Séance du vendredi 30 août 2024 à 16h05
3e législature - 2e année - 4e session - 20e séance

PL 13028-A
Rapport de la commission du logement chargée d'étudier le projet de loi de Cyril Aellen, André Pfeffer, Alexandre de Senarclens, Stéphane Florey, Philippe Morel, Jean Romain, Murat-Julian Alder, Beatriz de Candolle, Pierre Nicollier, Céline Zuber-Roy, Pierre Conne, Vincent Subilia, Yvan Zweifel, Helena Rigotti, Véronique Kämpfen, Jacques Béné, Adrien Genecand, Eric Leyvraz, Natacha Buffet-Desfayes, Jean-Pierre Pasquier, Virna Conti modifiant la loi sur l'aide à la propriété individuelle (LAPI) (I 4 53) (L'Etat doit favoriser l'accès à la propriété de son logement)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IX des 29 février et 1er mars 2024.
Rapport de majorité de M. Djawed Sangdel (LJS)
Rapport de minorité de Mme Caroline Renold (S)

Premier débat

Le président. J'appelle maintenant le PL 13028-A. Nous sommes en catégorie II, quarante minutes, et la parole va à M. Djawed Sangdel.

M. Djawed Sangdel (LJS), rapporteur de majorité. Merci, Monsieur le président. Chers collègues, la commission du logement s'est réunie à cinq reprises et a examiné en détail le projet de loi 13028 qui propose des modifications à la loi sur l'aide à la propriété individuelle. Il s'agit de répondre à une problématique majeure pour nos citoyens, surtout pour la classe moyenne.

Pour rappel, la loi actuelle sur l'aide à la propriété individuelle, adoptée en 1997, n'a jamais été appliquée en raison de sa complexité, de sa formulation qui ne correspond pas aux besoins d'aujourd'hui. Il est important de souligner que l'article 180 de la constitution genevoise stipule: «L'Etat encourage l'accès à la propriété du logement.» Cela représente donc une obligation constitutionnelle.

Ce texte vise à encourager en particulier la classe moyenne à devenir propriétaire. En effet, à cause de conditions extrêmement strictes exigées par les banques, surtout en ce qui concerne les fonds propres - on parle de 20%, mais parfois, ça peut aller jusqu'à 5% de plus, sans parler des frais de notaire -, il est très difficile pour les gens d'accéder à la propriété, même pour ceux qui perçoivent des revenus élevés.

Ce projet de loi propose que l'Etat cautionne des prêts hypothécaires couvrant jusqu'à 15% des fonds propres nécessaires à l'achat d'un logement. Cette mesure permettrait de réduire significativement les barrières financières auxquelles font face certains de nos concitoyens qui touchent des revenus suffisamment conséquents pour acquérir un logement. Bien évidemment, il est question d'appartements modestes, pas de villas ou de biens de luxe, le but est d'aider des familles qui ont envie de devenir propriétaires depuis plusieurs années mais ne trouvent pas les moyens financiers.

Rappelons le taux de propriétaires dans le contexte immobilier genevois, c'est-à-dire le taux le plus bas du pays: 18,7%, c'est vraiment très peu. Même à l'échelle nationale, la Suisse possède le taux de propriétaires le plus bas d'Europe, surtout par rapport à certains standards internationaux. La majorité de la commission vous invite à valider ce projet de loi afin de donner une chance à certains de nos concitoyens qui rêvent de devenir propriétaires de leur logement. Je vous remercie.

Mme Caroline Renold (S), rapporteuse de minorité. Mesdames et Messieurs les députés, la minorité de la commission est opposée à ce projet de loi pour quatre raisons. Tout d'abord, celui-ci encourage le surendettement individuel. Actuellement, comme vous le savez probablement tous, l'acquéreur doit amener 20% de fonds propres, dont au maximum 10% provenant de la LPP, et ne pas dépasser un endettement maximal de 80%. Ce sont les exigences mises en place par les milieux bancaires pour limiter les risques liés aux crédits.

