Séance du
vendredi 27 septembre 2024 à
18h
3e
législature -
2e
année -
5e
session -
26e
séance
M 2965-A
Débat
Le président. L'ordre du jour appelle le traitement de la M 2965-A émanant de M. Skender Salihi. (Le président prononce le prénom «Skender» à la française.)
M. Skender Salihi. Monsieur le président, mon prénom est Skender !
Le président. Skender, très bien. Excusez-moi, Monsieur Skender. (Rires.) Nous sommes en catégorie II, trente minutes, et je cède la parole à M. Matthieu Jotterand.
M. Matthieu Jotterand (S), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, encore un petit instant de concentration pour un sujet de la plus haute importance ! Non, pas vraiment, en fait. Il s'agit d'un cas particulier, celui d'une personne qui a hérité d'un terrain où une cabane avait été construite de manière illicite, et nous ne sommes pas là pour juger des cas particuliers.
On pourrait donc dire: «Fin du traitement de cet objet», mais comme nous sommes sérieux et que nous étudions les textes jusqu'au bout, nous avons auditionné le premier signataire, qui nous a expliqué que le propriétaire était embêté, parce qu'il avait engagé des travaux sans avoir reçu d'autorisation de construire. En effet, l'Etat n'ayant pas répondu à sa demande d'autorisation dans les années 80, il est parti du principe que qui ne dit mot consent. Or l'article 4, alinéa 4 LCI stipule que si l'Etat ne vous répond pas, vous devez le mettre en demeure, et là ça change les choses, mais vous ne pouvez pas juste considérer qu'une non-réponse constitue un blanc-seing.
Ce cas soulève la question des constructions qui se trouvent hors zones à bâtir, qui sont là depuis un certain temps, qui ont besoin d'être rénovées et qui, du coup, sont problématiques, parce qu'il n'y a plus le droit de les rénover. Il se trouve que le sujet est traité actuellement aux Chambres fédérales, ce qui fait que c'est un peu redondant de l'évoquer ici. En réalité, le cas particulier qui fonde cette motion devrait être examiné par la justice plutôt que par notre Grand Conseil.
Ce qui se cache derrière ce texte, c'est une sorte de prime à l'illégalité, c'est-à-dire que vous construisez n'importe quoi comme vous voulez dans la forêt, et dans trente ans, ce sera légal, on vous félicitera. Le problème principal de la motion, c'est qu'elle n'opère aucune distinction entre un cabanon prévu pour ranger quelques outils et, si on pousse jusqu'à l'absurde - même si, hors zones à bâtir, c'est peu probable -, un immeuble dans un champ, il n'y a aucune différence.
Le rapport de minorité indique que la construction a été érigée dans la légalité; malheureusement, ce n'est pas le cas, il n'y avait pas d'autorisation de construire, donc il faut rectifier ce propos. Je remarque par ailleurs qu'il a été rédigé uniquement sous forme de questions sans fournir la moindre réponse. Prenons-en acte, il n'y a pas vraiment d'arguments valables en faveur de cet objet. On peut éprouver une certaine sympathie pour les activités du particulier concerné, mais la motion doit clairement être refusée.
Le président. Je vous remercie. Avant de donner la parole au rapporteur de minorité, j'aimerais m'excuser auprès de M. Skender. (Le président prononce le prénom «Skender» à la française.) Mais vous savez, nous nous trouvons dans une région francophone et j'ai prononcé votre nom en français. Cela dit, je changerai dorénavant.
Une voix. C'est Skender !
Le président. Oui, mais en français, ça se prononce autrement. (Commentaires. Rires.) En français, c'est Skender ! Et ici, on parle français, Monsieur ! (Commentaires.) Bon, passons à autre chose. Monsieur Thierry Cerutti, vous avez la parole.
M. Thierry Cerutti (MCG), rapporteur de minorité. Merci, Monsieur le président. Tout d'abord, il faut souligner que les Chambres fédérales se sont déjà positionnées tant au niveau national que de l'Etat, puisqu'une motion demandant que la prescription trentenaire s'applique hors zones à bâtir a été acceptée et entrera certainement en vigueur en juillet 2025, ce qui signifie que toutes les constructions datant de plus de trente ans dans notre canton seront légalement admises.
