Séance du
vendredi 4 octobre 2024 à
14h
3e
législature -
2e
année -
5e
session -
29e
séance
M 2808-A
Débat
Le président. Nous passons à la M 2808-A, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Le rapport de minorité de Mme Amanda Gavilanes est repris par M. Thomas Wenger. Monsieur le rapporteur de majorité, vous avez la parole.
M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Avec cette proposition de motion, les signataires souhaitent déclarer le canton de Genève «zone hors Black Friday» et surtout interdire aux commerçants genevois de participer au «Black Friday» et même d'en faire la promotion dans leurs vitrines. A travers cette démarche, les auteurs désirent soutenir deux objectifs du plan climat, à savoir la diminution de 60% des émissions de gaz à effet de serre et la neutralité carbone d'ici 2050.
On constate la contradiction de ce militantisme quand on regarde la dernière et très curieuse invite de cette motion: «à promouvoir [...] l'économie circulaire, le commerce local, les produits locaux», etc., etc. Evidemment, avec une invite aussi curieuse, on a plutôt l'impression que cette motion atteindrait exactement l'objectif inverse.
En empêchant nos commerçants de pratiquer leur métier, il serait plutôt question de tuer notre commerce local, de tuer nos petits commerçants et peut-être de favoriser les grands supermarchés de France voisine ou autre. Cette motion est tellement curieuse que même les commissaires Vertes et Verts ne la soutiennent pas - je crois qu'il faut le rappeler aux auteurs.
Bref, après deux séances de commission - dans un local évidemment chauffé au mazout, il faut le préciser ! -, une très, très large majorité a quand même eu la bonne idée de refuser ce texte. Je vous invite évidemment à en faire de même, car cette motion est tout sauf un soutien apporté à nos commerçants et au commerce local. Merci de votre attention.
M. Thomas Wenger (S), rapporteur de minorité ad interim. Mesdames les députées, Messieurs les députés, cette motion vise effectivement à provoquer un peu un électrochoc: un électrochoc auprès des consommatrices et des consommateurs, un électrochoc auprès de nos commerçantes et commerçants ainsi qu'un électrochoc auprès des politiques. Pourquoi ?
Le «Black Friday», c'est quoi ? A la base, c'est une journée en novembre où on vend à prix cassés un certain nombre de produits, qui, pour la plupart, Monsieur Pfeffer - vous transmettrez, Monsieur le président -, ont parcouru des dizaines de milliers de kilomètres, sont fabriqués par des personnes dont les conditions de travail sont déplorables, en Chine, au Bangladesh ou ailleurs; tout ça pour nous permettre, lors de cette journée, d'acheter des t-shirts ou autres biens de consommation, dont nous n'avons souvent pas besoin, à trois francs, à quatre francs, soi-disant à prix cassés.
Alors pourquoi cette motion ? De nouveau pour susciter un réveil citoyen, et puis pour lutter contre l'hyperconsommation. On voit que le «Black Friday» est une espèce d'orgie d'hyperconsommation. D'abord, c'était une journée, un vendredi. Ensuite, on a vu apparaître la mention de «Black Week», et maintenant à partir de cet été, j'ai même vu le «Summer Black Friday»: presque jour après jour, cela nous force quasiment à acheter des choses en nous faisant miroiter des actions plus alléchantes les unes que les autres.
Cela s'inscrit dans un état d'esprit général: aujourd'hui, Noël commence quasiment en novembre, Pâques commence dans nos magasins en février, on se met à fêter Halloween et plein d'autres fêtes, qui ne viennent absolument pas d'Europe ou en tout cas pas de Suisse. Ça m'étonne qu'on ne soit pas bientôt amenés à fêter Thanksgiving parce que l'industrie de la dinde voudrait en vendre plus ! Mesdames et Messieurs, nous sommes face à une urgence climatique, environnementale et de la biodiversité. Il est extrêmement important de pouvoir lutter contre cette hyperconsommation, autrement c'est toujours la même chose: quand c'est le trafic aérien, on ne peut rien faire parce qu'il faut répondre à la demande, et pour ce qui est de l'alimentation, on fait venir des vins d'Australie, de Nouvelle-Zélande ou de Californie parce qu'il faut répondre à la demande. Et ce sont les mêmes qui défendent le GRTA, les vins genevois, etc., qui sont pour ne mettre aucune barrière et pour que nos magasins continuent à vendre des vins qui viennent d'Australie ou du fin fond du monde ! Non, ce n'est pas répondre à la demande !