Avec ce texte, il serait possible d'acheter un logement avec un endettement de 95%, soit uniquement 5% de fonds propres, puisque 15% additionnels seraient prêtés par l'Etat. La dette de 15% devrait être remboursée après dix ans. De plus, l'acquéreur devrait rembourser 15% de son endettement après quinze ans. Ainsi, en quinze ans, l'acquéreur devrait rembourser 30% de son emprunt. Dans un contexte où les taux hypothécaires augmentent - le projet de loi a été déposé à un moment, et c'est explicitement indiqué dans l'exposé des motifs, où les taux étaient bas et donc les coûts de l'emprunt aussi -, c'est encourager le surendettement des personnes.

Je relève que tant Swiss Banking que la FINMA ont indiqué par écrit à la commission qu'elles s'opposaient à une hausse de l'endettement. Swiss Banking souligne qu'«un amortissement parallèle de la dette hypothécaire [...] et du prêt d'Etat [...]» - ce sont donc les deux dettes dont je vous parlais tout à l'heure - «devrait conduire dans la grande majorité des cas à une violation des seuils d'endettement définis dans le règlement interne des banques». La FINMA explique: «[...] nous sommes généralement très réservés, voire extrêmement critiques, à l'égard des efforts tendant à réduire les fonds propres que doit apporter le preneur de crédit ainsi que toute autre initiative visant à assouplir les critères d'octroi dans le domaine hypothécaire».

La minorité se rallie aux avis de la FINMA et de Swiss Banking, et est extrêmement surprise que la droite ne suive pas les recommandations des milieux bancaires. Nous sommes fortement opposés à ce que l'on encourage des personnes à se surendetter et refusons ce projet de loi qui est un cadeau empoisonné pour les acquéreurs. Pour anticiper ce que la droite me rétorquera par rapport à des prises de parole antérieures, je précise qu'il y a un intérêt public à ce que les appartements en PPE soient répartis de manière équitable; en revanche, il n'y a aucun intérêt public à ce que les propriétaires de ces logements se surendettent.

Deuxièmement, aux yeux de la minorité, ce projet de loi est dangereux pour le marché du logement, car il entraînera une surchauffe immobilière. Ce n'est pas que moi qui le dis, mais Swiss Banking - je cite à nouveau son courrier: «Il est bien possible qu'un encouragement supplémentaire de la demande fasse encore augmenter les prix des logements à usage personnel, ce qui maintiendrait les obstacles financiers à un niveau élevé pour les personnes souhaitant accéder à la propriété.» Vous encouragez une mesure qui créera de la surchauffe immobilière sur un marché où il y a déjà une surchauffe pour tout type de logements, parce que pour répondre à d'autres commentaires précédents, ni Dieu ni les gens ne rêvent d'être propriétaires, ils souhaitent avant tout un logement abordable et de qualité.

Voici le troisième argument de la minorité: le coût de ce dispositif est totalement inconnu et pourrait aller, soyons honnêtes, de zéro franc à des millions. L'Etat devra prêter des montants importants pour permettre aux gens d'acquérir leur logement; on imagine, pour 15% d'un bien, qu'on tourne autour de 100 000 à 200 000 francs. L'impact financier du projet est donc indéterminé et il n'y a aucune limitation aux engagements de l'Etat. Je vous rappelle qu'il a été lancé par des partis qui veulent toujours limiter l'engagement financier de l'Etat; nous sommes donc surpris que dans ce cas-là, ils ne s'en soucient absolument pas. D'autant plus que l'Etat devra assumer une activité quasiment bancaire pour laquelle je ne suis pas certaine qu'il ait les compétences, et des engagements supplémentaires seront nécessaires ou alors le projet restera lettre morte, ce qui est peut-être le souhait populiste des partis qui le proposent et le soutiennent.

Quatrièmement, ce projet de loi est très probablement inutile. En effet, je ne travaille peut-être pas dans le milieu bancaire, mais je peux aisément concevoir qu'un banquier qui a sur sa table deux dossiers, l'un avec surendettement à 95% et l'autre avec un endettement à 80%, choisisse celui qui comporte le moins d'endettement, ce qui est d'ailleurs ce que les établissements bancaires entendus nous ont confirmé. La Banque cantonale de Genève, notamment, interrogée par la commission, ne s'est pas montrée enthousiaste du tout quant à l'utilité du texte, elle n'arrivait pas à estimer si davantage de dossiers seraient sélectionnés.

