Séance du jeudi 3 octobre 2024 à 17h
3e législature - 2e année - 5e session - 27e séance

PL 12711-R-A
Rapport de la commission de l'économie chargée d'étudier le projet de loi de Caroline Marti, Léna Strasser, Sylvain Thévoz, Xhevrie Osmani, Nicole Valiquer Grecuccio, Cyril Mizrahi, Jean-Charles Rielle, Jean-Pierre Tombola, Caroline Renold, Sophie Demaurex, Diego Esteban modifiant la loi sur le tourisme (LTour) (I 1 60) (Pour une meilleure information de l'Etat sur la location temporaire d'appartements)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session I des 2 et 3 mai 2024.
Rapport de majorité de M. Jacques Béné (PLR)
Rapport de minorité de M. Olivier Baud (EAG)

Premier débat

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous continuons nos travaux avec l'examen du PL 12711-R-A, traité en catégorie II, trente minutes. Le groupe Ensemble à Gauche ne faisant plus partie de ce Grand Conseil, le rapport de minorité de M. Olivier Baud ne sera pas présenté. La parole revient à M. Jacques Béné.

M. Jacques Béné (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Ce projet de loi émane d'Ensemble à Gauche, qui n'est plus là pour le défendre. Il vise à...

Le président. Monsieur le député, il a été repris par Mme Caroline Marti.

M. Jacques Béné. Oui, mais initialement, c'est un projet de loi d'Ensemble à Gauche. Il a en effet été repris par Mme Caroline Marti, qui aurait aimé le traiter à la commission du logement, puisqu'elle avait demandé qu'il y soit renvoyé. C'est vrai qu'on peut se demander si ce texte ne pose pas plutôt un problème d'aménagement du territoire, compte tenu du fait que le changement d'affectation est soumis à autorisation, selon la LDTR, car dès qu'on dépasse les nonante jours, on est soumis à une demande d'autorisation.

Le problème de cet objet... On attend toujours quelque chose du Conseil d'Etat à ce propos. Ce texte pose de vrais problèmes de protection des données; on essaie de contourner le règlement général sur la protection des données. En outre, la loi sur le tourisme n'est pas forcément la bonne, et on voudrait que soient codébitrices de la taxe les plateformes qui jouent les intermédiaires entre les propriétaires et les locataires.

Ce projet de loi n'a vraiment aucun intérêt. Par contre, ce serait bien que le Conseil d'Etat vienne avec quelque chose de concret le plus rapidement possible. Je vous invite donc à refuser l'entrée en matière. Je vous remercie.

M. Pierre Eckert (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, la location à court terme du genre Airbnb peut avoir un sens si l'on veut éviter les lits froids et occuper un logement temporairement inoccupé pour cause de vacances, de voyage d'affaires ou toutes sortes d'autres raisons. Toutefois, dans de bien trop nombreux cas, ce modèle d'affaires est dévoyé: certains appartements sont loués de la sorte quasiment à l'année. Il s'agit d'un marché juteux, qui permet de dégager des profits bien plus importants que la location à des personnes à la recherche d'un logement stable. De plus en plus d'appartements sont soustraits au marché locatif pour servir les besoins de voyageurs, ce qui prive les habitants de logements disponibles. Ces locations à court terme exercent une concurrence déloyale envers l'hôtellerie. Celle-ci supporte des charges et doit respecter de nombreuses règles qui dans les faits ne s'appliquent pas aux locations temporaires.

Il est donc important de réguler cette activité et de vérifier que les appartements proposés de cette façon aux touristes ne le soient pas plus de nonante jours par an. Le projet de loi qui nous est soumis inscrit une obligation d'annonce dans la loi sur le tourisme, ce qui n'est pas adéquat, comme le rapporteur de majorité, ou le rapporteur unique, l'a bien dit.

Je dois ajouter qu'il existe un rapport de minorité, déposé par M. Baud. Ce dernier a mis en évidence le traitement plutôt chaotique de ce texte par la commission de l'économie, avec une double présentation des auteurs et diverses époques de glaciation qui se sont traduites par des gels et des dégels successifs. La commission attendait les résultats des travaux de la task force qui se penchait sur ce sujet épineux; cette force plus ou moins tranquille a fini par conclure qu'il fallait obliger une personne souhaitant mettre un logement en location sur une plateforme de type Airbnb à avoir une autorisation de l'Etat obtenue par un numéro d'identification. Tout cela en modifiant la LRDBHD plutôt que la loi sur le tourisme.

Je ne vais pas m'opposer à ce qu'a dit le rapporteur, et nous nous rallions volontiers à son avis de refuser ce texte, mais nous notons que le problème reste entier. Nous invitons ainsi le Conseil d'Etat à régler avec célérité cette question et à développer l'application informatique correspondante, promise pour la fin de l'année 2023. Dans le rapport, il est écrit la fin de l'année 2023, donc trois points d'exclamation ! Je termine là mon intervention.