Ça, c'est de la poudre aux yeux de la part de nos grands commerçants, des grandes chaînes; on peut aussi parler - malheureusement, je n'ai pas le temps, c'est bientôt terminé - de tout ce développement du commerce numérique, de Booking, d'Airbnb, etc., qui nous font croire qu'il reste trente-huit secondes avant de pouvoir réserver, qui nous incitent via le marketing et la pub à consommer, consommer et hyperconsommer.
Je vous invite à voter cette motion, qui, à nouveau, demande un réveil, veut provoquer un électrochoc afin que nous changions nos modes de consommation. Merci, Monsieur le président. (Applaudissements.)
M. Vincent Canonica (LJS). Cette motion pointe du doigt la surconsommation. A-t-on le droit de légiférer à ce sujet ? Et à quel titre ? Au titre de la protection de la santé ? De la protection de la planète ? Du respect des libertés individuelles ? L'auteur de la motion justifie l'interdiction de surconsommer, je cite ses mots: «Il faut également continuer à sensibiliser les consommatrices et consommateurs à l'empreinte carbone environnementale des achats.»
Hier, nous avons débattu de la suppression ou non de la nécessité de renouveler tous les quatre ans l'autorisation à obtenir pour vendre de l'alcool à l'emporter ou du tabac, et vous avez décelé un danger pour la santé. Ce nouveau texte porté devant la commission de l'économie devrait être renvoyé à la commission de la santé pour étudier les risques de la surconsommation. Mais soyez rassurés, je ne ferai pas une telle demande de renvoi. Ici encore, il ne s'agit pas d'un problème de santé publique, mais d'atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie. Vous ne m'empêcherez pas de m'interroger sur la santé mentale de notre parlement.
Je finis par me demander à quoi sert cette commission de l'économie, car j'ai le sentiment que dès que l'on tente de préserver la liberté du commerce et de l'industrie, une autre liberté plus importante l'emporte. Quand ce parlement aura tué toute notre économie, il ne faudra pas venir pleurer pour réclamer encore plus de soutien financier pour notre population, qui n'aura alors pas d'autre choix que de vivre aux dépens de l'Etat.
Je lis encore dans le rapport qu'un commissaire se demande si le «Black Friday» n'entraîne pas davantage de surendettement en lien avec la surconsommation. Est-ce que ce parlement entend préserver les libertés des consommateurs et des commerçants ? Je crains qu'à vouloir légiférer à outrance et tout interdire, on se dirige automatiquement vers une invitation à la déviance et au contournement des lois.
Je tiens à rappeler que la Suisse est pionnière en matière de consensus et à partager ma crainte que nous tombions dans un système d'interdictions et de lois à tout prix pour n'importe quoi. Enfin, je relèverai que le pouvoir d'achat est une préoccupation constante de ce parlement. Tous les coûts augmentent, et le jour où les Genevoises et les Genevois peuvent faire leurs achats pour moins cher, vous voulez encore leur retirer cette opportunité ! Ne vous y trompez pas, nos habitants iront profiter du «Black Friday» dans le canton de Vaud ou en France voisine, et les associations de préservation de la planète vous diront merci, tandis que les commerçants se mettront à manifester dans nos rues.
Je me permets de citer encore un des auditionnés, qui rappelle à la commission que les entreprises...
Le président. Merci, Monsieur le député.
M. Vincent Canonica. Je finirai simplement en disant que s'il n'y a plus de consommateurs, il n'y aura finalement plus de commerçants, il n'y aura plus de vie, et ce sera un véritable problème de santé publique. (Applaudissements.)