En dernier lieu, la minorité considère que cette proposition ne vise à aider qu'un nombre extrêmement restreint de personnes. En effet, selon une évaluation du DT qui date de 2021 - depuis lors, les coûts sur le marché immobilier ont encore augmenté -, pour l'acquisition d'un bien de cinq pièces à 875 000 francs - encore faut-il trouver sur le marché un logement à ce prix-là -, la caution ne sera accessible qu'à un revenu supérieur à 200 000 francs pour une personne qui possède une fortune allant jusqu'à 435 000 francs. Ainsi, vous pourriez disposer d'une fortune de 400 000 francs, toucher un revenu de 200 000 francs et encore accéder à cette aide ! Nous pensons que ce n'est pas une priorité de soutenir cette part de la population avec des sommes allant jusqu'à - on peut l'imaginer, parce que ce n'est pas chiffré - 150 000 ou 200 000 francs.

Pour la minorité, l'objectif est que l'Etat mette tous ses efforts pour que chaque habitant et habitante du canton dispose d'un logement abordable et de qualité sans qu'il soit nécessaire d'engager des montants importants pour aider une population déjà privilégiée à devenir propriétaire. Pour toutes ces raisons, nous vous invitons à rejeter ce projet de loi avec fermeté. Merci.

M. Lionel Dugerdil (UDC). Chers collègues, il s'agit évidemment ici du projet de loi dont je parlais tout à l'heure. La rapporteuse de minorité n'a pas manqué de relever l'antagonisme de ses propres prises de position, ce qui m'évitera de le faire moi-même. Par contre, je tiens à signaler que quand elle nous dit que personne ne rêve d'être propriétaire à Genève, c'est faux, bien sûr que c'est faux; j'en veux pour preuve la rareté des objets et le peu de temps pendant lequel ils restent sur le marché avant d'être acquis.

Oui, l'Etat doit favoriser l'accès à la propriété, parce que bon nombre de Genevoises et de Genevois souhaitent acquérir leur logement, en devenir propriétaires. La rareté des objets de même que les conditions exigées pour les prêts bancaires représentent un parcours du combattant rendant l'accès à la propriété extrêmement difficile et quasiment impossible pour la classe moyenne inférieure.

Pour ces raisons, Mesdames et Messieurs, l'UDC soutiendra ce projet de loi. Nous trouvons que c'est une bonne réponse à une réelle attente de beaucoup de nos concitoyennes et de nos concitoyens, et nous vous enjoignons de voter en faveur de cet objet.

M. Julien Nicolet-dit-Félix (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, la rapporteuse de minorité a expliqué de façon claire qu'il n'y a pas qu'une seule raison de refuser ce projet de loi, il y en a plusieurs, au minimum quatre. J'avais prévu de développer trois d'entre elles, je ne vais pas forcément reprendre mot pour mot ses arguments.

Celle qui est peut-être la plus frappante et qui montre bien à quel point ce dispositif ne bénéficiera ni à l'Etat ni aux acquéreurs, c'est que le marché du logement est essentiellement spéculatif, c'est-à-dire que les prix sont fixés en fonction de l'offre et de la demande. Ce texte, Mesdames et Messieurs, consiste simplement à faciliter l'accès au crédit, à mettre davantage d'argent sur la table, donc il aura pour effet immédiat d'augmenter les prix.

Ainsi, les acquéreurs vont se retrouver avec les mêmes objets qu'auparavant, mais qu'ils devront payer plus cher; ils auront un taux d'endettement plus élevé qu'actuellement, qui passera de 80% jusqu'à 95%: on peut légitimement parler de surendettement. Ces gens auront davantage de charges, donc un pouvoir d'achat diminué d'autant; ils seront exposés à des risques tellement grands que les banquiers, qui sont pourtant des professionnels du risque financier, refuseront de leur allouer des prêts.

Dès lors, en cas d'évolution des taux hypothécaires - nous avons vu au cours des années précédentes que ceux-ci sont très volatils, et plus ils sont bas, plus les changements exprimés en points de pour cent ont des effets importants sur le montant à rembourser -, si vous êtes endetté à hauteur de 95%, l'effet sur votre pouvoir d'achat, sur ce que vous devrez payer mois après mois sera extrêmement conséquent.

