Séance du jeudi 3 octobre 2024 à 17h
3e législature - 2e année - 5e session - 27e séance

PO 5
Proposition de postulat de Boris Calame, François Lefort, Thierry Cerutti, Patrick Saudan, Patrick Dimier pour étudier les possibilités d'aménagement d'une nouvelle passe à poissons, à Verbois, favorable à la biodiversité et compatible avec le développement de sports nautiques en eau vive
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session II des 22 et 23 juin 2023.

Débat

Le président. Nous passons à la proposition de postulat 5, que nous traitons en catégorie II, trente minutes. Je cède le micro à Mme Céline Bartolomucci.

Mme Céline Bartolomucci (Ve), députée suppléante. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, le postulat dont nous discutons ici a pour but dans un premier lieu que nous nous conformions à la loi fédérale sur la protection des eaux, qui impose d'ici 2030 de restaurer la libre migration des poissons sur l'ensemble des cours d'eau suisses et de supprimer les obstacles.

Notre Rhône genevois est aménagé de plusieurs barrages, dont celui de Verbois, qui constitue une barrière infranchissable pour la population piscicole. En effet, pour compléter leur cycle biologique, certaines espèces de poissons doivent migrer pour rejoindre leurs habitats de reproduction. Avec ce type de barrage, une passe à poissons est donc mise en place afin de permettre à ces espèces de remonter le courant.

Lors d'une étude réalisée entre 2013 et 2014 à Verbois, il a été constaté que seuls 12% des poissons arrivent à trouver l'entrée de la passe et qu'ensuite, 55% d'entre eux parviennent à rejoindre l'amont du barrage. Si on fait un petit calcul, cela signifie que seulement 7% de la totalité des poissons réussissent à rejoindre l'amont du barrage pour pouvoir s'y reproduire. On imagine ainsi facilement la perturbation que cela peut entraîner sur le cycle naturel des populations de poissons et sur leur reproduction.

Outre l'amélioration des conditions de vie des poissons, étudier la mise en place d'une rivière de contournement est une solution qui pourrait nous permettre de nous conformer enfin à la loi fédérale, en faisant disparaître au passage les coûts d'entretien d'une passe à poissons, qui est de toute façon inefficace. Le fait d'inclure dans cette étude des sports nautiques pratiqués de manière maîtrisée permettrait également de prendre en compte une demande de la population et de s'assurer de la compatibilité de cet usage avec la sauvegarde de la vie piscicole. Pour toutes ces raisons, nous vous invitons à soutenir ce postulat. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Jacques Blondin (LC). Tout d'abord, Monsieur le président, une question sur le traitement d'un postulat: si j'ai bien compris, il n'y a pas eu de débat sur le sujet, on traite ce texte en plénière et on ne peut pas le renvoyer en commission; autrement dit, soit on l'accepte, soit on le refuse, c'est bien juste ?

Le président. C'est juste, Monsieur le député.

M. Jacques Blondin. Merci beaucoup pour cette précision, Monsieur le président. (Remarque.) N'est-ce pas ?! Cela étant dit, Le Centre va soutenir cette proposition. Juste pour illustrer le propos concernant Verbois: si vous allez sur place, vous constaterez que la passe à poissons est sur la rive gauche, or il se trouve que lorsque les poissons remontent, ils sont sur la rive droite, parce qu'il y a plus de courant. (Remarque.) Oui, mais de l'autre côté, on ne pouvait pas l'installer, on l'a mise au seul endroit où c'était possible. Cela fait qu'il y a à peine 10% des poissons qui remontent, ce qui est bien évidemment une catastrophe pour la vie aquatique du Rhône. Cette dernière est d'ailleurs en perte de vitesse majeure dans cette zone.

Alors cette proposition de postulat envisage de créer une rivière de contournement; on ne parle pas d'un fleuve navigable, mais bien d'une rivière, hypothétiquement avec des activités sportives - pourquoi pas, ça s'est fait à certains endroits -, ce qui est intelligent car cela permettrait aux poissons de remonter et de frayer facilement. Par ailleurs, cela serait réalisé dans une zone relativement facile à adapter à ces besoins: ce n'est ni de la SDA, ni de la zone constructible, il n'y a donc pas de souci de ce côté.