M. Jean-Marc Guinchard (LC). Mesdames et Messieurs, chères et chers collègues, comme le rapporteur de minorité, dont je partage certaines des préoccupations, je déteste et suis assez allergique à ces coutumes qui sont importées et qui visent à nous faire consommer à des occasions qui ne représentent rien pour nous. (Brouhaha.)
Le président. Monsieur le député, un instant. Je prie celles et ceux qui parlent de bien vouloir écouter notre collègue.
M. Jean-Marc Guinchard. Merci, Monsieur le président. C'est vrai que j'ai vu aussi dans les Rues Basses quelques boutiques qui n'affichaient non pas seulement «Black Friday», mais également «Black November», donc pendant tout un mois, ces gens importent des marchandises et les vendent à bas prix alors qu'ils ne les ont jamais eues auparavant dans leur stock ni dans leurs étalages.
Cela dit, j'ai quand même confiance dans les gens qui nous ont élus, je ne les considère pas comme des demeurés ni comme des bobets, et j'estime qu'au nom de la responsabilité individuelle, ils peuvent se forger une opinion par rapport à leurs comportements d'achat et de préservation de l'environnement. Les choses progressent en la matière, et j'ai bon espoir qu'on y arrive d'ici peu de temps. Ici, il ne s'agit pas de défendre la liberté du commerce et de l'industrie - je pense que la commission de l'économie le fait suffisamment et à réitérées reprises -, mais de mettre en avant une certaine responsabilité individuelle.
Notre Grand Conseil n'est pas le gendarme de la consommation ou de l'hyperconsommation. Quelle est notre légitimité à provoquer des électrochocs pour sensibiliser nos électeurs à certains comportements ? Dès lors, je vous remercie de suivre la majorité de la commission ainsi que Le Centre et de refuser cette motion.
M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve). Cet après-midi commence peut-être sous le signe de la psychologie de bazar vu qu'on se fait traiter de déviants et qu'on suppose qu'on prend les administrés pour des bobets si on a l'audace de légiférer. Effectivement, nous ne partageons pas cet avis; en revanche, nous pensons que la consommation, l'hyperconsommation, comme d'autres pratiques, peuvent être parfaitement normales et acceptables, mais peuvent aussi relever de l'addiction dans certains cas. Nous ne sommes pas naïfs; comme pour d'autres pratiques addictives, nous savons que certains acteurs économiques profitent de cette inclination à l'addiction pour la renforcer.
Comme l'a très bien décrit M. Wenger tout à l'heure, le «Black Friday» fait partie des outils - mais il y en a plein d'autres, on a parlé de Noël en novembre et de Pâques en février -, qui servent incontestablement à générer cette hyperconsommation dont les effets sont particulièrement délétères pour les personnes qui en sont victimes: on peut parler de leur budget, des problèmes de surendettement que ces personnes peuvent rencontrer, mais également d'enjeux psychologiques. On sait que cette hyperconsommation est nourrie par une situation d'insatisfaction permanente, qui n'est jamais rassasiée par le fait de consommer, précisément parce que ces acteurs génèrent un désir insatiable.
C'est exactement le contraire de l'économie qu'il conviendrait de défendre et que ce parlement serait parfaitement légitime à proposer à la population. L'économie que chacune et chacun ici sait souhaitable est une économie de la durabilité, une économie locale, avec des acteurs qui n'ont pas de stocks gigantesques à fourguer à la fin novembre afin de pouvoir en faire des nouveaux pour Noël. C'est une économie du réemploi, de la réparation. Et nous savons que pour des raisons non seulement environnementales, mais également sociales - et même pourquoi pas sanitaires vu que la question a été posée tout à l'heure -, il serait infiniment préférable que le parlement passe des paroles aux actes et défende des textes qui permettent de réorienter l'économie genevoise dans ce sens.