A cela s'ajoutent évidemment les autres arguments brillamment exposés par Mme Renold tout à l'heure, mais ce point-là suffit, me semble-t-il, Mesdames et Messieurs, pour vous faire la démonstration que ce projet de loi va exactement à l'encontre des buts qu'il prétend viser: il ne va pas faciliter l'accès à la propriété individuelle, qu'il s'agisse d'un rêve ou non de nos concitoyens et des résidents du canton, au contraire, il va le rendre beaucoup plus hasardeux, beaucoup plus cher et beaucoup plus dangereux sur le plan financier. C'est bien pour cela qu'il faut le refuser. (Applaudissements.)

M. Amar Madani (MCG). Le MCG maintient la position qu'il a exprimée lors des travaux de commission, et ce pour plusieurs raisons. J'en citerai deux. La première est inhérente au surendettement: comme la rapporteure de minorité l'a bien expliqué, un prêt additionnel pourrait inciter certains acquéreurs à s'engager dans des achats au-dessus de leurs moyens et ainsi à risquer un surendettement.

Deuxièmement, les finances publiques pourraient en pâtir. Je rappelle, Mesdames et Messieurs, que notre parlement a déjà renvoyé en commission un projet de loi qui vise à encourager la classe moyenne à accéder à la propriété. La multiplication de ce genre de texte n'aura qu'un effet contreproductif. C'est pourquoi le MCG ne soutient pas ce projet de loi.

M. Sébastien Desfayes (LC). J'aimerais revenir sur certains arguments invoqués par le parti socialiste et les Verts. Tout d'abord, il ne s'agit pas d'une révolution, parce qu'aujourd'hui déjà, il existe un mécanisme - c'est le cautionnement - qui permet à une personne d'acquérir un bien avec 5% de fonds propres seulement; ce cautionnement de 15% permet d'atteindre la limite de 20% exigée par les banques.

Ensuite, j'ai entendu le député Julien Nicolet-dit-Félix nous dire: «Ça va favoriser la spéculation, les prix vont monter.» Alors je l'invite à consulter une nouvelle fois le projet de loi, parce qu'on parle ici avant toute chose de zone de développement, donc il y a une limitation de prix: au-dessus d'un certain montant, le dispositif prévu ne sera tout simplement pas applicable.

S'agissant des coûts pour l'Etat, cela sera-t-il cher ? Je ne le pense pas, d'une part parce que l'Etat perçoit des intérêts qui sont légèrement supérieurs à ceux du marché, d'autre part parce qu'il existe - cela a été souligné par le rapporteur de majorité - un mécanisme d'amortissement. De qui parle-t-on ? On parle de personnes qui touchent des revenus relativement importants, mais qui ne disposent pas de liquidités suffisantes pour avancer les fonds propres; cela étant, les revenus qu'ils perçoivent sont censés leur permettre de faire face au remboursement de la dette hypothécaire.

Si ces gens n'ont pas les moyens de rembourser les amortissements, ils n'obtiendront tout simplement pas ce prêt de l'Etat. Il est d'ailleurs extrêmement douteux qu'une banque - cela a également été indiqué, cette fois par la rapporteure de minorité - avance des fonds et permette la conclusion d'un contrat de vente immobilière si l'acquéreur est manifestement en état de surendettement, cela ne passera pas. Voilà pourquoi l'argument de surchauffe ne tient pas la route. On ne peut pas soutenir en même temps: «Cela concerne très peu de personnes» et «Cela va provoquer une surchauffe immobilière», c'est soit l'un, soit l'autre.

Pour ma part et en toute transparence, je considère que ce projet de loi est plus symbolique qu'utile, parce que les cas où l'Etat prêtera ces 15% seront extrêmement limités, il faut avoir l'honnêteté intellectuelle de le reconnaître. Mais pour le symbole et parce qu'il faut bien faire quelque chose pour l'accession à la propriété, qui fait partie des engagements constitutionnels de l'Etat, sachant par ailleurs que du fait notamment de l'échec du PAV, il n'existe plus tellement d'options pour les Genevois de devenir propriétaires, nous devons faire preuve de créativité et nous montrer inventifs. Aussi, pour le symbole, Le Centre soutiendra ce texte qui, il est vrai, ne révolutionnera absolument rien. Merci.