Et puis, un élément encore plus intéressant - mais qui nécessite d'être contrôlé -, tant le canton de Genève que la Confédération disposent de fonds pour financer ces infrastructures. Je pense donc que ça vaut largement la peine de mener cette étude. Pour qu'il n'y ait pas de confusion, je rappelle que ça n'a bien évidemment aucune influence sur le dossier de Conflan, qu'on traitera ultérieurement. Merci beaucoup. (Applaudissements.)

M. Pascal Uehlinger (PLR). Même si nous partageons sur le fond les avis donnés par nos préopinants, ce qui dérange fondamentalement le PLR, c'est l'utilisation de l'outil qu'est le postulat. Si nous avions eu une variante sous la forme d'une motion, cela aurait permis un renvoi en commission et nous aurions été en adéquation avec ce vote. Parce qu'avant de valider une telle étude, je pense qu'on a quand même besoin d'auditionner, de réfléchir en groupe, voire d'améliorer le texte.

On ne dispose d'aucune information sur les coûts, sur les obligations et devoirs qui s'appliquent quand on crée une rivière partielle, sur la compatibilité entre les loisirs d'un côté et la faune et la flore de l'autre, sur l'emprise sur les terres agricoles. Si je voulais un peu ricaner, je dirais qu'on pourrait même auditionner le Rhône, mais il n'a pas reçu la personnalité juridique, donc aujourd'hui, c'est mort ! Pour ces quelques raisons, le PLR refusera ce postulat; il aurait apprécié que ce soit une motion. J'en ai terminé, Monsieur le président.

M. Lionel Dugerdil (UDC). Contrairement à mon préopinant, le groupe UDC trouve ce postulat intéressant, justement parce qu'il demande que soient étudiées les diverses variantes possibles. Il l'est également parce que, contrairement à une initiative rejetée dernièrement, il favorise clairement la biodiversité dans nos eaux, qui souffrent et qui en ont bien besoin. Il a aussi le mérite de vouloir allier l'écologie, l'hydroélectrique ainsi que des enjeux sociaux, sécuritaires, scolaires et économiques. Pour ces raisons, l'UDC vous enjoint de l'accepter.

M. Thierry Cerutti (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais juste apporter quatre éléments factuels, en espérant ainsi faire changer l'avis du PLR sur ce texte - j'ai bien entendu qu'ils auraient préféré que ce soit une motion et qu'ils auraient bien voulu auditionner, réauditionner et encore auditionner, mais, à mon avis, ce n'est pas nécessaire. Tout d'abord, je rappelle l'obligation fédérale d'assainissement donnée aux propriétaires d'ouvrages hydroélectriques pour assurer la migration de la faune piscicole; la passe à poissons du barrage de Verbois doit être assainie, et ça va coûter une blinde ! C'est juste une réalité. Le deuxième élément important est la fenêtre temporelle de subvention, qui se réduit drastiquement. Le financement fédéral disponible pour ce type d'assainissement est limité dans le temps, et il est bientôt terminé.

Le troisième est qu'il s'agit par ailleurs d'une mesure écologique permettant de concilier à la fois des loisirs, à savoir le sport de proximité, avec un aménagement naturel au profit de la faune et de la flore piscicoles. Et, «last but not least», c'est une opération qui pourrait être gagnante tant pour le milieu naturel que pour la promotion et la pratique du sport, et ce de manière très peu énergivore. Pour ces quatre raisons, je vous invite à voter ce postulat. Je vous remercie, Mesdames et Messieurs les députés.

M. Matthieu Jotterand (S). Le groupe socialiste, ou une partie de celui-ci, ne fait pas exactement la même interprétation, dans le sens où la biodiversité est certes mise en avant dans ce postulat, mais ce n'est pas aussi clair que ça si on regarde concrètement de quoi il est question: il s'agit avant tout de sports aquatiques sur fond de biodiversité; en réalité, et c'est ce qui inquiète un peu une part de notre groupe, il y a un soupçon de «greenwashing», si vous me passez cet anglicisme. Pour ce qui est de la biodiversité, la loi sur la protection des eaux permet en effet de mettre en place des aménagements pour la libre migration des poissons. On se réjouit d'ailleurs que l'UDC soit pour la libre migration ! (Rires. L'orateur rit.)