Le cabanon dont on parle a été pris comme exemple, mais la problématique touche des dizaines d'autres ouvrages réalisés dans les années 30, 40 ou 50 de manière légale, puisque à l'époque, il n'y avait pas toutes les interdictions et restrictions auxquelles on est confronté aujourd'hui dans les zones forêt et agricole. Nous avons mis en avant un cas d'école, parce qu'il y a un projet éducatif derrière pour sensibiliser à la nature; c'était un moyen pour nous de dire: «Stop, le sujet est en traitement actuellement à Berne, faisons en sorte que le Conseil d'Etat n'intervienne pas de manière illicite dans cette histoire, attendons simplement que la décision formelle des Chambres fédérales soit appliquée avant d'agir.»
J'aimerais rappeler qu'à Genève, de nombreuses dénonciations sont traitées par les employés du DT pour des bâtiments construits souvent il y a plus de trente ans, et ce alors que les autorités fédérales se sont clairement prononcées sur la question. Ainsi, des fonctionnaires sont chargés d'effectuer un travail qui sera passé à la broyeuse dans quelques mois. C'est une réalité que l'ensemble de ce parlement doit prendre en considération.
Pire encore, des dossiers sensibles ou méritant une analyse spécifique seront sans doute jugés entre-temps alors qu'un sursis de quelques mois leur permettrait d'obtenir un non-lieu salvateur. Il est important de le mentionner, parce que j'ai entendu notre collègue de la majorité indiquer que cette affaire doit être réglée en justice. Or qui dit justice dit frais, coûts, mobilisation de personnel, temps gaspillé alors que les Chambres fédérales ont statué là-dessus et sont d'accord de maintenir les autorisations pour des biens construits il y a plus de trente ans.
La motion dont il est question ici - puisque c'est tout de même ce texte qui importe et dont on doit débattre ce soir - n'a pas pour but de se substituer au droit supérieur ni aux décisions du Conseil fédéral ou des Chambres fédérales. Il s'agit de prendre un peu de recul sachant que la loi sur l'aménagement du territoire sera modifiée prochainement; il s'agit tant d'éviter aux fonctionnaires et juges de nos juridictions un travail superflu, comme je l'ai relevé tout à l'heure, que d'épargner les propriétaires actuellement confrontés à une loi fédérale qui, pour quelques mois encore, ne leur accorde aucune tolérance. Voilà le sujet.
Le cas qui a notamment déclenché le dépôt de cette motion est celui d'une parcelle située au bout du canton sur laquelle est érigé, depuis plus de septante ans - on ne parle pas de trente ans, Mesdames et Messieurs les députés, mais de septante ans, il faut que vous l'entendiez ! -, un chalet d'agrément.
Le nouveau propriétaire a décidé d'en changer la destination pour y promouvoir la nature et des activités en lien avec la vie de la faune sous la conduite du Centre ornithologique de réadaptation de Genève, qui en est le locataire et l'exploitant officiel. Il travaille aujourd'hui dans ce chalet et y accueille des enfants, leur explique la nature, leur offre un accès privilégié aux oiseaux, et pour cela, il a fallu rénover cette construction qui date d'il y a plus de septante ans, le but étant de recevoir les enfants dans des conditions favorables.
Les lieux devant être mis aux normes pour accueillir les enfants issus d'écoles genevoises, les quelques travaux effectués par le propriétaire ont fait l'objet de demandes de régularisation qui sont malheureusement querellées en justice en raison d'une application trop stricte du droit fédéral actuel, qui, je le rappelle, changera en juillet de l'année prochaine, soit dans quelques mois.
Pourtant, cet endroit permet à des enfants de nos écoles publiques - je l'ai déjà dit - de même qu'à des enfants d'écoles spécialisées, parfois lourdement handicapés, de suivre des ateliers théoriques et pratiques en lien avec la nature, sa sauvegarde ainsi que la richesse de ce patrimoine. C'est la raison pour laquelle le propriétaire a dû revisiter le cabanon qui a été construit il y a plus de septante ans.