Le président. Je vous remercie. La parole va à M. Yvan Zweifel. (Le président prononce le nom «Zweifel» de manière erronée.)

M. Yvan Zweifel (PLR). Presque ! (Rires.) Merci, Monsieur le président. D'autres l'ont relevé avant moi, mais il faut répéter ce principe essentiel: le but de ce projet de loi est de permettre à des gens qui le souhaitent de devenir propriétaires dans un canton où, pour rappel, seule 17% de la population est propriétaire alors que dans le reste du pays, c'est environ 34%, tandis que dans les pays qui nous entourent, c'est en général bien plus que 50% - même deux tiers en France.

Ainsi, on n'est pas dans une situation où il y aurait une immense majorité de propriétaires et où il faudrait aider une petite partie de personnes qui ne le sont pas à le devenir. On voit clairement que les gens souhaitent acquérir un bien - cette proportion le démontre - et il s'agit ici de trouver un moyen de les y aider, donc de permettre à plus de personnes de devenir propriétaires.

Mme Renold, dans un débat que j'ai eu précédemment face à elle, nous expliquait: «Il y a des gens qui aimeraient accéder à la propriété» - elle l'a donc avoué elle-même - «mais qui n'en ont pas les moyens, donc c'est réservé aux gens de la classe moyenne "supérieure supérieure"» - je reprends ses paroles, n'est-ce pas, ce n'est pas moi qui le dis comme ça.

En réalité - et M. Desfayes l'a très justement exposé -, il faut savoir opérer une distinction à ce niveau: il se peut que quelqu'un dispose de très bons revenus, mais pas nécessairement d'une fortune importante, et qui, avec ses revenus - parce qu'il vient peut-être d'obtenir un nouvel emploi qui lui permet de toucher un meilleur salaire -, sera tout à fait en mesure de s'acquitter à la fois de l'amortissement de la dette et des intérêts qui vont avec, mais au moment où il veut devenir propriétaire, n'a pas forcément les liquidités requises - 20% d'un montant important, ça reste un montant tout aussi important -, n'a pas les moyens de les mettre sur la table.

Il est question ici d'un coup de pouce de l'Etat pour des gens qui sont solvables, mais qui n'ont pas les liquidités suffisantes, faute de quoi les seuls qui pourront devenir propriétaires ne sont pas ceux qui perçoivent de bons revenus et sont solvables, mais ceux qui nagent dans l'argent, ceux entre tous que préfèrent vos collègues - M. Thévoz, par exemple, ou encore M. Nicolet-dit-Félix -, soit l'oncle Picsou, ou, plus prosaïquement, ceux qui ont les moyens, c'est-à-dire des institutionnels.

Mais alors là, on va se retrouver dans la situation - et cela a été mis en avant dans un article paru dernièrement - où les plus gros propriétaires ne sont pas des particuliers, mais des institutionnels, alors que le but ici, c'est vraiment d'aider la personne qui rêve d'être propriétaire à le devenir.

Mme Renold a également déclaré: «La FINMA, l'ASB» - enfin, tous ceux qu'on a auditionnés - «nous ont écrit que les normes bancaires ne permettaient malheureusement pas d'aller de l'avant avec ce projet de loi.» Eh bien il se trouve - mais peut-être a-t-elle raté cet élément-là - que suite aux auditions, des amendements ont été déposés, et comme le rapporteur de majorité le précise dans sa conclusion, ceux-ci permettent de rendre le texte conforme aux normes tant de la FINMA que de l'ASB. Dès lors, cet argument ne me semble plus valable.