Par rapport à la forme de l'objet, nous rejoignons les propos du PLR sur le fait qu'une motion aurait été beaucoup plus intéressante, en ceci qu'elle aurait permis d'obtenir en commission une vue plus claire sur les enjeux. On se retrouve avec un objet sur lequel on doit se prononcer là, comme ça, sur le siège, en moins d'une demi-heure, sans savoir de quoi il retourne. C'est certainement dû au statut du premier signataire, qui siégeait à l'époque en tant qu'indépendant et qui préférait donc le débat en plénière au débat en commission - ce qu'on peut comprendre -, mais cela rend l'exercice un peu problématique.

C'est vrai que ce sont des sujets intéressants, comme l'a dit mon préopinant UDC, et qu'il y a des enjeux sociaux - les sports aquatiques sont une vraie question, le postulat le relève. Cela dit, comme aucun approfondissement n'est possible, et malgré le potentiel intérêt que peut présenter cette proposition, il aurait certainement été préférable qu'elle prenne la forme d'une motion. D'ailleurs, il est assez piquant de relever qu'à la fin de l'exposé des motifs, il est indiqué qu'on est censé faire un bon accueil à cette motion ! (L'orateur insiste sur le mot: «motion».) Le groupe socialiste peut comprendre le fond, mais est un peu plus dubitatif sur la forme. Par conséquent, il aura, une fois n'est pas coutume, la liberté de vote sur cet objet. (Applaudissements. Commentaires.)

Une voix. Bravo !

M. Christian Flury (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, effectivement, un barrage représente un obstacle au déplacement des poissons de l'amont vers l'aval. Les dernières tendances en matière de franchissement de barrage par les poissons s'orientent vers la création de rivières de contournement, soit de petites rivières au profit de la faune piscicole locale, mais pouvant également être adaptées aux compétiteurs canoéistes kayakistes.

A Genève, nous avons des compétiteurs de canoë qui s'illustrent sur le plan mondial, qui participent également aux Jeux olympiques. Moi-même, en tant qu'ancien membre du Canoë Club de Genève, je peux pleinement souscrire à l'idée de profiter de la création d'une rivière de contournement pour créer un bassin de slalom de niveau international. La pente et l'environnement de Verbois s'y prêtent parfaitement. Nous pourrions donc créer une infrastructure sportive au profit de la région, dans la mesure où cela profiterait non seulement à Genève, mais aussi à nos voisins français.

Vous devez encore savoir que si le kayak est un sport naturel qui ne nécessite aucune énergie fossile, actuellement, les canoéistes doivent se rendre soit à Huningue soit vers Lyon pour s'entraîner dans de bonnes conditions. Nous avons ici la possibilité de créer une infrastructure adaptée dans le canton, raison pour laquelle je vous invite à suivre ce raisonnement et à soutenir ce postulat. Je vous remercie beaucoup.

M. Philippe de Rougemont (Ve). Alors oui, c'est un postulat et pas une motion, mais ce n'est pas un projet de loi non plus ! Si on l'accepte - j'espère que ce sera le cas -, après que le gouvernement aura fait son travail, le sujet reviendra de toute façon ici pour que nous déterminions s'il convient de poursuivre ce projet ou pas. Et puis une autre chose importante que je souhaiterais dire, c'est que certains d'entre nous qui avaient le temps ont eu la chance d'accepter l'invitation de la Fédération des sociétés de pêche genevoises et se sont rendus précisément à Verbois.

Nous avons pu bien questionner les représentants de cette fédération, en particulier sur la proposition contenue dans ce postulat. Il nous a été répondu que si ce nouveau bras du Rhône était créé, ce dernier favoriserait effectivement les activités de canoë-kayak sans que cela nuise aux poissons, parce que ceux-ci auraient le bras de rivière pour eux toute la nuit et une bonne partie de la journée. Voilà donc ce qui a été répondu sur le fond. Et sur la forme, je vous invite à voter oui, parce que le projet reviendra de toute façon devant le parlement. Merci de votre attention. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le député. Il n'y a plus de demande de parole, je lance donc la procédure de vote.

Mis aux voix, le postulat 5 est adopté et renvoyé au Conseil d'Etat par 67 oui contre 17 non et 2 abstentions (vote nominal).

Postulat 5 Vote nominal