M. André Pfeffer (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, ce projet de loi propose seulement une amélioration des informations sur les locations Airbnb. Je rappelle que l'article nouveau stipule que «quiconque fait office d'intermédiaire entre des hôtes assujettis et des débiteurs de la taxe informe l'autorité [...]». La dernière phrase est formulée comme suit: «A défaut de la transmission d'une telle information, l'intermédiaire devient codébiteur de la taxe.» Encore une fois, ce texte propose uniquement d'améliorer l'information.

Contrairement à ce projet de loi, le département propose non seulement d'améliorer l'information, mais également de régler et de cadrer le marché des plateformes de location. Il est question d'un groupe de travail, et pour celui-ci, l'enjeu est la légalisation du traitement des marchés de location, donc une égalité entre les hôteliers, les campings et les gens qui mettent en location un appartement sur Airbnb. La modification légale ne concernerait évidemment pas seulement Airbnb, mais toutes les plateformes actives dans ce domaine.

L'Etat nous a aussi proposé qu'une personne mettant un objet en location doive s'identifier auprès de l'Etat et obtenir un numéro d'identification. Il devrait donc être impossible de louer un appartement sur Airbnb sans s'être annoncé à l'Etat et sans posséder un numéro d'identification.

La règle pour les gens qui louent uniquement une chambre est la suivante: si la location excède nonante jours, la personne doit obligatoirement s'inscrire au registre du commerce. Cette inscription serait également contrôlée. Bref, cet objet n'apporte pas de réponses, ne règle et ne cadre pas cette problématique. Je vous propose donc de le refuser. Je vous remercie de votre attention.

M. Jean-Marc Guinchard (LC). Chères et chers collègues, lors des auditions effectuées pendant les travaux de la commission, nous avons senti le département très sensible à l'égalité de traitement entre les différents acteurs et aux difficultés posées par la loi sur la protection des données. Cela étant, nous avons aussi compris qu'il s'agissait de modifier la LRDBHD et non la loi sur le tourisme; et c'est dans ce sens que s'engage à l'heure actuelle le groupe de travail évoqué à plusieurs reprises.

Les modifications annoncées concernent essentiellement la possibilité de mettre en location des objets sur ces plateformes, mais avec un numéro d'identification. Actuellement, si la durée de location dépasse les nonante jours, le loueur est considéré comme un professionnel. Cette durée de nonante jours sera également contrôlée. Sur ce point, effectivement, le groupe de travail rencontre un certain nombre de difficultés dues à l'application de la nouvelle loi sur la protection des données, qui est, comme vous le savez, beaucoup plus sévère et intrusive que la précédente. Sur cette base, et conscient que c'est bien la LRDBHD qui doit être modifiée, Le Centre vous encourage à refuser ce projet de loi. Je vous remercie.

Mme Caroline Renold (S). Ce texte s'attaque à un problème fondamental: la diminution du nombre de logements destinés aux habitants et habitantes du canton par leur mise en location professionnelle et le changement de la destination des locaux, qui passent de logements d'habitation à des logements commerciaux de type hôtelier, ce qui aggrave la crise du logement.

Ce phénomène existe depuis longtemps et, comme vous le savez, est largement facilité par les plateformes du type Airbnb ou d'autres. Je vous invite à consulter le site InsideAirbnb.com, cité dans l'exposé des motifs du projet de loi, qui est fort instructif. On peut y voir exactement le nombre actuel d'annonces sur Airbnb. Or, on constate que 45% des quelque 2600 annonces sont mises en ligne par un utilisateur qui a posté plus d'une annonce - il y a donc une forte présupposition qu'il s'agisse d'un professionnel - et qu'environ 500 des appartements ont été loués plus de nonante jours par année. L'article 4A du RDTR, qui limite la location sur Airbnb et sur d'autres plateformes à nonante jours comme vous le savez, n'est ni mis en oeuvre ni respecté.

Pour mettre ce chiffre en perspective, je me permets de relever que le taux de vacance à Genève, qui est dramatiquement bas, soit 0,46%, correspond à 1144 appartements. On augmenterait de 50% le nombre d'appartements vacants si l'on pouvait faire en sorte que ces appartements loués sur Airbnb de manière excessivement longue soient remis sur le marché du logement, donc à disposition des habitantes et habitants du canton.

La perception de la taxe de séjour durant plus de nonante jours par une personne représenterait bien évidemment un moyen de contrôler les infractions à cette limite de temps. Sauf que les plateformes qui servent d'intermédiaires ont indiqué qu'elles refuseraient de communiquer les informations. Elles se cachent derrière des règles sur la protection des données, qui visent certes à protéger les utilisateurs, mais qui peuvent tout à fait être appliquées tout en respectant le droit impératif et l'obligation de communiquer des informations sur la base d'une loi cantonale et s'il y a un but d'intérêt public à appliquer des protections au parc locatif.