Quant au reproche qui est adressé à la droite selon lequel on va vider les caisses de l'Etat alors qu'on essaie en général de serrer les boulons, Mesdames et Messieurs, il ne faut pas confondre une dépense avec un investissement. Si l'Etat prête de l'argent à quelqu'un qui, par hypothèse, est solvable - parce que le travail de vérification aura été effectué -, alors ce n'est pas une dépense pour l'Etat, bien au contraire, c'est un investissement qui rapporte, puisqu'un intérêt sera ponctionné à la personne qui a obtenu le prêt; et cet intérêt représente un revenu supplémentaire pour l'Etat, vous devriez donc plutôt en être ravis.

Oui, Mesdames et Messieurs, il est évident que si un banquier a la possibilité de prêter à quelqu'un qui ne s'endette qu'à hauteur de 80% par rapport à un autre qui s'endette à 95%, probablement qu'il choisira le premier, mais il n'en demeure pas moins qu'on permet quand même à une personne solvable avec un endettement de 95% d'acheter un bien, ce qu'elle n'aurait pas pu sans le dispositif, donc ce projet de loi a toute son utilité. Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs, le PLR vous enjoint de voter ce projet de loi. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo.

Mme Danièle Magnin (MCG). Pour ma part, je voudrais rappeler que lorsque l'on fait l'acquisition d'un bien immobilier, il y a 3% de taxes diverses: les droits de mutation, la création des cédules hypothécaires, tout cela qui engraisse déjà l'Etat. Et une fois qu'on a eu la chance de devenir propriétaire, si on occupe son bien, on doit verser un impôt sur la valeur locative, auquel s'ajoute encore un impôt immobilier complémentaire.

Alors, Mesdames et Messieurs à gauche qui êtes si opposés à ces prêts éventuels, ne voudriez-vous pas plutôt songer à demander la diminution de ce qui constitue un impôt - et non une taxe - et restreint la classe moyenne dans ses possibilités d'acquérir un bien dans lequel elle pourra loger avant de le léguer à ses enfants, le cas échéant, ce qui améliorera la vie de tout le monde ? Je compare souvent les Genevois à un peuple de limaces, qui n'ont même pas, comme les escargots, une coquille pour habitation. Merci.

M. Philippe de Rougemont (Ve). A quoi assiste-t-on dans ce parlement ? On observe des vendeurs de logements - il y a beaucoup de personnes différentes dans cette salle, y compris des vendeurs de logements - qui ont de la peine à se défaire de leurs biens tellement ils sont chers, alors on dépose un projet de loi pour que l'argent de l'Etat les aide à leur faire vendre davantage de logements. Par contre, l'argent public, lui, doit servir à construire des logements d'utilité publique, puisque le but est d'en avoir 20%. Or les mêmes milieux veulent ponctionner là-dedans et diminuer les moyens de l'Etat pour réaliser cet objectif de politique publique.

On est témoins de ça et peut-être qu'au fil des années à siéger ici, on s'en accommode, on se dit que c'est normal, mais personnellement, je trouve que c'est ahurissant. On a de la peine à concrétiser les politiques publiques, et les fonds publics sont utilisés pour faire plaisir aux vendeurs de logements ! Faites vraiment très attention, Mesdames et Messieurs, pensez aux besoins des milliers de personnes et de ménages qui sont en attente d'un logement - on en connaît tous et toutes; ces personnes-là ne veulent pas acheter un bien, elles cherchent simplement un appartement qu'elles ont les moyens de payer. Aussi, faisons très attention, toutes et tous, et refusons ce projet de loi. Merci de votre attention. (Applaudissements.)

Mme Caroline Renold (S), rapporteuse de minorité. Je tiens à relever l'honnêteté intellectuelle de ceux qui défendent ce projet de loi, mais admettent qu'il est de nature symbolique. C'est exactement ce que j'ai indiqué: il est inutile, et s'il n'est pas inutile, il est dangereux.

Par ailleurs, j'invite M. Dugerdil à vérifier l'enquête sur le budget des ménages: il est impossible pour la classe moyenne inférieure, aux prix actuels, d'acquérir un appartement en PPE en zone de développement; ce type de logements est réservé à la classe moyenne «supérieure supérieure» qui, pour rappel, avec ce projet de loi, pourrait posséder une fortune jusqu'à 430 000 francs et tout de même bénéficier de l'aide de l'Etat. Il ne me paraît vraiment pas prioritaire d'investir de l'argent public dans ce domaine.

