l'impression d'une antienne qui revient et revient sans arrêt. Refuser la réponse du Conseil d'Etat parce qu'il nous dit au fond «essayé mais pas pu», dans la mesure où toutes ces questions (le fonctionnement de l'aéroport lui-même, les normes de bruit, les courbes de bruit, etc.) ne sont simplement pas de sa compétence et se règlent largement sur le plan fédéral... Du reste, un certain nombre d'efforts ont été faits (je le sais pour avoir siégé au sein du conseil d'administration concerné) pour tâcher de limiter ce qui est évidemment ressenti comme une nuisance insupportable quand l'avion passe au-dessus de votre tête - objectivement, il n'y a rien à redire à cela. Mais honnêtement, ce n'est pas en renvoyant ce texte une fois de plus au Conseil d'Etat, pour qu'il nous revienne dans huit ans avec un autre rapport (que vous lui renverrez à nouveau parce qu'il y aura encore du bruit), qu'on va faire avancer le schmilblick ne serait-ce que d'un iota.

C'est la raison pour laquelle, malgré la très mauvaise qualité des prestations pléthoriques fournies par l'Etat grâce à l'argent que cet aéroport contribue à apporter dans les caisses, je partage l'avis du PLR: ce rapport du Conseil d'Etat, faute de mieux, doit être accepté, et je vous invite à en prendre acte.

Le président. Merci, Monsieur le député. J'appelle l'assemblée à se prononcer sur la demande de renvoi au Conseil d'Etat.

Mis aux voix, le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport sur la pétition 1954 est rejeté par 50 non contre 32 oui et 3 abstentions.

Le Grand Conseil prend donc acte du rapport du Conseil d'Etat sur la pétition 1954.