Selon le parti socialiste, il est nécessaire d'étudier sérieusement ce projet de loi, quitte à l'amender pour que le but - qui est largement d'intérêt public - soit atteint. C'est pourquoi le parti socialiste demande un renvoi à la commission du logement, commission qui aurait dû être saisie de ce projet de loi: en effet, il concerne la question du logement. Il s'agit d'étudier les mesures à mettre en oeuvre pour s'assurer que la perception de la taxe de séjour auprès des hôtes par les plateformes ne permet pas un contournement des règles empêchant un changement d'affectation au sens de la LDTR. Je vous remercie.

Le président. Merci, Madame la députée. A propos de la demande de renvoi en commission, je donne la parole au rapporteur, s'il la désire.

M. Jacques Béné (PLR), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Il faut bien évidemment refuser le renvoi de ce projet de loi en commission.

Mme Delphine Bachmann, conseillère d'Etat. Le Conseil d'Etat est en train de travailler sur cette problématique qui touche des politiques publiques bien plus vastes que la seule question du tourisme ou du logement: on peut aussi évoquer les problèmes relatifs à la prostitution, à des appartements loués à cet effet. Le groupe de travail n'a pas encore terminé sa réflexion sur l'intégralité des enjeux qui devraient être concernés par une modification législative dont l'ancrage reste à déterminer. Dans tous les cas, ce texte pose des problèmes relatifs à la protection des données et ne constitue pas la bonne solution. Je vous invite donc à refuser le renvoi en commission. Si modification législative il doit y avoir, le Conseil d'Etat reviendra lui-même avec un projet de loi. Merci.

Le président. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs les députés, nous passons au vote.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12711 à la commission du logement est rejeté par 48 non contre 41 oui.

Le président. Mesdames et Messieurs, le débat continue et la parole revient à M. Canonica.

M. Vincent Canonica (LJS). Merci, Monsieur le président. Je m'apprêtais également à demander un renvoi en commission, non à la commission du logement mais à celle de l'économie, parce que le fond du problème est une concurrence déloyale entre les appartements et les hôtels. Comme le renvoi a été refusé et au vu du résultat, je ne vais pas le redemander. Dans ce contexte, je refuserai ce projet de loi.

M. Sébastien Desfayes (LC). Je crois que les données figurant sur le site auquel ma collègue a tout à l'heure fait référence sont quand même éloquentes, car elles soulignent plusieurs problèmes, notamment de logement. A quoi ça sert de déclasser des terrains, de procéder à des modifications de zones et de s'attaquer aux surfaces agricoles si l'on n'utilise pas pleinement notre potentiel de logements ? Or, on constate que de nombreux changements d'affectation sont effectués: on parle de près de 3000 appartements qui échappent au marché locatif. Ce site est absolument incroyable !

Les gens trichent consciemment, ce qui pose d'autres problèmes. La conseillère d'Etat a parlé de prostitution, on peut aussi mentionner la concurrence déloyale, on l'a souligné, ou les problèmes fiscaux. Nous savons très bien que pas un franc des loyers n'est déclaré à l'administration fiscale. J'ai donc de la peine à voir l'utilité de cette plateforme envers l'intérêt public et le canton.

Il est clair qu'il ne s'agit pas d'un problème de tourisme. A nos yeux, c'est avant tout un problème de logement. Du reste, je suis très inquiet. Le groupe de travail a dit qu'il devait travailler sur un enregistrement de ceux qui mettent leur appartement sur le marché via Airbnb ou toute autre plateforme, et le logiciel devait être prêt en 2023, mais, selon nos renseignements, son développement n'a pas encore commencé, parce que le DT ne fait pas son travail. Il faut maintenant que le département du territoire prenne ses responsabilités, parce que c'est avant toute chose une question de logement. Merci.

Mme Delphine Bachmann, conseillère d'Etat. J'ajoute une précision: il semble évident qu'avant d'engager des moyens financiers pour un développement informatique et des ETP dédiés au contrôle - je sais que ce parlement est particulièrement attentif aux dépenses publiques -, qu'avant de prévoir les outils et les moyens, il faut s'assurer que la bonne cible soit visée parmi les enjeux de politique publique et qu'on propose la bonne réponse. En tout cas, sachez que le Conseil d'Etat se préoccupe du sujet et que le groupe de travail terminera prochainement son étude.

Il est fait mention dans le rapport de la refonte de la LRDBHD; en 2020, quelque chose devait être présenté, je crois, six mois plus tard. Soyez rassurés: la refonte de la LRDBHD a commencé, les travaux sont en cours dans les départements et une consultation interne a débuté, elle ne sera nullement ralentie par toutes les discussions qui pourraient avoir lieu sur la question spécifique d'Airbnb. Les choses sont en route. Aussi, je vous remercie de refuser ce texte.

Le président. Merci bien. Mesdames et Messieurs les députés, c'est le moment de voter sur l'entrée en matière.

Mis aux voix, le projet de loi 12711 est rejeté en premier débat par 58 non contre 30 oui.