Enfin, Mesdames et Messieurs, l'amendement dont parlait M. Zweifel ne change absolument rien à la question du surendettement évoquée par la FINMA et Swiss Banking. Ce problème-là, qui est lié aux risques du crédit, n'est tout simplement pas réglé alors que c'est l'écueil principal du projet de loi. Partant, la minorité vous invite à refuser fermement ce texte.

M. Djawed Sangdel (LJS), rapporteur de majorité. Je pense qu'il y a un malentendu. La plupart des collègues pensent que l'Etat fait un cadeau; non, ce n'est pas un cadeau, c'est un prêt avec intérêts ! C'est-à-dire que les banquiers - on parle des banquiers, on ne parle même pas du département des finances -, qui font tous les jours des analyses de risques, de l'anticipation des risques, vont vérifier les dossiers; les banquiers, qui étudient vraiment la situation non seulement actuelle, mais aussi passée et future, avant de valider, vont déterminer si les acquéreurs ont la capacité de rembourser leur dette.

Ce projet de loi a été étudié de manière précise, il concerne seulement une partie de la population, pas l'ensemble des citoyens genevois. Il n'y aura pas de crise du logement, il n'y aura pas de crise financière, on donne juste une chance à certaines personnes qui en ont les moyens de devenir propriétaires.

Vous parlez de 20% de fonds propres, chers collègues. Non, ce ne sont pas juste 20%, les banques exigent beaucoup plus ! Des fois, elles demandent 25%, voire 30%, auxquels s'ajoutent les frais de notaire; parfois aussi, il y a une différence entre le prix validé par les banquiers et le prix d'achat du bien.

En ce qui me concerne, je pense que ce texte est une façon très claire d'indiquer à nos concitoyens que les politiciens les soutiennent dans leur démarche pour devenir propriétaires, pour laisser un héritage positif à leurs enfants, pour laisser un héritage également à notre canton, à notre pays.

Si cet objet est refusé, quelle est l'alternative ? Bien évidemment, la plupart des gens iront voir ailleurs, ils iront chercher ailleurs pour acheter une maison, parce que c'est moins cher là-bas, parce qu'il y a moins d'exigences; là-bas, c'est juste à côté.

Alors pour éviter que les fortunes de Genève, de la Suisse fuient ailleurs, qu'il y ait plus d'immigration de gens qui ont les moyens, que les personnes quittent notre canton ou notre pays pour aller voir ailleurs parce qu'il y est beaucoup plus facile de devenir propriétaire, il faut donner une réponse précise, rapide et pragmatique à nos concitoyens, à une partie d'entre eux, à une minorité faisant partie de la classe moyenne supérieure, il faut leur donner la chance de devenir propriétaires et de laisser un héritage à notre canton. La majorité vous invite, chers collègues, à dire à nos concitoyens que nous les soutenons pour qu'ils deviennent propriétaires. Je vous remercie.

Le président. Merci beaucoup. La parole retourne à M. Dugerdil.

M. Lionel Dugerdil (UDC). Merci, Monsieur le président, de me laisser l'opportunité de répondre à la rapporteuse de minorité qui, une fois de plus, déploie toute sa mauvaise foi en nous indiquant en préambule que l'on va endetter des gens qui n'ont pas les moyens, puis en concluant que seule la classe moyenne «supérieure supérieure» et fortunée aura droit à ces prêts.

Mme Caroline Renold (S), rapporteuse de minorité. Le surendettement est lié aux revenus, donc on peut être surendetté si on prend un prêt trop important par rapport à ses capacités et à sa fortune.

M. Antonio Hodgers, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat est fondamentalement opposé à ce projet de loi pour les raisons qui ont été brillamment exposées par la rapporteure de minorité. J'aimerais cependant revenir sur quelques éléments saillants, en commençant par un point philosophique: pas plus tard qu'il y a une heure, sur les bancs de droite de ce parlement, on nous expliquait - ce qui est vrai - que la propriété est de la propriété privée, que les propriétaires privés ne doivent rien à l'Etat, que l'Etat doit juste respecter la propriété privée et ne pas s'en mêler.