Ce texte a une portée essentiellement symbolique, il faut en convenir. Les deux premières invites ont été discutées en commission. Il a été proposé de les enlever parce qu'effectivement, elles peuvent être perçues comme étant un peu agressives ou sans grand effet. La commission a finalement décidé de ne pas les supprimer. Les trois suivantes sont parfaitement acceptables et rentrent complètement dans le cadre de ce que je viens de dire. C'est pour cela que le caucus des Verts s'est résolu à soutenir cette motion et qu'il vous invite à faire de même ! Merci. (Applaudissements.)
Mme Ana Roch (MCG). Je vais, à l'instar de l'un de mes préopinants, rappeler le principe fondamental de la liberté de commerce, qui est au coeur de notre économie. Cette liberté, bien qu'encadrée par des régulations nécessaires, reste essentielle pour garantir une activité commerciale dynamique et diversifiée. Or, la motion qui nous est soumise aujourd'hui non seulement se heurte à des arguments juridiques en la matière, mais est également en décalage avec le mode de vie contemporain.
Nous sommes tous conscients de l'urgence climatique et des ajustements de consommation qu'elle impose, mais ce texte ne parvient pas à concilier ces enjeux avec la réalité économique locale. Il est flagrant qu'un nombre croissant de commerces sont actuellement à remettre; il suffit de se promener dans nos rues pour constater ce signe clair de la difficulté dans laquelle se trouve le commerce genevois.
Dans ce contexte déjà fragile, il serait inopportun d'imposer de nouvelles restrictions, qui pourraient accélérer ce déclin. Nous devons plutôt réfléchir à des solutions pour soutenir nos commerçants face aux défis actuels, tout en intégrant de manière équilibrée les enjeux climatiques. En effet, introduire de nouvelles contraintes, comme cela a été fait avec le salaire minimum ou l'interdiction de l'ouverture des commerces le dimanche, risque de produire les mêmes effets pervers que ceux entraînés par ces décisions, qui, bien que guidées par de bonnes intentions, ont nui à la vitalité du commerce local.
Avant de conclure - vous transmettrez, Monsieur le président, au député Nicolet-dit-Félix -, je dirai que nous attendons que soient déposés les prochains textes pour le retour de la prohibition, visant à interdire l'alcool, la cigarette, le jeu, éventuellement le sexe, puisque cela peut déclencher des addictions ! (Commentaires.)
Le président. S'il vous plaît !
Mme Ana Roch. En conclusion, nous considérons que cette motion est malvenue dans le contexte actuel, et vous invitons à la rejeter. Merci.
M. Yves Nidegger (UDC). Chers collègues, puisqu'on est entrés dans la psychologie des profondeurs, il est peut-être utile de rappeler ce que signifie le terme «Black Friday»... (Brouhaha.)
Le président. S'il vous plaît ! Pouvez-vous laisser parler le député ? Merci.
M. Yves Nidegger. ...afin d'éclairer les ressorts compulsifs de ceux qui expriment à son sujet tant de détestation. C'est une institution qui vient des commerçants new-yorkais, qui, lorsqu'ils atteignaient le point d'équilibre, c'est-à-dire le moment où le chiffre d'affaires annuel permet de couvrir les coûts fixes, ce qui implique qu'on sort des chiffres rouges pour l'année et qu'on entre pour sûr dans les chiffres noirs - d'où l'idée de «Black Friday» -, pour remercier leur clientèle, offraient le vendredi qui suivait ce jour-là ce qu'ils avaient en stock à prix coûtant. Voilà d'où cela vient !
Le fait que ce réflexe de haine compulsive à l'égard de la fin d'un déficit provienne de la gauche est finalement assez logique en termes de psychologie des profondeurs, puisque nous savons cette partie de l'hémicycle profondément «addict» aux déficits, à la dette et à l'absence de bénéfices, en tout cas en ce qui concerne les finances publiques. Cela a conduit le rapporteur de minorité - et je le regrette - à fustiger le fait qu'il y ait trop de «Black» dans les rues marchandes de notre ville.
M. Jacques Béné (PLR). Encore une fois, le PLR est effectivement contre les entraves au commerce. Il souhaiterait même plutôt une déréglementation, tout en gardant des cautèles pour préserver notamment le personnel. J'aimerais bien qu'on définisse ce qu'est l'hyperconsommation. M. Wenger a dit... Enfin, la motion relève qu'il faudrait plus de biens de consommation de seconde main - j'aimerais bien savoir s'il a acheté sa chemise et son pull de seconde main. (Remarque.)