Ce cas emblématique démontre qu'une application trop stricte est ou peut être préjudiciable à des démarches visant à garantir la préservation de la nature et des espèces à travers l'éducation de nos jeunes écoliers. Cela devrait parler à toutes et tous au sein de cet hémicycle. Ce n'est pas juste un fanfaron qui veut un chalet pour se détendre avec sa famille et faire des barbecues avec ses amis, on est tout à fait dans un autre contexte; il est vrai qu'il s'agit d'un cas particulier, mais c'est la réalité.
Pour ces motifs, Mesdames et Messieurs les députés, je vous demande de réserver un accueil favorable à cette motion visant simplement à éviter de devoir trancher ce genre de situation alors que le droit supérieur est en passe de changer. Je vous remercie.
M. Adrien Genecand (PLR). C'est intéressant, parce qu'on peut enfin traiter d'un sujet sans l'exécutif, qui brille par son absence. Il s'agit de quelque chose d'assez fondamental dans les institutions, c'est-à-dire qu'ici, on doit punir quelqu'un qui n'a pas demandé les autorisations nécessaires, mais qui possède un bien. On pourrait se demander si cette construction fait sens par ailleurs, mais comme les bases de l'Etat - c'est le grand canevas qu'on a posé, n'est-ce pas ? - sont fondées sur la séparation des pouvoirs entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire, eh bien on ne peut pas cautionner le fait qu'une personne construise sans autorisation.
Sauf que, Monsieur le président, on a encore une fois eu la démonstration ce soir que l'exécutif fait de la politique au niveau législatif, puisqu'il quitte les lieux quand il n'est pas content - il n'y a pas d'autre terme -, après avoir littéralement insulté la majorité de ce parlement...
Le président. Monsieur le député, concentrez-vous sur la motion, s'il vous plaît.
M. Adrien Genecand. On est tout à fait sur la motion, Monsieur le président, puisque je parle...
Le président. Non, vous n'êtes pas sur la motion.
M. Adrien Genecand. Mais écoutez-moi ! Si vous m'écoutiez, vous verriez qu'on est exactement dans le sujet. La force des institutions, c'est le caractère impénétrable de chacun des différents pouvoirs et leur capacité à rester là où ils doivent être.
Malheureusement, Monsieur le président, même si, au fond de moi, je ne peux pas cautionner les agissements d'un particulier qui a construit sans autorisation, quand je constate que l'exécutif de ce canton, de façon récurrente depuis maintenant une dizaine d'années, fait de la politique législative et se fâche quand il n'est pas suivi par le parlement, eh bien quand on nous demande de faire respecter strictement la loi s'agissant de quelqu'un dont l'activité, en gros, ne gêne personne - sous l'angle très, très historique de la loi, ça ne dérange personne, on s'en fiche complètement -, vous voyez, c'est un peu compliqué de faire la loi et la police. Voilà, Monsieur le président. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo, Adrien !
M. Sébastien Desfayes (LC). Très brièvement, Mesdames et Messieurs, il faut savoir que l'on parle ici de constructions illégales hors zones à bâtir - entendez par là les zones agricoles -, ce qui a un impact non négligeable sur l'environnement et l'agriculture. On peut s'étonner de la décision des Chambres fédérales d'étendre le délai de prescription, mais toujours est-il que l'on doit en prendre acte, de telle sorte que le débat de ce soir est sans objet.
Il faut arrêter de perdre du temps sur cette motion. Les Chambres fédérales ont tranché: le délai de prescription sera de trente ans. Le délai référendaire s'est terminé en février 2024, il n'y a pas eu de référendum, donc la loi entrera en vigueur. Je propose dès lors d'arrêter relativement rapidement les débats sur cette question. Le groupe Le Centre, dans la mesure où ce texte est sans objet, s'y opposera. Merci.
M. Matthieu Jotterand (S), rapporteur de majorité. En effet, pas besoin d'épiloguer des heures, mais j'aimerais encore dénoncer la démagogie du rapporteur de minorité qui invoque, s'agissant de quelqu'un qui a tout de même agi de façon illicite, le fait que c'est pour des enfants, et même - poussant ainsi encore plus loin la démagogie - des enfants handicapés, donc vraiment, on ne peut pas s'y opposer. Eh bien non, il y a des règles, il faut les respecter, on les respecte.