Puis, au point suivant de l'ordre du jour, on demande à l'Etat de se mêler de la propriété privée en mobilisant des ressources publiques, celles du contribuable, pour que certains et certaines qui seraient les élus de ce dispositif puissent avoir plus de chance d'accéder à la propriété privée, laquelle resterait tout de même leur propriété, malgré l'utilisation de fonds publics. Voilà le premier doute philosophique du Conseil d'Etat.

Le deuxième est plutôt de nature macro-économique. Le problème de l'accès à la propriété ne relève pas de la demande, mais bien de l'offre. Tous les logements en PPE, pour autant évidemment qu'ils soient dans les prix raisonnables du marché, trouvent acquéreur et on sait, selon les opérations immobilières en zone de développement, qu'il y a cinq à sept dossiers solvables par appartement attribué. Par conséquent, que va-t-il se passer avec ce projet de loi ? Eh bien le nombre de demandeurs sera porté à huit, à neuf ou à dix. Mais il y aura toujours un seul logement à attribuer !

L'enjeu, si vous voulez qu'il y ait davantage de propriétaires dans ce canton, ce qui est également l'objectif du Conseil d'Etat, c'est d'augmenter l'offre, c'est de voter nos plans d'aménagement, c'est de valider les modifications des limites de zones et les plans localisés de quartier qui vont avec. Voilà la réserve de logements en PPE - et de locatifs, bien sûr, mais surtout de PPE. Ainsi, il serait intéressant que celles et ceux qui défendent l'accès à la propriété se déterminent avec autant de force au moment des déclassements, car quand ceux-ci sont refusés, cela restreint l'offre. Vous pouvez augmenter la demande d'un point de vue macro-économique, mais si vous ne touchez pas à l'offre, vous n'aurez pas plus de propriétaires à la fin. Voilà la principale faiblesse du projet de loi, comme l'a relevé d'ailleurs le député Desfayes avec beaucoup d'honnêteté.

Enfin, cela a été souligné, mais tout de même, Mesdames et Messieurs les députés: quand l'Association suisse des banquiers vous écrit que ce dispositif constituerait une violation des seuils d'endettement définis dans le règlement interne des banques, quand le représentant de la BCGE indique que les fonds de l'Etat ne seraient pas considérés comme des fonds propres, quand les représentants de la FINMA soulignent qu'ils sont très réservés, voire extrêmement critiques, à l'égard des efforts tendant à réduire les fonds propres, eh bien il faut les entendre ! L'amendement, au final, ne change strictement rien à cela.

D'ailleurs, la DGFE n'a pas commenté, donc le problème fondamental, c'est que pour des raisons qui appartiennent à ce pays, il y a une volonté des autorités fédérales, de la FINMA, du Conseil fédéral, de l'ASB d'exiger de ceux qui acquièrent un logement d'avoir les reins suffisamment solides, c'est-à-dire d'apporter 20% de fonds propres; on peut trouver que c'est dur, que c'est exigeant, mais cela fait partie de la solidité financière de notre pays. Or les auteurs du texte tentent de courber cette règle en disant: «Non, non, vous pouvez venir avec 5% et malgré tout obtenir un bien.» Il est normal que les autorités fédérales, qui sont les garantes de l'orthodoxie du système hypothécaire de notre pays, se montrent dubitatives.

Mesdames et Messieurs les députés, comme beaucoup dans cette salle, j'estime que ce dispositif ne va pas amener plus de dossiers éligibles par rapport au régime actuel, je pense qu'on est dans le registre du déclaratoire. C'est pourquoi, de la part du Conseil d'Etat, il n'y aura pas de querelle autour d'un troisième débat ou de quoi que ce soit, mais je tenais tout de même à souligner une fois de plus la faiblesse intrinsèque de ce projet de loi.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs, nous procédons au vote.

Mis aux voix, le projet de loi 13028 est adopté en premier débat par 48 oui contre 46 non et 1 abstention.

Le projet de loi 13028 est adopté article par article en deuxième débat.

Mise aux voix, la loi 13028 est adoptée en troisième débat dans son ensemble par 49 oui contre 45 non et 1 abstention (vote nominal).

Loi 13028 Vote nominal