C'est quoi la surconsommation ? En Suisse, on surconsomme, oui. Pourquoi ? Parce qu'on a les moyens de le faire. Et qu'est-ce que la gauche dit à longueur de débats ? Eh bien vous avez critiqué le fait que nous, nous disions qu'il faut répondre aux besoins du marché. Mais vous, vous n'arrêtez pas de nous dire qu'il faut répondre aux besoins de la population. Ce dont a besoin la population, c'est que son pouvoir d'achat augmente, pour qu'elle puisse surconsommer, Monsieur Wenger, surconsommer !
Alors j'aimerais comprendre pourquoi vous n'allez pas essayer de mettre en place votre économie planifiée dans d'autres pays qui n'ont pas le même pouvoir d'achat, comme ça vous pourrez défendre le pouvoir d'achat dans ces pays-là, pour que justement les gens puissent aussi surconsommer ailleurs. Non, Monsieur Wenger, et Mesdames et Messieurs de la gauche unie...
Le président. Adressez-vous au président, Monsieur le député.
M. Jacques Béné. Pardon, oui. Alors, Monsieur le président, vous transmettrez, le problème n'est pas là. Le problème, c'est que nos commerces doivent pouvoir vivre, déstocker et se battre contre la consommation en France voisine, contre le commerce en ligne. C'est ça, les grands enjeux. Si vous voulez fermer les magasins, vous n'aurez plus de surconsommation ! On pourrait faire aussi des mois fermés, avec évidemment des employés qui seraient quand même payés ! Non, Mesdames et Messieurs, je crois que cette motion - comme beaucoup trop de textes de la part de la gauche, qui sont des postures purement politiques pour se donner bonne conscience - est totalement inutile. Monsieur Wenger, comme vos comparses, pour les commerces genevois et le bien public, je vous déclare définitivement perdus ! (Rires.)
M. Jean-Marc Guinchard (LC). Mesdames et Messieurs, j'avais oublié de mentionner un aspect, que j'ai trouvé original et sympathique, suscité par la maison Payot: lors de l'édition du premier «Black Friday», Payot a mis en place dans ses commerces un vendredi solidaire durant lequel vous aviez la possibilité, en achetant un bouquin, d'en augmenter le prix afin que cette augmentation soit versée à une association caritative. Je préfère ce type de mesures proposées par des commerçants à des législations encore plus contraignantes. Je vous remercie.
M. Lionel Dugerdil (UDC). J'aimerais répondre à M. Wenger - vous transmettrez, Monsieur le président -, qui nous accuse d'incohérence en disant que nous voulons protéger les commerces locaux alors que nous soutenons le «Black Friday». Pour ces mêmes raisons de défense du commerce local, je ne suis personnellement pas un grand adepte du «Black Friday», mais pour la défense de notre Etat de droit et de la liberté d'entreprendre et de commerce, je vous enjoins évidemment de refuser cette motion. Vous transmettrez à M. Wenger que son parti fait preuve d'incohérence lorsqu'il défend la transformation de nos frontières en passoires au nom du panier de la ménagère et du libre-échange. Merci.
M. Thomas Wenger (S), rapporteur de minorité ad interim. J'aimerais apporter plusieurs réactions à ce qui a été dit pendant ce débat. La première concerne la notion de pouvoir d'achat - je crois que c'est M. Béné qui en parlait. Il a en partie raison, c'est vrai qu'au parti socialiste, on n'aime pas tellement cette notion de pouvoir d'achat, qui suscite le fait d'acheter, d'acheter et d'acheter toujours plus. On préfère, Monsieur Béné - mais ça, ça ne vous préoccupe pas beaucoup, on le sait, et vos collègues du PLR non plus -, le fait de pouvoir payer ses factures à la fin du mois. Et quand on voit le projet de budget 2025, que nous étudions à la commission des finances, et l'augmentation des aides sociales, des subsides d'assurance-maladie, des prestations complémentaires pour les seniors, pour les familles... Oui, il y a aujourd'hui, on va dire, au moins un quart de la population genevoise qui a de la peine à payer ses factures. Et c'est pour ça qu'on veut augmenter le pouvoir d'achat.