Enfin, un dernier mot pour sourire, on va dire, du combat de coqs auquel tente de se livrer M. Genecand - coq ou petit poulet, ça reste à déterminer. (Rires.) Je ne suis pas sûr que ça vaille le coup, on aurait certainement pu s'économiser trente secondes dans cette plénière. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole retourne à M. Cerutti pour cinquante secondes.
M. Thierry Cerutti (MCG), rapporteur de minorité. Merci, Monsieur le président. Je demande que cette motion soit renvoyée à la commission d'aménagement afin d'entendre les Chambres fédérales. (Rires.)
Le président. Bien, nous sommes saisis d'une proposition de renvoi en commission, la parole va donc au rapporteur de majorité, M. Jotterand.
M. Matthieu Jotterand (S), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. J'aurais presque été prêt à soutenir ce renvoi en commission, mais pourquoi seulement les Chambres fédérales ? Si ç'avait été le conseiller fédéral ou la conseillère fédérale en charge, alors j'aurais dit oui ! Plus le pape, évidemment ! Mais là, c'est non.
Le président. Je vous remercie. (Remarque.) Non, je ne lui donne pas la parole, nous ouvrons maintenant la procédure de vote.
Une voix. Il a été mis en cause ! Il s'est fait traiter de petit poulet ! (Rires.)
Une autre voix. Vous savez que c'est un grand coq !
Une autre voix. Il a été mis en cause par la locomotive du PS !
Le président. Mesdames et Messieurs, vous êtes priés de vous prononcer sur le renvoi en commission.
Mis aux voix, le renvoi du rapport sur la proposition de motion 2965 à la commission d'aménagement du canton est rejeté par 67 non contre 15 oui.
Le président. Nous poursuivons le débat. Je repasse la parole à M. Genecand pour cinquante-trois secondes. (Exclamations.)
M. Adrien Genecand (PLR). Merci, Monsieur le président. Je constate avec tristesse que Matthieu Jotterand, employé des CFF - donc fonctionnaire, comme une bonne partie de la gauche -, ne conçoit pas l'importance de la séparation des pouvoirs. L'exécutif, Monsieur Jotterand, ce n'est pas vous, vous n'êtes pas censé voter ce que l'exécutif vous demande, mais peut-être n'avez-vous pas encore tout à fait compris le fonctionnement du pouvoir législatif.
Une voix. Tchou tchou !
Le président. Monsieur Thierry Cerutti, il vous reste quarante secondes.
M. Thierry Cerutti (MCG), rapporteur de minorité. Oui, merci, Monsieur le président. J'entends les propos de notre collègue Desfayes, qui souligne que les Chambres fédérales ont déjà tranché, mais c'est une question de forme. Je pense qu'on doit voter cette motion, qu'on doit soutenir toutes les personnes qui, à leur époque, ont développé un projet reconnu par les autorités, des autorités qui n'ont pas pris de décision dans l'intervalle.
Ne pas accepter cette motion aujourd'hui, c'est prétéritant pour toutes celles et ceux qui sont en procédure judiciaire avec l'Etat. Au contraire, la renvoyer au Conseil d'Etat permettra de geler les affaires en cours, du moins provisoirement, jusqu'à ce que la décision fédérale entre en vigueur et que le système actuel soit remplacé. Merci.
M. Matthieu Jotterand (S), rapporteur de majorité. Même s'il me reste deux minutes trente pendant lesquelles je pourrais parler poulet, coq et autres volailles, Mesdames et Messieurs, je serai très bref pour rappeler que cette motion, si on peut certes comprendre le cas particulier, n'est pas acceptable en l'état.
De toute manière, les Chambres fédérales sont d'un autre avis que la majorité de notre parlement, donc le texte sera de facto appliqué, si on veut, d'ici juillet, ce n'est qu'une question de délai. (Remarque.) Ou vous pouvez le retirer, Monsieur Salihi !
Encore un mot à l'attention de M. Genecand, qui apprendra que les employés des CFF ne sont plus fonctionnaires depuis 1999, donc il retarde un peu - comme les trains, parfois ! (Applaudissements.)
Le président. Merci bien. Je lance le vote sur ce texte.
Mise aux voix, la proposition de motion 2965 est rejetée par 69 non contre 14 oui et 2 abstentions (vote nominal).