Ensuite, vous transmettrez, Monsieur le président, toujours à M. Béné, qui parle de la défense du commerce genevois, que le commerce n'est pas quelque chose d'uniforme: il y a les petits commerces, les commerces locaux, les boutiques, les boulangeries, les garagistes, etc. Et puis, il y a le commerce des grandes enseignes, des grandes chaînes internationales, qui sont dans les rues du centre de Genève, comme dans les rues d'à peu près toutes les villes et toutes les capitales du monde et qui vendent exactement la même chose. Et c'est elles qui bénéficient du «Black Friday», de ce genre de coup marketing, et non pas nos tout petits commerces !
Et puis, vous transmettrez aussi au rapporteur de majorité et à d'autres, notamment à Mme Roch, qui disent qu'ils sont tout à fait conscients de l'urgence climatique et environnementale, mais qu'il y a la responsabilité individuelle, que cette dernière s'arrête quand on voit que ça ne fonctionne pas. Les objectifs de réduction de 60% des gaz à effet de serre en 2030 et de neutralité carbone, on ne les atteindra jamais si on ne prend pas des décisions collectives. Et comment est-ce qu'on en prend ? En légiférant !
Alors dans tous les domaines, on nous dit: «Responsabilité individuelle, on ne peut rien faire, on ne veut rien faire.» C'est la même chose dans le cadre de la mobilité, qu'est-ce qu'on veut faire aujourd'hui ? Elargir les autoroutes, alors qu'on sait que cela augmenterait le trafic individuel motorisé. Mais comme c'est de la responsabilité individuelle, allons-y, élargissons les autoroutes et augmentons encore le trafic ! Pour le trafic aérien, c'est exactement la même chose, il ne faut surtout pas bouger. Durant le covid, tout le monde a redécouvert la Suisse; je vais faire toutes mes vacances en Suisse et en Europe, c'est super ! Or, les chiffres de l'aéroport sont aujourd'hui plus élevés que ceux de 2019, alors que c'était déjà la meilleure année de l'aéroport quant au nombre de passagers.
Et puis, je peux à nouveau vous parler de l'alimentation: on n'a pas non plus de réflexion, je me souviens très bien, par exemple, d'avoir trouvé dans une enseigne orange des poires qui étaient suisses et, à côté, des poires d'Afrique du Sud. Est-ce qu'on a besoin de poires d'Afrique du Sud alors qu'on a au même moment des poires suisses ? «Oui, pour répondre à la demande du consommateur et de la consommatrice !» Non mais franchement ! C'est vraiment de nouveau l'idée de changer de philosophie sur notre consommation, sur notre hyperconsommation. Et comme cela a été dit, cette motion est symbolique, mais elle vise à nous faire réfléchir philosophiquement à ce qu'on veut comme consommation, comme production aujourd'hui...
Le président. Merci, Monsieur le député.
M. Thomas Wenger. ...dans le monde, en Suisse et à Genève. Merci, Monsieur le président. (Applaudissements.)
M. André Pfeffer (UDC), rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, le débat a été très vif, mais pour revenir sur cette pseudo ou éventuelle zone hors «Black Friday», je crois qu'il faut tout de même préciser que pour les commerçants genevois, ce serait uniquement et exclusivement une entrave et une barrière. Et la conséquence serait évidemment un déplacement des clients des commerçants genevois vers des supermarchés ou d'autres points de vente un peu plus accueillants. Pour ces raisons, et essentiellement pour celles-ci, je vous recommande vivement de refuser ce texte.
Mme Delphine Bachmann, conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, merci pour ce débat animé et philosophique. J'aimerais revenir sur un ou deux éléments. Le premier, c'est qu'évidemment, Genève ne peut pas demain décréter qu'elle est une zone sur laquelle on ne peut pas faire de «Black Friday». Je rappelle que la législation en la matière est fédérale. Cas échéant, je vous invite, par le biais de vos relais au niveau fédéral, à déposer des motions ou postulats demandant que soit interdite toute période de soldes ou d'actions visant à vendre un certain nombre de choses.
Au-delà de la question du cadre fédéral, je rappelle aussi que la mise en place d'une telle action à Genève aurait en fait pour seule conséquence de réduire l'attractivité et de mettre en péril un peu plus le commerce genevois, qui, c'est vrai, fait face à des difficultés. La concurrence, elle est là, elle est dans le canton de Vaud, à côté en France voisine, et tous les jours sur internet. C'est déjà éminemment compliqué pour les commerces de survivre !
Il a été évoqué que c'étaient les grandes enseignes qui en bénéficiaient. Je tiens à rappeler qu'il y a quand même un effet dynamique. C'est-à-dire que si aujourd'hui les personnes se rendent en ville pour faire des achats dans les grandes enseignes, on le sait, cela bénéficie aussi aux petites, qui, seules, n'ont pas forcément l'attractivité requise pour faire venir ces consommateurs. On peut le déplorer, mais c'est aujourd'hui un état de fait.
Je rappelle aussi que le secteur du commerce fait face à des difficultés d'augmentation de charges croissantes ces dernières années et je pense qu'il est dès lors important de lui envoyer un message positif. Je souligne par ailleurs que les actions de soldes ou de «Black Friday» permettent aussi une gestion des stocks plus efficiente pour les commerces. On pourrait évidemment aussi parler de la notion de liberté économique, qui prime et qui rend la mise en oeuvre de cette motion complètement impossible.
Après tous ces éléments, il y a bien entendu un tout autre débat que l'on doit avoir quant à l'attention qu'on doit porter à l'hyperconsommation, qui est aujourd'hui un véritable enjeu, c'est vrai, au regard de la précarité de certaines personnes, au regard de la crise environnementale que nous vivons. Au-delà de la liberté individuelle, je reste persuadée que, oui, notre Etat peut avoir un rôle à jouer sur ces questions, au même titre que chacun et chacune d'entre nous.
Il a d'ailleurs été relevé que les faîtières du commerce mettent elles-mêmes en place un certain nombre d'initiatives, à l'image du «Fair Friday», qui visent à consommer, par exemple, en faveur des personnes qui sont dans la précarité en faisant des dons par le biais d'une journée au cours de laquelle une partie du chiffre d'affaires est remis à Caritas ou à d'autres associations. Je souligne donc ici la prise de conscience de ces mêmes milieux quant au fait de proposer des alternatives aux consommateurs et consommatrices.
Et puis, je le rappelle, l'Etat de Genève, par le biais de la campagne «Cé qu'è lainô» et la mise en oeuvre d'une motion votée par ce parlement durant la période du covid, met un point d'honneur à favoriser partout où c'est possible le commerce local, nos petits commerçants, et évidemment aussi la mise en valeur de nos produits régionaux en matière d'agriculture et de production viticole. Dès aujourd'hui, cette campagne déploie son troisième volet. Elle se poursuivra encore sur plusieurs mois, avec pour objectif de sensibiliser les consommateurs et, bien évidemment, d'améliorer la situation pour les commerces, spécifiquement pour les petits et les locaux, qui, on le sait, font face à une situation particulièrement difficile.
Voilà ce que je voulais vous dire aujourd'hui. Le Conseil d'Etat vous invite à refuser cette motion dont la mise en oeuvre est illusoire et ne rentre pas dans le périmètre légal qui est le nôtre. Il vous remercie toutefois de ce débat, qui nous rend attentifs à ces questions. Sachez que nous les prenons en compte et que nous nous y attaquons via les quelques éléments que j'ai pu vous expliquer aujourd'hui. Je vous remercie de votre attention.
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous allons voter sur cette proposition de motion.
Mise aux voix, la proposition de motion 2808 est rejetée par 56 non contre 30 oui et 1 abstention (vote nominal).